Suite.
CHAPITRE 13.
Le lendemain, lorsque Mendoza s'éveilla, il avait un peu mal au crâne mais sentit que la poudre de fusil avait fait son œuvre. Sa blessure était pansée proprement. Il ne ressentait plus qu'une douleur un peu sourde, tout à fait supportable.
Il souleva le bandage pour constater que la cicatrisation était en bonne voie. Louée soit la mousse du chêne! Le Catalan se sentait faible or la fièvre l'avait quitté. Même s'il était désarmé de son habituelle énergie, il était en mesure de bouger et combattre, s'il le fallait vraiment.
Il allait devoir s'occuper de trouver de la nourriture. Il s'habilla, constatant que ses vêtements, délavés par la baignade, commençaient à partir en lambeaux. Et il n'avait plus de rechange.
Macumba accueillit son réveil d'un chaud sourire. Après avoir terminé la soupe de la veille, ils s'aventurèrent hors de leur abri, avec toutes les précautions requises, et rampèrent jusqu'à un gros roc moussu où Juan laissa la Gitane.
Un surprenant soleil avait fait son apparition, avide de reprendre son territoire. Les beaux jours de cette fin d'automne allaient peut-être enfin s'imposer, après ces insolentes pluies. Il faudrait quelques semaines pour que la région sèche, mais l'astre du jour allait peu à peu chasser l'humidité ambiante. En tout cas, il influait déjà favorablement sur le moral du tandem.
Veillant à ce que Macumba reste bien à l'abri des regards, le capitaine grimpa dans l'un des arbres touffus qui parsemaient les rochers, afin de s'orienter et sonder les environs tout en restant hors de portée des regards ennemis.
De son perchoir, il engloba les alentours. Vers le sud, un long chemin s'ouvrait devant lui. Il tenta de le mesurer, une main sur le front en guise de visière pour se protéger des rayons solaires. Le ciel était d'un bleu azur, sans un seul nuage pour ternir les vastes et riches terres du Causse de Saint-Chels.
À cet instant, un sentiment de solitude l'habitait. Cela faisait plus de dix ans qu'il ne s'était retrouvé seul face au ciel et à la terre, quand plus rien ne faisait obstacle à la vue, quand on pouvait observer l'horizon en tournant sur soi-même... et le voir à tout moment! Mendoza regarda au loin, dans la direction où se situait la rivière du Lot. Il tourna sur lui-même et regarda derrière. Ses jambes fléchirent. Il ne put que se féliciter de sa prudence, car, de l'autre côté du Célé venait d'apparaître une file de soldats au profil menaçants. Les Français, à leur recherche. Accompagnés de ce maudit sorcier, dont l'imposante silhouette se détachait sans peine dans la masse de la garde Écossaise. Sa robe sombre parmi les hoquetons blancs attirait l'œil. Qui était-il? Et pourquoi en avait-il après lui?
Alors que les hommes de François Ier défilaient, Mendoza réfléchissait. Seul, il pouvait leur échapper. Avec Macumba, c'était moins sûr. Mais il était hors de question de l'abandonner. Ils la trouveraient et la feraient parler, la violenteraient probablement, et finiraient par la tuer. Ou pire, ils la prendraient et la vendraient comme esclave. La Gitane connaissait sa destination. En outre, elle venait de lui sauver la vie à deux reprises.
Quelles que fussent les raisons, Juan s'estimait en devoir de veiller sur elle pour le moment.
Les Français longeaient toujours la rive opposée, menés par un éclaireur avancé. Allaient-ils traverser? Non. En tout cas, pas dans l'immédiat. Les poursuivants se contentèrent de suivre le courant en quête de traces, les sens en éveil. Redoublant de prudence, le capitaine attendit qu'ils disparaissent pour redescendre de son arbre.
☼☼☼
Appuyé sur le rocher, aux côtés de Macumba, toute piteuse de s'être fait surprendre, se tenait un homme, les bras nonchalamment croisés sur sa poitrine. Il était de taille moyenne, mais de constitution robuste. Un peu trop au goût du Catalan. Le visage mat du nouveau venu s'éclairait d'un sourire engageant. La présence derrière lui de deux hommes blonds, arcs bandés pointés vers le sol, n'ôtait rien à la chaleur du léger mouvement de ses lèvres.
Le
Yeoman soupesa ses chances. Trois hommes à affronter. Seulement trois. Toutefois, il se retint. Premièrement, il manquait d'énergie. Et deuxièmement, les deux blonds étaient des Suisses. Des
vrais, cette fois. Ils naissaient l'arc à la main et une mire dans l'œil. C'est ce qu'on disait dans les tavernes jouxtant le pays de Vaud. Leur habileté faisait leur réputation.
Mendoza leva donc ses mains, paumes ouvertes en signe de paix. Prêt malgré tout à dégainer au moindre signe d'hostilité.
L'inconnu lança aimablement:

: Bien le bonjour! Belle matinée, n'est-ce pas? Je crois que cette fin de saison sera plus clémente que ces derniers jours. Ça va nous changer de cette pluie, hein?
Les rares cheveux et la barbe couleur automne, les yeux alertes et rieurs, mâtinés d'une sagacité malicieuse, l'homme avait une allure sympathique. Il annonça sans ambages:

: Je suis Théophraste Aurèle Philippe Bombast de Hohenheim, philosophe et théoricien du Grand Tout. Je suis un maître de la magie, un praticien de l'occulte et je ne vous veux aucun mal.
Tournant vers lui un de ces regards noirs qu'avaient tous les yeux de mercenaire quand ils le voulaient, Juan le toisa du bout des bottes jusqu'à la racine des cheveux.
Il retint un juron:

:
Encore une saleté de sorcier!
Tandis que celui-ci décroisait les bras, le capitaine prit le temps de l'examiner. Il allait bientôt s'apercevoir que son interlocuteur avait du mal à laisser ses mains au repos.
Théophraste portait une tunique chatoyante, tissée d'une matière souple d'un beau vert d'eau. Sur le col, et sans doute sur les manches, des runes brodées en fil argenté. Sous la tunique, qui descendait à mi-cuisses, un pantalon de peau teint en vert sapin, et des bottes de daim. La respectable fronde, coincée sous son ceinturon, n'était que la moindre de ses armes, estima le Catalan. Il pouvait dénombrer au moins un coutelas, dissimulé dans un étui sous un long gilet de peau qui, lui aussi, devait abriter nombre de poches secrètes.
L'Espagnol se tenait toujours prêt à dégainer.

: Que faites-vous dans les parages? Ces Suisses sont loin des terres de Savoie. Vous êtes-vous perdus?
Sans se départir de son expression avenante, le mage répondit calmement:
Théo: Très drôle! Je suis surpris de constater que vous avez encore de l'humour, après votre rencontre d'hier...
Le visage du capitaine et sa voix se durcirent brusquement, faisant reculer celui qui se faisait appeler depuis peu Paracelse. Mendoza siffla:

: Que savez-vous de ce qui s'est passé hier? Que me voulez-vous?
Il s'en fallait de peu qu'il ne se lance à l'attaque, malgré sa situation peu favorable.
Les paumes levées en geste d'apaisement, le mage dit doucement:
Théo: Du calme! Ne laissons pas les choses déraper. S'il vous plaît. Nous avons suffisamment d'ennemis dans les parages pour éviter de nous entretuer.
Prêt à frapper, Juan menaça:

: Je pourrais vous plonger ma dague dans la gorge avant que vous ne puissiez utiliser votre lame.
Théo: J'en suis conscient. Pour vous prouver ma bonne foi, je vais demander à mes amis de se retirer et d'aller surveiller les environs.
Le
Yeoman regarda les archers s'éloigner, tout en gardant un œil vigilant sur le sieur Bombast de Hohenheim.
Effectivement, ces trois hommes semblaient véritablement dénués de la moindre hostilité à son égard. Juan quitta son air redoutable et finit par se détendre. D'ailleurs, comme il l'avait lui-même appris à Macumba quand ils étaient encore à l'auberge de la Couronne, les Suisses abhorraient autant les Français que les Flamands. Et cela depuis la bataille de Marignan.
Le nommé Théophraste argua encore:
Théo: Écoutez, si j'avais voulu vous nuire, j'aurai commencé par enlever votre amie pour vous tendre un piège. Nous ne lui avons fait aucun mal. Demandez-le-lui.
La jeune femme acquiesça. Passé le choc de la surprise, son instinct et le
Don lui soufflaient que le destin avait mis ces hommes sur leur chemin. Des alliés. Et peut-être même plus.
Théo: Si vous daignez me suivre, nous avons un petit campement non loin d'ici. Un endroit sûr... Il y a aussi de quoi vous offrir un repas chaud. Nous pourrons y discuter sans risquer d'être repérés par vos poursuivants.
Peu habitué à se départir de sa méfiance, Mendoza riposta:

: Je ne tiens pas à vous suivre.
L'homme offrit un autre de ses radieux sourires qu'il fit suivre de sa voix mélodieuse:
Théo: Je comprends qu'après la mésaventure d'hier, vous soyez sur vos gardes. Mais je ne vous veux aucun mal. J'ajouterai même que nous avons un ennemi commun.

: Comment puis-je vous accorder ma confiance, mage? J'ai déjà des Français à mes trousses.
Théo: C'est précisément parce que vous êtes pourchassé par ces Français que vous devez m'écouter. Je vous dis que nous avons les mêmes ennemis! Nous pouvons nous entraider. Nous devons en parler.

: Soit! Nous vous suivons. Mais sachez une chose, mage, je n'aime pas les surprises!
La menace transparaissait dans ses paroles.
Théophraste ne jugea pas nécessaire de relever. Le ton du mercenaire n'était pas véritablement agressif. Juste un rappel, sans plus. Au grand étonnement de Juan, il se mit à pousser le cri de l'engoulevent, imitation parfaite qui lui permettait de rappeler ses deux compagnons.
Au moment de partir, le médecin vagabond récupéra ses affaires, posées contre un tronc. Mendoza remarqua un bâton de marche à bout ferré, orné d'inscriptions runiques, une pèlerine émeraude doublée de fourrure, une gibecière ventrue en cuir brun et un étui rigide de même matière, destiné à protéger ses parchemins. Le Catalan jugea:

:
Il sait voyager, celui-là! Même sans l'aide des Suisses. (Pensée).
C'était un pratiquant de l'art ésotérique, oui, mais au moins, il n'avait rien de ces pompeux mages de cour.
Comme pour conforter son opinion, le magicien s'engagea le premier sur le sentier, parfaitement à l'aise, contrairement à la plupart de ces confrères dans un coin sauvage en un tel lieu. Il fut suivi de Macumba qui paraissait lui accorder une confiance sans restriction. Elle lui posa cependant une question:
Mac: En tant que mage, vous allez nous faire visiter votre laboratoire?
Théo: Non, ma chère enfant.
Mac: Pourquoi?
Théo: Tout simplement parce que je n'en ai pas. L'inquiétude perpétuelle ne me laisse jamais en place. Je suis un curieux de nature. Je veux tout voir, tout savoir, la magie, l'astronomie, la théologie, l'alchimie, voir le monde et les gens, connaître toutes les diversités des créatures humaines, connaître l'univers, connaître l'homme, le roi et seigneur de la création. Je veux tout apprendre, mais non dans les livres, non cette sagesse morte et vieillie des savants officiels, des médecins à bonnets pointus. C'est dans le monde, la réalité, la vie et la nature que je souhaite chercher mes enseignements et mes maîtres.
Subjuguée, la danseuse l'écoutait sans l'interrompre. Cet homme était doté d'une fantaisie abondante, surabondante même, une passion de savoir et une curiosité passionnée pour l'univers qui l'entourait. La réalité concrète, la réalité vivante s'incarnaient dans son génie. Génie barbare mais génie quand même. Il poursuivit:
Théo: Et puis, j'ai toujours préféré les sentiers et les routes aux universités où l'on n'apprend rien. En entamant mes études supérieures, je me suis aperçu que mes instructeurs étaient des imbéciles et des idiots du système. Ils tenaient le pavé des universités et n'accordaient aucune place à l'observation et à l'expérimentation réelle, se cantonnant à des études abstraites et livresques qui n'avaient aucun fond de réalité. C'est vrai, quoi! Ils ne savent rien ces docteurs, ces ânes bâtés qui ne parlent que d'Avicenne et de Rhasès, des humeurs et des qualités! Ils se prélassent dans leur chaires et s'enveloppent de longues houppelandes, ils font des affaires en s'acoquinant avec les apothicaires, en prescrivant des remèdes coûteux et compliqués, en extorquant de l'argent aux pauvres gens. Savent-ils seulement guérir? Non! Et ils n'en ont cure! Savent-ils seulement ce qu'est la nature et comment on utilise ses forces? Non! Le premier paysan, que dis-je, le premier chien venu en sait plus long qu'eux: il sait que la nature a sagement disposé des remèdes spécifiques à toutes les maladies et qu'il faut seulement savoir comment et quand les employer. Ces soi-disant érudits ne sont que des hérétiques et des mécréants. Ils veulent, par leurs remèdes, dominer la nature et ne savent pas que celle-ci guérit elle-même, que le médecin a pour devoir suprême, pour seul devoir, de l'aider dans sa lutte contre la maladie, d'être un allié de la vie, non son maître.
Bombast de Hohenheim aurait pu discourir tout le long du chemin. Silencieux, Mendoza resta un temps en arrière mais ne pouvait qu'approuver ce qu'il venait d'entendre. Grâce à la mousse, sa blessure était en bonne voie de guérison et ne le gênait plus. Si le nommé Théophraste disait vrai, peut-être disposait-il à présent de partenaires potentiels. Peu nombreux, certes, mais un mage et deux archers Suisses, cela pouvait s'avérer intéressant.
Pouvait. Cependant, l'Espagnol les aurait volontiers échangés contre Ciarán Macken. Au moins devait-il s'avouer mieux préparé que la veille pour la suite des événements. Il ne se ferait plus surprendre. Par qui que ce soit.
Et si l'autre mage, le sorcier Français pointait son nez, il risquait de le regretter. Voilà ce qu'annonçait le sourire réfrigérant qui flottait sur ses lèvres lorsque l'homme à la cape bleue se mit en route.
CHAPITRE 14.
Le petit groupe s'éloigna du Célé, choisissant une direction différente de celle des Français. Deux heures plus tard, après avoir franchi le bras du Lot, traversé un champ de bruyère épineuse et gravi une pente boisée, ils arrivèrent en vue d'un campement.
Les trois forestiers s'étaient établis dans une cuvette creusée à flanc de colline, couverte d'un rideau d'arbres. Une position stratégique, en hauteur pour conférer l'avantage aux arcs Suisses et dotée de plusieurs voies de repli. Le bivouac comprenait une toile de tente imperméable habilement camouflée par des feuillages, un cercle de pierre tenant lieu d'âtre, et des provisions. On pouvait entendre le gazouillis d'un ruisseau, tout près.
À peine arrivé, le plus jeune des archers s'affaira à réchauffer un ragoût de lièvre. Macumba ne tarda pas à le rejoindre pour l'aider. Arc en main, le second alla se camoufler sous le feuillage d'un arbre pour faire le guet. Son regard se portait fréquemment sur la danseuse.
Mendoza consentit à s'installer en face de Théophraste, le dos appuyé sur une souche. Sa main était proche du stylet dissimulé dans son étui, sur la face intérieure de sa cape.
Le mage ne fit aucun cas de cette défiance affichée. Après avoir pris soin de choisir une position confortable, il reprit la conversation:
Théo: Vous voyez bien qu'il n'y a aucun piège. Je ne cherche pas à vous tromper, et pourtant je sens bien votre méfiance. Nous ne pouvons continuer ainsi. Il nous sera impossible d'affronter les dangers qui nous attendent si nous passons notre temps à nous défier l'un de l'autre. Alors qu'ensemble, j'estime que nous avons nos chances de vaincre. En marchant jusqu'ici, j'ai eu une idée qui pourrait débloquer la situation, balayer votre réserve...
Les traits éclairés d'une mimique astucieuse, il poursuivit de sa voix allègre:
Théo: Une idée qui pourrait nous convenir à tous deux. Mon cher, je vous propose un arrangement. Un pacte à l'ancien mode. Qu'en dites-vous?
Mendoza s'exclama:

: Mage, vous me surprenez agréablement! Ce qui n'est pas fréquent. Un pacte? Pourquoi pas!
Théophraste lui retourna le sourire espiègle qui devait être son expression favorite. Prenant la position requise pour le traité, il lança d'une voix ferme:
Théo: Par le nom d'Artio, la déesse des ours chez les Helvètes, moi, Théophraste Aurèle Philippe Bombast de Hohenheim, dit Paracelse, je fais le serment de ne te nuire en aucune façon. Que nos pas s'unissent jusqu'à ce que nous nous quittions en paix... Sur ma vie!
D'un geste du poignet, il traça dans l'air le signe de Confirmation et d'Engagement. Le serment des mages. Le savant venait de se lier sans rémission.

: Par mon honneur de
Yeoman, moi, John Mendson, je ne te nuirai en rien. Ni en actes, ni en paroles, ni en pensées. Sur ma vie! Jusqu'à ce que nos routes se séparent, en paix.
Le mercenaire s'entailla le pouce de sa lame et but son propre sang, validant ainsi le serment des combattants.
Mendoza venait de se lier à son tour. Qu'il ait caché sa véritable identité n'ôtait rien à la force de son engagement.
Enfin, les deux hommes échangèrent le nom de leurs témoins respectifs pour valider le pacte de façon définitive.
Selon le rituel, si l'un des contractants trompait l'autre, le témoin assistant le trahi serait immédiatement prévenu, où qu'il se trouve. Il pourrait ainsi lancer la vendetta auquel s'exposait le traître. Le témoin du parjure serait également alerté et devrait également pourchasser le fautif. Peu d'êtres avaient jamais réussi à échapper à ce genre très particulier d'engagement. Les Pactes à l'ancien mode n'étaient plus que rarement établis depuis les Grandes Guerres d'Italie. Que le mage propose une telle solution dénotait sa conception de l'honneur. Qu'il adhère aux rites anciens annonçait également une grande érudition.
En guise de témoin, le Catalan nomma Ciarán, l'Irlandais. Théophraste cita en retour Charles II. Rien de moins que le duc de Savoie! Le mage avait de puissantes relations... Un autre point à retenir.
L'Espagnol n'aurait jamais cru pouvoir se lier ainsi à un sorcier. Mais il n'était pas encore prêt à abaisser ses défenses. Il songea:

:
Reste les deux archers. Ils ne sont pas tenus par le Pacte, eux. (Pensée).
☼☼☼
Assise non loin du
Yeoman, touillant un ragoût au fumet appétissant, Macumba était d'une tout autre humeur que son compagnon. Elle se sentait en total accord avec son environnement. Une parcelle du
Don s'était manifestée. Quelque chose allait se produire. Quelque chose de bénéfique pour elle.
Elle se sentait en sécurité avec le mage, ce sympathique Théophraste. En ce qui concernait les deux autres, la Gitane comprenait maintenant le jugement de Mendson sur le soi-disant Suisse de Thuison. En contemplant les deux hommes, elle se rendit compte à quel point l'usurpateur de la taverne s'était mépris sur l'opportunité de son déguisement.
En tant que membres de la confédération Suisse, les deux archers pouvaient prétendre en représenter l'un des plus beaux fleurons. Car beaux, ils l'étaient véritablement. Gracieux, singuliers, uniques, tels étaient les qualificatifs qui venaient à l'esprit de la jeune femme. Macumba les détaillait comme les plus belles des sculptures.
Les
Armaillis* avaient la peau mordorée, au grain parfaitement lisse. Leurs traits altiers semblaient tracés pour n'exprimer que la plénitude, la joie, le rire ou la
youtse*. Tout aussi altière, leur stature longiligne évoquait une agilité particulière. Leurs cheveux qui flottaient librement sur leurs épaules, de la blondeur des blés sous un ciel d'été, paraissaient sans cesse parcourus, caressé par un vent léger et moqueur. Et leurs yeux, par le
Don! Leurs magnifiques yeux aux iris dorés, qu'elle estima un ton plus clair chez Hans, l'aîné.
Les frères Füssli, Hans et Peter, ainsi que les avait présentés Théophraste, portaient tous deux une tenue de forestier, en daim souple tanné avec des dominantes de brun, d'ocre et de vert. Les deux jeunes hommes ne pouvaient être différenciés que par l'âge ou par la corpulence. Peter, à peine sorti de l'adolescence, n'avait pas encore atteint sa pleine stature, à l'inverse de Hans, de quelques années plus âgé, à la musculature faite.
Peu à peu, sans s'en apercevoir, la jeune femme délaissa sa pitance pour s'intéresser au plus grands des Vaudois. La nuit passée avec John ne représentait déjà plus qu'un précieux souvenir. Elle en était consciente. Leurs chemins allaient bientôt se séparer.
Sans qu'elle s'en soit rendue compte, l'attention de Hans revenait se poser sur elle, par touches délicates, dès qu'elle-même cessait de le regarder.
☼☼☼
Comme Macumba, Mendoza s'était concentré sur l'examen des deux frères. En s'attachant à des points bien différents. À l'écart des autres, Hans se tenait debout près d'un chablis*, tenant en main son
longbow* façonné d’une seule pièce dans de l'if, bois dont les qualités intrinsèques faisaient qu'il se comportait comme un arc composite.
D’autres essences de substitution, telles que l'orme, le frêne, le noisetier, voire le chêne, pouvaient être utilisées, mais au prix d’une perte notable d’efficacité. Les traits alertes, le Suisse surveillait les alentours. Sans nul doute le plus dangereux des deux.
Assis en tailleur à côté du savant, Peter possédait une arme d'apparence plus simple, posée derrière lui. La Gitane ayant pris la responsabilité du repas, le jeune Füssli étudiait Mendson avec la franche curiosité d'un enfant. Il n'était encore que l'ébauche de son aîné, mais si les siens l'avaient laissé quitter leur clan, c'est qu'il ne devait pas être aussi inoffensif qu'il en avait l'air.
Juan savait que ces archers utilisaient pour leurs pointes de flèches du fer forgé qui pouvait aisément se modeler pour ensuite durcir selon des procédés jalousement gardés secrets. Une telle pointe pouvait percer une armure de plates. Et les Suisses se targuaient d'être les meilleurs tireurs, bien loin devant les Anglais, pourtant redoutables.
Charles Quint aurait rêvé d'avoir au moins un tel éclaireur dans ses rangs. Hélas pour lui, depuis longtemps, bien longtemps, suite à la défaite de Marignan, où l'Empereur n'avait pas pris part, les Confédérés durent signer la
paix perpétuelle de Fribourg avec la France, qui obtint le droit de recruter à volonté des mercenaires Suisses. Ce traité marqua également la fin de la politique d'expansion des Confédérés, qui ne participèrent plus aux grandes batailles du continent qu'en tant que mercenaires. Et puis, les forestiers détestaient naturellement leurs voisins européens. Et tout particulièrement les Français, leurs ennemis de toujours.

:
Voilà qui nous fait un point commun et qui confirme cette récente alliance... (Pensée).
L'Espagnol était en train de soupeser les avantages qu'il pourrait tirer de cette nouvelle situation.
☼☼☼
Quinze minutes plus tard, Hans délaissa sa garde pour le rejoindre. Le jeune homme marchait dans l'herbe, aussi discret qu'une souris trotte-menu dans un tas de foin, attentif à tout bruit susceptible de venir troubler la quiétude du lieu. D'un sifflement discret, il ordonna à son frère de le remplacer. Arrivé devant le Catalan, l'archer lança d'une voix mélodieuse:
Hans: Ciarán, as-tu dit tout à l'heure? Le pourfendeur de bêtes sauvages? Je ne connais qu'un Ciarán et son nom de famille est Macken.

: On l'appelle aussi
The Hammer of Scots,
Poil-de-Carotte,
le Libidineux et
Boit-Sans-Soif... puisque tu apprécies les surnoms. Tu connais Ciarán? C'est mon compagnon d'arme. Tiens, si vraiment tu l'as rencontré, tu devrais reconnaître ceci...
Mendoza se mit à farfouiller dans l'aumônière attachée à son ceinturon pour y extraire un pendentif qu'il tendit au Suisse. Celui-ci examina l'objet. Il s'agissait d'une griffe d'ours accrochée à un cordon de cuir. Un cadeau de l'Irlandais.
Le forestier dévoila ses dents laiteuses en un sourire radieux:
Hans: Ciarán Macken est un ami personnel de notre duc Charles. Il a reçu le titre de membre de la Confrérie de la Cuiller après lui avoir sauvé la vie. Le compagnon d'arme de Ciarán n'aura rien à craindre de nous, je le proclame devant tous!
Rangeant son pendentif, Mendoza s'exclama:

: C'est la meilleure! Ce fier-à-bras de rouquin va adorer. Quand je vais lui raconter ça, il ne va plus se sentir!
Saisi d'une soudaine bouffée d'affection à l'égard de son ami, il sentit les souvenirs refaire surface.
Lors d'une soirée passée au sein du pub
"The Ostrich" dans le village de Colnbrook, près de Londres, après avoir ingurgité plusieurs pintes, Ciarán avait fait le pari de tuer un ours à mains nues. Un adulte, avait-il précisé dans les brumes de son délire éthylique. Des rires avaient fusé dans la salle:

: Hey, Macken! Il n'y a plus d'ours dans le royaume d'Angleterre depuis belle lurette!
Le lendemain, il avait néanmoins disparu.
Deux semaines plus tard, il revenait sur un brancard, porté par deux solides Gallois. Grièvement blessé mais vainqueur. Une fois guéri, il se pavana, arborant un collier composé des dents et des griffes de l'animal qu'il avait dépecé.
Cela n'avait pas duré. Le collier étant trop lourd a porter et Mendoza n'arrêtant pas de se moquer de lui, l'Irlandais avait fini par se résoudre à s'en séparer. Mais avant, il préleva de sa parure une série de griffes destinées à ses proches. L'Espagnol avait reçu la première d'entre elles.
La mine réjouit, Théophraste intervint:
Théo: Ah, je prends cela comme un signe du destin! Nous étions fait pour nous entendre. Et par le bâton d'Asclépios, une rude tâche nous attend, croyez-moi! Vois-tu, Mendson, c'est que j'ai pour mission de retrouver ce sorcier et de mettre fin à ses agissements.

: Mage, qu'est-ce que je viens faire dans cette histoire?
Le capitaine sentait que cette rencontre ne pouvait être fortuite.
Théo: À présent que nous sommes alliés, je propose que nous reprenions des forces. Mangeons. Nous parlerons ensuite...
☼☼☼
Leur soirée fut détendue.
Malgré quelques velléités de sévir, le froid ne les incommodait pas et la pluie n'était pas revenue. Installés à l'abri du vent et des regards hostiles, ils se régalèrent d'une soupe au lait, pour commencer. Comme à Kappel, le potage symbolisait l'esprit de neutralité Helvétique et faisait partie des mythes fondateurs de la Suisse.
Vinrent ensuite le ragoût et le pain, à la mie lourde agrémentée de fruits séchés et de noisettes, accompagnés d'une eau des plus rafraîchissantes.
Le mage se montra charmant convive. Priant pour qu'on l'appelle Théo, il menait les débats. Tout en gesticulant, il divertit Macumba de ses voyages, fort nombreux, plutôt mouvementés, avant de régaler les frères Füssli de tours de passe-passe dont ils se révélaient friands.
Peter: Et est-ce que vous savez transformer le plomb en or?
Théo: Je ne me suis jamais intéressé à la transmutation des métaux, Peter.
Comment lui, disciple de l'abbé Trithemius de Sponheim, pouvait-il douter de sa possibilité, lui qui avait lui-même travaillé aux mines des Függer, qui avait vu comment croissaient et se développaient les métaux?
Théo: Pour moi, le véritable but de l'alchimie est de fabriquer des substances divines ou subtiles qui permettent de guérir. Les alchimistes qui cherchent à transformer les métaux vils en métaux nobles sont de parfaits imbéciles qui battent la paille.
Juan avait muselé sa méfiance coutumière. Il devait s'avouer qu'il appréciait cette détente improvisée. Sa blessure cicatrisait bien, il mangeait et ses forces revenaient.
Le repas achevé, Hans avait reprit son guet impassible. Il s'était positionné de manière à voir tout à la fois la pente et la danseuse, partageant son attention entre elles deux. Peter empli un pot d'étain qui fut placé à chauffé sur le feu. Assis sur un tronc, le savant sortit de son gilet une pipe, une blague à tabac et un sachet d'herbe qu'il tendit au jeune archer afin qu'il puisse préparer une infusion digestive.
Il était prêt à s'expliquer.
Théo: Eh bien, John Mendson, de toute évidence, ce cher Zarès t'en veut... Nous ne serons pas trop de quatre pour l'affronter.
Depuis le serment, le tutoiement leur était venu naturellement.

:
Zarès? Le connais-tu? Pourquoi ce sorcier en a-t-il après moi?
Les traits habituellement enjoués du mage se contractèrent, tout d'un coup marqués d'un chagrin écrasant.
Théo: J'ignore pourquoi Zarès peut vouloir ta mort. Mais je sais qui il est, effectivement. Un renégat qui agit sous les ordres de la France...
Théophraste marqua une pause le temps d'allumer sa pipe. Un nuage blanc, odorant, s'éleva dans la nuit. Il plongea son regard dans celui de son interlocuteur et reprit:
Théo: Tu dois avoir un ennemi puissant au sein de ce royaume... Suffisamment puissant pour lancer à tes trousses la garde Écossaise accompagnée d'un sorcier. Et ce, si près des forces de l'Empire! Que leur as-tu donc fait, John?
Haussant les épaules, le Catalan répondit:

: Aucune idée.
C'était vrai. Mendoza ne savait rien à ce sujet. Et cela l'inquiétait, d'ailleurs. Y avait-il un rapport avec sa mission? Illogique puisque c'était la France qui avait invoqué l'aide de l'Angleterre. Le
Yeoman aurait bien voulu pouvoir contacter Charles Brandon, le duc de Suffolk.
Théo: Je connais Zarès sans vraiment le connaître. Ce que je veux dire, c'est que je n'ai jamais vu son visage.

: Comment ça?
Théo: Il l'a toujours dissimulé sous son ample capuche. Je n'ai jamais pu contempler ses traits et pourtant, nous avons étudié ensemble durant plusieurs années. Naguère, il a été corrompu par le roi de France. Il a vendu ses talents pour obtenir le pouvoir. Je dois l'arrêter, une bonne fois pour toutes. Il a déjà fait bien trop de mal.
Un soupir navré suspendit cette confession. Après avoir tiré sur sa pipe, le mage reprit d'une voix douce:
Théo: Autrefois, Zarès était un homme bon et doux. Responsable des antiquités à l'université de Heidelberg, en Allemagne. Peu après la signature de la paix perpétuelle entre la Confédération et la France, il fut chargé par notre ordre, la Confrérie Celtique, d'étudier un artéfact découvert lors de la fouille d'un site antique, un temple abandonné au fond de l'eau, quelque part en Égypte. Comme à son habitude, Zarès se dévoua entièrement à sa tâche. Pour notre plus grand malheur, cette fois... Cet artéfact, une pyramide bleue créée par on ne sait qui, pervertit insidieusement son âme et altéra son esprit. Ayant succombé à l'attrait du pouvoir, il disparut avec l'objet, sans laisser de trace, si ce n'est le corps de notre mentor, Johannes Trithemius, qu'il avait sauvagement assassiné et abandonné au monastère de Wurtzbourg. Moi, j'étais parti en visite chez mon père, à Villach en Autriche. Je suis retourné en Bavière pour enterrer mon... notre maître. Sans aucun remords, Zarès rentra au service des seigneurs Français. Ses nouveaux protecteurs, ses formateurs, devrais-je dire, se révélèrent trop heureux d'utiliser sa soif d'ambition. Une soif engendrée par cette pyramide maudite.
Théophraste se redressa pour lancer à la face des étoiles:
Théo: Oui, Zarès a cette pyramide. Un artéfact qui contient les plans de nombreuses armes aux grands pouvoirs de destruction. S'il réussit à les fabriquer, cela le rendra presque invincible. Je dois l'arrêter. Telle est la tâche que m'a confiée le duc de Savoie... Je piste ce renégat depuis maintenant seize ans. Nous ne sommes plus que trois...
Le mage plissa le front en signe de contrariété.
Théo: Il m'est aujourd'hui impossible de le combattre de front. J'ignore quelles armes se cachent sous la robe qu'il porte. Il doit disposer d'un attirail bien supérieur au mien. Un attirail purement destructeur. Quant à ses défenses, elles doivent valoir les miennes.
Songeant à ce qu'il aimerait infliger au nommé Zarès, l'Espagnol lâcha:

: Eh bien si l'attaque frontale ne marche pas, nous nous fierons à la ruse! Je trouverai un moyen...
Mendoza se leva et, tout en se frottant pensivement l'arrête du nez, disparut dans la nuit.
☼☼☼
Théophraste bourra une deuxième pipe. Les deux Suisses restaient à leur poste, peu désireux de participer au conseil de guerre. Ils avaient toute confiance dans les décisions du mage.
Macumba vint leur servir une tisane. Après quoi, elle s'allongea dans la tente car elle avait bien peu dormi la veille.
Mendoza réapparut sans bruit, faisant sursauter le savant. Ce dernier roula des yeux et gronda:
Théo: Non, mais ça ne va pas? J'ai failli avoir une attaque! Par le sang du Christ, ne me refais plus jamais un truc pareil!
Avec une ébauche de sourire, le capitaine dit:

: Désolé, Théo! Je pense avoir trouvé quelque chose pour vaincre nos ennemis. Quelques questions, tout d'abord.
Désignant les frères du menton, le
Yeoman demanda:

: Lequel est le meilleur archer des deux?
Le mage pesa sa réponse. Il finit par annoncer:
Théo: Peter est brillant. Mais le meilleur est sans conteste Hans.

: Est-il
bon? Je veux dire, vraiment bon?
Théo: Ah! Entends-moi, John. Nous parlons d'archers Suisses. Hans a été nommé dans les rangs de la Compagnie
Guillaume Tell. Il fait donc partie de l'élite malgré sa jeunesse. Crois-moi... Il touche
tout ce qu'il vise, tout simplement. Et à des distances que tu n'imagines même pas!
Tout en discourant, le mage agitait sa pipe en tout sens.

: Hum... Dis-moi encore, Théo, à propos de Zarès... sa pyramide. Il la garde sur lui?
Théo: Je ne sais pas.

: Il faudra vérifier.
Théo: Impossible! Personne ne pourra l'approcher d'assez près pour la lui prendre. Même par surprise. Sans compter les soldats dont il sera entouré.
Son regard allumé par une lueur vindicative, Mendoza répondit:

: Personne n'a parlé de l'approcher.
Il se leva.

: Ne bouge pas, je reviens...
Sans rien ajouter, il alla s'entretenir avec Hans, se baissant un moment pour dessiner sur le sol une image qu'il montra au forestier. L'archer se mit à opiner. Ils devisèrent encore quelques minutes. Théophraste en profita pour allumer sa pipe. Juan vint reprendre sa place auprès de lui, pensif mais décidé.

: Bien. Très bien....
Le Catalan soupesait la somme d'informations qu'il avait récoltées tandis que le fumeur finissait sa pipe, en regardant les petites flammes du feu danser dans la nuit. Au moment où le savant allait s'offrir une autre tisane, Mendoza déclara:

: Les Français vont fouiller le coin jusqu'à trouver notre trace. Nous devons agir avant qu'ils ne se déploient. Voilà comment je vois les choses, tu me diras ensuite de quelle façon ta science pourra m'appuyer...
Les deux hommes parlèrent jusque tard dans la nuit, avant de mettre au point un plan considéré comme acceptable. Hans fut mis à contribution. Il préleva une série d'objets dans son paquetage et se plaça à l'écart, confiant la garde à son frère. Bientôt, son chant léger, presque un murmure, s'éleva dans l'obscurité, berçant la Gitane profondément endormie.
Le sommeil tardif de Mendoza fut accablé de cauchemars. Toujours. Encore et encore.
Il courait dans la pénombre humide d'un tunnel profondément enfoui sous la terre. Des voix narquoises l'entouraient, l'aiguillonnaient. Puis vinrent les bruits de métal frotté sur la roche, suivis des halètements malsains. Son armure était bosselée, noircie, souillée de sang. Il n'avait pas d'arme. Pas même sa dague, qui pourtant ne le quittait jamais. Il jetait des regards inquiets derrière lui, où régnait un noir opaque. Y résonnaient les jappements excités de trois loups qui le pourchassaient. Sans arme, les affronter serait un suicide. Mendoza accéléra l'allure. Il finit par déboucher dans une petite caverne. Elle était vide. Une ouverture dans la roche au niveau du sol attira son attention. Il n'y avait pas d'autre issue. Il était coincé. Les bruits de poursuite se faisaient plus forts. Le capitaine avait à peine la place d'entrer dans le boyau qui lui faisait face mais se força car il n'avait pas le choix. Il s'allongea donc à plat ventre et, se tassant du mieux qu'il pouvait, s'engagea dans le conduit.
Il rampa ainsi un bon moment. Le tunnel montait par endroits, descendait dans d'autres. Le grincement de son armure qui raclait la roche lui hérissait les nerfs. Derrière lui, des grondements ne firent qu'accentuer sa nervosité. Les loups le suivaient toujours et il ne pouvait pas se retourner pour y faire face.
Le rire. Ce rire moqueur l'environnait de toutes parts. Se gaussant de ses efforts comme un vent funèbre.
À force de reptation, le front entaillé, il finit par déboucher, à sa grande surprise, dans la cathédrale de Barcelone. L'y attendaient une centaine de sorciers.

Quelques-uns parmi eux ôtèrent leur capuche. Juan découvrit ses Compagnons. Silencieux, la mine grave, sinon hostile.

:
Ah, vous êtes là! Enfin... Il y a des loups après moi... Ils sont trop nombreux. J'ai besoin d'aide, les amis. Avec vous...
Un halo de lumière l'aveugla, l'empêchant de terminer. Lorsqu'il retrouva la vue, les Compagnons s'étaient transformés en animaux.
Pedro Folc de Cardona incarnait un massif lion de la savane au pelage doré, Pero Laxo une hyène tachetée aux crocs bavants. Alfonso Beyra prit l'apparence d'un varan de grande taille aux mâchoires puissantes, sa langue bifide sifflant de colère. Diricq de Melo était devenu un énorme ours noir aux yeux rouges de haine. Et Diego d'Ordongnes, un hibou gris dont les cris écorchaient les tympans. Des prédateurs avec tout ce qu'ils pouvaient exhaler de sauvage, de terrifiant, de carnassier et de sanguinaire.
Moustique était de nouveau leur proie, leur pitance. Il était sans armes.
Ils bondirent sur lui en rugissant, en vagissant. Seul le hibou voleta hors de portée. Ses yeux, ceux de Diego, étaient emplis de pitié. Les autres le submergèrent.
Leurs crocs et leurs griffes avides le déchirèrent sans qu'il puisse rien faire pour se défendre. D'abord, le métal de son armure, qui fut lacérée aussi facilement que du papier, puis sa peau, faisant jaillir le sang, et ses os, fracassées par les mâchoires frénétiques des prédateurs.
Dans son cauchemar, Mendoza hurla à s'en déchirer les cordes vocales.
À suivre...
*
*Armaillis: Bergers typiques des Alpes Fribourgeoises et Vaudoises.
*Youtse: Technique de chant Suisse utilisant les onomatopées et pouvant s'apparenter à la tyrolienne Autrichienne ou Bavaroise.
*Chablis: Arbre déraciné.
*Longbow: Arc long Anglais très puissant, d’environ 2 mètres de long, très utilisé pour la chasse et la guerre.