TEEGER59 a écrit : 07 mai 2022, 21:34
Le retour du marin à la cape bleue... Enfin!
Il y a au moins quelqu'un qui s'en réjouit, ça fait plaisir !

Mais à toi de juger s'il a bien fait de revenir....
Bonne lecture!
Partie 2.
Il jeta sa bourse sur la table et quitta la taverne sans se retourner ni écouter les molles protestations d’Alvarez. Il faisait presque nuit quand il arriva à destination, sous une pluie fine. Le domestique le fit entrer sans un mot, et le conduisit immédiatement dans le salon où il l’invita à s’asseoir. La pièce était vide, ce qui mit Mendoza en alerte. Après de longues minutes d’attente, il perçut le bruit de pas traînants et de halètements ; la porte s’ouvrit ; appuyé sur une canne, Roberto entra et se traîna péniblement jusqu’au fauteuil en face de son visiteur, où il s’écroula plus qu’il ne s’assit. Le silence qui suivit, ponctué de souffles pénibles, sembla durer une éternité à Mendoza. Enfin son hôte fut en mesure de parler.
R : Je suis ravi de vous savoir de retour, mon cher beau-frère. J’ai tenu à vous accueillir en personne, même si vous constatez que cela me coûte. Comment allez-vous ? avez-vous des nouvelles de ma chère sœur ?
Mendoza se leva et pour toute réponse lui tendit la lettre. Les deux hommes restèrent un moment face à face ; Mendoza put observer à loisir les marques sur le visage de Roberto ; son œil gauche était boursouflé ; son cuir chevelu était creusé de plaques blanches ; quand il tendit la main pour prendre la lettre, le marin remarqua son léger tremblement et les excroissances purulentes qui déformaient ses doigts. Roberto sourit.
R : Vous êtes d’un flegme, cher ami. Impassible comme un roc face à votre pauvre hôte qui fait tant d’efforts pour vous recevoir le plus aimablement possible, vu les circonstances.
Mendoza retourna s’asseoir et attendit que Roberto se décide à lire, ce qu’il fit sans se départir de son calme.
R : Eh bien ? J’avais demandé des nouvelles de ma sœur, pas de cette intrigante. Vous êtes de mèche à présent ? Je me souviens fort bien que vous m’aviez prévenu qu’elle chercherait à se venger de moi pour avoir blessé son fils. Et à présent vous m’apportez cette lettre. Vous avez l’air d’en savoir plus que moi…
M : J’avais pensé que vous seriez en mesure de me fournir des explications sur les causes de votre état, et vos liens avec cette femme.
R : Tiens donc ? Qu’est-ce qui vous fait croire que je la connais ?
M : La lettre le laisse entendre.
R : Je ne comprends guère à quoi vous faites allusion. Cette lettre n’a pas de sens.
M : Que vous est-il arrivé ?
R : Ah, enfin vous vous souciez de moi ! N’oubliez pas que si je meurs…
M : Je ne suis pour rien dans votre état, pas plus que Pedro et Sancho.
R : Ah oui ? Et vous m’apportez cette lettre ridicule pour vous disculper ? Vous savez que vous avez tout intérêt à me voir disparaître…mais que si cela arrive…
M : Inutile de me le rappeler, ni de me menacer. Je ne suis pas responsable de votre maladie . Toute la ville ne parle que d’une nouvelle épidémie de syphilis…
R : Ah, les rumeurs…
M : Je me suis renseigné avant de venir.
R : Mais vous êtes mal renseigné. Mon mal a commencé à partir d’une blessure. Oh, trois fois rien. Une rixe à la sortie du bordel. J’ai l’habitude, en général je fais œuvre de salut public en débarrassant les rues de ces vermines avinées, mais cette fois l’un d’eux était plus agile et s’est échappé après m’avoir laissé un petit souvenir. Cela arrive très rarement, et je suis capable de me soigner moi-même, c’est indispensable dans mon métier. Aussi ai-je été passablement contrarié de constater que cela s’infectait étrangement, et que je me sentais plutôt mal. Peu de temps après, les autres symptômes sont apparus. Les médecins sont impuissants.
M : La lame était empoisonnée ?
R : C’est vous qui me le demandez ? N’est-ce pas vous qui avez provoqué cette attaque, avec une arme empoisonnée, contaminée, plus probablement, mais par quoi? Pour ma part je n’ai jamais vu un poison agir comme cela, et vous savez si je m’y connais…
M : Je m’y connaitrais mieux que vous ?
R : Vous avez été dans le Nouveau Monde, vous avez pu en rapporter quelque substance inconnue…
M : Je suis un marin, pas un scientifique, encore moins un empoisonneur.
R : Mais cette femme….
M : C’est une ennemie !
R : Je ne dirais pas ça au vu de sa lettre…en tout cas, elle est sans doute mon ennemie, si elle est votre complice…
Mendoza bondit. Il fut pris d’un vertige. Il n’aurait pas dû boire autant. Hava…Hava avait-elle écrit cette lettre uniquement pour le piéger ? Non, elle ne pouvait pas savoir ce qui le liait à Roberto, le chantage de ce dernier…Mais la lettre pouvait le faire accuser, si Roberto mettait ses menaces à exécution. Il était certain qu’il n’accepterait pas de mourir sachant que cela rendrait à Mendoza sa liberté. Jamais il n’aurait dû montrer cette lettre, pourquoi avait-il fait une telle erreur ? Etait-ce si important de savoir si Roberto avait connu Hava, s’il lui avait fait du mal ? Le tueur à gages le fixait d’un air mauvais, le sourire en coin, comme s’il jouissait du trouble de son visiteur. Mendoza se rassit.
R : Allons, gardez votre sang froid, je vous taquine…vous n’avez jamais eu l’intention de m’éliminer, vous savez que vous n’en êtes pas capable. Quant à cette femme…c’est une adversaire à ma mesure, elle, si j’en crois cette lettre. J’avoue ne pas me souvenir d’elle, mais je lui ai apparemment fait forte impression. Si elle est passée entre mes mains et qu’elle n’a pas été brisée, alors elle se distingue des ses semblables. Je croyais que seule ma sœur faisait exception parmi ces femelles….si maintenant elles s’y mettent toutes, que deviendrons-nous, pauvres hommes ? Je suis déjà bien diminué par la maladie, comme vous avez pu le constater. Mais je ne m’avoue pas vaincu.
M : La nature sera peut-être la plus forte, cette fois.
R : C’est une éventualité à ne pas négliger. Cela vous arrangerait.
M : Mais vous vous arrangerez pour me faire accuser d’empoisonnement. Moi ou mes amis.
R : Cela va sans dire. J’aime avoir le dernier mot.
M : Qu’espérez-vous encore ?
R : Avant votre venue, je n’espérais plus grand’chose, à part que vous continuiez à faire fructifier mes affaires, les médecins sont de vrais sangsues, et dans mon état, je perds une partie de mes revenus.
M : Vous avez largement de quoi subvenir à vos dépenses.
R : Et si je veux un enterrement en grande pompe ?
M : Je ne vais pas vous payer votre enterrement, sachant qu’il signifierait ma mise sous les verrous.
R : Exactement. Aussi je vous propose un marché : vous retrouvez cette femme, vous lui soutirez le remède…
M : Qui vous assure qu’il y en a un ? Ou qu’il n’est pas trop tard ?
R : Tout poison a son contre-poison.
M : Ce n’est pas un empoisonnement.
R : Cessez de me saper le moral ! S’il n’y en a pas, alors tuez-la pour moi ! et même s’il y en a un, tuez-la !
Roberto commençait à s’emporter ; ses mains se mirent à trembler fortement. Il s’en aperçut et s’efforça de se calmer.
M : Vous ne voulez pas attendre d’être remis pour vous en charger ?
Mendoza vit le malade blêmir de rage.
R : Il faut empêcher cette criminelle de nuire le plus rapidement possible !
M : Cette criminelle…que vous avez créée.
Il se mit à rire doucement en secouant la tête. Roberto cria, et manqua d’étouffer après cet effort.
R : Arrêtez avec ça ! Je vous dis que je ne la connais pas !
M : Je vous crois. Mais elle sait ce qu’elle vous doit.
Roberto respirait avec peine. Les deux hommes se turent un moment, dans un face à face pesant. Enfin, Roberto put s’exprimer à nouveau, d’une voix plus faible, mais ferme.
R : Vous ne voulez pas m’aider ? Même contre votre liberté ?
M : Si je vous rapporte le remède, ou si je la tue, avant que vous mourriez, bien sûr, vous résiliez notre contrat ? Mais si vous mourez avant ? J’ai tout intérêt à partir et à ne jamais revenir en Espagne, cela me va tout autant.
R : Et vous croyez que vos amis sont prêts à tout laisser derrière eux ? Leur vignoble dont ils s’occupent avec passion, leurs affaires qui marchent de mieux en mieux…Je vous tiens, Mendoza, ne rêvez pas.
M : Si je reviens trop tard, vous n’aurez pas levé vos menaces. C’est un marché de dupes. Je peux aussi très bien prétendre que j’ai tué Hava…
R : Je vous fais confiance sur ce point. Vous en avez envie tout autant que moi. A moins que vous n’ayez pitié d’elle à cause de la lettre ?
Mendoza frémit. Se pouvait-il que Roberto ait deviné…Non, il savait qu’il y avait bien d’autres raisons d’en vouloir à Hava et à son fils.
M : Je veux une garantie écrite qu’au cas où vous mourriez, ni moi ni mes amis n’en seraient tenus pour responsables. Je m’engage à vous aider et à vous servir si vous survivez. Si vous n’acceptez pas, je n’ai absolument aucun intérêt à vous aider.
R : Je pourrais vous faire accuser immédiatement…
M : Vous ne le ferez pas.
R : Pourquoi donc ?
M : Vous avez encore un espoir…je suis votre seul espoir.
R : Ne soyez pas si présomptueux. Je me suis préparé à l’idée de mourir depuis bien longtemps. Mais je ne voudrais pas plonger ma pauvre sœur dans l’affliction….perdre un frère aimé, puis un mari chéri…
M : Quand signons nous notre nouveau contrat ? C’est moi qui amène le notaire.
R : Vous profitez de ma magnanimité…Eh bien, revenez dès que vous en aurez trouvé un.
M : Dès demain.
Mendoza se leva pour prendre congé.
R : Voulez-vous votre lettre ? Elle ne m’était pas destinée…
Il lui tendait la lettre de sa main déformée.
M : Je n’en ai pas besoin.
R : Je vois…vous craignez peut-être la contagion…
M : Non. Je n’ai que faire de cette lettre, brûlez-la. Ou gardez-la comme preuve contre moi, si vous y tenez, je m’en moque.
R : Elle vous contrarie…vous avez le cœur trop tendre, Mendoza. Mais je dois reconnaître que vous n’avez pas froid aux yeux. Prendre le risque de venir ici, de parler avec un pauvre malade comme moi…Gomez n’a pas eu ce courage. Il s’est même enfui comme un lâche dès qu’il a su ma mésaventure. Se doutait-il que cette fameuse Hava était derrière tout ça ? il n’a pas daigné me faire part de ses soupçons. Ce n’est pas un partenaire fiable comme vous.
M : Et vous, vous n’avez eu aucun soupçon ?
R : Si, bien sûr, cela fait des semaines que j’essaie de trouver où elle se cache.
M : Elle nous nargue…
R : Quand vous la tiendrez à votre merci, ne vous laissez pas attendrir, surtout !
M : On dirait que votre conscience vous tourmente. Vous avez peur qu’elle me rappelle vos crimes ?
R : Non. Je ne regrette jamais aucun de mes actes. Comment allez-vous procéder pour la trouver ?
M : Je suppose que c’est elle qui viendra à moi.
R : Elle a l’air de bien vous aimer en effet…Soyez sur vos gardes. Je compte sur vous.
M : Ne soyez pas trop pressé. Je dois me rendre à un mariage avant toute chose. Votre sœur serait très contrariée que nous n’y assistions pas ensemble.
R : Ce que femme veut…Le mal progresse lentement, mais sûrement…
M : Vous avez une santé de fer.
R : Au fait, les affaires ont été bonnes ?
M : Tout est consigné, vous pourrez vous distraire en lisant cela ce soir.
R : Parfait, vous êtes un homme sur qui on peut compter. Vous ne me décevez jamais.
Quand il fut sorti, Mendoza aspira une large goulée d’air frais et laissa la pluie couler sur son visage avant de courir vers la taverne. Alvarez et Rico ne remarquèrent pas son retour ; ils vidaient verre sur verre avec entrain en compagnie du seul client qui restait, le marin qui n’avait pas voulu suivre ses compagnons par peur de la maladie. Mendoza s’assit à une table libre et plongea la tête dans ses mains pour tenter de clarifier ses idées. Il aurait voulu ne jamais débarquer, rester en mer pour toujours. Il lui fallait maintenant trouver un notaire, prévenir Pedro et Sancho de son arrivée. Ils repartiraient ensemble pour Porto Conte où Esteban devait les rejoindre. Ils récupéreraient ensuite Isabella à Bruxelles…Pourquoi avait-il accepté le chantage de Roberto ? Pour être libre, enfin ? Non, ce qui l’avait fait céder était le seul intérêt de Sancho et Pedro. Ils avaient le droit, eux, de réussir leur vie. Pour lui, croupir en prison ou s’exiler ne changeait rien. La prison était même préférable, si elle pouvait abréger son existence. Il avait promis d’aider Roberto, alors qu’il haïssait les êtres tels que lui. Il l’avait fait pour se donner une raison de retrouver Hava, parce que son mystère l’insupportait, parce qu’il voulait connaître la vérité, parce qu’il ne pouvait la haïr complètement. Les mots de la lettre le hantaient. Quand il l’aurait retrouvée…il n’obtiendrait jamais d’elle aucun remède, surtout pour Roberto, à moins qu’elle soit forcée de lui céder. Pas pour Roberto, mais pour quelqu’un d’autre…Qui accepterait-elle de soigner, à part son fils ? Se souciait-elle seulement des victimes que risquait de causer l’épidémie, si le mal se répandait comme cela semblait être déjà le cas ? Zia…Zia serait peut-être capable de faire quelque chose. Non, il n’allait pas mêler Zia à ça, une fois de plus. Roberto n’en valait pas la peine. Mendoza ricana. Si Roberto connaissait l’étendue des savoirs de Zia, s’il connaissait tous ses talents…comment pouvait-il mépriser à ce point les femmes ? Au point de les maltraiter…Les cicatrices d’Hava ressurgirent dans les pensées de Mendoza. Un tel homme devait mourir. Hava devait mourir. Il la tuerait de ses mains, non pour venger Roberto, mais pour la délivrer, et se délivrer, lui. Puis il mourrait.
A: Mendoza ? Mendoza ?
Il réalisa que son second le secouait. Il s’était perdu dans ses pensées au point de ne plus prêter attention à ce qui l’entourait.
A : Tout va bien ? Comment se porte Roberto ? Est-il aux portes de la mort ?
Ri : Puisse-t-il brûler en Enfer !
Le tavernier leva son verre avec enthousiasme. Il était aussi éméché qu’Alvarez. Mendoza les fixa d’abord sans comprendre, puis répondit que tout allait bien et que Roberto n’allait pas mourir tout de suite.
Ri : Oh ? Dommage !
A : En tout cas, moi, je reprends la mer dès que possible, je ne vais pas moisir ici !
M : C’est aussi mon intention. Dans deux jours au plus, nous serons partis.
Ri : En me laissant tout seul, sans clients ?
M : Je te conseille de t’éloigner de cette ville. Je ne te souhaite pas d’agoniser tout seul le corps couvert de pustules.
Rico se figea. Derrière lui, le marin hurla.
M3 : Je le savais, je l’avais bien dit ! On va tous finir à la fosse !
Il s’enfuit vers la porte en titubant.
M : Alvarez, rentre au navire et évite d’en bouger. On devrait charger la cargaison de Sancho et Pedro demain. Je me rends chez eux dès ce soir.
A : Par ce temps ? On n’y voit pas à deux pas avec cette pluie !
M : Je connais le chemin. Rico, tu connais un bon notaire ?
Ri : Euh…celui qui a géré la succession de ma pauvre maman ?
M : Parfait. Fais-le venir demain après-midi, dis-lui que c’est une affaire urgente, qui lui rapportera gros, qui doit se régler immédiatement, insiste.
Ri : Et s’il n’est libre ? S’il refuse ? S’il est mort ?
M : Trouve quelqu’un d’autre. N’importe qui fera l’affaire.
Mendoza émergea avec peine du sommeil. Dehors, le soleil était déjà haut, il pouvait s’en rendre compte par la luminosité qui frappait impitoyablement ses yeux à chaque fois qu’il les tournait vers la fenêtre. Il resta de longues minutes allongé, tentant de comprendre où il se trouvait. Hava et Roberto s’étaient disputés le premier rôle dans ses cauchemars. Il explora du regard la pièce dont la pénombre contrastait avec l’étroite colonne de lumière provenant de l’unique fenêtre. Il ne vit aucune trace de ses vêtements, de ses bottes ou de son épée. Il se souvint avoir pris un bain chaud contre son gré. Une idée de femme…Il devait s’être endormi peu après. Il devait être près de 11h du matin à présent. Soudain, la porte s’ouvrit sans qu’il ait entendu qu’on frappait et il vit entrer sa cape au-dessus d’une pile de vêtements. Il crut un instant qu’Hava lui rapportait ses biens et se redressa vivement, le regrettant presque aussitôt tant il s’attendait à sentir la morsure des chaînes. Il reprit pourtant rapidement ses esprits en reconnaissant Maria. Elle déposa son paquet en lâchant un soupir de soulagement et se tourna vers lui.
Ma : Eh bien, te voilà enfin réveillé ! tes vêtements ont eu largement le temps de sécher, après une bonne lessive ! Mais j’aurais bien voulu dormir aussi longtemps que toi !
M : Je te remercie, Maria.
Ma : Tu peux ! Sans moi, cette maison et ses habitants ne tiendraient pas un jour !
M : Tu vas être tranquille un petit moment…
Ma : Oui, ils ont déjà tout préparé en attendant ta venue, heureusement ! Mais quelle idée de se présenter au milieu de la nuit !
M : Nous te soulagerons donc de notre présence dès aujourd’hui, s’ils ne dorment pas encore eux aussi.
Ma : Je les ai levés aux aurores, ils avaient assez cuvé leur vin !
M : Et pas moi ?
Ma : Toi, c’est différent…tu n’as pas passé la journée au coin du feu…Mais je te retarde, habille-toi, le déjeuner est bientôt prêt !
Sancho et Pedro somnolaient pendant que Maria s’affairait en cuisine quand Mendoza descendit. Le marin sourit en contemplant la scène familière. Il lui semblait que ses soucis s’envolaient. Leur trio se reformait, comme avant, quand tout était plus simple. Une pensée furtive lui traversa l’esprit, celle de les laisser dormir et de repartir seul, au-devant de probables ennuis, puis il réalisa que le danger était désormais partout. Si le mal se répandait, il pouvait emporter les habitants de cette maison, Maria y compris. S’ils partaient tous les trois, elle resterait cependant relativement à l’écart de la contagion, n’ayant pas besoin de se rendre en ville régulièrement comme eux. Mendoza décida de savourer le repas comme s’il s’agissait du dernier qu’ils prendraient ensemble, à cette table, dans cette maison.
Le reste de la journée se déroula comme prévu. Le notaire, appâté par la perspective d’une bonne affaire, car les urgences se monnayaient chèrement, se présenta à la taverne et ne rechigna pas à se rendre chez Roberto. Les rumeurs ne l’avaient pas encore atteint. Ce dernier avait tout de même fait un effort pour être plus présentable et ne pas effrayer outre mesure l’homme de loi, qui ne manqua pas de remarquer l’état de santé fragile de son client. Comme cela justifiait l’urgence de l’affaire, il négocia impitoyablement. Roberto s’en moquait, il réclama que le coût de l’acte soit entièrement à la charge de Mendoza, arguant de sa maladie. Mendoza ne s’y opposa pas. Tout ce qui lui importait, c’était la signature du nouveau contrat, qu’importe le prix à payer. Pedro et Sancho avaient envoyé leur cargaison au port de Barcelone dès l’aube, et le chargement se déroula sans encombres. Le lendemain, la Santa Catalina appareillait pour Porto Conte. Les compagnons de Mendoza retrouvaient avec plaisir les sensations du large, et le capitaine quittait Barcelone avec soulagement. Il décida de profiter de la parenthèse en mer sans plus songer qu’Hava se trouvait peut-être à Barcelone, et qu’Isabella les attendait à Bruxelles.