Tiens, en voilà du romantisme!
L'instant d'après, Zia était collée contre Estéban et l'embrassait à pleine bouche. Embrasée par son désir, la jeune fille plaqua ses mains sur les hanches de l'Élu. C'est à ce moment précis que l'on frappa à la porte et qu'une voix résonna depuis le palier, mâle, aux accents chantants d'un mage récitant une formule.

: Aloysius, mécréant, c'est moi, ton vieux camarade Eusæbius!
L'Atlante chuchota:

: Eusæbius? Qui c'est celui-là?

: Probablement l'un des quatre acolytes d'Aloysius.

: Zia, tu as verrouillé cette fichue porte quand nous sommes entrés dans cette chambre, ou pas?

: Oui... Non... Je ne sais plus.
La poignée s'abaissa et ladite porte s'ouvrit. Celui qui s'apprêtait à entrer reprit:

: Aloysius, tu es là?
Enlaçant toujours son amie, Estéban se laissa tomber sur le lit, l'entraînant avec lui, et roula avec elle jusqu'à atterrir sur le tapis, à l'opposé de l'entrée.

:
Sors de cette pièce!
Le bruit d'un pas qui entre, traverse la chambre, celui d'un meuble qu'on dérange. L'intrus avait tiré une chaise pour s'asseoir à la table du noble. Les Élus entendirent ensuite le bruit d'un liquide versé dans un verre.

:
Mais il s'installe, le bougre!
Puis, le frottement d'une allumette. Quelques inspirations. Un grésillement. Une odeur de tabac à pipe qui se répand dans l'air.
Zia et Estéban ne se quittaient plus des yeux. Complices, si proches l'un de l'autre. La masse du lit les protégeait à peine des regards. Nimbée d'interdit, la situation était excitante mais dangereuse, aussi bien pour l'un que pour l'autre.
Le fils du soleil se demanda comment réagirait cet Eusæbius s'il les découvrait dans cette pièce. Il se demandait comment lui-même réagirait face à cet homme. Devrait-il utiliser sa dague? Le tuer? En serait-il capable?
Mais il oublia Eusæbius, et préféra se perdre dans ce regard de jade, unique, d'un magnétisme extraordinaire. Ainsi enlacé avec Zia, il aurait voulut que le temps se fige à jamais.
Elle-même le contemplait avec un air qu'il ne lui avait jamais vu. Il y avait du désir dans ses yeux, mais pas seulement. Autre chose de plus doux, de plus personnel, peut-être.
L'Inca se rapprocha et l'embrassa à nouveau. Et ce baiser-là avait une suavité ensorcelante.
Le bruit d'une gorgée. Une expiration de fumée.
Estéban et Zia. Ils avaient plongé dans un univers inconnu. Puis le regard de la jeune fille se transforma, s'allumant d'un sentiment plus primitif. Les recommandations d'Isabella, celles qu'elles s'était prodiguées à elle-même, avaient volé en éclat. Seul comptait cet élan incroyable qui la poussait vers l'Atlante.
Elle remonta sa main, en silence, et la glissa sous la tunique blanche. Cette caresse provocante occasionna des frissons d'abandon chez Estéban. Il se sentait tout bizarre et dut faire un effort surhumain pour retenir le gémissement qui montait vers ses lèvres.
Zia colla une fois encore sa bouche à la sienne. Tout en laissant sa main en place, elle frotta doucement son bassin contre sa hanche.
Le vert de ses iris étincelait.
La jeune fille ressentait une vibration intense et si douce qui la prenait dans tout son corps. Soucieuse de bien faire, elle laissa ainsi parler son instinct. Tout en affinant ses gestes, elle se fiait à la respiration de l'Élu, de plus en plus saccadée, aux secousses de son corps abandonné. Elle voulait qu'il participât, mais l'esprit du jeune damoiseau restait spectateur, témoin curieux et attentif de ce qu'il découvrait. Elle voulait qu'il se perde en elle et qu'elle se perde en lui.
Le fils du soleil finit par céder au même désir. Il n'avait qu'une envie, la renverser sur le dos, l'entendre soupirer sous ses caresses et tout lui donner.
Il n'en fit rien, soumis à une frustration intense, presque aussi intense que son envie.
Les deux jeunes gens ne pouvaient se permettre d'être ainsi découverts, pas dans la chambre d'un alchimiste, encore moins dans celle d'Aloysius. Estéban se souvint d'avoir été surpris à épier Ambrosius alors que ce dernier s'entretenait avec Helvétius. Il ne tenait pas particulièrement à revivre cette expérience. Il n'en était pas question.
Alors il résista à cet appel brûlant qui échauffait son cœur, qui chantait dans son esprit. C'était également pour lui le seul moyen de ne pas avoir à affronter Eusæbius.
Ledit Eusæbius dut finir par se lasser.
Le bruit d'une chaise que l'on repousse. D'une carafe que l'on rebouche. Une dernière expiration de fumée et les pas de celui qui sort et referme la porte derrière lui.