Nos Chemins sous la Lune - 4-7
Les premières fois que Killa a croisé cet étranger, ce n'était que pure coïncidence. Mais après leur dernière rencontre, où elle s'est autorisée à entrer dans son monde le temps d'un nouveau mot, elle n'aurait plus su prétendre à la coïncidence.
Elle n'a jamais connu quelqu'un comme lui. Quelqu'un de si différent de ce qu'elle connaissait, même des autres pays. Et elle se mentirait à elle-même si elle prétendait ne pas être intéressée. Cet homme avait d'étranges manières, parlait une langue incompréhensible, et avait une allure intrigante. Le souvenir de ses yeux d'or la suivait bien après leur rencontre, comme une énigme en quête de réponse qui la tiraillait jusqu'à ce qu'elle la résolve. Et même si elle avait des devoirs et des obligations à respecter, cette énigme avait pris sa place au fond de son esprit.
Dans son temps libre, elle marchait innocemment dans le village, sous prétexte de cueillir des herbes ou admirer des vues revues. Elle parcourait la foule d'un discret regard, espérant voir une cape rouge ou des cheveux bruns au détour d'un chemin. Bien sûr, elle devait faire attention et ne pas s'attirer les remarques des autres vestales; sa curiosité ne devait pas s'emparer d'elle. C'était là tout ce qu'il y avait: de la curiosité, point à la ligne.
La prochaine fois qu'elle le vit fut par un matin ensoleillé, sur le chemin de pierres qui menait à la montagne. Elle cherchait des fleurs médicinales près des rochers, lorsqu'elle le vit se tenant sur les lourdes marches de pierre, les yeux tournés vers l'horizon. Elle fit de son mieux pour rester silencieuse, afin de pouvoir le regarder, ses cheveux flottant au vent. Il ne s'était pas rasé depuis un moment, il semblait, car ses joues semblaient grisées; mais ça lui donnait un petit air sauvage qu'elle aimait bien tout de même.
Pendant une minute, rien ne se passa. Il se tint là, immobile, comme s'il attendait. Elle se demandait ce qu'il faisait, et pourquoi. Mais au moment où elle s'apprêtait à partir, il bougea enfin; il se pencha en avant, saisit les pierres sous ses mains, et poussa sur ses jambes pour se tenir sur les mains. Elle ouvrit de grands yeux devant un tel spectacle, qui ne dura pas: l'instant d'après, il tomba à terre, son dos heurtant le sol avec un bruit de douleur.
Elle ne put retenir le rire qui lui échappa.
Il se releva, la regardant comme s'il venait tout juste de la remarquer. Elle se couvrit la bouche et essaya de se taire, mais son sourire la trahissait. Elle n'y pouvait rien, c'était si drôle! Un homme si grand et imposant, dans une position si ridicule! Qu'elle se sentait cruelle, mais cruelle!
L'homme se releva, époussetant ses vêtements avec un petit sourire en coin. Il rigolait aussi, et la désigna du doigt en disant quelque chose qu'elle ne comprit pas. Mais elle en saisit tout de même l'essentiel.
Elle prit un air hautain, et se tint sur la pierre où il se trouvait. Puis, le fixant d'un œil supérieur, elle se baissa et se tint en parfait équilibre sur ses mains, pour lui clouer le bec. Et ça marchait! Son expression choquée, alors qu'elle descendait les marches de pierre, n'avait pas de prix. C'était juste un petit tour qu'elle avait mis au point durant son temps libre, et elle en cueillait maintenant les fruits. Sa robe ne glissa même pas alors qu'elle marchait vers la terre battue, pour retomber sur ses pieds dans une pirouette gracieuse. Elle le regarda alors avec ce même sourire de défi, les bras croisés, sa supériorité prouvée. Et une fois encore, son visage valait tout l'or du monde.
Il siffla, applaudit d'admiration. Elle s'inclina comme une danseuse après une représentation, avec élégance, et l'entendit rire. Il regarda autour d'eux, puis désigna un arbre au loin, pencha ses mains vers le bas. Son doigt alterna entre eux deux, et elle comprit alors qu'il voulait faire la course. Eh bien soit! Jamais elle ne refuserait un défi.
Ils prirent leur départ là où les marches de pierre En un rien de temps, elle était à nouveau sur les mains, les jambes en parfait équilibre. Il essaya de la suivre, mais n'avait pas tout son entraînement, et ses pas tremblaient un peu. Elle marchait lentement et avec attention, presque pour le provoquer, mais surtout pour lui donner une chance. Comme elle s'y attendait, il tomba au sol, et elle resta à sa place pour l'attendre. Sa voix sonnait comme un grognement de plainte, et elle en rit un peu plus.
« Allez, relevez-vous! Vous pouvez y arriver. », encouragea-t-elle.
Il essaya de se relever, frottant son dos là où il était tombé. Pendant un moment, elle crut qu'il s'était fait mal, et se laissa tomber à son niveau pour voir s'il allait bien. C'est alors qu'il sourit, et se remit sur ses mains pour la dépasser.
« Mais quel tricheur! »
Jamais elle ne le laisserait gagner avec de tels coups bas! Elle le suivit rapidement, avec la ferme intention de gagner. S'il voulait être sérieux, elle serait aussi sérieuse que possible! Elle le rattrapa rapidement, le regardant d'un œil noir, mais dans sa hâte ce fut à son tour de s'emmêler les mains et de tomber au sol. Ouille, la douleur.
Même si ce type était un tricheur, il savait ce qu'était le fair-play. Cette fois-ci ce fut à son tour de s'arrêter et de l'aider, lui offrant une main pour la relever. Quelle forte poigne! Encore un peu et il la soulevait en l'air.
« Merci. », dit-elle, époussetant sa robe. «
Ef...charistò. »
Il sourit, apparemment heureux d'entendre sa langue maternelle. Avant de laisser aller sa main, toutefois, il l'entraîna gentiment, pour marcher vers l'arbre. À pied, cette fois-ci; elle l'apprécia volontiers.
Ils se contentèrent de marcher vers la ligne d'arrivée, calmement et sans que personne ne tombe sur ses fesses. Un agréable changement où personne ne se salirait plus que maintenant. Et pour être honnête, elle le préférait ainsi.
Ils franchirent la ligne ensemble, et échangèrent un regard. Cet homme était quelque peu frimeur, mais il avait le même esprit de compétition qu'elle. Après des années au sommet, cette petite course lui avait fait du bien. Peut-être que ce ne serait pas si mal d'apprendre à le connaître, non? Il avait l'air si seul. Et s'il ne parlait pas quechua, il aurait du mal à s'intégrer.
Lentement, elle porta la main à son cœur.
« Je m'appelle Killa. »
Elle parla lentement, pour qu'il comprenne. Il la regarda pendant un moment, absorbant l'information. Puis posa la main sur son cœur à son tour.
« Je me pelle...Athanaos. »
Quel nom étrange! Elle n'en a jamais entendu de tel.
« Athanaos. », répéta-t-elle, détachant les syllabes.
Il acquiesça avec un sourire. Elle le lui rendit, et le salua de sa main.
« Je suis ravie de vous connaître, Athanaos. »
« – Je suis...ravi connaître, Killa. »
Il hésitait un peu, mais il apprenait. Cela lui donna quelques idées sur comment passer un peu plus de temps avec cet étranger si intriguant, et peut être en savoir plus sur son monde.
~~~~~
La vestale chercha dans son panier, et cette fois-ci elle en tira un long épi de petits grains dorés comme il en a vu grandir sur ces hauts plants alentour.
«
Sara. », énonça-t-elle clairement.
Il le prit en main, l'observa. Il n'en a jamais vu cuisinés, et la texture était étrange. Mais ça avait l'air délicieux.
«
Sara. », répéta-t-il. « Maïs. »
Elle sourit, acquiesça.
« Vous faites bien. »
« – Merci. »
Il sourit à son tour, avant d'y goûter à pleines dents...et de presque le recracher une seconde plus tard, car il venait de mordre droit dans le cœur. Killa eut un petit rire face à tant de naïveté.
« Ne mangez pas plante. », dit-elle en mots simples. « Mangez graines. Comme ça. »
Et elle mangea son propre épi, lui montrant comment goûter aux délices de ces petits grains. En effet, c'était plus facile ainsi, et il sourit de sa propre bêtise. Il aimait l'amuser, voir ce petit sourire en coin décorer son visage, mais il ne le dirait à personne et certainement pas en face.
« C'est bon. », dit-il après quelques bouchées.
En toute honnêteté, la nourriture de ce pays était délicieuse. Cela faisait quinze jours qu'elle lui apportait quelque chose de nouveau chaque jour, pour lui enseigner autant de mots que possible. C'était si gentil de sa part d'aider ainsi un pauvre homme comme lui, et le faisait se sentir deux fois mieux. En retour, il faisait de son mieux pour apprendre autant de mots que possible, afin d'avoir une vraie conversation avec elle. Car il sentait bien qu'elle avait beaucoup de choses intéressantes à dire.
Quand il était seul, il écoutait les gens, essayait de voir quels mots et phrases revenaient le plus souvent. Et quand il était avec elle, alors qu'elle en avait fini avec ses tâches quotidiennes, il lui demandait et elle expliquait. Il désignait des choses, qu'elle nommait; il dessinerait dans le sable ou les graviers, et elle essayerait de deviner ce qu'il voulait dire à travers son talent artistique incertain. Ce n'était pas la meilleure méthode au monde, mais ça marchait pour eux; en deux semaines, il avait appris le nom de pas mal de plantes, d'animaux, d'aliments et d'outils qu'il pouvait trouver au village. Il savait saluer quelqu'un, se présenter, les rudiments de la politesse et quelques questions utiles. Et à voir comment il ne parlait pas un mot il y a encore peu de temps, c'était un progrès conséquent!
Toutefois, il se sentait mal, car il ne pouvait rien lui offrir en retour. Il a pensé à lui apprendre une autre langue, mais il ne voyait pas en quoi elle pourrait un jour avoir besoin de parler grec, latin, espagnol, français ou chinois, donc il oublia vite cette idée. Il n'avait rien de précieux à lui offrir en cadeau, et elle refuserait certainement, humble comme elle était. Donc la chose la plus logique à faire était de faire de ce moment de la journée un moment plaisant qu'elle aimerait passer en sa compagnie. Et le meilleur moyen d'y parvenir était de la faire rire.
Alors qu'ils mangeaient, il ramassa une brindille au sol, et lui tapota l'épaule pour avoir son attention. Une fois sûr de l'avoir, il fit tenir la brindille en équilibre sur son nez comme un phoque, réussissant à la maintenir droite. Elle cligna des yeux de confusion, une expression perdue mais si amusante qui le fit sourire. Mais c'est alors que la brindille tomba de son nez; d'un geste, elle la rattrapa avant qu'elle ne touche le sol.
« Tiens. Vous avez perdu ça. »
Elle remit la brindille dans sa poche, la tapotant. C'est alors qu'il perdit son sérieux, et se mit à rire aux éclats.
Il ne savait même pas pourquoi! Un petit quelque chose rendait son timing juste parfait, et il l'adorait. Si elle continuait ainsi, aucune de ses bêtises ne pourrait dépasser le comique des petites actions de Killa. Et pour être honnête, ce ne serait pas un problème, car elle avait l'air d'aimer le faire rire aussi. C'était rien de bien difficile.
Elle sourit, ramassant une autre brindille similaire. Athanaos prit la sienne en main pour les comparer; et avant qu'ils ne s'en rendent compte, ils se mirent à se battre comme avec de petites épées. Sans raison autre que l'envie d'être idiots, ils frappèrent leurs épées comme des escrimeurs en plein tournoi. Et c'était bel et bien idiot! Mais ils s'en amusaient, et très vite se mirent à rire à nouveau. Parfois, ce qui n'avait pas de sens était drôle, et tous deux le savaient.
« Bien, bien. », dit-elle après un moment de combat. « Posez l'épée. Mangez. »
« – Je mange. », acquiesça-t-il, revenant à son repas de maïs et de soupe aux légumes.
Et c'était un très bon repas. Il devrait apprendre à le préparer, ne serait-ce que pour apporter un peu de couleur et de joie dans sa vie. Lui apprendrait-elle, s'il demandait gentiment?
Du coin de l’œil, il la vit faire de petits mouvements avec son épée, toujours d'humeur à se battre.
~~~~~
« Maintenant, mettez votre bras en avant. Comme ça. »
Killa suivit son conseil, et répéta le geste, perçant la grosse feuille devant elle.
« Comme ça? »
« – Comme ça. N'ayez pas peur. »
Elle acquiesça, et recommença. Cette fois l'épée perça plus droit, sans hésitation.
« C'est bien, vous vous y prenez bien. », assura Athanaos. « N'oubliez pas. Gardez les jambes écartées. Pliez les genoux. »
« – Je ne peux pas vraiment les écarter plus. »
Elle s’élança à nouveau, cette fois avec un mouvement tranchant; la feuille se retrouva déchirée, presque coupée en deux.
« Vous faites des progrès. Maintenant retournez à votre position de départ. »
Elle s'exécuta, hésitant sur la manière d'orienter ses pieds. Mais ce n'était pas dur à apprendre, surtout avec un aussi bon maître.
En remerciement de son aide linguistique, Athanaos avait voulu lui apprendre à se battre à l'épée, suivant leur petit duel de brindilles l'autre jour. Elle n'en voyait pas l'intérêt, mais il lui confia que ça pouvait toujours se rendre utile. En cas de danger, elle saurait se défendre elle et ses amies. Et bien qu'elle trouve toujours les épées étranges, elle avait tout de même accepté, ne serait-ce que pour avoir un autre regard dans le monde d'Athanaos.
Un monde qu'elle découvrait lentement. Il ne parlait guère de ses origines, mais elle savait qu'il avait vu de multiples pays et traversé mers et océans, certains dont elle apprenait tout juste l'existence. Elle adorait la manière dont ses yeux brillaient dès qu'elle lui en demandait des détails, et la façon dont sa voix vibrait quand il lui disait tout. Il essayait de construire son histoire avec les mots qu'il connaissait, et avait visiblement du ma, car il avait tant à dire, tant à raconter. Et elle adorait écouter ces histoires d'un autre monde.
Elle perça son épée à nouveau, et la feuille fut découpée en deux. Il applaudit, la ramassant et observant la coupure.
« Vous êtes douée! »
« – Merci. », s'inclina-t-elle. « J'apprends du meilleur, après tout. »
Il sourit, et reprit l'épée dans sa main pour un moment, l'échangeant contre la feuille coupée. À son signal, elle la lança en l'air, et il la trancha d'un geste souple. Quelle curieuse façon de faire de la salade! Elle applaudit avec un bruit admiratif, pour le flatter quelque peu.
« Maintenant, je saurai me défendre si un arbre m'attaque. »
Il s'esclaffa à cette remarque, se tenant ure son épée comme sur une canne.
« Au pire, je peux vous défendre. »
« – Ah, vraiment? Pouvez-vous me défendre contre...les piranhas? »
Elle piocha un simple poisson dans son panier, et l'agita devant lui. Il fot mine d'être terrorisé, et prit son épée en main.
« N'ayez crainte, gente dame! Je vous sauverai de ce diable des mers! »
Et il le toucha du bout de sa lame, d'une manière qui brisait totalement son allure de preux chevalier, tout son acte héroïque disparu au profit de gamineries. Et comme prévu, elle en rit aux éclats.
« Oh, mon brave guerrier! Vous m'avez sauvée de ce maléfique poisson-chat, au péril de votre vie! »
« – C'est un honneur de vous aider, ma belle dame. »
Il rengaina son épée, s'agenouilla devant elle, et baisa sa main comme un noble de la cour. Devant tant de ridicule, elle rit davantage encore. C'était juste trop!
« Qu'est-ce...qu'est-ce que vous faites, voyons? », put-elle souffler entre deux rires.
« – C'est comme ça qu'on montre son respect à une dame, en Europe. »
Elle parvint à contenir son rire, à le réduire à de petits souffles amusés.
« Vous n'êtes plus en Europe, enfin. Relevez-vous donc. »
Elle tira sa manche jusqu'à ce qu'il se relève. Puis, elle posa les mains sur sa poitrine, et les lui offrit, tête baissée.
« C'est comme ceci que l'on respecte une dame, ici. »
Il prit ses mains, l'air confus.
« Suis-je la dame, dans ce cas? »
« – Vous n'avez jamais dit le contraire. »
Il s'esclaffa, et acquiesça, car elle n'avait pas tort.
« Comme vous le voudrez. »
Et il lui offrit ses mains, s'inclinant respectueusement. Elle fit mine d'être délicate, avant d'accepter sa requête.
« Il vous faut encore apprendre de nos coutumes. », dit-elle. « Si vous tenez à rester. »
Il la regarda.
« Vous...voulez bien m'apprendre, dans ce cas? »
Ça la fit sourire.
« Bien sûr. »
Elle laissa aller ses mains, et reprit l'épée à sa ceinture.
« Mais d'abord, apprenez-moi à me battre. »
« – Avec plaisir, noble dame. »
Il s'inclina profondément, et reprit la leçon.
~~~~~
« Comment s'appelle celle-là? »
Il tourna la tête, pour voir celle qu'elle désignait.
« Celle avec les trois étoiles? Nous l'appelons Orion. Un chasseur légendaire qui fut tué par un scorpion envoyé par les dieux.
« – Un chasseur? Comme c'est exotique. »
« – Pourquoi? Comment l'appelez-vous? »
« – La constellation de la Tortue. »
« – Une tortue? Je ne vois aucune tortue. »
« – Juste ici! »
Elle lui montra la carapace, les pattes et la tête de l'animal. Athanaos plissa les yeux et inclina la tête, essayant de les voir.
« Je suppose que...si on la regarde comme ça, on dirait une tortue? »
« –
C'est une tortue. »
« – Peut-être pour toi. Mais moi je vois l'arc et la massue du chasseur, juste là. »
Elle roula des yeux, mais essaya tout de même de voir ce qu'il montrait.
Athanaos a un jour entendu dire que s'il comprenait une culture, il comprendrait ses gens. Un proverbe qui s'est avéré vrai, car au cours de ses voyages il a beaucoup appris des cultures du monde et de leurs aspects uniques, de ce qu'elles avaient de nouveau et d'intrigant. Mais bien qu'il comprenne la différence qu'elles avaient avec son propre savoir et ses valeurs, il y aurait toujours quelques points de discorde de temps à autre. Cette nuit-là n'en était qu'un exemple parmi tant d'autres. Il a proposé à Killa de se rendre sur la colline pour observer les étoiles ensemble, car cette nuit serait très claire, et elle a accepté de se faufiler hors du temple pour le rejoindre dans ces hauteurs. Et maintenant qu'ils s'y trouvaient, allongés dans l'herbe sous la chaleur de l'été, ils s'amusaient à comparer les noms qu'ils donnaient aux constellations du Sud.
« Et celle-là? La recourbée? »
Athanaos se rassit, essayant de mieux la voir.
« Je crois que...c'est le Scorpion? »
« – Le Scorp- c'est un serpent! Où vois-tu un scorpion? »
« – Mais regarde! Tu as le dard, les pinces juste là. Je sais qu'il faut vraiment faire un effort pour les voir, mais il est là! »
« – Là, tu es juste ridicule. »
« – Mais c'est vrai! Je te dis que c'est un scorpion. »
« – Et je te dis que je vais te mettre un scorpion dans la bouche d'ici cinq secondes si tu n'admets pas que j'ai raison. »
D'un air hautain, il lui lança un regard de défi.
«
Tu n'oserais pas. »
Elle ricana. Et avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, elle l'avait plaqué dans l'herbe.
« Attention! », dit-elle, assise sur son torse. « J'ai dans la main un scorpion venimeux, et je n'ai pas peur de m'en servir! Oh non, il s'échappe! Il te grimpe dessus! »
Et elle se mit à lui chatouiller les côtes, imitant la démarche effrénée d'un scorpion. Athanaos éclata de rire, essayant de la faire tomber, mais elle le tenait trop solidement.
« Quelle agonie! », rit-il. « Quelle douleur, quelle souffrance! Que quelqu'un m'achève!! »
« – Tu n'auras pas cette pitié, faux prophète! Tu t'es attiré les foudres du dieu du ciel! »
Elle glissa ses doigts sous ses aisselles et chatouilla, jusqu'à ce que le pauvre homme ne pleure et se torde de rire.
« Arrête! Arrête, je t'en prie, je me rends! J'exige un procès équitable! »
« – Tu te rends donc? Très bien, je me montrerai clémente. »
Elle retira ses mains, mais le maintint au sol.
« Je ne t'exécuterai pas...du moins, pas aujourd'hui. »
Athanaos força son expression de soulagement.
« Les étoiles soient louées. »
Et puis, il sourit comme un idiot.
« En particulier le grand scorpion dans le ciel. »
« – Ah non, là tu l'as cherché! »
Et elle se remit à le chatouiller. Il essaya à peine de se débattre; à la place, il glissa ses mains sur elle pour la chatouiller en retour. Évidemment, elle était plus sensible que lui, et c'était si drôle de la voir se tortiller comme un ver pour se défaire de lui. Très vite, ils en vinrent à se battre à coups de plaquages, de petits bonds et de mains chatouilleuses, ponctuées de roulades qui les rendirent très vite couverts d'herbe et épuisés.
Ils y restèrent un long temps. Quand ils s'arrêtèrent, limités par leur poumons criant fatigue, ils se rendirent compte de ce qu'ils faisaient et se relevèrent lentement, s'éloignant l'un de l'autre. Ce n'était pas une façon de se comporter! Ils essayèrent de se remettre en ordre, d'épousseter l'herbe dans leur cheveux et de calmer la sueur et le rouge qui leur montaient à la peau.
Mais malgré tout, ils continuaient de rire, en petits souffles fatigués. Ils se regardèrent, mais leurs yeux s'éloignèrent à nouveau.
« On n'a qu'à dire que...c'est à la fois un serpent et un scorpion? », offrit-il après un silence gêné.
Elle hocha rapidement la tête.
« Nous pouvons l'appeler...un serpion?
Katasira? »
« – Bonne idée. »
Il sourit, assez timide. Et avec tout autant de rouge aux joues, elle lui rendit ce sourire.