FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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yupanqui
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par yupanqui »

Merci pour l’indice de l’arrière plan et de la lumière : j’ai trouvé le médaillon.
Hâte qu’on lui règle son compte à cette Hava de malheur.
Et aussi que Gonzales se dévoile ou se fasse piéger.
« On sera jamais séparés » :Zia: :-@ :Esteban:
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Akaroizis
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Akaroizis »

Chaltimbanque a écrit : 05 févr. 2018, 17:26 Non, c'est pas vrai ! Tu n'as jamais vu La Route d'Eldorado, par Dreamworks ?? :D Oh, je te le conseille (à toi et tous ceux qui seraient dans le même cas). Vous allez kiffer ! :x-):
Merci de m'avoir fait découvrir ce film ! :D ;)
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

Saison 1 : 18.5/20
Saison 2 : 09/20
Saison 3 : 13.5/20


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Ra Mu
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Ra Mu »

Chaltimbanque a écrit : 05 févr. 2018, 17:26 Non, c'est pas vrai ! Tu n'as jamais vu La Route d'Eldorado, par Dreamworks ?? :D Oh, je te le conseille (à toi et tous ceux qui seraient dans le même cas). Vous allez kiffer ! :x-):

Moi pas du tout, :? j'ai toujours trouvé ce film d'un humour lourdingue et un scénario attendu. C'est un des rares animés dont j'ai revendu le DVD. Bon tant mieux si ce film a trouvé son public.
- On s'est tout de même embrassés, cela ne signifie donc rien?
- HEIN? T'as embrassé Ambrosius?
- *soupir* Allez, déblaie!
HOP HOP HOP! :x-):
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Chaltimbanque »

Je ne dis pas que c'est un de mes films d'animation préférés (et je suis d'accord, le scénario est prévisible), mais je trouve qu'il y a tout de même des moments très sympas (le jeu de balle par exemple, me fait toujours marrer).
I shall be telling this with a sigh
Somewhere ages and ages hence:
Two roads diverged in a wood, and I—
I took the one less traveled by,
And that has made all the difference.


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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par TEEGER59 »

Je ne connais pas. En fait, je m'aperçois qu'en film d'animation, je ne connais pas grand chose...
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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nonoko
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par nonoko »

Un film qui date de 2000, bouh ouh, ça ne nous rajeunit pas, à l'époque j'avais pas d'enfants à traîner au cinéma (ou qui me traînent).
La bande annonce a l'air sympa, ça me fait penser à L'homme qui voulut être roi (avec Sean Connery). On voit bien aussi que c'est sûrement moins tragique que ce film :x-):
"On savoure mieux ce qu'on a désiré plus longtemps, n'est-ce pas Mendoza?"
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nonoko
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par nonoko »

Hello, petit pavé pour conclure ce looooong chapitre, j'essaierai de ne pas vous faire trop attendre pour la suite. Bon courage pour la lecture.

Septième partie.

On avait installé Nacir dans un coin de la salle principale de la maison. Il reposait, Isabella à ses côtés. L’effet des drogues qu’il avait absorbées pour que le transport soit moins douloureux commençait à s’estomper, et sa souffrance se réveillait en même temps que son esprit retrouvait son acuité. Mais il ne se plaignait pas, et se contentait de suivre des yeux les déplacements de ses amis qui s’affairaient à la préparation du repas qu’ils allaient prendre tous ensemble.
N : Vous et moi, nous avons été mis à l’écart. Je pourrais tout de même aider à quelque chose. Ecosser ces pois, par exemple.
I : Je croyais que votre poignet était brisé ? Ne dites pas n’importe quoi. De toute façon, ils sont bien assez nombreux. Il paraît que je les gênerais avec mon ventre. Comme si je prenais tant de place que ça ! Enfin, si ça peut leur faire plaisir de s’occuper de tout…
G : Il faut savoir se ménager.
I : Vous n’allez pas vous y mettre ? Le chevalier d’Aubusson est à peine parti, et déjà quelqu’un d’autre prétend savoir ce qui est bon pour moi. Je vous préviens, je n’ai pas besoin de vos conseils. Occupez-vous plutôt de Nacir.
G : Je n’y manquerai pas. Mais permettez-moi de me soucier un peu de votre santé et de votre bien-être. Il est vrai que je vous retrouve en pleine forme, et plus rayonnante que jamais cependant…
I : Pourquoi vous soucier de moi ? Vous vous sentez coupable ?
G : Je comprends que vous m’en vouliez.
I : Moi ? Pourquoi devrais-je vous en vouloir ? Ce n’est pas de votre faute si des pirates nous ont attaqués à Lampedusa. Et je serais bien ingrate d’en vouloir à quelqu’un qui m’a sauvé la vie.
G : Mais vous m’en voulez. Autant que vous vous en voulez à vous-même, pour m’avoir écouté dans cette auberge, quand je vous ai montré la carte.
I : C’est vrai. Mais à quoi bon remuer le passé ? Et puis, je n’ai rien perdu dans cette histoire, contrairement à vous. J’ai juste un peu souffert, mais je m’en suis remise. Comme Nacir se remettra de ses blessures.
N : Comment pourrai-je jamais vous remercier ?
G : Je n’allais pas vous laisser mourir bêtement entre les mains d’un incapable.
N : Si seulement nous avions pu garder le trésor, vous auriez été récompensé de votre peine.
G : Et vous également. Je suis désolé.
I : Nacir oublie un peu vite que vous n’auriez pas pu faire grand’chose de ce trésor. Les lingots étaient en orichalque.
Il fallut à Gonzales tout le sang-froid dont il était capable pour réagir de façon appropriée à cette déclaration inattendue. Pourquoi Isabella lui donnait-elle cette information de but en blanc ?
G : Que voulez-vous dire ? Je ne comprends pas.
I : Vous n’avez jamais lu Platon ? Il parle de ce métal fabuleux qui existait du temps de l’Atlantide.
G : Excusez-moi mais...je ne vous suis pas.
I : J’aurais pourtant pensé qu’un homme instruit comme vous…mais je vous explique : les lingots en orichalque ne fondent pas. Nacir en a repêché un, que nous avons d’abord fait parvenir à Ruiz, pour le faire patienter, sans savoir que ce n’était pas de l’or. Ruiz a été furieux quand il a essayé de faire fondre son lingot sans succès. Aussi, quand vous irez lui rendre visite, je vous souhaite bon courage.
G : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Mendoza est au courant ?
I : S’il ne l’est pas encore, il le sera bientôt.
G : Vous voulez dire que nous avons risqué notre vie pour …pour un trésor qui ne valait rien ?
I : Cela dépend pour qui. L’orichalque a des propriétés qui en font un métal très convoité pour qui sait l’utiliser. Voyez-vous, le condor est en orichalque, et non en or.
N : Et à présent, c’est cette femme qui détient les lingots ! si seulement j’avais pu lui transpercer le cœur !
G : Mais…que va-t-il se passer quand elle découvrira que ce n’est pas de l’or ?
I : Comment le savoir ? A moins qu’elle ne l’ait su avant de s’en emparer. J’ai beaucoup réfléchi à cette affaire de trésor quand j’étais seule, en particulier à Malte, quand j’ai trouvé une reproduction de votre carte dans un livre qui faisait partie d’une bibliothèque ancienne récupérée sur une île grecque. Et maintenant que je sais que le trésor est en orichalque, et qu’il est aux mains d’une criminelle de la pire espèce, j’ai dû mal à garder l’esprit en repos.
Cette fois, Gonzales n’eut pas besoin de dissimuler sa surprise. Mais il sentit le danger.
G : Vous avez trouvé une reproduction de ma carte ?! En êtes-vous sûre ?
I : Je n’ai aucun doute là-dessus. C’était bien la même carte.
G : Mais…cela n’a pas de sens !
I : Je sais. J’avais espéré que vous pourriez m’éclairer sur cette histoire.
G : Enfin, comment le pourrais-je ? Je n’y comprends rien moi-même ! La carte que je possède me vient de ma grand-mère, et j’ignorais jusqu’à aujourd’hui qu’il en existait une copie !
N : Je me demande de quand date le navire qui a fait naufrage : vu sa cargaison, il pourrait être plus ancien qu’on ne le pense. Mais alors comment quelqu’un aurait-il gardé le souvenir de son existence, au point de fabriquer cette carte qui indique son emplacement ?
I : Cette information a pu être transmise au fil des siècles, en espérant qu’on trouve un jour un moyen d’atteindre le trésor. Je serais curieuse de savoir comment votre grand-mère est vraiment entrée en possession de cette carte. Je crois me souvenir que vous m’avez dit qu’un esclave africain, seul rescapé du naufrage du navire chargé d’or, lui avait donné la carte qu’il avait faite d’après ses souvenirs. Mais à présent, cette histoire me convainc encore moins qu’elle ne l’avait fait à l’époque.
G : Pourtant, je vous assure que c’est la seule vérité que je connais ! Vos révélations me troublent…Ma grand-mère m’aurait donc menti ? Mais pourquoi ?
I : Elle, ou quelqu’un d’autre. Enfin, laissons cela, je m’en voudrais de gâcher nos retrouvailles avec cette histoire. Tournons la page. Si cette femme a eu ce qu’elle voulait, tant mieux pour elle, et tant pis pour vous, Gonzales.
N : Elle n’a peut-être pas eu tout ce qu’elle voulait.
G : Que voulez-vous dire ?
N : Isabella, vous souvenez-vous du …
Sans le laisser poursuivre, elle coupa court à la révélation qu’il s’apprêtait à faire. Gonzales n’avait nullement besoin de connaître l’existence d’autre chose que des lingots.
I : Je ne veux plus entendre parler de ce trésor.
G : Tout de même, croyez-vous qu’elle nous ait suivis parce qu’elle savait que je possédais la carte, et que cela la mènerait à ces lingots d’ori…comment avez-vous dit ? Orichalque, c’est ça ? Mais alors, pourquoi ne pas avoir tenté de la voler à Oran ? L’occasion était pourtant idéale. Je ne comprends pas. Cette histoire me dépasse.
N : C’est comme le fait qu’elle ait voulu vous éliminer si lâchement, vous et le capitaine Mendoza. C’est totalement incompréhensible.
I : Cela a servi de diversion pour voler les lingots probablement. Comme si elle ne voulait pas qu’on voie comment elle les emportait…
G : Il n’en reste pas moins que c’est un acte ignoble, que rien ne justifie ! Sans vous, Nacir…
I : Oui, nous avons une dette éternelle envers vous. Je n’oublierai jamais…
M : Et moi non plus. En parlant de dette, nous pourrions commencer par vous offrir ce dîner, bien que je n’aie pas pris grande part à sa préparation.
I : Oh, c’est prêt ?
M : J’en ai l’impression, si vous voulez bien vous approcher. Gonzales, vous nous avez abandonnés.
G : Je me sentais bien maladroit. Je crois que je suis plus doué pour la médecine que pour la cuisine.
M : Pourtant, ces deux arts sont bien proches. Mais je comprends que vous préfériez la compagnie de Nacir et d’Isabella.
I : Sans doute parce que vous aimez prendre soin des autres, comme tout bon médecin. Mais je crois que j’ai plus besoin d’un bon repas que d’un médecin.
Z : Allez, à table ! Je vais m’occuper de Nacir, laissez-moi faire.
G : Je peux très bien m’en charger.
Z : Non, non, vous êtes notre hôte d’honneur, en quelque sorte, ce soir.
G : C’est trop aimable à vous. Je ne mérite pas cet honneur.
Z : C’est la moindre des choses. Et puis, dès demain c’est moi qui m’occuperai de Nacir, si cela ne vous ennuie pas de me laisser votre patient. Il logera avec nous.
G : Ah ? Mais…pourrai-je lui rendre visite ?
Z : Cela devrait être possible, si Tao n’y voit pas d’inconvénient. J’ai l’impression qu’il n’est pas très enthousiaste à l’idée de vous faire visiter le condor, mais il changera peut-être d’avis.
G : Ne vous méprenez pas, je songeais seulement à l’intérêt de Nacir. Et j’ignorais que vous comptiez le loger dans votre oiseau. Je n’ai pas encore eu le temps de vous montrer comment prendre soin de lui.
Z : Il y sera sans doute mieux qu’ici. Vous me donnerez vos instructions demain, avant que nous le transportions. Allons, passez vite à table !
G : Eh bien, il ne me reste qu’à obéir, je suppose.

Il s’éloigna après un bref salut et rejoignit les autres, l’air pensif. Sa conversation avec Isabella le laissait perplexe. Il avait prévu qu’elle lui tienne rancune pour ce qui était arrivé, mais cette histoire de carte lui avait manifestement donné de nouvelles raisons de se montrer méfiante, voire hostile à son égard. Elle avait cherché à le piéger, à n’en pas douter. Qu’avait-elle imaginé ? Il était impossible pourtant qu’on puisse sérieusement le soupçonner d’une quelconque complicité avec Hava. Mais il y avait cette autre carte, dont il ignorait tout. Si elle disait vrai, alors la sienne n’était peut-être qu’une copie, réalisée probablement de mémoire par le Maître. Mais il en était réduit aux hypothèses. Toujours est-il que cela mettait sérieusement en doute son histoire. Il allait falloir jouer serré. Il pouvait toujours suggérer que sa grand-mère avait menti, et qu’il ne pouvait le savoir, mais les autres savaient aussi à présent que les lingots étaient en orichalque. Ils soupçonnaient Hava de le savoir. Et alors ? Il leur était impossible de faire le lien entre lui et elle avec une simple histoire de carte existant en double. Tao se méfiait lui aussi ? C’était un obstacle mineur, si Esteban et Zia le considéraient avec bienveillance, comme il avait tout lieu de le croire. Il n’y avait aucune raison qu’il ne parvienne pas enfin à pénétrer dans le condor, et dès le lendemain, peut-être. Et si on ne l’autorisait pas à accompagner Nacir, il pourrait toujours donner à ce dernier une drogue qui ferait empirer son état ; il serait alors étonnant qu’on ne fasse pas appel à lui pour le tirer d’affaire. Il insisterait pour le voir. C'était enfantin. Rassuré, Gonzales se détendit.
E : Je vois à votre sourire que vous appréciez les sardines aux olives. C’est Tao qui les a pêchées.
Un court instant, Gonzales regarda son hôte sans comprendre, puis il se ressaisit. L’occasion était trop belle. Il leva son verre et se tourna vers le jeune Muen.
G : Eh bien, je crois que je n’ai jamais goûté de sardines aussi délicieuses. Sans doute parce qu’elles ont le goût de la liberté, et de la joie retrouvées ! A votre santé, mon cher Tao, et à votre santé à tous, mes amis !
Tao hésita à lever son verre avec les autres, mais le franc sourire du jeune métis finit par le désarmer, et il y répondit par un sourire tout aussi franc, d’autant plus qu’Indali levait elle aussi son verre avec un grand sourire qui la faisait rayonner. Isabella elle-même esquissa un sourire. A ses côtés, Mendoza fit de même, puis but son verre d’un trait. Quand il le reposa, son visage n’affichait plus qu’un masque impassible. Gonzales aurait donné cher pour savoir ce que pensait à ce moment son compagnon d’infortune, ou plutôt, sa victime. Pensait-il à Hava ? Ruminait-il les paroles de Romegas ? Essayait-il lui aussi de faire un lien entre Hava et les lingots d’orichalque ? A moins qu’Isabella n’ait dit vrai, et qu’il ne soit pas au courant ? Dans ce cas, pourquoi ne pas le mettre au courant ? En une seconde, Gonzales se décida, grisé par le goût du risque. Sa petite joute avec Isabella l’avait mis en appétit.
G : Tout à l’heure, je ne savais plus que penser de notre malheureuse aventure, où nous avons perdu beaucoup, et failli perdre bien plus encore, mais à présent je suis certain d’une chose : elle m’aura permis de faire la connaissance de personnes exceptionnelles. Que cette Hava garde les lingots d’orichalque, pour ma part j’ai trouvé bien plus précieux que ce trésor sans valeur !
T : Quoi ? Comment savez-vous que..
G : Isabella m’a mis au courant tout à l’heure. J’avoue que je n’ai d’abord rien compris, et que je ne comprends guère plus à présent. Mais qu’importe ? Nous sommes vivants, et réunis.
Isabella le fixa. Calmement, elle intervint d’une voix neutre.
I : Vous oubliez de parler de la carte que j’ai trouvée à Malte. L’exacte réplique de la vôtre.
La voix de Mendoza s’éleva enfin.
M : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé ?
G : Ah ! J’ai réagi tout comme vous. Une histoire à dormir debout.
E : C’est vrai, c’est un mystère. Isabella avait espéré que vous pourriez nous éclairer à ce sujet.
M : Tu étais au courant ?
E : Oui, on en avait discuté il y a quelque temps, quand tu étais encore souffrant.
G : Si j’ai bien compris, il existe sur l’île de Malte une réplique de ma carte, qu’Isabella a trouvée dans un livre qui provient d’une île grecque, c’est bien ça ?
I : C’est bien ça. Un livre que quelqu’un avait oublié sur cette île, ou qui avait été forcé de le laisser. Un livre peu ordinaire, qu’on ne trouve que dans certaines bibliothèques, et en particulier celles des savants alchimistes. Pour ma part, je n’avais jamais vu qu’un exemplaire de cet ouvrage.
T : C’est pas vrai !
G : Pour ma part, je ne comprends pas ce que cela signifie, hormis le fait que ma grand-mère m’ait menti sur la provenance de la carte, à moins qu’on ne lui ait menti. Mais nous ne saurons jamais la vérité, hélas, et quelle importance ?
T : Quelle importance ? Mais vous ne comprenez pas, l’orichalque, le bateau, le livre ! On s’est fait rouler ! On a récupéré l’orichalque pour cette femme ! On s’est fait manipuler !Ah, elle s’est bien fichue de nous ! On a fait tout le boulot, et elle, non seulement elle a piqué les lingots, mais en plus elle a failli vous noyer tous les deux ! Sans compter que Nacir aurait pu y rester lui aussi !
M : Tao ! Calme-toi. Cela ne tient pas debout.
Il était évident au ton de sa voix que Mendoza s’efforçait de garder son sang-froid.
E : Et pourtant…Imagine un peu, elle connaissait la carte, celle qu’Isabella a trouvée à Malte, mais pour une raison que nous ignorons, elle a dû l’abandonner. Elle convoite l’orichalque, mais n’a pas ou plus les moyens de récupérer les lingots. Le hasard la fait tomber sur Gonzales et Mendoza à Oran. Puis elle les reconnait à Benghazi. Romegas a dit que le pirate avait révélé à tout le monde l’existence de la carte, pour faire monter les enchères. Ensuite, elle s’arrange pour que le montant de la rançon oblige Isabella à récupérer le trésor.
M : Mais ça n’a pas de sens ! Rien n’assurait qu’Isabella pourrait récupérer le trésor !
E : Sauf si elle savait qui nous étions. Et vu ce que nous savons d’elle à présent, cela me parait plus que probable. Je suis désolé, Gonzales, mais votre quête du trésor vous a mis sur la route d’une femme prête à tout pour arriver à ses fins. Vous avez raison, vous avez perdu le trésor, mais vous auriez pu perdre la vie.
Le jeune métis baissa la tête, et la secoua d’un air consterné.
G : Dire que ma grand-mère considérait cette carte au trésor comme un talisman…sans doute était-ce le cas, tant qu’on ne se lançait pas dans la quête ! Je n’aurais jamais dû m’y lancer, c’est à cause de moi que cette femme a pu vous utiliser. Mais vous ne m’avez pas dit comment vous, vous aviez réussi à récupérer le trésor. Parce que si j’ai bien compris, Nacir n’a pu ramener qu’un lingot. Celui que vous avez donné à Ruiz.
T : Disons qu’on a nos petits secrets.
G : Je vois…mais je ne me trompais pas quand je pensais que vous pourriez m’aider à repêcher le trésor.
M : Non, vous ne vous trompiez pas. Et sans moi, ils l’auraient récupéré pour vous depuis longtemps, et nous aurions sans doute évité de croiser la route d’Hava.
Gonzales remarqua que la main droite du capitaine s’était crispée à en faire blanchir ses jointures.
E : Qu’en sais-tu ? peut-être que la première rencontre à Oran n’était pas un hasard, qu’elle vous suivait, qu’elle savait que Gonzales avait cette carte et qu’il avait fait appel à toi pour l’aider, elle comptait peut-être comme lui que tu parviennes à nous convaincre, et elle aurait récupéré le trésor tôt ou tard. Elle vous a agressés et volés pour vous mettre dans l’obligation de ramener les lingots, coûte que coûte, même si elle savait qu’ils étaient à une profondeur trop importante.
M : Mais je me suis entêté à faire cavalier seul et à prendre des risques inutiles. Et à en faire prendre aux autres.
Il se leva brusquement.
M : Finissez le repas sans moi.
Il se dirigeait vers la porte quand Isabella se leva à son tour.
I : Juan ! Attends ! Tu n’y es pour rien ! Et qui te dit que les suppositions d’Esteban sont justes ? La vérité est peut-être toute autre !
Mendoza s’arrêta, et murmura sans se retourner.
M : Peut-être…mais pour moi, cela ne change rien.
I : Et si…si Gonzales nous avait menti, et que…que la carte qu’il possède lui ait été donnée par, je ne sais pas moi, un alchimiste, un complice d’Hava, ou Hava elle-même, qu’il la connaissait, qu’il l’ait aidée à…
M : Tais-toi ! Comment peux-tu imaginer une seule seconde…Cet homme m’a soigné, il m’a sauvé la vie, il a sauvé la tienne, sauvé celle de Nacir ! Il a subi la pire des humiliations, on l’a enchaîné, comme un esclave, un esclave, tu entends ! Il a risqué sa vie, et je l’ai sauvé, comme je t’ai sauvée, et il s’est battu, pour toi, tu entends, pour toi ! Et sans Esteban, sans Nacir, nous serions morts, tous les deux, lui et moi ! Et toi…toi tu oses…mais comment peux-tu…comment…

Sans un mot de plus, il sortit en laissant la porte ouverte derrière lui . Autour de la table, tous étaient pétrifiés. Isabella sembla chanceler un instant, et sa main s’abattit sur la table, elle détourna la tête, la baissa une seconde avant de la redresser fièrement. Elle croisa alors le regard de Gonzales, qui la fixait à l’autre bout de la table, les yeux démesurément ouverts, le visage décomposé. Elle ouvrit la bouche, voulut parler, mais elle ne put articuler un mot. Alors, pour échapper aux regards de tous, et à celui de l’homme qu’elle avait accusé sans preuve, elle s’enfuit dans la chambre adjacente. Aussitôt, Zia quitta Nacir pour la suivre, mais elle ne put ouvrir la porte, et ses appels restèrent sans réponse. Elle n’insista pas et se retourna vers les autres.
Z : Il n’y plus qu’à la laisser se calmer…
G : Je suis désolé…Tout est de ma faute. Je savais qu’elle ne voulait plus parler de cette histoire de trésor…j’ai tout gâché. Elle m’en veut pour tout ce qui est arrivé, et à présent, c’est à cause de moi que Mendoza s’est emporté contre elle…elle a raison de m’en vouloir, je n’arrive qu’à semer le trouble là où régnait l’harmonie. Je vais me retirer moi aussi, et dès demain, je partirai pour L’Alguer, afin de trouver un bateau qui me ramènera à Barcelone.
E : Non, restez, c’est trop bête ! Oui, elle vous en veut, manifestement, mais elle a parlé sous le coup d’une impulsion soudaine, sans réfléchir, cela lui fait mal de voir Mendoza endosser toute la responsabilité, alors que dans cette histoire, nous sommes tous victimes d’une seule personne : Hava. Elle ne peut pas s’en prendre à cette femme, alors elle a reporté sa colère sur vous.
G : C’est bien pour cela qu’il vaut mieux que je parte. Je lui fais du mal, par ma seule présence. Parce que sans moi, il n’y aurait pas eu de chasse au trésor.
E : Elle se sent responsable elle aussi, croyez-moi. A cause de Lampedusa. Vous accuser, c’est aussi une façon de se délester du poids de cette culpabilité.
Tao intervint, bras croisés, un signe qu’Esteban ne connaissait que trop bien.
T : Et si elle avait raison ? Son hypothèse n’est pas plus absurde que les tiennes, qui me semblent pourtant tenir la route.
E : Mais enfin, comment peux-tu dire une chose pareille ? Gonzales serait le complice de Hava ? Je n’ai jamais rien entendu de plus stupide, et je comprends très bien la réaction de Mendoza !
T : Stupide, vraiment ? Isabella et moi sommes stupides ?
E : Oh, arrête, tu sais très bien ce que je veux dire ! Nous n’avons aucune raison de mettre en doute la loyauté de Gonzales. Tu ne crois pas que c’est déjà assez dur pour lui d’être à l’origine de cette histoire de trésor ? Pourquoi s’acharner ainsi sur lui ?
T : Tout de suite les grands mots, je ne m’acharne pas, je dis juste qu’il reste bien des zones d’ombre, et que les suppositions d’Isabella pourraient expliquer, par exemple, pourquoi Gonzales a pensé à solliciter Mendoza pour chercher le trésor, pourquoi Hava est intervenue deux fois, et..
E : Et pourquoi elle a voulu éliminer Gonzales en même temps que Mendoza ?
T : Les criminels se débarrassent souvent de leurs complices, c’est bien connu.
E : Et puis, pourquoi Gonzales a sollicité Mendoza, nous le savons déjà, il a avoué dès le départ qu’il espérait que nous l’aidions.
T : Et voilà, c’est ce que je dis ! Il savait qu’on pourrait y aller avec le Thallios ! Et il a inventé cette histoire de carte venant de sa grand-mère, alors que c’est un de ces fichus alchimistes qui veulent s’emparer de nos secrets pour assouvir leur soif de pouvoir, et maintenant Hava a les lingots d’orichalque et je te parie qu’elle sait quoi en faire !
E : Donc, si je te suis, Hava aurait sacrifié son complice au moment de l’échange, sûrement pour garder les lingots pour elle toute seule…excuse-moi mais je n’arrive pas à y croire, et puis, il n’y a pas besoin d’être alchimiste pour savoir que nous maîtrisons des savoirs extraordinaires, combien de gens à Barcelone auraient pensé la même chose que Gonzales s’ils avaient été dans la même situation ? Mais tu oublies aussi que l’existence du Thallios, elle, n’est connue de personne par ici. Pour être au courant, il aurait fallu avoir vu le Thallios il y a dix ans, et tu sais très bien que la seule personne qui l’ait vu n’est plus de ce monde depuis longtemps.
G : Arrêtez de vous disputer, je vous en prie. Esteban, il est inutile de prendre ma défense. Si Tao et Isabella pensent que j’ai favorisé les entreprises de cette femme, eh bien, que puis-je leur répondre ? J’en suis profondément blessé, mais qu’y puis-je ? Sans doute aurais-je dû accepter l’offre du chevalier Romegas. Cela m’aurait évité de vous causer du mal, et de souffrir comme je souffre en ce moment. Je suis resté, parce que je devais revoir mes sœurs, qui attendent mon retour depuis trop longtemps. Leur dire en face que j’ai échoué, et que je ne puis rien pour leur offrir un avenir meilleur. Je suis resté, parce que j’avais un blessé à charge, dont la guérison me tient à cœur. Et parce que je ne voulais pas laisser l’homme que j’ai entraîné dans mon malheur régler seul nos comptes avec Ruiz.

Personne ne trouva rien à répondre. Tao réfléchissait à toute allure, mais plus il pensait, plus il avait l’impression de perdre le fil ; ses arguments ne lui paraissaient plus aussi solides ; et surtout, la voix de Gonzales, empreinte de dignité blessée, mais si résignée malgré l’offense, résonnait en lui. La porte de la chambre s’ouvrit. Isabella se tenait sur le seuil. Zia s’approcha d’elle, mais un geste d’Isabella l’arrêta. Elle s’adressa à Gonzales.
I : Je vous ai entendu. Puissiez-vous me pardonner de vous avoir offensée. J’oubliais à quel point je vous suis redevable. Mais si vous nous avez trompés, nous règlerons ça en face à face, et sans merci. A présent, excusez-moi, je suis lasse.
Z : Attends ! Je vais chercher Mendoza…
I : Non, laisse-le tranquille. Je ne veux pas lui parler. Je ne peux pas.
Gonzales salua la jeune femme en s’inclinant profondément, l’air grave. Il avait conscience qu’il avait remporté la partie, du moins temporairement, mais il ne parvenait pas à s’en réjouir. La tristesse d’Isabella lui pinça le cœur. Quant à ses menaces, elles signifiaient qu’il ne parviendrait jamais à gagner sa confiance, et qu’entre elle et lui, il n’existerait rien de plus qu’une politesse dressée comme un mur.
Quand elle fut partie, Esteban s’adressa à Tao.
E : Eh bien, Tao, qu’en penses-tu ?
T : Gonzales, je vous présente mes excuses. Sans conditions. Isabella n’est pas femme à admettre facilement qu’elle a tort, aussi je ne vais pas m’entêter.
E : Bien, pour une fois que tu admets la supériorité de mes arguments…
Z : Esteban ! N’en profite pas !
E : J’essayais juste de détendre l’atmosphère. Si nous reprenions notre repas ? J’ai encore faim, pas vous ?
Z : Commencez sans moi, je reviens.

Mendoza n’était pas allé bien loin. Zia le trouva à quelques mètres de la maison, debout face à la mer. Il ne réagit pas à son approche.
Z : Je t’ai apporté ta cape, en cette saison il commence à faire un peu frais le soir, tu ne trouves pas ?
Quand elle la lui mit sur les épaules, il tourna légèrement la tête vers la jeune fille.
M : Je te remercie. Elle me sera utile cette nuit.
Z : Ne sois pas ridicule. Isabella s’est excusée. Elle ne voit pas les choses comme toi, il faut la comprendre.
M : Elle s’est excusée ? Alors, pourquoi est-ce toi qui viens me voir ?
Z : Et toi, pourquoi es-tu parti ? Personne ne te reproche rien. Par ton attitude, tu incites Isabella à se sentir coupable, et à chercher des coupables, parce qu’elle te voit souffrir. Je ne t’ai jamais vu comme ça. Tu as dit que la vérité ne changerait rien pour toi. Que voulais-tu dire ? Qu’est-ce qui te tourmente ?
M : Comment va-t-elle ? Je lui ai fait du mal. Elle ne me le pardonnera pas facilement.
Z : De quoi parles-tu ? Tu as simplement énoncé les faits. A moins que tu ne veuilles parler de ton obstination à suivre Gonzales dans sa quête.
M : Mon obstination, mon aveuglement…tu vois bien que j’ai des choses à me reprocher.
Z : Ce qui est fait est fait. Ce n’est pas ton genre de t’apitoyer sur toi-même, et de ressasser le passé.
M : Tu as raison. J’ai toujours réussi à m’arranger pour oublier ce qui me dérangeait.
Z : Mais cette fois, c’est différent, n’est-ce pas ?
M : Comment va-t-elle ? Réponds-moi.
Z : Elle s’est retirée dans sa chambre. Je suppose qu’elle attend que tu la rejoignes.
M : Elle t’a demandé de venir ?
Z : Non.
M : Laisse-moi, maintenant. Je viendrai, plus tard. Inutile de m’attendre, ou de s’inquiéter.
Z : Bien. Gonzales souhaite se rendre dès demain à L’Alguer. L’accompagneras-tu ?
M : Je ne peux pas le laisser aller voir Ruiz seul.
Z : Tu ne peux pas non plus laisser Isabella seule après ce qui s’est passé.
M : Alors, tu n’as qu’à le faire changer d’avis.
Z : Tu pourrais m’y aider.
M : Je préfère ne pas m’en mêler.
Z : Je comprends. Eh bien, je te laisse, et si tu changes d’avis…
Il ne répondit pas, et la laissa regagner la maison. Elle retrouva ses amis attablés dans un silence morne. Chacun semblait perdu dans ses pensées. Indali s’efforçait de faire quelques sourires à Tao, qui les lui rendait sans conviction. Esteban était appliqué à lécher les os d’ un pigeon rôti, et Gonzales avait quitté la table pour tenir compagnie à Nacir, à qui il faisait boire une potion pour calmer les douleurs qui reprenaient.
E : Tu l’as trouvé ? Tu lui as parlé ?
Z : Oui. Je ne sais pas ce qui le contrarie le plus : de s’être fait manipuler par Hava, qu’on lui ait caché certaines choses, ou qu’on ait mis en doute la loyauté de Gonzales. Ou qu’il se soit emporté contre Isabella. A moins qu’il y ait encore autre chose.
E : C’est sûr qu’il se prend tout en pleine figure, comme ça…Je parie qu’il va passer la nuit dehors.
Z : Tu paries combien ?
E : Vu ta tête, je suis sûr de gagner. Mais je ne vais pas en profiter. Sinon je te demanderais disons…une centaine de baisers ?
Zia se mit à chuchoter.
Z : Je te les accorderai si tu m’aides à convaincre Gonzales de rester un peu plus longtemps ici, le temps que les choses s’arrangent. S’il part demain, j’ai bien peur que Mendoza parte avec lui.
Esteban lui répondit sur le même ton, tout en continuant à lécher ses os comme si de rien n’était.
E : Hum…Mais tu l’as entendu tout à l’heure. Et les demi-excuses d’Isabella n’ont pas de quoi l’inciter à changer d’avis. Dans ces conditions, pourquoi resterait-il ?
Z : Tu pourrais lui faire visiter le condor.
E : C’est pas toi qui devras supporter les reproches de Tao.
Z : Les excuses de Tao, elles, étaient sincères. Et si Isabella constate que nous faisons tous confiance à Gonzales, elle cessera de se tourmenter, et elle acceptera de reconnaître qu’Hava est la seule vraie responsable, si nous tenons pour certain qu’elle voulait récupérer les lingots d’orichalque.
E : Ah, je vois que tu ne trouves pas mes hypothèses si absurdes que ça.
Z : Je n’ai jamais dit qu’elle l’étaient. Elles ont le mérite d’expliquer bien des choses. Mais ce ne sont que des hypothèses. En l’absence d’autres explications, je crois qu’il est sage de s’en tenir à ça, en espérant que nous n’entendions plus parler d’Hava.
E : Et si nous en entendons encore parler ?
Z : Eh bien, au moins nous pourrons espérer connaître la vérité. Mais entre la vérité et la tranquillité, je préfèrerais la tranquillité. Je te rappelle que nous avons un mariage dans peu de temps.
E : Vraiment ? Celui de Mendoza et Isabella ?
Z : Entre autres…Bon, pour demain, que faisons-nous ?
E : La nuit porte conseil. Et puis, je voudrais en parler à Tao d’abord. On avisera quand on viendra chercher Nacir. Assure-toi que Gonzales n’ait pas l’intention de partir avant.
Z : Très bien, j’approuve le plan.

Quand Isabella s’éveilla, elle constata qu’elle était aussi seule que la veille, lorsque le sommeil avait enfin eu raison d’elle. Curieusement, elle eut l’impression d’avoir bien dormi, sans être dérangée par les mouvements intempestifs du bébé ni ceux de son compagnon, dont les nuits étaient agitées depuis quelque temps. Elle se sentait étrangement calme, et fit sa toilette machinalement, en guettant un signe de vie dans son ventre. Mais elle savait qu’il ne se manifestait jamais le matin. A quoi bon s’inquiéter ? Elle entendit du bruit à côté. Quelqu’un s’affairait. Etait-il revenu ? Les autres étaient partis la veille au soir, sans donner aucun signe d’inquiétude. Elle avait attendu, puis s’était lassée, et s’était endormie. Pourquoi n’était-elle pas allée le rejoindre ? Elle s’était comportée stupidement en dévoilant à Gonzales ses soupçons. Cela ne lui avait valu, à elle, que le mépris de Mendoza. Elle n’avait rien gagné, rien appris. Qu’espérait-elle ? Il avait dit qu’il partirait. C’était désormais tout ce qu’elle souhaitait. Sa présence, ses amabilités, sa sollicitude et ses regards qui semblaient la dévorer lui étaient plus insupportables que jamais. Quand elle fut prête, elle se décida à sortir de sa chambre.
Gonzales s’apprêtait à apporter à Nacir un bol de soupe, quand il entendit la porte s’ouvrir. Il continua son geste en feignant d’ignorer qu’elle était dans la même pièce que lui et s’installa auprès du jeune pêcheur. Nacir la salua immédiatement.
N : Bonjour, comment allez-vous ce matin ? Vous devez avoir faim. Il y a de la soupe toute chaude…
G : Oui, je n’ai eu qu’à la réchauffer, vous pouvez la manger sans crainte, ce n’est pas l’œuvre d’un piètre cuisinier comme moi. Indali l’a préparée hier soir.
I : Bonjour. Je vais bien, merci.
Pour se donner une contenance, et aussi parce qu’elle avait très faim, elle se dirigea vers l’âtre, se servit un bol et s’installa à table, à l’autre bout de la pièce. Elle mangeait dans un silence pesant, les yeux baissés afin de ne pas voir le dos de Gonzales qui se penchait régulièrement vers le blessé pour le nourrir. Quand elle eut terminé, elle sortit sans un mot, et se mit en quête de Mendoza, partagée entre le désir de le trouver et la crainte d’une confrontation. Elle ne le vit pas aux abords immédiats de la maison, et continua en direction du promontoire qui dominait la baie, d’où elle aurait un plus large aperçu sur les alentours. Soudain, elle vit une tache bleue au sol. Son cœur s’accéléra. Elle continua à progresser, et quand elle fut assez près, elle n’eut plus aucun doute : il n’était pas là. Elle en fut à moitié soulagée, mais son cœur battait toujours aussi fort. L’herbe sèche portait encore la trace de son corps. Il avait dormi là. Où était-il à présent ? Une autre tache attira son attention, en contrebas, sur la plage. Elle fronça les sourcils, se concentra. Il était là. Elle le vit enlever ses bottes et ses vêtements, puis entrer dans l’eau, jusqu’à la taille. Quand il plongea résolument, elle s’entendit hurler.

De la maison, Gonzales et Nacir n’entendirent qu’un cri, comme un écho lointain. Le jeune métis s’apprêtait à droguer son patient. Même si Zia l’avait prié la veille de reconsidérer sa décision de partir au plus vite, pour ne pas importuner Isabella de sa présence, il existait toujours un risque qu’il ne puisse accéder au condor. Mieux valait forcer un peu les choses. Il suspendit son geste, hésita.
N : C’est Isabella ! Ne vous occupez pas de moi, Gonzales, allez voir, vite !
Gonzales acquiesça. Il aurait bien une autre occasion. Mais s’il était arrivé quelque chose à Isabella....Il la trouva recroquevillée à terre, tentant de se relever d’une main en gémissant ; de sa main libre, elle se tenait le ventre. Il se précipita pour l’aider et la força à s’allonger sur le dos. Elle se débattit, puis se laissa faire en grimaçant de douleur. Quand elle cessa tout à fait d’essayer de se redresser, il relâcha la pression qu’il exerçait sur ses épaules, appuya sa main droite sur son front, doucement mais fermement, pour maintenir sa tête au sol et l’obliger à respirer sans crispation ; de sa main gauche, il prit son pouls, puis entreprit de caresser la main d’Isabella pour qu’elle se détende, tout en lui intimant l’ordre de respirer profondément, et de le regarder. Elle serrait les dents et fermait les yeux mais la voix insistante et douce de Gonzales la fit céder. Dès qu’elle eut ouvert les yeux, elle ne put échapper au regard magnétique du jeune métis, et eut l’impression de glisser dans un état de béatitude qui lui fit oublier pourquoi elle avait crié. Elle ferma alors à nouveau les yeux.
G : Vous vous sentez mieux, n’est-ce pas ?
Elle répondit affirmativement dans un souffle.
G : Pouvez-vous me dire pourquoi vous avez crié ?
I : Où est Juan ?
G : Où est-il ? Mais…
Il remarqua alors la cape abandonnée.
I : Je l’ai vu entrer dans l’eau. Allez-y, allez voir, je vous en prie. Sur la plage.

Il se leva et courut vers l’endroit qu’elle lui indiquait, sans oser y croire. Il apercevait le rivage à présent, voyait le tas de vêtements. Sur la mer, aucun mouvement. Son cœur se gonfla d’une joie soudaine, au point de le faire défaillir. Déjà la veille, combien de fois s’était-il surpris à imaginer Isabella reposant seule, dans la chambre, en proie à mille tourments. Combien de fois s’était-il vu ouvrant la porte, afin de la contempler dans son sommeil ? Dans la solitude de la remise, il n’avait trouvé le repos qu’après bien des efforts. Et ce matin, la sentir dans son dos lui avait procuré une jouissance indescriptible à laquelle il avait eu de la peine à s’arracher pour accomplir son devoir. Son cri ne l’avait tiré de ses rêveries que pour le jeter haletant auprès d’elle ; chaque contact avec son corps tendu, ses mains tremblantes, son visage crispé avait déclenché en lui des ondes d’un plaisir contre lequel il avait dû lutter pour aider Isabella à s’apaiser en plongeant ses yeux dans les siens. Que se serait-il passé si elle y avait lu le désir qu’elle attisait en lui? Il s’arrêta un instant pour s’appuyer sur un rocher. C’est alors qu’il le vit, surgissant d’un détour du sentier qui l’avait caché à sa vue jusque là, nu, écorché déjà d’avoir couru parmi les genets et les broussailles. Avant que Gonzales ait pu se ressaisir, il était déjà à sa hauteur. Il n’y avait aucun témoin. Quand Mendoza saisit brutalement les épaules de Gonzales en lui demandant où était Isabella, la force du marin le cloua littéralement sur place et il ne put esquisser un mouvement. Il s’entendit lui répondre d’une voix blanche.
G : Elle est là-haut, elle vous a vu entrer dans l’eau…
Mendoza le lâcha aussitôt et se remit à gravir le sentier, sans prêter plus d’attention à Gonzales qui continuait, d’une voix mourante.
G : Elle va bien, maintenant…grâce à moi.
Il resta encore quelques secondes immobiles, face à la mer, puis se décida à descendre chercher les vêtements éparpillés sur le rivage. Quand il retrouva les deux amants dans les bras l’un de l’autre, assis sur le sol, il avait suffisamment recouvré son sang-froid pour faire taire sa jalousie et son dépit, malgré les vieilles blessures que cette scène ravivait. En l’apercevant, Mendoza se dégagea et s’adressa à lui d’une voix grave.
M : Me voilà encore redevable à votre égard. Comment me faire pardonner ces frayeurs inutiles ? Je voulais simplement me retrouver moi-même, et effacer certains souvenirs…
G : En nageant librement, je suppose.
M : Oui. Sans entraves.
G : Même si je vous comprends, je vous trouve bien imprudent. Vous jouez avec votre santé. Tenez, couvrez-vous avec votre cape, avant de pouvoir remettre vos vêtements. Et allez vous sécher à l’intérieur.
Il posa les bottes pour pouvoir ramasser la cape et la lui tendit. Mendoza se leva et s’en couvrit tout en le remerciant, puis il aida Isabella à se relever.
M : Ne vous inquiétez pas pour moi. Cette baignade m’a éclairci l’esprit. Mais elle m’a aussi ouvert l’appétit.
G : Nous avons cru que vous vouliez vous suicider.
Il n’avait pas eu à se forcer beaucoup pour charger sa voix de reproches.
M : Alors que je suis sur le point de me marier ? Si je vous ai donné cette impression, alors je suis impardonnable. Mais je vais tout faire pour me racheter à présent.
Il se tourna vers Isabella, et déposa un baiser sur ses lèvres. Elle y répondit de toute son âme. Gonzales serra de toutes ses forces les vêtements de Mendoza qu’il tenait dans ses mains, et baissa la tête afin de simuler l’embarras, alors que ses yeux s’étaient allumés d’une rage renouvelée.

Quand ils revinrent à la maison, Nacir était en train d’expliquer à Esteban et Zia la situation. En constatant le retour de Mendoza et Isabella, main dans la main, ils n’eurent pas le temps de s’inquiéter, mais s’étonnèrent simplement de l’accoutrement de leur ami. Nacir en revanche poussa un profond soupir de soulagement et ferma les yeux, comme épuisé. Gonzales posa les vêtements de Mendoza sur la table et s’approcha du jeune pêcheur. Dans sa précipitation, il avait laissé près de lui la fiole contenant la drogue qu’il comptait lui administrer. Or, elle gisait maintenant à terre, brisée. Il se pencha pour en ramasser les débris. Il n’avait même pas eu le temps de verser une quantité quelconque dans la cuillère qui était restée sur le guéridon.
N : Je suis désolé, c’est de ma faute, je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu me lever, comme si je pouvais encore le faire ! Le seul résultat, c’est que j’ai fait tomber votre fiole.
G : Ce n’est pas grave, si vous-même n’êtes pas tombé. C’était très imprudent de votre part. Ne recommencez plus !
N : Je m’inquiétais. Je voulais faire quelque chose moi aussi.
G : Eh bien, il était parfaitement inutile de s’inquiéter. Le capitaine Mendoza a simplement eu envie d’un bain de mer et Isabella a cru qu’il avait autre chose en tête. Et moi aussi. Fort heureusement, nous en avons été quittes pour une belle frayeur.
N : Vous lui avez aussi dit de ne plus recommencer, je parie.
G : Ne vous moquez pas ! Il n’y a rien de drôle !
N : Excusez-moi. Je suis juste soulagé.
G : Nous le sommes tous. Mais vous m’avez l’air bien faible.
N : J’ai peur d’avoir ruiné vos efforts pour me recoller avec ma tentative de tout à l’heure.
G : Laissez-moi voir. Qu’avez-vous fait exactement ?
Tandis qu’il l’examinait, Zia revint vers eux.
Z : C’est un plaisir de voir Mendoza et Isabella réconciliés, et en pleine forme. En partie grâce à vous. Isabella l’a reconnu du bout des lèvres.
G : J’aurais préféré ne pas avoir à intervenir. Et je n’oublie pas que si elle était dans cet état, c’est en partie à cause de moi. Vous m’avez demandé hier de revoir ma décision de vous quitter aujourd’hui, mais je crois que je ferais mieux de m’y tenir.
A cet instant, Nacir ne put réprimer un gémissement de douleur.
G : Voilà encore une conséquence fâcheuse de cet incident d’hier soir. Il semble qu’une fracture se soit réouverte quand Nacir a voulu bouger tout à l’heure.
N : Je voulais juste venir en aide à Isabella…
G : Ne dites pas n’importe quoi !
Z : S’il ne va pas mieux, vous feriez mieux de rester encore. Rien ne presse, vraiment. Et Mendoza veut vous accompagner, vous le savez. Laissez lui encore un jour ou deux pour se rétablir complètement.
G : Il m’a l’air en pleine forme. Il m’a dit que le bain de tout à l’heure lui avait fait le plus grand bien.
Z : Pouvons-nous transporter Nacir au condor aujourd’hui ?
G : Eh bien…Je ne sais pas trop…Dans l’immédiat, il faut d’abord que je soulage sa douleur et que je remette en place cette attelle.
Z : Nous pourrions essayer cet après-midi. Esteban est d’accord pour que vous nous accompagniez jusqu’au condor. Pour ce matin, je serai votre assistante. Et si vous voulez vraiment partir, vous pourrez le faire demain. Qu’en dites-vous ?
G : Puisque vous insistez…il est vrai que nous n’avons pas eu l’occasion hier d’échanger sur nos pratiques. Mais nous avons toute la journée devant nous pour le faire.
Z : Très bien ! Je préviens Esteban.

Un peu plus tard dans la journée, alors qu’on s’apprêtait à transporter Nacir jusqu’au condor, Isabella prit Zia à part.
I : J’ai appris que Gonzales allait vous accompagner.
Z : Oui. C’est mieux ainsi, tu ne crois pas ?
I : Ecoute…je sais que vous lui faites confiance, mais personnellement, je n’y arrive toujours pas. Soyez prudents.
Z : Que crains-tu donc ?
I : Je ne sais qu’une chose : Mendoza voulait absolument éviter de vous mêler aux affaires de Gonzales. Et j’étais d’accord avec lui. Je n’ai pas changé d’avis.
Z : Je le sais parfaitement.
I : Et malgré ça…je ne comprends pas. Il suffirait de le laisser partir. Pourquoi le retenir, lui montrer le condor ?
Z : J’ai bien réfléchi. Si nous le laissons partir, nous perdons peut-être notre unique chance de connaître la vérité. Je veux en avoir le cœur net. Et savoir d’où vient le danger.
I : Alors tu partages mes soupçons ?
Z : Disons que je n’ai pas l’esprit tranquille. Peut-être est-ce simplement parce que tu ne l’as pas non plus, mais je me dis que cette visite du condor pourrait apporter des éléments nouveaux.
I : Tu joues avec le feu. Esteban et Tao sont dans le coup ?
Z : Pour qu’ils fassent un faux pas sans le vouloir ? Non, tu es la seule au courant. Et c’est bien suffisant, surtout si nos soupçons sont infondés, comme je l’espère.
I : Que comptes-tu faire quand il sera dans le condor ?
Z : L’observer. Et s’il y a vraiment un danger, je devrais le sentir, tu ne crois pas ?
I : Je ne sais plus quoi penser.
Z : Ecoute, si je t’ai mise au courant, c’est parce que tu es venue me parler, et que j’ai senti ton inquiétude. Si je t’avais menti, cela n’aurait rien arrangé. Tu ne peux pas partager tes craintes avec Mendoza, mais moi, je te comprends. Alors, fais-moi confiance.
I : Et si…si mon inquiétude n’avait rien à voir avec les soupçons contre Gonzales, si je voulais juste…qu’il parte, qu’il sorte de nos vies, que nous n’ayons plus jamais l’occasion de le revoir, comme si nous ne l’avions jamais connu. Je ne supporterais pas qu’il soit un de vos amis ! Hier soir encore, j’ai dû supporter ses regards, et ce matin…je devrais lui être reconnaissante, mais s’il reste plus longtemps, ce n’est pas avec des mots que je risque de l’agresser.
Après cette déclaration, elle tourna les talons. Zia voulut l’arrêter, mais Esteban venait pour les prévenir qu’ils étaient prêts à partir, et elle renonça. Les dernières paroles d’Isabella, pleines d’exaspération, l’avaient surprise par leur violence contenue. Elle se prit à regretter d’avoir insisté pour que Gonzales reste. Mais il était trop tard. Une image oubliée revint à sa mémoire, celle des yeux de feu qui emplissaient ses cauchemars, lorsqu’elle était comme connectée à Isabella. Se pouvait-il qu’ils représentent ceux de Gonzales, ce regard intense qui exaspérait tant par son insistance Isabella, et dans ce cas, pourquoi hantaient-ils ainsi les nuits de cette dernière? Etait-ce la simple traduction de ses soupçons, ou révélaient-ils un sentiment plus inavouable, une haine incontrôlable qui s’exerçait contre tous les hommes qui osaient la regarder, ou contre celui seul qui l’avait séparée de Mendoza ?

Une fois le petit convoi parti pour le condor, Mendoza et Isabella se retrouvèrent seuls pour la première fois depuis le retour de Gonzales et de Nacir et le départ du chevalier d’Aubusson. Esteban n’avait pas jugé nécessaire que ses amis les accompagnent, même si le capitaine était prêt à les aider. Zia avait approuvé d’autant plus qu’elle estimait que le couple avait besoin de se retrouver après les derniers événements. Elle avait senti que la proposition de Mendoza n’était que de pure forme, qu’il avait apparemment pardonné à Isabella ses accusations. Son attitude envers elle indiquait aussi une complicité retrouvée. C’était exactement ce qu’il fallait à Isabella. Elle s’était retirée dans sa chambre dès qu’ils avaient franchi le portail, en prenant soin d’enlever ses bottes dès l’entrée. Quand Mendoza l’avait rejointe quelques instants après, elle s’était allongée sur le lit et contemplait ses orteils qu’elle remuait avec application, jambes levées.
M : Et moi qui croyais que tu t’inquiétais pour Nacir. Tu avais une mine si préoccupée tout à l’heure. Mais en fait tu avais juste mal aux jambes.
I : Et aux pieds. Je ne supporte plus ces bottes. Quant à Nacir, je ne m’inquiète pas pour lui. Il est entre de bonnes mains.
M : Oui, celles de Zia.
I : Et de Gonzales.
Il s’assit près d’elle et répondit après un temps.
M : Ne te force pas. Tu n’es pas obligée de l’apprécier.
I : Non, en effet, je ne le suis pas. Mais je sais reconnaître ses qualités. Et j’espère seulement que tu n’auras pas à me donner raison.
M : Oublie ça, veux-tu ? Je ne comprends pas pourquoi tu insistes.
I : Très bien, n’en parlons plus. Tu as raison, je me fais du tort, et je nous fais du tort. J’échafaude des théories sur du sable, et je m’inquiète inutilement. Mais avec qui d’autre pourrais-je partager mes inquiétudes ?
M : Il me semble que tu avais d’autres interlocuteurs que moi quand je n’étais pas là. Et je t’ai vue parler avec Zia tout à l’heure.
I : Oui, mais tu es revenu. Et toi seul compte.
M : Ne crois pas que je ne tienne pas compte de ce que tu ressens. Ce matin, tu as eu peur pour moi. Je te promets de ne plus te donner aucune raison d’avoir peur.
I : Tu as déjà changé. Ce matin, j’ai eu l’impression de te retrouver tout entier.
M : Cette nuit passée dehors m’a remis les idées en place. J’ai compris que je t’avais négligée pour ce trésor, ou ce qu’il représentait. Et quand tu m’as vu entrer dans l’eau, eh bien, je voulais retrouver les sensations que j’avais éprouvées la dernière fois que je m’étais trouvé dans la même situation, avec toi. Quand tu m’as appris que tu attendais notre enfant. Tu te souviens ? Dans cette crique , quand nous avions fait escale dans le sud de la France, et que nous cherchions une source…
I : Je me souviens…ce petit bain nous avait fait beaucoup de bien à tous les deux…
Il se pencha vers elle, étendit sa main pour la poser sur un de ses pieds qu’il entreprit de pétrir.
M : Que dirais-tu de baigner tes pieds ? Si tu veux, j’ai puisé pas mal d’eau au puits ce matin…et le feu n’est pas encore éteint, il suffit de le raviver…
I : Je ne sais pas si j’aurai la patience d’attendre…
M : Nous pourrions utiliser le grand baquet…
I : Sans doute, mais j’ai envie de salé en ce moment…
Elle l’attira à lui et l’embrassa.
I : Je suis folle de ce petit goût salé sur ta peau…là…et là…et encore là…

Quelques instants plus tard, ils étaient à moitié dévêtus et Mendoza se laissait dévorer de baisers tandis qu’il redécouvrait le corps familier, et pourtant différent, de son amante. Peu à peu, la gêne qu’il pouvait éprouver au contact insistant de son ventre franchement rebondi s’évanouissait pour laisser place à un désir nouveau de le toucher, de le caresser et de se fondre dans sa douceur. Peu à peu, il oubliait. Il oubliait l’autre corps. Il oubliait les yeux verts, envoûtants, qui l’avaient obsédé, la nuit précédente, alors qu’il repensait aux paroles d’Isabella, couché sur le sol dur, enroulé de sa cape. Des yeux que lui seul connaissait si bien pour les avoir vus briller plus d’une nuit dans l’obscurité de la chambre où il était retenu. Des yeux à l’éclat aussi intense que ceux de Gonzales. Un éclat qui l’avait rendu jaloux dès le premier moment où ils s’étaient posés sur Isabella, à Barcelone, et qui s’était ravivé lors du dîner de la veille. Il y avait songé toute la nuit. Songé à la possibilité qu’Isabella ait raison. Il avait cherché à s’expliquer leur noyade, en était arrivé à la conclusion que seul lui-même était destiné à périr, lui, la seule personne qui pouvait établir un lien entre Hava et Gonzales, si subjectif qu’il soit. Leur regard, mais pas seulement. Il se souvenait de sa première impression quand il avait vu Hava à Oran. Il émanait d’elle la même assurance nonchalante, alliée à une élégance naturelle, qui faisait le charisme de Gonzales, et tout son charme. Pourtant, les implications d’un possible lien entre ces deux êtres dépassaient encore son entendement, ou plutôt, il se refusait à y croire. Il était descendu sur la plage pour se remettre les idées en place. En cela, il n’avait pas menti à Gonzales. Mais il avait menti à Isabella quand il avait prétendu qu’il avait voulu retrouver les sensations éprouvées dans cette crique du Sud de la France. Et s’il avait menti, c’est parce qu’il voulait chasser de son esprit ces questions sans réponse, chasser Gonzales et Hava. Quand il avait entendu Isabella crier, juste au moment où il plongeait, son sang s’était glacé. Il n’avait plus pensé qu’à la rejoindre, à lui porter secours. Quand il était tombé nez à nez avec Gonzales, il s’était montré rude envers lui, mais s’en était voulu ensuite, et ses soupçons s’étaient de nouveau effrités. Après avoir secouru Isabella, le jeune métis était descendu vers la plage, pour le secourir, lui : n’était-ce pas la preuve de sa loyauté ? Plus tard, il avait appris que Gonzales avait eu l’intention de partir le jour même, mais que Zia avait insisté pour qu’il accompagne Nacir jusqu’au condor. Les soupçons avaient alors ressurgi : ce qu’il avait voulu éviter s’accomplissait. Mais la situation n’était-elle pas différente de ce qu’elle était alors, quand personne ne connaissait cet homme? A présent, n’avait-on pas assez de raisons de faire confiance à Gonzales ? Et pourtant, Mendoza n’avait plus aucune certitude. Le seul moyen de sortir de cette impasse, c’était de laisser les choses suivre leur cours. Et sans savoir que Zia avait eu le même raisonnement que lui, il n’avait pas tenté de s’opposer à ce que Gonzales parte pour le condor. Personne n’aurait compris son revirement. Il avait proposé de les accompagner, en sachant parfaitement que personne ne souhaitait laisser Isabella seule , en proie à ses soupçons, même si elle affichait une amabilité de façade avec Gonzales. Quoiqu’il arrive pendant les quelques heures où ils seraient seuls, Mendoza était décidé à distraire sa compagne de son humeur chagrine, et à lui faire oublier les frayeurs de la matinée. Et au fur et à mesure qu’il se laissait gagner par son désir, il se sentait devenir plus fort et le souvenir d’Hava s’effaçait, emporté par les vagues de plaisir qui le submergeaient au contact de la langue d’Isabella appliquée à le lécher, à le débarrasser de sa carapace de sel. Il se sentait renaître. Elle avait enfoui sa tête au creux de son cou et effectuait des circonvolutions tantôt légères, tantôt appuyées qui le rendaient fou de désir, en remontant de la nuque vers son oreille gauche, repoussant sa chevelure de son front têtu, jusqu’ à le faire gémir. Il sentait sa langue s’attarder sur une petite portion de peau, plus sensible que les autres, en suivre les irrégularités, formant et reformant comme des lignes tracées là. Deux lignes parallèles, reliées par une ligne horizontale. La langue d’Isabella refaisait sans cesse le tracé, de plus en plus lentement, comme si elle hésitait, ou se concentrait. Il ne ressentait plus qu’une légère caresse, entêtée, qui répétait le même signe, et son désir montait, en même temps qu’il cherchait confusément à comprendre. Soudain, Isabella accentua sa pression, en insistant nettement sur chaque ligne ; il gémit de plaisir au moment où elle acheva le tracé, qui ne laissait plus de doute dans son esprit et dans sa chair, et malgré lui, il murmura le nom d’Hava. Au-dessus de lui, Isabella se figea. D’un mouvement brusque, elle s’arracha à la moiteur du cou tout en soulevant violemment l’épaisse chevelure de son amant. La lettre était bien là. Cachée mais triomphante, la cicatrice rougie d’avoir été baisée révélait à la vue d’Isabella la marque de celle qui s’était appropriée l’homme qu’elle aimait. Mais ce n’était pas tant de voir ce H marqué dans la chair de son amant qui médusait la jeune femme, que d’avoir entendu le nom haï prononcé par sa bouche à lui, dans ces circonstances. Un nom qu’elle n’avait pas osé prononcer devant lui, pour ne pas raviver des souvenirs pénibles, pour elle, du moins. Car à cet instant, le poison du doute, qui avait imprégné son cœur à la seule lecture de la lettre d’Hava, se répandit à toute allure dans ses veines. Elle relâcha la chevelure de Mendoza. La respiration bloquée, elle peinait à retrouver son souffle. Elle le vit porter la main à son cou, le tâter, l’air égaré. Elle le fixait, sans rien dire, sans pouvoir bouger. Après un long silence troublé seulement par leurs deux respirations haletantes, il tourna son regard vers elle, et esquissa un geste pour l’apaiser, en voulant poser sa main sur sa joue. Elle se recula vivement, poussa un cri.
I : Non !
Elle ferma les yeux, cherchant en elle les ressources pour se calmer ; elle n’avait pas besoin d’aide, non, elle pouvait se maîtriser, elle n’avait pas besoin de lui, et Gonzales n’était pas là ; une seconde, elle se surprit à désirer se perdre dans son regard comme le matin-même, sur le promontoire, pour trouver l’oubli dans une délicieuse sensation de bien-être. Mais il n’était pas là, et tout ce qu’elle souhaitait, c’était qu’il ne soit jamais entré dans sa vie. Tout aboutissait à cet instant, où tout pouvait basculer, irrémédiablement. Il fallait qu’elle sache.
M : Isabella…regarde-moi…
I : Pourquoi ? Pour lire la vérité dans tes yeux ?
M : Quelle vérité ? Que vas-tu imaginer ?
I : Pourquoi portes-tu cette marque ?
M : Je n’en sais rien…j’ignorais son existence…je me souviens juste d’avoir ressenti une gêne, comme une brûlure, sur le bateau, avant l’échange, je pensais avoir été piqué par la vermine…
I : La vermine, c’est bien ça…Elle a voulu te marquer au fer, comme sa propriété, mais pourquoi à cet endroit, et pourquoi cette marque, si petite, qu’on ne la remarque qu’en mettant le nez dessus ! Elle croyait peut-être que je ne la verrais qu’en faisant la toilette de ton cadavre ! Eh bien, il aurait peut-être mieux valu qu’il en soit ainsi ! Pourquoi as-tu prononcé son nom, pourquoi ? Réponds !
M : J’avais compris ce que signifiaient ces lignes que tu traçais sur ma peau.
I : Et que signifient-elles ?
M : Son prénom.
I : Et pourquoi n’as-tu pas prononcé un H, un simple H ? Cette femme n’est rien, tu entends, rien qu’une vulgaire criminelle, qui a manqué te tuer, qui s’est jouée de nous, nous a volés, et a l’impudence de se moquer de ses victimes ! Tiens, je vais te débarrasser de cette marque infâme !
Elle se jeta sur son cou, l’immobilisant d’une main et cherchant à lui arracher la peau de l’autre main. Il poussa un cri de surprise et de douleur, et se dégagea instinctivement en lui saisissant les bras et en la repoussant sur le côté.
I : Lâche-moi ! Tu es à moi, cette femme n’a aucun droit sur toi, aucun !
Il parvint à l’immobiliser.
M : Calme-toi. J’effacerai cette marque, d’une manière ou d’une autre.
I : Alors fais-le, maintenant.
Il se leva, passa dans la salle principale et plongea le tisonnier dans l’âtre encore rougeoyant. Quand il revint, la lettre n’était plus qu’une brûlure informe.
Isabella s’était assise au bord du lit. Elle avait revêtu sa chemise. La honte et la colère se partageaient son cœur. Mais le poison du doute brûlait encore dans ses veines.
M : Voilà. C’est fait. Et maintenant, oublie cette histoire, je t’en prie.
I : Tu veux que j’oublie ? Déjà ?
M : Le plus vite sera le mieux.
I : Et que dois-je oublier ?
M : La marque n’existe plus. Hava est loin. Je suis près de toi, tu portes notre enfant, et je vais t’épouser. Alors, oublie jusqu’au nom de cette femme.
I : Tu veux que j’oublie le nom de cette femme ? Tu peux effacer la marque, mais tu ne pourras pas effacer de ma mémoire le son de ta voix lorsque tu as prononcé son nom tout à l’heure.
M : Que veux-tu dire ?
I : Je veux bien lire la vérité dans tes yeux à présent. Tes réticences pour le mariage. Tes silences. Ta distance, tes réticences à me toucher.
Elle ne dit rien de plus, et se contenta d’attendre en le fixant. Involontairement, il détourna un bref instant la tête avant de la regarder à nouveau et de répondre.
M : Tu as beaucoup changé en peu de temps. J’avais peur, de te toucher, de te blesser. Je n’arrivais pas à m’habituer. Excuse-moi si je t’ai donné l’impression d’être froid.
I : Tu n’as pas donné cette impression qu’à moi seule. Et nous nous inquiétions de tes silences. Ce que tu as enduré peut les expliquer, mais je pensais qu’à moi, tu pouvais en parler. Tu ne l’as pas fait.
M : Jusqu’à ce matin, je n’étais pas moi-même. Je te tenais à distance, c’est vrai.
I : Pourquoi ? Et pourquoi ne m’avoir pas dit plus tôt que tu t’étais décidé à m’épouser ?
M : Je ne sais pas…
I : Tu hésitais ?
M : Pourquoi aurais-je dû hésiter ?
I : C’est bien la question.
M : Mais que vas-tu donc imaginer ? Que dois-je donc dire, que dois-je donc faire pour te convaincre que tu es la seule personne qui compte pour moi, que tu es ce que j’ai de plus précieux au monde, et que la seule chose que je craigne, c’est de te perdre ?
I : Pourquoi craindre une chose pareille ? Je n’ai rien fait qui puisse te le laisser craindre. Mais je ne t’ai pas non plus demandé de me prouver que tu m’aimes toujours. Pourquoi devrais-je en douter ?
M : Mais c’est bien toi pourtant qui t’imagines, qui insistes…
I : Tu n’as qu’à dire la vérité. Que s’est-il passé quand tu étais prisonnier ?
M : Tu n’as pas à le savoir. Je veux oublier. N’insiste pas.
I : C’est cela qui te tourmente, depuis ton retour. Tu ne peux pas garder ça pour toi.
M : Laisse-moi tranquille ! Si tu m’aimes, n’insiste pas.
I : Je t’aime, oui, et je suis prête à t’épouser. Mais quelle épouse ferai-je si mon mari ne peut pas partager sa souffrance avec moi ?
M : Je ne souffre pas, je vais très bien, tu entends, très bien, je veux juste oublier, et j’allais oublier, oui, je l’aurais oubliée si tout à l’heure…
I : Tu l’aurais oubliée…Hava ?
M : Oui…
I : Elle n’est pas la première à avoir voulu te tuer…
M : Non, elle n’est pas la première.
I : Alors ? Que s’est-il passé pour que tu veuilles tant l’oublier ?
M : Je ne peux pas te répondre. Je suis désolé.
I : Tu ne peux pas me répondre ? Tu es désolé ? Eh bien moi, je vais parler, et je vais te dire ce que j’ai sur le cœur, que ça te plaise ou non. Tu crois que je n’ai pas compris ? Tu veux me protéger ? Tu ne veux pas me faire de mal, peut-être ?
M : Tais-toi !
I : Crois-tu que je puisse vivre à côté d’un homme assez lâche pour ne pas avouer qu’il s’est abandonné dans les bras d’une autre ? Et qui ne veut pas avouer, parce qu’il sait qu’en s’abandonnant, il ne s’est pas juste livré à un plaisir passager, mais qu’il a donné à cette autre plus que ce qu’elle pouvait espérer ! Pauvre idiot, j’aurais tout compris, tout accepté si tu avais avoué que tu as couché avec elle, parce qu’alors j’aurais su que pour toi cela n’avait pas plus d’importance que ces coucheries d’un soir auxquelles tous les hommes se livrent. Je te connais assez, et tu me connais assez pour savoir que mon amour peut s’accommoder de tout, hors du mensonge. Je te l’aurais fait payer, certes, mais je t’aurais pardonné, parce que je t’aime plus que tout au monde, et que sans toi, je n’ai plus qu’à mourir. Mais tu m’as prise pour une idiote. Tu as cru que tu pouvais me tromper, me tromper sur tes sentiments. Tu n’as pas avoué, non, parce qu’il y avait trop à avouer. Tu as eu peur. Tu n’es qu’un lâche. Tu ne me mérites pas.
M : Non. Je ne te mérite pas.
I : C’est bien. Tu avoues. Mais il est trop tard. Pourquoi faut-il que tu me fasses tant de mal ?
Elle se leva pour quitter la chambre ; il voulut la retenir, mais elle le repoussa rudement.
I : Habille-toi donc.
Elle referma la porte derrière elle, le laissant désemparé. Il l’entendit s’éloigner, sortir de la maison. Un instant, il manqua s’écrouler de douleur sur le lit, mais il se ressaisit, se rhabilla et se précipita pour tenter de la rattraper.

Gonzales s’approchait de la maison d’un pas alerte. Tout s’était déroulé comme prévu. Il avait eu droit à une visite en bonne et due forme, qui lui avait permis de prendre ses repères. Il s’était extasié sans en faire trop, en restant concentré pour noter dans sa tête les moindres détails qui lui seraient utiles lors de sa prochaine visite. On était entré par la soute, à cause du brancard où reposait Nacir. Le Thallios était là, et Gonzales s’était contenté de demander ce que pouvait bien être cet étrange animal, et à quoi il servait. Tao avait répondu par un laconique « c’est avec ça qu’on a pu récupérer le trésor » sans rien ajouter de plus, et le jeune métis n’avait pas insisté. A bord, il avait enregistré mentalement la disposition des pièces et leur destination : la chambre de Nacir, au cas où, mais surtout celle d’Esteban et Zia, et le laboratoire de Tao. L’objet qu’il cherchait se trouvait probablement dans l’une de ses pièces, bien qu’il ait aussi remarqué dans la soute une sorte de porte qui pouvait cacher un rangement. Dans la salle principale, il n’avait rien remarqué, mais il ne devait pas exclure cette possibilité, ni les autres chambres et le cockpit. Il s’était efforcé de paraître plus préoccupé de l’installation de Nacir que de la visite, mais avait tout de même pris soin de demander comment on pouvait entrer et sortir de l’appareil, question habituelle qui n’avait pas surpris ses hôtes. Il avait passé le reste du temps à aider et conseiller Zia, qui lui avait elle-même laissé entendre qu’elle souhaitait essayer un baume de sa composition. Il avait fait semblant d’être très intéressé, et elle avait déclaré qu’elle tenterait de le confectionner le soir même, si elle avait tous les ingrédients à sa disposition, ce dont elle n’était pas complètement sûre. Elle lui avait proposé de rester un peu pour qu’elle s’en assure, et qu’il assiste éventuellement à la préparation, mais il avait décliné l’offre, ne souhaitant pas les importuner davantage. Ils avaient convenu qu’il revienne le lendemain. Sur le chemin du retour, il avait échafaudé son plan : cette nuit, il irait prévenir Hava. Ils avaient en effet convenu qu’elle se rendrait en Sardaigne dès que le trésor aurait été récupéré, et qu’elle se tiendrait prête à l’aider quand il passerait à l’action. Il lui fallait trouver le moment favorable, trouver un moyen d’éloigner le plus de personnes du condor. Il pourrait d’abord repérer la cachette de l’artefact, puis l’indiquer à Hava. Elle interviendrait, et lui passerait pour n’avoir rien à voir dans son attaque. Cela, ce serait la situation idéale. Elle pourrait avoir lieu à un moment où il serait seul avec Zia, prenant soin de Nacir. Dans ce cas, on pouvait même envisager d’enlever la jeune femme avec l’artefact, puisque le Maître avait dit qu’il aurait probablement besoin d’elle pour pouvoir s’en servir. Mais il n’avait pas donné d’ordres en ce sens, craignant sans doute les conséquences d’un tel enlèvement. Gonzales se mit à rire : il vendait la peau de l’ours avant de l’avoir tuée, à vouloir rajouter à sa mission une difficulté supplémentaire. Mais il se sentait pousser des ailes, à voir comme tout tournait enfin à son avantage. Il se rembrunit pourtant aussitôt cette pensée formulée. Il n’avait pas réussi le contrat concernant Mendoza. Mais déjà une nouvelle idée germait dans son esprit : s’il parvenait à garder la confiance de tous malgré le vol de l’artefact, il pourrait organiser le meurtre du capitaine à Barcelone, sans qu’il paraisse avoir quoi que ce soit à y voir. C’était une question de patience. Et si par malheur il échouait à dissimuler sa responsabilité dans le vol, alors tout serait plus simple, il ne s’embarrasserait plus d’aucune précaution pour tuer Mendoza. Il en était à ce stade de réflexion quand il arriva en vue du portail, au moment même où Isabella le franchissait, pieds nus et revêtue simplement d’une longue tunique. Il fut troublé par ce spectacle inattendu, et plus troublé encore quand il vit Mendoza se précipiter hors de la maison. Isabella s’était arrêtée dès qu’elle avait vu le jeune métis, mais en entendant des pas derrière elle, elle se remit en marche, et se dirigea droit vers lui. Lui-même avait continué à avancer, ralentissant insensiblement son allure, tentant d’analyser la situation, alors qu’il ne pouvait détacher son regard de la tunique flottant autour du corps d’Isabella. Il distinguait à présent aussi nettement son visage, et ses yeux, qui cherchaient les siens. Il ne put déchiffrer son expression, mais comprit simplement qu’elle savait. Il allait devoir faire face à sa colère, et feindre l’ignorance, quoi qu’il arrive. Elle n’était plus qu’à quelques pas. Il s’arrêta, indécis. Derrière elle, Mendoza les avait presque rejoints. Elle s’arrêta, haletante, à un mètre de lui. Malgré ses efforts pour se maîtriser, elle tremblait. De rage ou de détresse, il n’aurait su le dire à cet instant. Autant que le désir, l’inquiétude le gagnait devant cette femme muette et frémissante, qui paraissait aussi forte que fragile.
G : Isabella…que se passe-t-il ? Où allez-vous ainsi ?
Sans lui répondre, elle regarda derrière elle comme pour s’assurer que Mendoza la suivait toujours, puis se tourna à nouveau vers lui et s’avança résolument, jusqu’à le toucher de son ventre. Il recula instinctivement, comme sous l’effet d’un choc, regarda lui aussi en direction de Mendoza, mais elle avança à nouveau, et sans lui laisser le temps d’esquisser le moindre geste, lui saisit la tête des deux mains et l’attira à elle. Ses lèvres se joignirent aux siennes dans un baiser inespéré auquel il céda malgré lui, vaincu par son désir, insouciant des conséquences, son plaisir décuplé par la présence de Mendoza. Il cherchait à serrer dans ses bras celle qui se pressait contre lui, quand deux mains puissantes les séparèrent violemment. Il chancela, et vit Isabella basculer et tomber sur le côté en amortissant sa chute de ses mains tant bien que mal, tandis que Mendoza s’interposait entre eux, le repoussant à nouveau violemment.
M : Ne la touchez pas ! Je ne sais pas quelles sont vos intentions mais elle, vous ne l’aurez pas !
G : Je…je ne comprends pas, c’est elle…je n’ai pas eu l’intention…
M : Vous mentez ! depuis le premier soir où vous avez posé les yeux sur elle !
Gonzales eut un sourire amer, et désigna la jeune femme à terre.
G : Je ne nie pas qu’Isabella soit une femme particulièrement désirable, mais si vous voulez la garder, vous feriez mieux de prendre davantage soin d’elle.
Mendoza réalisa alors les conséquences de son geste, et se pencha pour aider Isabella à se relever, mais elle l’empêcha de s’approcher en tendant brusquement un bras dans sa direction.
I : Va t’en ! Je t’ai dit…de t’habiller, pas de me suivre !
Sans dire un mot, il se recula, et se retourna vers Gonzales.
M : Aidez-la. Mais si vous vous avisez de la toucher…
G : Il va bien falloir pourtant…
M : Ne jouez pas au plus fin. S’il arrive quoi que soit, je vous tuerai.
Isabella éclata de rire.
I : Juan Carlos Mendoza, de quel droit…de quel droit oses-tu le menacer ?
Elle se remit péniblement debout. Gonzales se précipita pour l’aider. Elle voulut refuser, mais comme elle peinait à se redresser, il soutint son bras qu’elle lui abandonna, tandis qu’elle continuait à s’adresser à son amant.
I : S’il arrive quoi que ce soit, ce sera l’effet de mon entière liberté. Je ne t’appartiens pas, et je dispose de moi-même comme je le désire. Qui es-tu pour m’empêcher d’embrasser qui je veux ? Nous ne sommes même pas mariés.
M : Très bien. Fais selon tes désirs. Je ne m’interposerai plus.
I : Oui, je fais selon mes désirs, comme tu as fait selon les tiens.

Sans répondre, Mendoza tourna les talons et s’éloigna à grandes enjambées. Gonzales tentait de réfléchir ; la possibilité qu’Isabella puisse être à lui était la seule chose qui s’imposait dans son esprit comme une évidence. Le contact de sa main sur son bras nu était tout ce qui comptait à cet instant. Il lui semblait qu’il tenait son destin entre ses mains. Mais cette fois, il ne le laisserait pas lui échapper. Isabella ne bougeait pas. Il entendait sa respiration, il voyait sa poitrine se soulever sous sa tunique. Des souvenirs refaisaient surface. Le baiser échangé avec Anahi sur le bateau qui les ramenait en Espagne, la colère de son père qui les avait surpris. Il n’avait pas su la protéger, pas su l’aider, pas su la sauver. Une angoisse soudaine l’étreignit.
G : Isabella…est-ce que ça va ?
Elle ne répondit pas. Il s’affola, la saisit par les épaules pour la faire tourner face à lui. Elle se débattit avec une énergie qui le surprit, lui assena un violent coup de pied dans le genou, réussit à se dégager. Il n’aurait jamais cru qu’elle avait tant de force dans les bras. Elle lui faisait maintenant face. Elle avait reculé de quelques pas, et le tenait à distance de la pointe d’une épée, que Gonzales reconnut comme la sienne. En se dégageant, elle lui avait volé son arme.
G : Je suis désolé, je ne voulais pas vous importuner, je m’inquiétais simplement…que s’est-il donc passé entre vous ?
I : Ne me touchez plus, vous entendez ?
G : C’est entendu, mais calmez-vous, je vous en prie. Votre main tremble.
I : Je n’ai pas besoin de vos conseils, je n’ai pas besoin de vous. Vous allez partir, vous aussi.
G : Je ne partirai pas en vous laissant dans cet état. Et je veux comprendre. Je n’ai pourtant rien fait qui puisse…
I : Mêlez-vous de vos affaires. Vous avez fait assez de mal. Partez, ou je ne réponds plus de rien.
G : Très bien, je vais partir. Mais je vais aller chercher de l’aide. Vous ne pouvez pas rester seule.
I : Qu’en savez-vous ?
G : Votre main tremble, je vous l’ai dit. Votre voix se veut ferme, mais elle trahit votre faiblesse. Vous avez du mal à reprendre votre souffle, et votre ventre vous fait souffrir, même si vous essayez d’ignorer la douleur. Soyez raisonnable. Laissez-moi vous raccompagner jusqu’à la maison.
Pour toute réponse, elle recula en serrant les machoires, lentement. Impuissant, Gonzales la regardait s’éloigner de lui, l’épée toujours brandie devant elle. Son cœur se serra de dépit. Il la fixait, intensément, dans l’espoir de fléchir sa volonté. Elle se retourna brusquement pour échapper à son regard et voulut courir, mais s’arrêta au bout de quelques pas, en baissant la garde. Aussitôt il fut près d’elle. Elle leva à nouveau le bras pour tenter de le tenir à distance, mais ses forces l’abandonnaient. Son bras retomba à ses côtés. Elle concentra le peu d’énergie qui lui restait à tenir debout, soutenue par Gonzales, qui n’eut pas de mal à lui reprendre l’épée, et la raccompagna en silence jusqu’à la maison. Sentir son corps contre le sien lui procurait un plaisir teinté d’amertume, une joie mélancolique où l’angoisse de la perdre le disputait au désir de l’embrasser à nouveau. Serait-elle jamais à lui ? Il en doutait à présent, et luttait contre le désir de se satisfaire. Mais il n’avait pas complètement perdu l’espoir que sa haine à son égard ne se change en amour, et il ne tenta rien. Peu à peu, la savoir à sa merci suffit à le contenter, et le souvenir d’Anahi acheva de le convaincre de se comporter envers Isabella comme il n’avait pu le faire envers la femme de son père. Ils se voyaient en cachette depuis des mois, quand il les avait surpris sur le bateau. Il n’avait pas su la protéger, et quand l’accouchement s’était déclenché, il n’avait rien pu faire. Par miracle, l’enfant avait survécu. C’était l’unique raison pour laquelle son père ne l’avait pas tué de ses propres mains. En repensant à ce passé douloureux, Gonzales eut la certitude que s’il devait arriver malheur à Isabella, par sa faute, il ne se le pardonnerait pas. Il l’avait fait assez souffrir. Il allait gagner son cœur, coûte que coûte, vaincre ses réticences. Le souvenir du baiser qu’elle lui avait donné emporta ses derniers doutes. Il la laissa reposer dans sa chambre après s’être assuré qu’il n’y avait rien d’alarmant, et s’en tint à son idée : il déclara qu’ il partait chercher Zia. Isabella se contenta d’acquiescer.
Modifié en dernier par nonoko le 17 févr. 2018, 18:15, modifié 1 fois.
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TEEGER59
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par TEEGER59 »

Ah, là, là, là, là!
Quel chapitre MAGISTRAL!!!
J'en ai encore des frissons...
Merci Nonoko...
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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yupanqui
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par yupanqui »

Du très grand art !
Quels rebondissements ! Quel suspense !
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Akaroizis
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Akaroizis »

Superbe.
Tout est en train de se dévoiler, en espérant que cela ne se fasse pas aux dépends de nos amis. Ce petit monde joue serré, et c'est cela qui est si palpitant. ^^

Autrement, tout est déjà dit, et on ne peut qu'attendre une suite. ;)
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

Saison 1 : 18.5/20
Saison 2 : 09/20
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