Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.
Posté : 16 déc. 2018, 21:42
Suite.
Prison break.
Ce soir-là, après avoir mangé et bu avec entrain, Isabella s'endormit avec plus de confiance et de joie qu'elle n'en avait éprouvé depuis des semaines, bercée par le crépitement léger du grésil que le vent d'ouest projetait sur les fenêtres de sa chambre. Les nouvelles reçues lui semblaient de bon augure car la simplicité des mots employés était de celles qui feraient naître autour des membres de la famille, sinon le bonheur, du moins cette sorte de contentement intime qui y ressemble un peu. Les deux mains de l'aventurière étaient posées sur son ventre, comme elle avait coutume de le faire pour se sentir plus proche encore de cette petite vie qui palpitait en elle et pour mieux la protéger contre ce qui pouvait tenter de l'atteindre. Celle-là aussi, elle lui donnera le jour et l'élèvera... Elle l'élèvera pour en faire un homme fort et sage pour qui les armes et les fureurs des combats ne représenteraient pas le bien suprême. Un homme qui saurait s'arrêter pour respirer une fleur, pour admirer la beauté d'un paysage ou d'une œuvre d'art, ou simplement pour parler au coin d'une rue avec un ami de choses utiles à l'Empire ou des dernières découvertes de l'esprit humain. Un homme, enfin, qui ressemblerait à son oncle, le pacifique Miguel, beaucoup plus en fait qu'à son propre père.
C'était sans doute illogique, et même aberrant, mais l'idée que cet enfant pût devenir un grand pourfendeur uniquement attaché à la force, voire à la brutalité, lui faisait horreur. Elle avait vu la guerre trop longtemps et de trop près pour n'en être pas dégoûtée, si tant est qu'elle lui eût jamais trouvé le moindre charme.
Carmina, qui demeurait la confidente des pensées de la jeune femme, avait hasardé:
Carmina: Et si c'est encore une fille?
C'est une idée qui ne l'avait pas effleurée.
: Pour moi, ce bébé ne peut être qu'un garçon! Il faut d'ailleurs que ce soit un garçon! N'allez surtout pas en conclure que je ne saurais pas aimer une autre petite fille! Bien au contraire, car comme Elena et Paloma, elle serait davantage à moi. Il faut toujours, un jour ou l'autre, remettre un jeune mâle à des maîtres. Mais je suis persuadée qu'il faut me disposer à continuer la lignée des Mendoza.
Carmina: Écrivez au señor. Faites lui part de votre conviction. L 'attrait d'un fils saurait peut-être le ramener à une plus saine compréhension de la vie familiale.
: J'en doute! Après la naissance de Joaquim, il n'a pas hésité à repartir à l'aventure...
Comment nier que son époux pouvait parfois se montrer froid et distant? C'était dans sa nature, ou bien alors... Et avait-il vraiment cherché à lui épargner des souffrances inutiles en gardant le silence depuis sa "prison"? Elle avait beau l'aimer de loin et en silence, il n'ignorait pas ce qu'elle devait ressentir.
Tout était si confus...
Harcelée par des pensées contradictoires, Isabella cessa de gamberger. Pour l'heure, tout était bien en cette nuit d'hiver qui venait de lui apporter une certaine sérénité.
Dès le lendemain, tôt levée, elle s'attela à sa correspondance.
Mardi 13 Janvier 1545, hacienda De Rodas.
Mon Juan,
Je trouve que j'ai assez procrastiné la veille, il n'est pas trop tard ce matin et je suis là, bien tranquillement, toute seule dans notre chambre. Pas l'ombre d'un bruit, même celui de la pluie qui ruisselle et qui s’étale sur la vitre ne me parvient. Je ne vois donc rien qui puisse venir m'importuner pour répondre à ton dernier pli.
Il ne sera pas dit que janvier se passe sans que tu reçoives toi aussi mes vœux et souhaits ainsi que ceux de tes enfants. Il est vrai que tu n'en as pas besoin pour être sûr de l'affection que nous te portons et du bonheur dont nous voudrions te voir jouir, mais puisque l'usage a fixé un mois particulier pour exprimer ce que l'on pense tous les jours il faut en profiter. Avant tout, je veux t'adresser mes vifs remerciements pour l'excellent cadeau que tu as bien voulu encore me faire.
L'autre se trouvait sur sa cuisse. Dans la chaleur ouatée de sa poche, Bianca se cala confortablement, prête à s'endormir, et Isabella caressa machinalement le tissu de son pantalon au-dessus du petit animal.
Comme il semble qu'il y a déjà longtemps que tu nous as quittés, je suis sûre que tu trouveras encore tes enfants bien changés. Paloma surtout! Elle est si drôle avec ses seize petites dents qu'elle montre chaque fois qu'elle rit, puis il faut l'avouer tout bas, elle est de plus en plus belle.
Tiens! En parlant du loup, voilà qu'elle vient de se réveiller...
En l'entendant entrer, l'aventurière cessa d'écrire et se retourna.
: Bonjour ma colombe.
La petite fille s'élança vers sa mère, se cramponna à ses braies et tira dessus pour qu'on s'occupât d'elle. Isabella la prit un instant sur ses genoux tout en câlinant ses cheveux bruns.
: Allez Paloma! Maman a du travail. Carmina?
La demeure était encore calme, chaude et silencieuse, à la seule exception des bruits provenant de la cuisine. La servante y remuait ses casseroles de cuivre. En entendant son nom, elle entra alors dans la chambre, suivie par Joaquim qui suçait une pâte d'amandes d'un air gourmand. Il en oublia presque d'aller embrasser sa douce maman. Carmina s'empara de l'enfant que lui tendit Isabella. En dépit de ses vingt-deux mois, et bien qu'elle marchât parfaitement toute seule, la petite fille profitait de la faiblesse qu'on lui témoignait pour continuer à se faire dorloter.
Les yeux de l'épistolière se posèrent sur la main qui caressait la souris endormie. Puis elle les leva à nouveau vers le visage de ses enfants avant de retrouver le calme, le face-à-face avec la page blanche.
Comme je le disais il y a un instant, elle vient de se réveiller et me voyant écrire, il a fallu lui prêter ma plume et lui faire faire ces charmants jambages que tu vois. Je suis de plus en plus en extase devant elle. À mon grand regret, je ne puis t'écrire que quelques lignes à cause du grand nombre de lettres que je dois faire partir aujourd'hui, j'en compte cinq, mais tu m'excuseras n'est-ce pas? Après ces grandes gelées qui ont donné beaucoup d'ennuis à mon père, voici maintenant les eaux sales, et gare aux grandes eaux! C'est terrible qu'il y ait toujours quelque chose.
Je te dirai aussi que depuis que je ne donne plus à téter la nuit je dors comme il n'est pas permis de le faire mais sachant que tu vas beaucoup mieux, c'est également mon cas et j'attends avec empressement de grossir comme un cornichon se préparant au concombre.
Adieu, mon chéri, nous t'embrassons tous bien tendrement, Paloma compris et nous attendons avec impatience ton retour.
Ton épouse bien attachée.
Isa.
☼☼☼
À presque trois cents lieues au nord, sous la direction douce mais ferme de son directeur, le lazaret semblait former une grande famille dont chaque membre du personnel paraissait satisfait de son sort. Quant aux pensionnaires, ils pouvaient trouver dans le repos et la prière cette paix du cœur et cette sécurité de l'âme aussi bien que pouvait le faire un ordre spirituel.
Contre les murailles de Stendgate-Creeck venaient se briser les bruits du dehors, le chuchotement des intrigues comme les cris d'agonie des victimes. L'incessante, l'éternelle guerre entre les partisans de deux puissantes familles qu'étaient les Tudor et les Valois, troublait chaque nuit. Mendoza les entendait comme les autres habitants de Sheerness, et, chaque matin, on retrouvait un ou deux corps inertes abandonnés dans l'ombre d'une ruelle ou flottant sur l'estuaire de la Tamise.
On demeurait claquemuré au sanitat pour rester en vie, en chantant les louanges de Dieu et en œuvrant à sa plus grande gloire. Aussi les offices du dimanche y étaient-ils d'une grande beauté.
La chapelle, édifiée sur un podium, permettait aux malades de suivre la messe de leur lit, sans risque de contamination mutuelle. L'autel central était dédié à Saint-Louis, les collatéraux à Saint-Roch et Saint-Sébastien, protecteurs invoqués lors des épidémies de peste, choléra, typhus, grippe espagnole...
William Cooke aima à en prendre sa part et joindre sa voix à ceux qui l'avaient accueilli comme un héros sans lui poser trop de questions sur ses activités de pirate.
Sur la voie de la guérison, Mendoza commençait à s'ennuyer. La maladie au moins était une compagnie et, réduite à celle de Julien, il se mit à trouver le temps long car, avec ce qui se passait dehors, le directeur avait instauré un couvre-feu. Ses ordres étaient formels: la porte de chaque chambre devait être verrouillée à vingt heures et, en aucun cas, personne ne devait en sortir. On pouvait faire confiance à l'aide soignant pour les respecter.
Le seul moment un peu agréable était le matin. Après son lever, Juan prenait un bain qu'on lui préparait dans l'une des salles du bâtiment se trouvant derrière la chapelle. L'architecture de cette pièce lui rappelait le tepidarium des bains Arabes à Gérone, en Espagne. Il s'y attardait donc longuement. Une vasque creusée dans le sol occupait presque toute la place. Elle était assez grande pour que deux personnes pussent s'y baigner ensemble, ce qui était un des grands plaisirs d'Isabella.
L'eau qu'apportaient les intendants de santé (il y en avait une trentaine de toutes nationalités) se vidait lentement par un étroit conduit qui débouchait dans un grand égout collecteur, lavé quotidiennement grâce à l'offrande des nuages.
Baigné, ce qu'il appréciait toujours infiniment, Mendoza était massé par une grande femme noire qui riait tout le temps et le malaxait comme pâte à pain avec des huiles parfumées, ce qui était moins agréable mais le Catalan sortait de ses mains débordant d'une vitalité dont, ensuite, il ne savait plus que faire. Quand, de retour dans sa chambre, il avait effectué le tour vingt fois dans un sens et vingt fois dans l'autre, il ne lui restait plus qu'une seule distraction: regarder par la fenêtre.
Lui qui, depuis qu'il se sentait mieux, ne songeait qu'à se sauver, eut un choc en s'apercevant de la hauteur du mur d'enceinte. C'est comme s'il la voyait pour la première fois. De plus, le temps n'arrangeait pas ses affaires.
À la mi-janvier, celui-ci avait changé et devint pire encore qu'il ne l'était au moment de son arrivée. Une tempête s'était déchaînée sur la Manche et les rafales de vent balayaient la côte d'Albion, emportant parfois les fragiles maisons des pêcheurs. Dans les terres, les bourrasques arrachaient des toits les tuiles rondes, tordaient les branches des arbres et faisaient s'écrouler un peu plus les ruines, de moins en moins altières, des constructions médiévales du Kent. Le château de Rochester n'échappa pas à la sentence divine. Le vent s'engouffrait dans la moindre porte ouverte, éteignait les cierges dans les églises et faisait voler les cendres des braseros. Durant la nuit du quinze au seize, les courants d'air achevèrent l'œuvre du typhus. Parmi les quarantenaires du Trinity Gilbert, Luttrell mourut à son tour entre les bras de l'autre John malgré la thérapeutique entreprise. Les injections d'éther n'avaient pas suffi et la bonne figure du pauvre Fletcher, d'ordinaire si gaie, était bouffie de larmes.
Le lendemain matin, quand on le porta en terre dans la vêture sévère de l'Ordre du Carmel et les pieds nus, Mendoza assista comme les autres au service funèbre et à l'ensevelissement qui suivit, mais seul son corps était présent. Il écoutait hurler le vent qui faisait claquer les bures des moines comme des drapeaux sur leurs hampes et son esprit vagabondait au jardin du côté du mur qui regardait vers la rade.
Néanmoins, le service terminé, il voulut y descendre. Il avait repéré quelque chose qui pouvait l'aider. Il y avait là un vieux pied d'aristoloche qui avait dû connaître son enfance au temps du couronnement d'Edouard IV et qui avait fermement accroché aux pierres du mur ses branches devenues grises et noueuses. Grâce à lui, le franchissement de l'obstacle devait se faire avec une relative facilité. Mais au moment où il se dirigeait vers les parterres, Fracastoro vint le rejoindre.
G.F: Vous avez vraiment l'intention de descendre au jardin par ce temps, señor Mendoza?
: Pourquoi pas, docteur? Ce n'est qu'une tempête et j'ai besoin de respirer autre chose que la fumée des cierges.
G.F: N'avez-vous pas suffisamment respiré au cimetière d'où nous venons? Pour ma part, j'avais peine à me tenir debout! Au surplus, là n'est pas la question.
Le médecin fixa le bout de ses pieds. Relevant la tête, son regard fouilla la morne végétation autour d'eux. Sans doute peu satisfait de son examen, il dit soudain:
G.F: Faisons quelques pas, si vous y tenez. Nous pourrions aller jusqu'à ce bassin. J'ai toujours aimé les fontaines. Elles sont, avec les cloches, les voix les plus harmonieuses que la terre puisse offrir au Seigneur. Et il y a un banc où nous serons à merveille pour causer.
D'où Mendoza conclut que le vieil Italien n'aimait pas la musique et qu'il souhaitait surtout que personne n'entendît ce qu'il avait à dire. Ce qui l'étonna car il ne voyait pas bien ce qu'il pouvait avoir à lui transmettre de si confidentiel.
Tout en cheminant modestement un peu en retrait de son visiteur, Juan ne pouvait s'empêcher de remarquer que, sur ses mains nues, l'alliance n'était pas le seul ornement, qu'elle voisinait avec de lourdes bagues enrichies de pierreries, que le grand manteau sombre portait des broderies d'or, que sous la pèlerine d'hermine se cachait probablement un caducée et que le couvre-chef à large bords, signe distinctif de la dignité, qui ombrageait le profil impérieux du docteur, avait une riche agrafe. Même Charles Quint, qui avait si fortement impressionné Mendoza lors de leur première rencontre, n'était pas si fastueux. Quant aux autres médecins du sanitat, ils disparaissaient complètement derrière la splendeur de leur confrère.
Parvenu au lieu indiqué, Fracastoro s'assit, étalant autour de lui un tel flot de velours noir qu'il ne restait plus la moindre place pour l'Espagnol, qui d'ailleurs ne fut pas invité à prendre place. Il resta donc debout, n'osant rompre le premier un silence que le médecin semblait prendre plaisir à prolonger. Son regard brillant examinait le marin avec une insistance qui mit un peu de rouge à ses pommettes et un plaisir évident qui s'épanouit en un sourire affable. Enfin, il se décida à parler.
G.F: En dépit de ce que vous pouvez croire, le séjour à Stendgate-Creeck semble avoir une heureuse influence sur votre santé, señor Mendoza.
Il s'exprimait d'une voix grave et melliflue, ses traits adoucis par l'âge.
G.F: Vous étiez dans un triste état quelques jours après votre arrivée, mais il n'y paraît presque plus.
Juan fut surpris d'une si curieuse entrée en matière.
: Je vous remercie. Votre sollicitude me touche mais je ne comprends pas comment vous pouvez faire la différence. Je n'ai pas le souvenir de vous avoir vu lorsque j'ai débarqué ici.
L'ombre d'un sourire inquiet s'afficha sur le visage du médecin.
G.F: Pourtant, nous nous sommes vus: non à votre arrivée, mais le lendemain. Vous ne vous en souvenez pas?
: Non... Je suis navré docteur mais j'ai encore un peu de mal à faire la différence entre ce que j'ai réellement vécu et le reste...
G.F: Ce qui prouve qu'une sortie prématurée ne serait pas raisonnable...
Il se tut, peut-être pour laisser ses paroles prendre tout le poids de leur signification. Seul se fit entendre le bruit de la fontaine qui jaillissait et retombait en pluie scintillante dans le bassin de pierre. Comme s'il éprouvait le besoin de reprendre contact avec quelque chose de réel, Mendoza alla y tremper ses doigts, laissant l'eau claire glisser sur eux et les rafraîchir.
G.F: En tout cas, j'ai voulu en savoir davantage sur vous. Cela a été relativement facile. Vous êtes une personne loquace.
: Ça ne me ressemble pas!
G.F: Pourtant, vous m'avez parlé d'Isabella dès le premier jour. Je me permets de l'appeler ainsi car c'est le nom de baptême de ma fille.
: Est-ce vous qui l'avez choisi?
G.F: Non. C'est mon épouse, Elena.
Le capitaine se mit à sourire.
G.F: Qu'y a-t-il?
: Chose amusante, le prénom de votre femme est celui de mon aînée.
G.F: C'est troublant, en effet. Enfin bref, le lendemain, vous avez évoqué votre beau-père...Vous êtes de ceux qui éveillent l'intérêt.
: Je ne vois pas pourquoi. J'ai beau être le gendre de l'Empereur, je ne suis pas un Grand d'Espagne et ne fais pas de politique. Mon rôle se borne à produire et vendre le vin de mon frère.
Girolamo s'esclaffa. Il aimait à rire, cela lui permettait de montrer ses belles dents blanches et ajoutait à l'attrait qu'il exerçait sur les gens.
: Et vous trouvez que c'est un rôle facile alors que mon épouse est...
Il laissa sa phrase en suspens.
G.F: Oui?
Juan se secoua les mains, les essuya à un pan de sa cape et revint vers Fracastoro qui s'était levé.
G.F: Isabella est quoi, señor?
Le Catalan laissa passer un moment avant de murmurer d'une voix anxieuse.
: Elle est seule...
G.F: Elle est pourtant bien entourée... Vos enfants, vos gens, votre famille... Que craignez-vous?
Un tic violent contracta les traits du capitaine, mais il ne répondit pas.
G.F: Je vous en prie, ne croyez pas que je cède à une curiosité vulgaire. Vous vous inquiétez pour elle, c'est ça?
Les lèvres de Mendoza s'agitèrent, mais aucun son n'en sortit pendant un long moment.
: Non.
G.F: Je suis sûr du contraire.
L'Espagnol s'était mis à trembler et l'Italien laissa passer quelques instants avant de poursuivre son interrogatoire. Sans le quitter des yeux, il demanda après une hésitation:
G.F: Vous doutez de sa fidélité?
Nouveau tic.
: Oui.
Le médecin tenta tant bien que mal de dissimuler son étonnement.
G.F: C'est curieux! Vous m'aviez dit qu'elle fuyait la compagnie de la gent masculine!
: J'ai confiance en ma femme. Ce sont les hommes qui gravitent autour d'elle dont je me méfie. Jadis, j'ai dû cogner plus d'une fois pour empêcher les galants de venir conter fleurette à ces beaux yeux-là. Je m'en suis toujours tiré à mon avantage car l'usage alterné du filet de pêche, de la bêche et de la cognée m'ont doté de muscles avec lequels il convient de compter.
G.F: Maintenant, je comprends mieux pourquoi vous envisagiez de nous faire faux bond...
: Comment diable est-il au courant? Je n'ai rien dit à personne! Enfin, il me semble... (Pensée).
Le Barcelonais fixait le Véronais de son regard de sphinx et le médecin l'observait tout aussi intensément, sans ciller. Mendoza rompit le silence le premier.
: Comment avez-vous eu vent de mes projets?
G.F: Señor, je vous en prie! Dès le premier jour, j'ai senti chez vous une certaine agressivité, ainsi qu'une propension anormale à la résistance.
Montrant du doigt la boite crânienne de Mendoza, il poursuivit.
G.F: Je sais comment fonctionne l'esprit humain. J'ai donc demandé à Julien de vous surveiller discrètement et il s'est acquitté de sa mission à la lettre.
Celui-là, Juan l'aurait volontiers étranglé.
: J'ai pensé à mettre les voiles, c'est vrai. Je me confesse à vous comme sait le faire le pêcheur à son aumônier, la nature faible à la forte, l'âme troublée et valétudinaire à l'intelligence sereine et haute. Mais je n'ai rien tenté! Et puis, après reflexion, j'ai repensé aux paroles de monsieur Pesche. Il m'a exhorté à la patience et à l'obéissance. Les façons, un peu vives peut-être, que j'ai eues envers lui l'ont inquiété. Il m'a fait comprendre que, pour mon bien, il était préférable que je me soumette à une volonté contre laquelle, en effet, je suis sans forces.
Au prix de son âme, Mendoza eût été incapable de dire où il avait pris l'inspiration de ce chef-d'œuvre d'hypocrisie, mais en voyant son interlocuteur approuver silencieusement de la tête d'un air pénétré, il eut presque honte de duper ainsi cet homme qui l'avait remis d'aplomb.
G.F: La Sainte obéissance! C'est le premier devoir de tout chrétien et je sais gré à Julien d'être venu vous le rappeler... Je sais que vous trouvez le temps long mais je tiens tout de même à vous prévenir si d'aventure le besoin de liberté se faisait encore sentir: des factionnaires, l'arme chargée, entourent l'établissement et ont la consigne de tirer sur tout individu qui essayerait de s'évader.
: Je suis donc condamné à périr d'ennui ici...
G.F: Mais non! Faites preuve d'un peu de patience! Ce serait dommage de tenter le diable alors que vous êtes sur le point de sortir par la grande porte.
C'était si surprenant que Mendoza ne répondit pas tout de suite. Néanmoins, il murmura:
: C'est vrai?
G.F: Mais oui! La fin de votre quarantaine approche. Bientôt vous serez de retour chez vous.
: Quand?
G.F: Chaque chose en son temps! Engagez-vous à coopérer avec tous ceux qui cherchent à vous apporter leur soutien. Vous ne sortirez pas d'ici sans un blanc-seing portant la signature du directeur ni avant d'avoir subi la purification.
: La purification? En quoi cela consiste?
G.F: Après avoir fermé la porte et les fenêtres de votre chambre, Julien fera agir de l'acide sulfurique sur un mélange d'acide nitrique et de sel marin. Il se dégagera alors une fumée épaisse, qui se répandra partout, imprégnant le linge, vos affaires et vos vêtements. Elle provoquera chez vous une toux intense mais après cinq minutes de fumigation, vous serez libre de quitter le lazaret.
Le Catalan insista:
: Oui, mais quand exactement?
G.F: Si tout se passe bien, en début de semaine prochaine. Gardez l'espoir et donnez-moi votre confiance. L'important est de vous remettre totalement sur pied.
Il fallut bien que Mendoza se contentât de cette promesse. L'entretien était terminé. Le médecin tendait déjà le bras droit pour une poignée de main sous laquelle Juan fut bien obligé de se plier, mais le respect n'y était pour rien. Simplement le souci des apparences, car il en venait à se demander si cet homme au regard caressant était réellement sincère.
La simarre sombre glissa sur les dalles enneigées dans un doux bruit de soie froissée. Le capitaine regarda s'éloigner la silhouette de Girolamo Fracastoro. Que cet homme d'une soixante d'années dégageât un charme était indéniable, mais au fil des tribulations subies durant les deux décennies écoulées, la méfiance lui était devenue naturelle. Que l'Italien souhaitât se ménager l'Empereur n'avait, à tout prendre, rien d'extraordinaire. À son âge, il pouvait encore convoiter la place d'André Vésale, mais cet avantage éventuel en valait-il vraiment la chandelle? Très sollicité pour sa compétence médicale, Fracastoro avait déjà fort à faire. Le pape Paul III l'avait nommé médecin du concile de Trente.
Le temps était passé plus vite qu'il ne le pensait et, à présent, un soleil timide se couchait dans un feu d'artifice et de longues traînées rouges annonçaient davantage de vent pour le lendemain. Sur ce fond sanglant, les arbres du jardin noircissaient et le Catalan eut froid. Il rejoignit son pavillon dont les fresques se décoloraient dans la lumière pourpre. Il allait à pas lents, écrasé soudain par le sentiment de sa solitude, gagné par la désespérante idée qu'il était à jamais perdu au cœur d'un monde inconnu et hostile, truffé de pièges d'autant plus perfides qu'ils se cachaient sous des apparences séduisantes.
Le besoin de retrouver son logis, ses enfants et sa femme qu'il aimait tant fut si violent tout à coup qu'il posa la main sur une colonnette encore tiède de soleil puis s'y appuya, tant il avait besoin de s'accrocher à quelque chose de solide.
Il ferma les yeux et laissa, chose extrêmement rare chez lui, les larmes couler librement.
Tandis qu'une main chaude se posait sur son épaule, la voix de Cooke chuchota:
W.C: Ne vous laissez pas aller, señor! Je suis venu vous chercher pour vous conduire à la chapelle car c'est l'heure des complies. Je chanterai pour le Seigneur, mais aussi pour vous!
À travers le brouillard des larmes, Mendoza crut revoir Alberto et l'entendre lui dire:
Alberto: Demain, c'est Noël et nous sommes tous deux des exilés. Si vous voulez je passerai la journée auprès de vous et je vous chanterai des chansons de chez nous.
Un mois était presque passé et ils étaient toujours des exilés sous ce soleil anglais qui ne ressemblait à aucun autre.
Un élan le jeta dans les bras de William.
: Pardonnez-moi ce moment de faiblesse que je n'ai pas su retenir. Je pensais à mes gamins... et à leur mère...
W.C: Fracastoro ne vous a pas apporté de mauvaises nouvelles, au moins?
: Non. C'est tout le contraire mais, je vous l'avoue, je ne sais que penser. Si vous voulez, je vous en parlerai. Pour ce soir, merci, merci de votre amitié...
Ils se sourirent puis, rejoignirent la file de quarantenaires qui se rendaient à la chapelle.
☼☼☼
En tant que patient, le frère de Miguel pensait le plus grand bien de Fracastoro que l'on disait fort généreux et plein de mansuétude pour autrui. En tant que Catalan, son jugement se nuançait curieusement. Il était assez sage pour faire la part des choses mais la rivalité entre ces deux races Méditerranéennes ne datait pas d'hier. En Italie, au cours du siècle dernier, la noblesse Romaine n'avait eu aucune sympathie pour cette bande d'Espingouins venus de leur province de Valencia dans les bagages de l'oncle Calixte III. Tout les avait alors opposés aux Macaronis: différences de caractère, de mœurs et même de civilisation, les Espagnols venant d'une nation encore très féodale. Tout cela avait concouru à la mésentente, sans compter la solide xénophobie des Italiens qui, individualistes à l'extrême, avaient commencé à ressentir l'attrait des anciennes civilisations et à s'en imprégner. Ils avaient jugé d'abord grossiers et peu fréquentables ces hommes encore marqués par les fureurs de leur vieille lutte contre les Maures, mais les nouveaux venus avaient les dents longues, et l'amour du faste. Ils s'étaient intégrés très vite et, sous la houlette de Rodrigo Borgia, le futur pape Alexandre VI, ils étaient entrés de plein pied dans le XVIème siècle, s'étaient imposés en flattant le goût des Romains pour les fêtes et, surtout, avaient adopté leur morale assez particulière qui voulait que le crime puisse avoir de la grandeur et que l'homme, libéré d'anciennes contraintes par la culture, soit à peu près seul juge de son propre comportement.
L'Anglais, qui avait écouté Juan de bout en bout, posa une question:
W.C: Êtes-vous de ces gens qui méprisent ceux qui ne sont pas de leur race?
: En voilà une idée! Si c'était le cas, je ne vous adresserai pas la parole, Cooke!
Mendoza pensa soudain à Tao.
: Je connais un jeune homme qui a trop souffert du mépris des autres pour que je puisse avoir ces dédains.
W.C: Bien! Ces vieilles querelles intestines entre vos nationalités respectives ne doivent pas entacher votre relation de départ. Cet homme nous a soigné, je crois que nous devrions l'écouter.
Ces paroles réconfortèrent le capitaine. Dans la situation dans laquelle il se trouvait, il avait besoin de se faire des amis. Sans cela, jamais il ne reverrait la douce principauté de Catalogne.
Il décida donc de suivre à la fois les conseils avisés du médecin et de son compagnon, se résolut d'user de cette vertu de patience qu'il avait inculqué autrefois à Estéban. Il se souvint lui avoir dit qu'elle était la plus importante de toutes, peut-être parce qu'elle était la plus difficile à pratiquer. De toute façon, il n'était plus seul et, en écoutant la voix de ténor du pirate chanter les louanges de la Mère de Dieu sous les voûtes blanches de la chapelle, l'idée lui vint que les prières dont Isabella devait, depuis son départ, accabler Dieu en sa Trinité, la Vierge Marie et les saints et saintes qui jouissaient de sa confiance, lui avaient peut-être valu de trouver un ange sur son chemin.
☼☼☼
À suivre...
Prison break.
Ce soir-là, après avoir mangé et bu avec entrain, Isabella s'endormit avec plus de confiance et de joie qu'elle n'en avait éprouvé depuis des semaines, bercée par le crépitement léger du grésil que le vent d'ouest projetait sur les fenêtres de sa chambre. Les nouvelles reçues lui semblaient de bon augure car la simplicité des mots employés était de celles qui feraient naître autour des membres de la famille, sinon le bonheur, du moins cette sorte de contentement intime qui y ressemble un peu. Les deux mains de l'aventurière étaient posées sur son ventre, comme elle avait coutume de le faire pour se sentir plus proche encore de cette petite vie qui palpitait en elle et pour mieux la protéger contre ce qui pouvait tenter de l'atteindre. Celle-là aussi, elle lui donnera le jour et l'élèvera... Elle l'élèvera pour en faire un homme fort et sage pour qui les armes et les fureurs des combats ne représenteraient pas le bien suprême. Un homme qui saurait s'arrêter pour respirer une fleur, pour admirer la beauté d'un paysage ou d'une œuvre d'art, ou simplement pour parler au coin d'une rue avec un ami de choses utiles à l'Empire ou des dernières découvertes de l'esprit humain. Un homme, enfin, qui ressemblerait à son oncle, le pacifique Miguel, beaucoup plus en fait qu'à son propre père.
C'était sans doute illogique, et même aberrant, mais l'idée que cet enfant pût devenir un grand pourfendeur uniquement attaché à la force, voire à la brutalité, lui faisait horreur. Elle avait vu la guerre trop longtemps et de trop près pour n'en être pas dégoûtée, si tant est qu'elle lui eût jamais trouvé le moindre charme.
Carmina, qui demeurait la confidente des pensées de la jeune femme, avait hasardé:
Carmina: Et si c'est encore une fille?
C'est une idée qui ne l'avait pas effleurée.
: Pour moi, ce bébé ne peut être qu'un garçon! Il faut d'ailleurs que ce soit un garçon! N'allez surtout pas en conclure que je ne saurais pas aimer une autre petite fille! Bien au contraire, car comme Elena et Paloma, elle serait davantage à moi. Il faut toujours, un jour ou l'autre, remettre un jeune mâle à des maîtres. Mais je suis persuadée qu'il faut me disposer à continuer la lignée des Mendoza.
Carmina: Écrivez au señor. Faites lui part de votre conviction. L 'attrait d'un fils saurait peut-être le ramener à une plus saine compréhension de la vie familiale.
: J'en doute! Après la naissance de Joaquim, il n'a pas hésité à repartir à l'aventure...
Comment nier que son époux pouvait parfois se montrer froid et distant? C'était dans sa nature, ou bien alors... Et avait-il vraiment cherché à lui épargner des souffrances inutiles en gardant le silence depuis sa "prison"? Elle avait beau l'aimer de loin et en silence, il n'ignorait pas ce qu'elle devait ressentir.
Tout était si confus...
Harcelée par des pensées contradictoires, Isabella cessa de gamberger. Pour l'heure, tout était bien en cette nuit d'hiver qui venait de lui apporter une certaine sérénité.
Dès le lendemain, tôt levée, elle s'attela à sa correspondance.
Mardi 13 Janvier 1545, hacienda De Rodas.
Mon Juan,
Je trouve que j'ai assez procrastiné la veille, il n'est pas trop tard ce matin et je suis là, bien tranquillement, toute seule dans notre chambre. Pas l'ombre d'un bruit, même celui de la pluie qui ruisselle et qui s’étale sur la vitre ne me parvient. Je ne vois donc rien qui puisse venir m'importuner pour répondre à ton dernier pli.
Il ne sera pas dit que janvier se passe sans que tu reçoives toi aussi mes vœux et souhaits ainsi que ceux de tes enfants. Il est vrai que tu n'en as pas besoin pour être sûr de l'affection que nous te portons et du bonheur dont nous voudrions te voir jouir, mais puisque l'usage a fixé un mois particulier pour exprimer ce que l'on pense tous les jours il faut en profiter. Avant tout, je veux t'adresser mes vifs remerciements pour l'excellent cadeau que tu as bien voulu encore me faire.
L'autre se trouvait sur sa cuisse. Dans la chaleur ouatée de sa poche, Bianca se cala confortablement, prête à s'endormir, et Isabella caressa machinalement le tissu de son pantalon au-dessus du petit animal.
Comme il semble qu'il y a déjà longtemps que tu nous as quittés, je suis sûre que tu trouveras encore tes enfants bien changés. Paloma surtout! Elle est si drôle avec ses seize petites dents qu'elle montre chaque fois qu'elle rit, puis il faut l'avouer tout bas, elle est de plus en plus belle.
Tiens! En parlant du loup, voilà qu'elle vient de se réveiller...
En l'entendant entrer, l'aventurière cessa d'écrire et se retourna.
: Bonjour ma colombe.
La petite fille s'élança vers sa mère, se cramponna à ses braies et tira dessus pour qu'on s'occupât d'elle. Isabella la prit un instant sur ses genoux tout en câlinant ses cheveux bruns.
: Allez Paloma! Maman a du travail. Carmina?
La demeure était encore calme, chaude et silencieuse, à la seule exception des bruits provenant de la cuisine. La servante y remuait ses casseroles de cuivre. En entendant son nom, elle entra alors dans la chambre, suivie par Joaquim qui suçait une pâte d'amandes d'un air gourmand. Il en oublia presque d'aller embrasser sa douce maman. Carmina s'empara de l'enfant que lui tendit Isabella. En dépit de ses vingt-deux mois, et bien qu'elle marchât parfaitement toute seule, la petite fille profitait de la faiblesse qu'on lui témoignait pour continuer à se faire dorloter.
Les yeux de l'épistolière se posèrent sur la main qui caressait la souris endormie. Puis elle les leva à nouveau vers le visage de ses enfants avant de retrouver le calme, le face-à-face avec la page blanche.
Comme je le disais il y a un instant, elle vient de se réveiller et me voyant écrire, il a fallu lui prêter ma plume et lui faire faire ces charmants jambages que tu vois. Je suis de plus en plus en extase devant elle. À mon grand regret, je ne puis t'écrire que quelques lignes à cause du grand nombre de lettres que je dois faire partir aujourd'hui, j'en compte cinq, mais tu m'excuseras n'est-ce pas? Après ces grandes gelées qui ont donné beaucoup d'ennuis à mon père, voici maintenant les eaux sales, et gare aux grandes eaux! C'est terrible qu'il y ait toujours quelque chose.
Je te dirai aussi que depuis que je ne donne plus à téter la nuit je dors comme il n'est pas permis de le faire mais sachant que tu vas beaucoup mieux, c'est également mon cas et j'attends avec empressement de grossir comme un cornichon se préparant au concombre.
Adieu, mon chéri, nous t'embrassons tous bien tendrement, Paloma compris et nous attendons avec impatience ton retour.
Ton épouse bien attachée.
Isa.
☼☼☼
À presque trois cents lieues au nord, sous la direction douce mais ferme de son directeur, le lazaret semblait former une grande famille dont chaque membre du personnel paraissait satisfait de son sort. Quant aux pensionnaires, ils pouvaient trouver dans le repos et la prière cette paix du cœur et cette sécurité de l'âme aussi bien que pouvait le faire un ordre spirituel.
Contre les murailles de Stendgate-Creeck venaient se briser les bruits du dehors, le chuchotement des intrigues comme les cris d'agonie des victimes. L'incessante, l'éternelle guerre entre les partisans de deux puissantes familles qu'étaient les Tudor et les Valois, troublait chaque nuit. Mendoza les entendait comme les autres habitants de Sheerness, et, chaque matin, on retrouvait un ou deux corps inertes abandonnés dans l'ombre d'une ruelle ou flottant sur l'estuaire de la Tamise.
On demeurait claquemuré au sanitat pour rester en vie, en chantant les louanges de Dieu et en œuvrant à sa plus grande gloire. Aussi les offices du dimanche y étaient-ils d'une grande beauté.
La chapelle, édifiée sur un podium, permettait aux malades de suivre la messe de leur lit, sans risque de contamination mutuelle. L'autel central était dédié à Saint-Louis, les collatéraux à Saint-Roch et Saint-Sébastien, protecteurs invoqués lors des épidémies de peste, choléra, typhus, grippe espagnole...
William Cooke aima à en prendre sa part et joindre sa voix à ceux qui l'avaient accueilli comme un héros sans lui poser trop de questions sur ses activités de pirate.
Sur la voie de la guérison, Mendoza commençait à s'ennuyer. La maladie au moins était une compagnie et, réduite à celle de Julien, il se mit à trouver le temps long car, avec ce qui se passait dehors, le directeur avait instauré un couvre-feu. Ses ordres étaient formels: la porte de chaque chambre devait être verrouillée à vingt heures et, en aucun cas, personne ne devait en sortir. On pouvait faire confiance à l'aide soignant pour les respecter.
Le seul moment un peu agréable était le matin. Après son lever, Juan prenait un bain qu'on lui préparait dans l'une des salles du bâtiment se trouvant derrière la chapelle. L'architecture de cette pièce lui rappelait le tepidarium des bains Arabes à Gérone, en Espagne. Il s'y attardait donc longuement. Une vasque creusée dans le sol occupait presque toute la place. Elle était assez grande pour que deux personnes pussent s'y baigner ensemble, ce qui était un des grands plaisirs d'Isabella.
L'eau qu'apportaient les intendants de santé (il y en avait une trentaine de toutes nationalités) se vidait lentement par un étroit conduit qui débouchait dans un grand égout collecteur, lavé quotidiennement grâce à l'offrande des nuages.
Baigné, ce qu'il appréciait toujours infiniment, Mendoza était massé par une grande femme noire qui riait tout le temps et le malaxait comme pâte à pain avec des huiles parfumées, ce qui était moins agréable mais le Catalan sortait de ses mains débordant d'une vitalité dont, ensuite, il ne savait plus que faire. Quand, de retour dans sa chambre, il avait effectué le tour vingt fois dans un sens et vingt fois dans l'autre, il ne lui restait plus qu'une seule distraction: regarder par la fenêtre.
Lui qui, depuis qu'il se sentait mieux, ne songeait qu'à se sauver, eut un choc en s'apercevant de la hauteur du mur d'enceinte. C'est comme s'il la voyait pour la première fois. De plus, le temps n'arrangeait pas ses affaires.
À la mi-janvier, celui-ci avait changé et devint pire encore qu'il ne l'était au moment de son arrivée. Une tempête s'était déchaînée sur la Manche et les rafales de vent balayaient la côte d'Albion, emportant parfois les fragiles maisons des pêcheurs. Dans les terres, les bourrasques arrachaient des toits les tuiles rondes, tordaient les branches des arbres et faisaient s'écrouler un peu plus les ruines, de moins en moins altières, des constructions médiévales du Kent. Le château de Rochester n'échappa pas à la sentence divine. Le vent s'engouffrait dans la moindre porte ouverte, éteignait les cierges dans les églises et faisait voler les cendres des braseros. Durant la nuit du quinze au seize, les courants d'air achevèrent l'œuvre du typhus. Parmi les quarantenaires du Trinity Gilbert, Luttrell mourut à son tour entre les bras de l'autre John malgré la thérapeutique entreprise. Les injections d'éther n'avaient pas suffi et la bonne figure du pauvre Fletcher, d'ordinaire si gaie, était bouffie de larmes.
Le lendemain matin, quand on le porta en terre dans la vêture sévère de l'Ordre du Carmel et les pieds nus, Mendoza assista comme les autres au service funèbre et à l'ensevelissement qui suivit, mais seul son corps était présent. Il écoutait hurler le vent qui faisait claquer les bures des moines comme des drapeaux sur leurs hampes et son esprit vagabondait au jardin du côté du mur qui regardait vers la rade.
Néanmoins, le service terminé, il voulut y descendre. Il avait repéré quelque chose qui pouvait l'aider. Il y avait là un vieux pied d'aristoloche qui avait dû connaître son enfance au temps du couronnement d'Edouard IV et qui avait fermement accroché aux pierres du mur ses branches devenues grises et noueuses. Grâce à lui, le franchissement de l'obstacle devait se faire avec une relative facilité. Mais au moment où il se dirigeait vers les parterres, Fracastoro vint le rejoindre.
G.F: Vous avez vraiment l'intention de descendre au jardin par ce temps, señor Mendoza?
: Pourquoi pas, docteur? Ce n'est qu'une tempête et j'ai besoin de respirer autre chose que la fumée des cierges.
G.F: N'avez-vous pas suffisamment respiré au cimetière d'où nous venons? Pour ma part, j'avais peine à me tenir debout! Au surplus, là n'est pas la question.
Le médecin fixa le bout de ses pieds. Relevant la tête, son regard fouilla la morne végétation autour d'eux. Sans doute peu satisfait de son examen, il dit soudain:
G.F: Faisons quelques pas, si vous y tenez. Nous pourrions aller jusqu'à ce bassin. J'ai toujours aimé les fontaines. Elles sont, avec les cloches, les voix les plus harmonieuses que la terre puisse offrir au Seigneur. Et il y a un banc où nous serons à merveille pour causer.
D'où Mendoza conclut que le vieil Italien n'aimait pas la musique et qu'il souhaitait surtout que personne n'entendît ce qu'il avait à dire. Ce qui l'étonna car il ne voyait pas bien ce qu'il pouvait avoir à lui transmettre de si confidentiel.
Tout en cheminant modestement un peu en retrait de son visiteur, Juan ne pouvait s'empêcher de remarquer que, sur ses mains nues, l'alliance n'était pas le seul ornement, qu'elle voisinait avec de lourdes bagues enrichies de pierreries, que le grand manteau sombre portait des broderies d'or, que sous la pèlerine d'hermine se cachait probablement un caducée et que le couvre-chef à large bords, signe distinctif de la dignité, qui ombrageait le profil impérieux du docteur, avait une riche agrafe. Même Charles Quint, qui avait si fortement impressionné Mendoza lors de leur première rencontre, n'était pas si fastueux. Quant aux autres médecins du sanitat, ils disparaissaient complètement derrière la splendeur de leur confrère.
Parvenu au lieu indiqué, Fracastoro s'assit, étalant autour de lui un tel flot de velours noir qu'il ne restait plus la moindre place pour l'Espagnol, qui d'ailleurs ne fut pas invité à prendre place. Il resta donc debout, n'osant rompre le premier un silence que le médecin semblait prendre plaisir à prolonger. Son regard brillant examinait le marin avec une insistance qui mit un peu de rouge à ses pommettes et un plaisir évident qui s'épanouit en un sourire affable. Enfin, il se décida à parler.
G.F: En dépit de ce que vous pouvez croire, le séjour à Stendgate-Creeck semble avoir une heureuse influence sur votre santé, señor Mendoza.
Il s'exprimait d'une voix grave et melliflue, ses traits adoucis par l'âge.
G.F: Vous étiez dans un triste état quelques jours après votre arrivée, mais il n'y paraît presque plus.
Juan fut surpris d'une si curieuse entrée en matière.
: Je vous remercie. Votre sollicitude me touche mais je ne comprends pas comment vous pouvez faire la différence. Je n'ai pas le souvenir de vous avoir vu lorsque j'ai débarqué ici.
L'ombre d'un sourire inquiet s'afficha sur le visage du médecin.
G.F: Pourtant, nous nous sommes vus: non à votre arrivée, mais le lendemain. Vous ne vous en souvenez pas?
: Non... Je suis navré docteur mais j'ai encore un peu de mal à faire la différence entre ce que j'ai réellement vécu et le reste...
G.F: Ce qui prouve qu'une sortie prématurée ne serait pas raisonnable...
Il se tut, peut-être pour laisser ses paroles prendre tout le poids de leur signification. Seul se fit entendre le bruit de la fontaine qui jaillissait et retombait en pluie scintillante dans le bassin de pierre. Comme s'il éprouvait le besoin de reprendre contact avec quelque chose de réel, Mendoza alla y tremper ses doigts, laissant l'eau claire glisser sur eux et les rafraîchir.
G.F: En tout cas, j'ai voulu en savoir davantage sur vous. Cela a été relativement facile. Vous êtes une personne loquace.
: Ça ne me ressemble pas!
G.F: Pourtant, vous m'avez parlé d'Isabella dès le premier jour. Je me permets de l'appeler ainsi car c'est le nom de baptême de ma fille.
: Est-ce vous qui l'avez choisi?
G.F: Non. C'est mon épouse, Elena.
Le capitaine se mit à sourire.
G.F: Qu'y a-t-il?
: Chose amusante, le prénom de votre femme est celui de mon aînée.
G.F: C'est troublant, en effet. Enfin bref, le lendemain, vous avez évoqué votre beau-père...Vous êtes de ceux qui éveillent l'intérêt.
: Je ne vois pas pourquoi. J'ai beau être le gendre de l'Empereur, je ne suis pas un Grand d'Espagne et ne fais pas de politique. Mon rôle se borne à produire et vendre le vin de mon frère.
Girolamo s'esclaffa. Il aimait à rire, cela lui permettait de montrer ses belles dents blanches et ajoutait à l'attrait qu'il exerçait sur les gens.
: Et vous trouvez que c'est un rôle facile alors que mon épouse est...
Il laissa sa phrase en suspens.
G.F: Oui?
Juan se secoua les mains, les essuya à un pan de sa cape et revint vers Fracastoro qui s'était levé.
G.F: Isabella est quoi, señor?
Le Catalan laissa passer un moment avant de murmurer d'une voix anxieuse.
: Elle est seule...
G.F: Elle est pourtant bien entourée... Vos enfants, vos gens, votre famille... Que craignez-vous?
Un tic violent contracta les traits du capitaine, mais il ne répondit pas.
G.F: Je vous en prie, ne croyez pas que je cède à une curiosité vulgaire. Vous vous inquiétez pour elle, c'est ça?
Les lèvres de Mendoza s'agitèrent, mais aucun son n'en sortit pendant un long moment.
: Non.
G.F: Je suis sûr du contraire.
L'Espagnol s'était mis à trembler et l'Italien laissa passer quelques instants avant de poursuivre son interrogatoire. Sans le quitter des yeux, il demanda après une hésitation:
G.F: Vous doutez de sa fidélité?
Nouveau tic.
: Oui.
Le médecin tenta tant bien que mal de dissimuler son étonnement.
G.F: C'est curieux! Vous m'aviez dit qu'elle fuyait la compagnie de la gent masculine!
: J'ai confiance en ma femme. Ce sont les hommes qui gravitent autour d'elle dont je me méfie. Jadis, j'ai dû cogner plus d'une fois pour empêcher les galants de venir conter fleurette à ces beaux yeux-là. Je m'en suis toujours tiré à mon avantage car l'usage alterné du filet de pêche, de la bêche et de la cognée m'ont doté de muscles avec lequels il convient de compter.
G.F: Maintenant, je comprends mieux pourquoi vous envisagiez de nous faire faux bond...
: Comment diable est-il au courant? Je n'ai rien dit à personne! Enfin, il me semble... (Pensée).
Le Barcelonais fixait le Véronais de son regard de sphinx et le médecin l'observait tout aussi intensément, sans ciller. Mendoza rompit le silence le premier.
: Comment avez-vous eu vent de mes projets?
G.F: Señor, je vous en prie! Dès le premier jour, j'ai senti chez vous une certaine agressivité, ainsi qu'une propension anormale à la résistance.
Montrant du doigt la boite crânienne de Mendoza, il poursuivit.
G.F: Je sais comment fonctionne l'esprit humain. J'ai donc demandé à Julien de vous surveiller discrètement et il s'est acquitté de sa mission à la lettre.
Celui-là, Juan l'aurait volontiers étranglé.
: J'ai pensé à mettre les voiles, c'est vrai. Je me confesse à vous comme sait le faire le pêcheur à son aumônier, la nature faible à la forte, l'âme troublée et valétudinaire à l'intelligence sereine et haute. Mais je n'ai rien tenté! Et puis, après reflexion, j'ai repensé aux paroles de monsieur Pesche. Il m'a exhorté à la patience et à l'obéissance. Les façons, un peu vives peut-être, que j'ai eues envers lui l'ont inquiété. Il m'a fait comprendre que, pour mon bien, il était préférable que je me soumette à une volonté contre laquelle, en effet, je suis sans forces.
Au prix de son âme, Mendoza eût été incapable de dire où il avait pris l'inspiration de ce chef-d'œuvre d'hypocrisie, mais en voyant son interlocuteur approuver silencieusement de la tête d'un air pénétré, il eut presque honte de duper ainsi cet homme qui l'avait remis d'aplomb.
G.F: La Sainte obéissance! C'est le premier devoir de tout chrétien et je sais gré à Julien d'être venu vous le rappeler... Je sais que vous trouvez le temps long mais je tiens tout de même à vous prévenir si d'aventure le besoin de liberté se faisait encore sentir: des factionnaires, l'arme chargée, entourent l'établissement et ont la consigne de tirer sur tout individu qui essayerait de s'évader.
: Je suis donc condamné à périr d'ennui ici...
G.F: Mais non! Faites preuve d'un peu de patience! Ce serait dommage de tenter le diable alors que vous êtes sur le point de sortir par la grande porte.
C'était si surprenant que Mendoza ne répondit pas tout de suite. Néanmoins, il murmura:
: C'est vrai?
G.F: Mais oui! La fin de votre quarantaine approche. Bientôt vous serez de retour chez vous.
: Quand?
G.F: Chaque chose en son temps! Engagez-vous à coopérer avec tous ceux qui cherchent à vous apporter leur soutien. Vous ne sortirez pas d'ici sans un blanc-seing portant la signature du directeur ni avant d'avoir subi la purification.
: La purification? En quoi cela consiste?
G.F: Après avoir fermé la porte et les fenêtres de votre chambre, Julien fera agir de l'acide sulfurique sur un mélange d'acide nitrique et de sel marin. Il se dégagera alors une fumée épaisse, qui se répandra partout, imprégnant le linge, vos affaires et vos vêtements. Elle provoquera chez vous une toux intense mais après cinq minutes de fumigation, vous serez libre de quitter le lazaret.
Le Catalan insista:
: Oui, mais quand exactement?
G.F: Si tout se passe bien, en début de semaine prochaine. Gardez l'espoir et donnez-moi votre confiance. L'important est de vous remettre totalement sur pied.
Il fallut bien que Mendoza se contentât de cette promesse. L'entretien était terminé. Le médecin tendait déjà le bras droit pour une poignée de main sous laquelle Juan fut bien obligé de se plier, mais le respect n'y était pour rien. Simplement le souci des apparences, car il en venait à se demander si cet homme au regard caressant était réellement sincère.
La simarre sombre glissa sur les dalles enneigées dans un doux bruit de soie froissée. Le capitaine regarda s'éloigner la silhouette de Girolamo Fracastoro. Que cet homme d'une soixante d'années dégageât un charme était indéniable, mais au fil des tribulations subies durant les deux décennies écoulées, la méfiance lui était devenue naturelle. Que l'Italien souhaitât se ménager l'Empereur n'avait, à tout prendre, rien d'extraordinaire. À son âge, il pouvait encore convoiter la place d'André Vésale, mais cet avantage éventuel en valait-il vraiment la chandelle? Très sollicité pour sa compétence médicale, Fracastoro avait déjà fort à faire. Le pape Paul III l'avait nommé médecin du concile de Trente.
Le temps était passé plus vite qu'il ne le pensait et, à présent, un soleil timide se couchait dans un feu d'artifice et de longues traînées rouges annonçaient davantage de vent pour le lendemain. Sur ce fond sanglant, les arbres du jardin noircissaient et le Catalan eut froid. Il rejoignit son pavillon dont les fresques se décoloraient dans la lumière pourpre. Il allait à pas lents, écrasé soudain par le sentiment de sa solitude, gagné par la désespérante idée qu'il était à jamais perdu au cœur d'un monde inconnu et hostile, truffé de pièges d'autant plus perfides qu'ils se cachaient sous des apparences séduisantes.
Le besoin de retrouver son logis, ses enfants et sa femme qu'il aimait tant fut si violent tout à coup qu'il posa la main sur une colonnette encore tiède de soleil puis s'y appuya, tant il avait besoin de s'accrocher à quelque chose de solide.
Il ferma les yeux et laissa, chose extrêmement rare chez lui, les larmes couler librement.
Tandis qu'une main chaude se posait sur son épaule, la voix de Cooke chuchota:
W.C: Ne vous laissez pas aller, señor! Je suis venu vous chercher pour vous conduire à la chapelle car c'est l'heure des complies. Je chanterai pour le Seigneur, mais aussi pour vous!
À travers le brouillard des larmes, Mendoza crut revoir Alberto et l'entendre lui dire:
Alberto: Demain, c'est Noël et nous sommes tous deux des exilés. Si vous voulez je passerai la journée auprès de vous et je vous chanterai des chansons de chez nous.
Un mois était presque passé et ils étaient toujours des exilés sous ce soleil anglais qui ne ressemblait à aucun autre.
Un élan le jeta dans les bras de William.
: Pardonnez-moi ce moment de faiblesse que je n'ai pas su retenir. Je pensais à mes gamins... et à leur mère...
W.C: Fracastoro ne vous a pas apporté de mauvaises nouvelles, au moins?
: Non. C'est tout le contraire mais, je vous l'avoue, je ne sais que penser. Si vous voulez, je vous en parlerai. Pour ce soir, merci, merci de votre amitié...
Ils se sourirent puis, rejoignirent la file de quarantenaires qui se rendaient à la chapelle.
☼☼☼
En tant que patient, le frère de Miguel pensait le plus grand bien de Fracastoro que l'on disait fort généreux et plein de mansuétude pour autrui. En tant que Catalan, son jugement se nuançait curieusement. Il était assez sage pour faire la part des choses mais la rivalité entre ces deux races Méditerranéennes ne datait pas d'hier. En Italie, au cours du siècle dernier, la noblesse Romaine n'avait eu aucune sympathie pour cette bande d'Espingouins venus de leur province de Valencia dans les bagages de l'oncle Calixte III. Tout les avait alors opposés aux Macaronis: différences de caractère, de mœurs et même de civilisation, les Espagnols venant d'une nation encore très féodale. Tout cela avait concouru à la mésentente, sans compter la solide xénophobie des Italiens qui, individualistes à l'extrême, avaient commencé à ressentir l'attrait des anciennes civilisations et à s'en imprégner. Ils avaient jugé d'abord grossiers et peu fréquentables ces hommes encore marqués par les fureurs de leur vieille lutte contre les Maures, mais les nouveaux venus avaient les dents longues, et l'amour du faste. Ils s'étaient intégrés très vite et, sous la houlette de Rodrigo Borgia, le futur pape Alexandre VI, ils étaient entrés de plein pied dans le XVIème siècle, s'étaient imposés en flattant le goût des Romains pour les fêtes et, surtout, avaient adopté leur morale assez particulière qui voulait que le crime puisse avoir de la grandeur et que l'homme, libéré d'anciennes contraintes par la culture, soit à peu près seul juge de son propre comportement.
L'Anglais, qui avait écouté Juan de bout en bout, posa une question:
W.C: Êtes-vous de ces gens qui méprisent ceux qui ne sont pas de leur race?
: En voilà une idée! Si c'était le cas, je ne vous adresserai pas la parole, Cooke!
Mendoza pensa soudain à Tao.
: Je connais un jeune homme qui a trop souffert du mépris des autres pour que je puisse avoir ces dédains.
W.C: Bien! Ces vieilles querelles intestines entre vos nationalités respectives ne doivent pas entacher votre relation de départ. Cet homme nous a soigné, je crois que nous devrions l'écouter.
Ces paroles réconfortèrent le capitaine. Dans la situation dans laquelle il se trouvait, il avait besoin de se faire des amis. Sans cela, jamais il ne reverrait la douce principauté de Catalogne.
Il décida donc de suivre à la fois les conseils avisés du médecin et de son compagnon, se résolut d'user de cette vertu de patience qu'il avait inculqué autrefois à Estéban. Il se souvint lui avoir dit qu'elle était la plus importante de toutes, peut-être parce qu'elle était la plus difficile à pratiquer. De toute façon, il n'était plus seul et, en écoutant la voix de ténor du pirate chanter les louanges de la Mère de Dieu sous les voûtes blanches de la chapelle, l'idée lui vint que les prières dont Isabella devait, depuis son départ, accabler Dieu en sa Trinité, la Vierge Marie et les saints et saintes qui jouissaient de sa confiance, lui avaient peut-être valu de trouver un ange sur son chemin.
☼☼☼
À suivre...