Suite.
CHAPITRE 9.
Vallée de l'Authre*, causses du Quercy.
Après avoir descendu prudemment la pente, Mendoza et Macumba galopèrent à la rencontre des roulottes. Les trois véhicules cahotaient à faible allure dans la plaine. Aucun signe, ni des ours, ni de la patrouille qui les avait pourchassés. La danseuse proposa:
Mac: Il vaudrait mieux que je leur parle, non?

: À ta guise.
Le capitaine ne craignait rien des nomades. Ils étaient reconnus tant pour leur probité que leur hospitalité. Encore qu'ils soient méprisés par la plupart des gens en raison de leurs mœurs singulières.
La Gitane s'approcha à portée de voix de la caravane et débuta les salutations d'usage:
Mac: Que le vent vous guide, Père du Convoi.

: Que les étoiles éclairent ta route, Petite Sœur.
Le chef de famille avait un visage tanné par le soleil et plissé par des rides où la gaieté entrait pour une bonne part. Une expression de franchise et de sagesse animait ses traits usés. Avec lui, une femme, un garçon et deux jeunes filles. Leurs enfants, très certainement.

:
Une famille inoffensive, protégée par sa pauvreté. (Pensée).

: Petite Sœur, que puis-je pour toi?
Mac: Père du Convoi, mon compagnon et moi te demandons l'hospitalité de la route. Nous avons besoin d'aide.

: Mes biens sont les tiens. Demande...
Macumba lui raconta qu'ils étaient recherchés par les troupes de l'Empire, sans plus d'explications. Elle demanda à pouvoir descendre la route du sud avec eux, cachés dans les roulottes.
Le chef Gitan se tourna vers Mendoza, qu'il dévisagea intensément mais sans hostilité ni méfiance.

: Et si ces soldats nous arrêtent et fouillent les roulottes? Ton ami ne ressemble pas vraiment à un Tzigane. Il sera découvert. Sauf...
Mac: Sauf?

: Laissez-moi faire. Je ne peux refuser mon aide à l'une des nôtres. Vous êtes les bienvenus. Je m'appelle Vinko. Et voici ma compagne, Mariska. Douchka et Romica, les jumelles, et Django, mon cadet.
Mendoza annonça:

: Je te paierai en retour.
Vinko: Je n'ai pas demandé d'argent,
gadjo. Nous sommes pauvres, mais pas pour autant dépourvus d'honneur!

: En effet. Je ne voulais pas t'insulter.
Le chef de famille sourit.
Vinko: Je ne me sens aucunement insulté. Mais je parle trop. Venez plutôt vous désaltérer, notre eau est fraîche. Nous partirons juste après. Django, tu conduiras le chariot de ta mère. Mariska va s'occuper de vous. Elle vous donnera de quoi vous déguiser et vous maquillera. Vous verrez, elle sait y faire. Vous serez... nos oncle et tante. Toi,
gadjo, tu devras te tasser un peu. Prends l'air idiot. Plus tu en auras l'apparence, moins on te remarquera. Macumba, couvre-toi de ce châle. Tu es désormais une vieille femme...
☼☼☼
Enfin grimés, vieillis par la main habile et douce de Mariska, l'épée du capitaine dissimulée sous l'un des chariots, ils reprirent la route. Le soleil ne parvenait pas à véritablement s'imposer. Des bandes de nuages moutonneux parcouraient le ciel à vive allure, poussés par un fort vent d'altitude.
Leur course aérienne vers l'ouest créait une impression d'altération du temps.
Vinko leur avait confié une roulotte. Enduit de boue, le Boulonnais avait été recouvert d'une vieille couverture et, comme la mule et la jument, mis à l'attache à l'arrière du chariot de l'Espagnol. Le Gitan menait son véhicule parallèlement à celui que conduisait le capitaine afin de converser.
Vinko: Je passe ici chaque année, à la même époque. Nous allons à la foire de Perpignan où je suis attendu par d'autres familles. Je suis connu des patrouilles et je n'ai jamais eu de problème.
Haussant les épaules, Juan répondit:

: Nous verrons bien. Si tu me le permets, je vais me reposer un peu dans la roulotte. Notre nuit a été mouvementée.
Mendoza était en effet harassé de fatigue et absolument pas d'humeur à bavarder.
Vinko: Dors, mon ami, dors. Je te réveillerai en cas de besoin. Nous ferons halte ce soir. Je connais un bon endroit.
Le Catalan confia les rênes à Macumba, et gagna l'intérieur de l'habitat nomade où il s'allongea comme il put. Caressant du pouce le médaillon du soleil, il s'endormit bientôt, bercé par le roulis de la verdine et les voix gaies de Vinko et de la danseuse.
Profitant des bonnes prises que lui offrait la pierre, il grimpait, s'élevant toujours plus haut sur la paroi de granit. "Moustique" était si haut qu'il ne voyait plus le sol. Le fait qu'il soit harnaché de sa lourde armure d'écuyer pour escalader la falaise en rappel ne le surprenait pas, c'était dans la normalité du rêve.
La première partie de l'ascension se déroula sans problème. À l'exception de la chaleur. L'astre du jour martelait sa cuirasse d'acier et Juan-Carlos était trempé de sueur. Malgré tout, il était heureux d'être avec les autres, de relever le défi de la falaise en leur compagnie.
Pourtant, à la halte du déjeuner, il se rendit compte que quelque chose n'allait pas.
Mendoza était assis en face des autres. Ils se tenaient en demi-cercle et étaient installés sur une langue de roche qui surplombait le vide. Les Compagnons ne lui adressaient pas la parole et ne répondaient à ses tentatives de conversation que par des gloussements narquois. Ils échangeaient des murmures complices et le regardaient par en dessous.
La suite du trajet tourna au calvaire. Les bonnes prises se raréfiaient, la roche devenait friable. Les Compagnons avaient pris de l'avance. Ils se moquaient ouvertement de lui à présent. Le soleil avait disparu derrière les nuages et le jeune écuyer était transi par le souffle glacé du vent des hauteurs. Son armure pesait de plus en plus lourd, entravant ses efforts.
Le sommet n'était plus très loin, et Mendoza soupira de soulagement en l'apercevant.
Soudain, Pedro Folc de Cardona s'écria:
-Maintenant!
À cet ordre, Diricq et Alfonso redescendirent à sa hauteur, se plaçant de chaque côté. Mais au lieu de l'aider, ils se mirent à l'accabler de coups de piolet. Juan s'accrochait tant bien que mal à sa corde, les attaques des autres le ballotaient de droite à gauche. Un rire s'éleva, toujours le même. Il se mêla au vent mauvais et gagna en puissance.
D'un coup particulièrement puissant, Diricq perfora sa spalière*, et son piolet s'enfonça dans l'épaule du jeune homme.
Ils le frappaient, sans pitié. Mendoza n'avait même plus la force de les supplier d'arrêter. Il mobilisait le peu de ressources qui lui restait pour s'accrocher à la corde. Pedro encourageait ses complices de sa voix charmeuse.
Alors que Juan ne tenait plus que par un bras, Cardona rappela les autres et descendit à son niveau. Il lui sourit et lui cracha au visage. Il dégaina une dague et entreprit de trancher fiévreusement l'épaisse corde qui soutenait Mendoza.
D'en haut, Diego le regardait d'un air apitoyé mais sans rien tenté pour l'aider.
La corde s'effilocha sous le tranchant de Pedro.
"Moustique" chuta en tournoyant. Il tomba, hurlant sa colère et sa détresse, secoué par le rire...
Le capitaine s'éveilla en sueur. Il haussa les épaules, fataliste. Ce n'était pas le premier assaut du genre qu'il subissait et probablement pas le dernier. Il reprit sa place aux commandes de la roulotte. Macumba semblait bien plus détendue. Elle lui adressa un chaleureux sourire auquel il ne répondit pas. Il ne savait toujours pas trop quoi penser de cette jeune femme. Quel était son rôle exact? Qu'allait-il faire d'elle, la laisser avec les siens ou l'emmener avec lui? Il n'eut pas davantage le loisir d'y songer.
Une escouade de mercenaires, un contingent de cavalerie légère, apparut au sud, remontant la route à toute allure sur deux files compactes, venant à la rencontre de la modeste caravane des Gitans.

:
Ils servent qui, ceux-là? La France ou l'Empire? (Pensée).
Un ordre fut brièvement lâché par l'officier supérieur et, sans que les hommes ne ralentissent, un sous-officier et quatre combattants se détachèrent de la colonne pour obliquer vers les roulottes, leurs longues lances à pointe de fer au côté. Le gros de la troupe continua vivement sa route et ne tarda pas à disparaître derrière une colline.
Les cinq cavaliers approchaient. Vinko tira sur les rênes pour arrêter la caravane. Le caporal, un brun athlétique, salua négligemment les nomades. Avec flegme, il délaissa sa lance et son écu, ôta son casque à cimier et accrocha le tout à l'arrière de sa selle.
Ils avaient une drôle d'allure.
Capuche tirée sur son visage, Mendoza gardait la tête baissée. Il s'exhortait au calme car il devait donner le change. Son instinct lui soufflait pourtant que les choses allaient mal tourner.
En temps de paix, les mercenaires se regroupaient souvent en clans et en bandes. Leur fonction principale étant leur instabilité, ils ne revendiquaient aucune appartenance à un camp précis. Sans emplois, désargentés, parcourant les routes, ils vivaient sur le territoire à la grande frayeur des populations. Ces meutes de brigands, d’écorcheurs et de malandrins de tous poils étaient appelées
routiers ou
Grandes Compagnies. Elles étaient redoutées par les petites gens. Ce phénomène prenait des proportions alarmantes. Parmi ces hommes de provenances géographiques issus en majorité de contrées pauvres, telles la Provence et les Pyrénées, on trouvait des paysans loqueteux réduits à la misère, des soudards débauchés après les combats. Rameutés en clans, ils s’adonnaient à toutes les exactions inimaginables: razzia, brigandage, viol et meurtre faisaient partie de leur passe-temps favori. Bien vite les populations ne faisaient plus guère de différence entre les soldats amis et ennemis.
Néanmoins, le meneur avait tout d'un militaire de carrière. Il jeta un œil méprisant sur la famille.

: Je suis le caporal Suárez, du troisième régiment des lanciers de l'Empire. Nous sommes à la recherche d'alliés de la France. Un ours - maudit soit-il! - a attaqué l'une de nos patrouilles sur les hauteurs, non loin d'ici. Il était probablement apprivoisé par un couple. Un homme et une femme, ou un adolescent. Tu as remarqué quelque chose, le vieux?
Le chef Gitans avait mis pied à terre pour les accueillir. Il haussa ses maigres épaules, le regard humble, jouant à merveille les imbéciles:
Vinko: Non, mon prince. Nous sommes restés sur la plaine. Nous n'avons rien remarqué. Personne ne s'est approché de nous depuis au moins une semaine.
Le sous-officier, qui ne cachait pas son mépris pour les nomades, ricana:
Suárez: Je m'en doute! Enfin... Jiménez, Horrach, fouillez-moi ces chariots. On ne sait jamais!
Mendoza se répétait mentalement:

:
Du calme. Ne pas bouger. Surtout ne pas bouger. Faire l'impotent.
Les soldats manifestèrent aussi peu d'enthousiasme que leur supérieur.
Il était clair qu'ils perdaient leur temps. Ils savaient peu probable qu'un ours puisse se cacher dans une des roulottes. Aucun Gitans n'avait jamais servi quelconque armée et un plantigrade, même domestiqué, restait malgré tout une bête sauvage. Sans une cage, elle n'aurait pu se retenir de les massacrer.
L'un d'eux vint examiner le Catalan. Celui-ci loucha, se mit à tousser comme un perdu et finit par baver sur la main du militaire.

:
Quel vieux dégoûtant!
Après cette exclamation, le lancier Horrach eut un sursaut de répugnance. Il ne prit même pas la peine de frapper le repoussant personnage. Effaçant aussitôt l'incident de sa mémoire, il se hissa dans le chariot pour effectuer une fouille aussi rapide qu'infructueuse. À l'arrière, Macumba, grimée en vieille femme, attira encore moins son attention.
Jiménez fouilla la deuxième roulotte où se tenaient Mariska et Django, en vain. Par contre, il se montra fortement intéressé par le contenu du véhicule de Vinko. Il s'exclama:
Jiménez: Suárez! Regarde ce que j'ai trouvé! Quelle belle prise! Venez mes mignonnes, venez voir l'oncle Jiménez.
Tout en parlant, il força les jumelles à descendre de la roulotte.
Jusqu'alors, le caporal Suárez s'ennuyait. Mais cette absence d'intérêt disparut soudainement lorsqu'il découvrit ce que recelait le chariot de Vinko. Deux appétissantes jeunes femmes. Il se retourna sur sa selle pour lancer un clin d'œil égrillard à l'un de ses compagnons d'armes, un barbu dont la chevelure châtain commençait à se dégarnir.
Suárez: Eh, Borges! Regarde ce que Jiménez vient de nous dégoter. Voyez ces belles donzelles! Finalement, on ne va pas perdre notre journée... À terre, les gars!
Le barbu s'esclaffa:
Borges: Sûr, Suárez, sûr! On va bien s'en donner.
Sans attendre, le mercenaire se rapprocha des deux sœurs que Jiménez avait poussées dans l'herbe, l'une à côté de l'autre. Son regard s'alluma et commença à dégrafer son baudrier.
Suárez: Les pouilleux, tenez-vous tranquilles, et tout ira bien, sinon...
La main du caporal esquissa un geste en travers de sa gorge, menace universelle que saisirent parfaitement les Tziganes.
Vinko: Non, je vous en supplie, mon prince...
Croyant que le Gitan allait le dénoncer, Mendoza posa lentement les doigts sur sa botte afin d'en extraire sa dague. Il se trompait...
Le père reprenait:
Vinko: S'il vous plaît! Mes filles... elles sont encore innocentes!
Suárez: Des vierges! Encore mieux!
Le sourire de Suárez s'accrut. S'accrochant à la manche du sous-officier, Vinko reprit:
Vinko: Non, ce n'est pas bien...
Suárez haussa la voix:
Suárez: Tu commences à m'énerver, le vieux!
Il dégaina sa dague et, du pommeau, asséna un coup violent sur la tempe du Gitan, plongeant ce dernier dans l'inconscience, une plaie sanglante au visage.
Le caporal essuya son arme, nettement réjoui.
À grandes enjambées, il rejoignit son compère Borges sur le point de dénouer ses aiguillettes.
Les autres prenaient part au spectacle. Sûrs de leur impunité, les lanciers dévisageaient les deux jeunes femmes apeurées. En un instant, horrifiées, elles se retrouvèrent la poitrine à l'air. Mendoza resta de marbre. Son rôle de grand-père débile le contraignait à l'inertie. La réussite de sa mission en dépendait. Toujours inconscient, Vinko nourrissait l'herbe de son sang. Dans le deuxième chariot, Django tentait de se défaire de l'étreinte de sa mère. Mariska ne savait que trop bien que son fils se ferait tuer s'il tentait de s'opposer aux soldats de l'Empire.
Puis, un sourire de mauvais augure aux lèvres, Suárez se pencha sur Douchka pour lui pincer méchamment le mamelon. Le cri aigu de la jeune fille, ponctué par les rires gras des mercenaires, traversa l'air jusqu'aux épaules immobiles de l'Espagnol qui se contractèrent douloureusement, frappées de ce trait sonore.
Suárez: Pas tant d'histoire, la fille, tu n'en mourras pas! Nous ne sommes que cinq!
Macumba enfonça ses ongles dans le bras du
Yeoman. Elle ne pouvait clamer son indignation sans attirer l'attention. Impuissante, elle se mit à sangloter de rage.

: Et puis merde!
Le Catalan ôta la main de la danseuse de son bras, rejeta la pèlerine qui couvrait sa cape sur le banc. Un instant plus tard, il touchait souplement le sol.
Était-ce la vue de ses anciens compagnons d'arme en train de souiller la bannière qui naguère avait été la sienne? La bonté bafouée de cette innocente famille ou son impuissance? Le souvenir proche du campement des Gitans, massacrés par les loups? Ou tout simplement l'envie d'en découdre?
Toujours est-il que le capitaine ne fit preuve d'aucune pitié.
À peine sur le plancher des vaches, il lança d'une main sûre sa dague entre les épaules du lancier posté le plus près des chevaux. Foudroyé par la mort, celui-ci s'abattit face contre terre en poussant un bref cri rauque.
Écœurant, le son de la lame fit bondir Horrach. Le soldat se dressa devant Mendoza, épée dégainée. Il était rapide. Il faut dire que, contrairement à Suárez et Borges, il était encore habillé. À peine à portée, Horrach amorça aussitôt un coup de taille vers le prétendu vieil homme qui lui avait bavé dessus.
L'Espagnol contra de son avant-bras droit pour détourner la lame vers le sol, exposant le visage du lancier. Du plat de la main, Juan frappa sèchement la base de son nez. Un ensemble de mouvements exécutés avec une telle fluidité que son adversaire ne vit rien. Horrach s'effondra à son tour dans l'herbe piétinée, son appendice nasal broyé par l'explosion de ses cartilages.
Il n'eut pas l'occasion de hurler sa souffrance. Soudain, son corps se raidit, tétanisé, tandis que ses yeux s'exorbitaient et que sa bouche s'ouvrait sur un râle. Du sang coula à la commissure de ses lèvres distendues. Couché sur le dos dans son uniforme souillé, Horrach ne bougeait plus. Seule dépassait, plantée dans son cœur, la poignée de sa propre dague.
Suárez et Borges avaient baissé leurs chausses jusqu'aux mollets. Leurs virilités dardées en l'honneur des jumelles perdirent de leur ardeur lorsqu'ils se rendirent compte qu'on les attaquait. Ils se retournèrent pour faire face au danger, tout en essayant à la fois de se rhabiller et de dégainer leurs armes, posées à leurs pieds.
Jiménez, le cinquième lancier, un grand costaud aux cheveux courts, arrivait enfin à la rescousse, épée haute. Mendoza flanqua un coup de pied latéral dans le sternum de Suárez qui s'était redressé, sa dague dans une main, l'autre occupée à retenir ses culottes. Le caporal décolla du sol pour aller percuter le lancier, tombant avec lui sur la dépouille de leur premier camarade abattu.
Juan agrippa Borges, toujours penché sur le fourreau de son arme, bloqué par son baudrier. Le barbu sentit une main se placer sous son menton, une autre sur sa nuque. Une rotation irrésistible força son cou, suivie d'un sinistre craquement sec. Une explosion de douleur, et les vertèbres de Borges se rompirent, provoquant sa mort immédiate.
Décidément tenace, le costaud revenait à la charge. Mendoza esquiva un coup de pointe, fit un pas de côté. Il riposta d'une frappe mortelle de sa main droite, ses doigts raidis écrasant sèchement la glotte de Jiménez.
Seul Suárez restait en lice.
Alors qu'il tentait de se redresser, Mariska se jeta dans ses jambes par-derrière, et le fit tomber à la renverse. Au-dessus de lui se dressa Django. Les traits figés, armé de son courroux en sus d'une dague récoltée sur l'un des cadavres. Celui qui n'était plus un enfant et pas tout à fait un homme put enfin défendre sa famille. Il laissa parler sa fureur en frappant à coups redoublés l'agresseur des siens.
La tête du caporal finit par se détacher de son corps, tomba dans l'herbe et dévala la pente, laissant dans son sillage une traînée de sang frais.
☼☼☼
Tandis que se déchaînait Mendson, Macumba n'était pas restée inactive. La tête de Vinko sur ses genoux, elle le pensait avec une douceur particulière. Le chef de famille venait à peine de reprendre ses esprits. Rejoint par sa femme, il parvint à se relever. Ses filles accoururent dans ses bras, saines et sauves.
Mendoza les laissa à leurs retrouvailles. Il entreprit de s'occuper sans perdre de temps des cadavres et de leur équipement. Tout devait disparaître. Après avoir jeté les corps dans sa roulotte, il y entassa leurs affaires. Les chevaux furent attachés, eux aussi, à la traîne. S'il les laissait en liberté, les équidés retourneraient à leur écurie après avoir brouté leur content d'herbe grasse et provoqueraient une nouvelle alerte.
Puis, il déclara au Gitan qui émergeait encore des brumes de l'inconscience:

: Vinko, dès que j'aurai fait disparaître les corps, nous nous séparerons. C'est trop dangereux pour vous. Aussitôt que l'absence de ces hommes aura été signalée, d'autres patrouilles viendront. Si je reste, je risque de vous causer du tort. Dès que tu auras rejoint la route, tes traces se mêleront à celles des autres caravanes. Vous serez libres de continuer en paix.
Vinko: Ce n'est pas après toi qu'ils en avaient, Mendson, mais à mes filles. J'ai une dette envers toi. Sans ton intervention...

: Tu ne me dois rien. Tu m'as aidé, je l'ai fait à mon tour. N'en parlons plus.
Vinko: J'en informerai les familles, lors du rassemblement. Invoque mon nom,
gadjo, et tu trouveras toujours un refuge parmi les nôtres. Mais continuez tout de même avec nous ce soir. Si tu me permets un conseil... Je connais bien la région. Demain matin, nous longerons la grande forêt de la Braunhie. Un bon endroit pour dissimuler les morts et poursuivre ta route en sécurité, à l'abri des regards.
Juan concéda:

: Soit! Demain matin.
Vinko: Parfait. Tout le monde dans les chariots. Mariska, en route!
Ils ne croisèrent plus de patrouilles et le soir venu, Vinko arrêta sa petite troupe auprès d'une élévation de terrain en forme de fer à cheval, surmontée de plusieurs rangées de pins.
Le chef de famille avait bien choisi l'endroit. Un abri contre le vent de la plaine, de l'herbe pour les chevaux, du bois pour le feu et même un modeste lac de Saint-Namphaise* afin se laver. Pour Macumba et Mendoza, c'était loin d'être un luxe.
Mariska fouilla dans ses provisions pour préparer ce qui pour les Gitans constituait un véritable festin. Les deux sœurs dansèrent en l'honneur de leurs invités, accompagnées par Django qui jouait de la guiterne et de la flûte avec une égale maîtrise. Sa mère chanta, et fut bientôt rejointe par Macumba. Leurs voix mêlées s'élevèrent dans la nuit pour célébrer la liberté, le vent et les étoiles. Après quoi, le regard pétillant, Vinko conta les légendes des Tziganes.
Lorsque Django et les jumelles finirent par aller se coucher, leur père fumait sa pipe, tout en caressant la chevelure de sa femme, la tête posée sur ses genoux.
Macumba vint se blottir contre le
Yeoman pour s'endormir. Fragilisée par ce déchaînement de violence, elle ressentait visiblement le besoin d'être rassurée. Mendoza se surprit à apprécier ce contact sans toutefois songer à en profiter. Il ne pensait qu'à trois choses. Sa mission, sa vengeance et au petit porteur du médaillon, cet emblème du soleil qu'il caressait entre ses doigts...
☼☼☼
Le lendemain matin, comme Vinko l'avait annoncé, ils atteignirent la lisière des bois.
Un rideau touffu d'orgueilleuse végétation dans un paysage karstique étonnant. La forêt de la Braunhie était parsemée de cavernes verticales, de grottes et d’abris sous roche utilisés depuis la nuit des temps par l'Homme.
Après un bref repas de viande froide, Mendoza prit la danseuse à part.

: Tu devrais rester avec eux. Tu serais en sécurité. Personne ne soupçonnera que des Gitans soient responsables de la disparition des lanciers. Vous passerez aisément les contrôles. Vinko m'a dit qu'il maquillerait ses filles pour qu'elles n'attirent plus l'attention.
Le fixant intensément, Macumba lui répondit:
Mac: Ce n'est pas le moment de nous séparer. Laisse-moi te suivre, Mendson... Je t'en conjure!
Le Catalan sonda le visage suppliant de la jeune femme. Après une brève hésitation, il soupira:

: Bon... D'accord. Mais tu vas donner cet argent à Mariska. Discrètement.
Empochant la bourse que lui tendait son compagnon, elle demanda:
Mac: Pourquoi?

: Parce que Vinko, lui, ne l'acceptera pas. Même pour ses enfants.
Surprise, la Gitane considéra Mendson qui s'éloignait pour s'occuper de son Boulonnais. Ainsi, cet homme pouvait faire preuve d'une certaine bonté.
☼☼☼
Mendoza déchargea de sa roulotte les cadavres des mercenaires et leurs armes. Il enterra le tout dans une grotte, à l'intérieur de la forêt, et prit soin d'effacer toute trace de son intervention. Les chevaux des lanciers furent relâchés dans les bois. Ils mettraient plus de temps à retourner chez eux. Un répit supplémentaire.
De retour auprès des autres, Juan considéra ses montures.
Il lui était impossible de les emmener avec lui à travers la forêt. L'étalon risquait de se blesser. Il n'était pas même sûr de pouvoir le garder jusqu'à la cité couronnée. Et après? Qu'en ferait-il?

: Vinko, j'ai un service à te demander.
Le vieil homme sourit.
Vinko: Tout ce que tu veux.

: Je souhaite te laisser mes bêtes. Je voudrais que l'étalon soit placé chez un éleveur. Un bon. Une fois arrivé à ton marché, si tu pouvais faire le nécessaire...
L'Espagnol savait que la descendance du Boulonnais assurerait au Gitan un futur agréable.
Vinko: Je comprend ton souci. Je m'en occuperai avec plaisir. Ta monture sera bien traitée. Sur l'honneur de ma famille. Je m'y engage!
Macumba fut chaudement embrassée par tout le monde. La mine austère et rébarbative du
gadjo dissuada les Gitans de l'approcher. Manifestement, il leur faisait toujours un peu peur.
Mac: Que le vent vous guide, Père du convoi.
La danseuse lâcha quelques larmes qui firent écho à celles des jumelles et de Mariska. Vinko lui offrit une chaleureuse accolade.
Vinko: Que les étoiles éclairent votre route. Petite Sœur, prends garde à toi. Mendson... peut-être nous reverrons-nous un jour.
Les roulottes reprirent leur train cahotant, accompagnées de la gaieté teintée de mélancolie d'un chant Gitan.
Suivi de la danseuse, sans un regard en arrière, Mendoza s'engagea dans la forêt.
À suivre...
*
*Authre: Le nom de cette vallée, comme celui de la commune d'Ytrac, sont de formation Celtique et dérivent du nom de pagus Gaulois Artintia (comme l'Artense) ou Actarentia qui veulent dire vallée des ours.
*Spalière: protection de l'épaule.
*Lac de Saint-Namphaise: mare creusée par l'homme dans la roche pour servir d'abreuvoirs.