![Wink ;)](./images/smilies/icon_wink.gif)
J'ai gardé le titre que j'avais prévu: Trahisons. Mais ce ne sera sans doute pas le pire chapitre que vous aurez l'occasion de lire, quoique...
Un petit rappel car pas mal de temps s'est écoulé depuis la dernière publication:
- Mendoza passe un agréable séjour chez Hava.
- Une demande de rançon parvient aux mains d'Isabella, mais elle a du mal à encaisser la nouvelle, tout comme Romegas: vingt mille écus, c'est une sacrée somme.
- Esteban, Tao et Nacir vont repêcher le trésor tranquillement pendant que Romegas part à Malte réclamer des sous au Grand Maître et que les filles veillent sur Isabella avec Gabriel.
- Ils trouvent par la même occasion un mystérieux artefact...et se demandent si les lingots ne sont pas en orichalque. Il faut qu'ils vérifient, mais la boussole est faussée par tous les trucs en orichalque qui les entourent. Esteban dépose ses amis près du Solaris II et les laisse faire le job.
- Esteban, trop impatient d'annoncer la nouvelle (ou de revoir Zia), manque de se faire surprendre par le chevalier d'Aubusson.
- Ruiz vient faire un scandale en prétendant que le lingot qu'Alvares lui a apporté n'est pas en or. Il menace Isabella.
Chapitre 18: Trahisons.
Première partie.
E : Eh, les gars ! Debout ! Le soleil est levé depuis longtemps ! Debout, allez ! Vous avez encore du boulot !
T : Huuuum ? Tu as encore du boulot, plutôt….laisse-moi tranquille !
E : Nacir ! Ne me dis pas que tu subis déjà la mauvaise influence de Tao !
N : Hein ? Qui me parle ?
Le jeune pêcheur d’éponge se força à ouvrir les yeux, mais les referma aussitôt, ébloui par le soleil. Il était allongé sur la plage, près d’un feu de camp éteint depuis longtemps. Des restes de repas jonchaient le sol, arrêtes de poisson et pépins de grenade. Non loin, Tao, les bras en croix, s’était remis à ronfler comme un bienheureux. Esteban s’approcha de lui et lui donna un léger coup de pied dans les côtes. Le naacal ne bougea pas mais grommela quelque chose comme « juste encore un peu, Pichu, s’il te plaît ».
E : Tao ! C’est moi, Esteban !
T : Il faudra que je règle mieux ce réveil…quelle voix désagréable…
E : Taaooo !!
T : Pichu…laisse moi tranquille…
Excédé, Esteban abandonna, et décida de revenir à la charge plus tard, une fois qu’il aurait remis le Thallios dans la soute du condor. Evidemment, tout seul ce ne serait pas facile, mais si ensuite Tao lui reprochait d’avoir mal fixé les cordages, il n’aurait à s’en prendre qu’à lui-même. Au moins, cette tâche lui évitait de rester inactif à attendre l’hypothétique réveil de ses compagnons, qui paraissaient avoir besoin de dormir encore pour achever de digérer leur dîner pantagruélique de la veille, à en juger par le nombre de têtes de poisson qui jonchaient le sol. Et ils n’avaient même pas chargé les lingots à bord du Solaris ! Entassés sur la plage, ils brillaient si intensément que n’importe quel navire croisant au large pouvait être intrigué par cet éclat inhabituel.
Trente minutes plus tard, Esteban contemplait avec satisfaction le Thallios à nouveau accroché dans la soute, quand il sentit une présence derrière lui.
T : Hum…pas mal. Tu t’es bien débrouillé.
Le naacal s’étira avec un bâillement sonore.
T : Alors ? Tu as vu Zia ?
Esteban se retourna vers lui.
E : Alors ? Ce trésor ?
Tao hocha la tête.
T : Mission accomplie. Vérification faite. C’est bien de l’orichalque. Mais tu n’imagines pas le travail que ça nous a demandé ! Il a fallu tout sortir du Thallios, puis tout transporter assez loin d’ici pour que la boussole ne soit pas faussée, puis tout ramener…à la fin on a décidé de faire une petite pause, il fallait bien qu’on reprenne des forces…Nacir est un pêcheur hors pair !
E : Sans blague ?
T : Oui, enfin, bref, après tous ces efforts il était épuisé, il s’est endormi comme ça, d’un coup, et moi, j’aurais bien continué sans lui, mais tu sais, la corvée de bois, ça m’avait achevé…
E : C’est bon, te fatigue pas ! Mettons-nous au travail !
Il partit en direction du tas de lingots. Tao s’étira encore une fois avant de le suivre tranquillement. Nacir s’était levé et achevait quelques ablutions. Il salua Esteban et s’excusa.
N : Nous aurions dû finir hier soir comme convenu, je suis désolé…mais sans Tao je n’ai pas osé monter à bord de votre navire…
E : Aucun souci ! A nous trois, nous allons vite venir à bout de ce tas de lingots !
T : Dis, tu ne m’as pas répondu, tu as vu Zia ? Tu lui as parlé ?
E : Affirmatif. Mais j’ai été interrompu par le chevalier d’Aubusson.
T : Quoi ? Il t’a vu ?!
E : Oui, enfin, non, pas vraiment, il faisait trop sombre et j’étais loin. Il a essayé de me rattraper mais je n’ai pas eu de mal à le semer dans l’obscurité.
T : Tu vois, je t’avais dit que c’était risqué ! Mais non, comme d’habitude, tu ne m’as pas écouté ! Imagine un peu si…
E : Il n’a rien découvert.
T : Mais est-ce que ça valait la peine de prendre un tel risque ? On ne savait même pas si les lingots étaient vraiment en orichalque !
E : Je sais, je sais…mais je n’allais pas attendre un jour de plus alors qu’on en avait la quasi certitude.
T : Dis plutôt qu’elle te manquait… bon, je te pardonne, va, mais tu portes deux fois plus de lingots que nous !
E : Pas de problème !
Ils se mirent à la tâche, et eurent bientôt fait de charger les lingots à bord du Solaris. Après avoir posé son dernier lingot, Tao se redressa vers Esteban.
T : Et maintenant ? Quel est le programme ? On va vraiment livrer tout ça à cette femme ?
E : Parce qu’on a un autre choix ? L’or des chevaliers ?
T : Pourquoi pas.
E : Mais on a largement de quoi la satisfaire. On pourrait même garder quelques lingots pour nous.
T : Je suis d’accord. Mais si elle découvre que ce ne sont pas des lingots d’or ? Mendoza risque de l’avoir sur le dos, et nous aussi ! Elle sait où il habite ! Elle peut le courser en mer !
E : Alors il n’a qu’à déménager, et changer de métier. Mais imagine un peu qu’elle était au courant pour l’orichalque ?
T : Mais non, quelle idée ! C’est Zia qui t’as mis ça en tête ?
E : Non…on n’a pas eu le temps d’en parler…en fait j’ai surtout parlé avec Isabella..
T : Ah. Et elle en dit quoi ?
E : Rien…j’ai dû m’esquiver avant que ‘Gabriel’ ne me découvre.
T : Ah…ne me dis pas que tu as eu peur de ce rat de bibliothèque !
E : Oui, ben le rat il court drôlement vite, Isabella a tout juste eu le temps de me prévenir !
T : En somme, on a eu chaud…Mais si Hava est au courant pour l’orichalque…non mais tu te rends compte ?
E : Au moins elle aura ce qu’elle veut et elle nous laissera tranquille. Franchement, ce serait mieux comme ça.
T : On pourrait transformer ces lingots en pièces pour éviter tout risque…
N : Qu’est-ce que ça changerait ?
T : Eh bien, si elle veut de l’or, elle croira en avoir, enfin, sauf si elle essaye de faire fondre les pièces, parce que l’orichalque ne fond pas, et on sera tranquilles, et si elle veut de l’orichalque, lingots ou pièces, ça ne fait aucune différence, et on sera tranquilles !
E : Tranquilles, c’est vite dit, si elle veut de l’orichalque, je ne préfère même pas penser à ce qu’elle veut en faire…
N : Elle pourrait construire une machine comme les vôtres ?
T : Peuh ! Seuls mes ancêtres étaient capables de maîtriser une telle technologie ! Et à présent, je suis le seul détenteur de leur savoir !
N : Il est vraiment impossible de faire fondre ce métal ? Dans ce cas, comment votre oiseau, votre condor a -t-il été créé ?
T : C’est notre secret ! Et ceux qui ont essayé de nous le voler l’ont payé cher, je t’assure !
E : Arrête de lui faire peur ! Tao commence à peine à maîtriser la fameuse technologie de ses ancêtres, à vrai dire…
T : Mais j’ai déjà réalisé des objets merveilleux !
E : D’accord, mais rien qui approche le condor.
T : Et mon Solaris ? Tu exagères, franchement !
E : Oh, c’est vrai…j’avais oublié…mais il n’est pas entièrement en orichalque…
T : Arrête de chipoter ! C’est une merveille de technologie ! Quand je pense que cette Hava ne pense probablement qu’à s’enrichir alors qu’elle pourrait faire un usage mille fois plus intéressant de ces lingots, ça me fait pitié…
E : Je te rappelle qu’on ignore ses véritables motivations.
T : Bah, on aura bien le temps d’y penser plus tard, non ? Alors, tu veux que je fasse des pièces en orichalque, oui ou non ?
E : Laisse tomber, je préfère ne pas perdre de temps. Et puis Romegas sait que le trésor consiste en lingots. Je me vois mal lui expliquer qu’on les a faits fondre pour fabriquer des pièces d’or nous-mêmes. Cela ferait de nous des faussaires, tu le sais bien.
T : Toujours ces règles stupides…on dirait que dans ce monde tout est fait pour gêner l’inventivité, l’esprit d’initiative, le génie créatif !
E : Prépare-toi plutôt à appareiller, ça te changera les idées. Le Solaris est rechargé ?
T : J’ai fait le nécessaire hier, mais il m’a manqué un peu de temps. Je vais redéployer les voiles. Cap sur Malte, c’est bien ça ? Ou tu préfères aller repérer les lieux à Anticythère d’abord ?
E : Cap sur Malte. Mais vous irez seuls, Nacir et toi. Moi, je vais prendre le condor. On se retrouve à Anticythère.
T : Une minute ! Je n’ai aucune intention d’attendre Romegas tout seul à Malte, et de faire route ensuite avec lui !
E : Tu n’auras pas besoin de le faire, et puis, tu oublies Nacir. Hier en attendant la tombée de la nuit j’ai préparé une lettre à remettre à Romegas, lui expliquant que nous avons trouvé le trésor et que nous l’attendons à Anticythère. Débrouillez-vous pour que cette lettre lui soit transmise, sans vous faire trop remarquer. Nacir pourrait se rendre à terre en chaloupe, pendant que tu veillerais sur le Solaris à bonne distance.
N : Et si les chevaliers veulent rencontrer Tao ? L’interroger ? Parce que si j’ai bien compris, votre navire n’est pas ordinaire : à nous trois, nous pouvons le manœuvrer, n’est-ce pas ? Cela risquerait d’éveiller les soupçons des chevaliers, non ?
T : Ne t’en fais pas, tout ira bien. Et je peux même manœuvrer le Solaris tout seul….
E : Mais Nacir a raison, si les chevaliers voient ça, ils te prendront pour le Diable en personne. A moins que cela ne les intéresse prodigieusement. Je ne sais pas ce qui serait pire, qu’ils te torturent pour te faire avouer que tu es un suppôt de Satan ou qu’ils t’enferment dans un laboratoire secret pour que tu mettes au point une flotte de Solaris capable de couler toutes les galères ottomanes, et que tu travailles jusqu’ à épuisement.
T : Personne ne me fera travailler contre mon gré ! Je serai prudent. Nous arriverons à la tombée de la nuit, et je sortirai mes mannequins, au cas où. De loin, ils peuvent faire illusion, comme l’apparence extérieure : la coque est en bois, ne l’oublie pas. Les voiles seront repliées, mais tu sais très bien qu’on croirait à s’y méprendre que ce sont des voiles ordinaires.
E : Oui, je sais, je sais…Tu vois Nacir, Tao a pensé à tout.
N : Mais toi, Esteban, que comptes-tu faire avec le condor ?
E : Je ne sais pas trop…je vais survoler l’île de Cythère. Si Hava compte apercevoir notre signal, elle ne sera sans doute pas bien loin d’Anticythère. Les deux îles se font face. Peut-être son navire mouillera-t-il dans les eaux de Cythère ? Peut-être même détient-elle Mendoza quelque part sur cette île ?
T : Je croyais que tu ne voulais éveiller aucun soupçon pour ne pas faire rater l’opération. Ce serait plus raisonnable qu’on jette un coup d’œil ensemble avec le Solaris.
E : Non. En fait…sur le Solaris, je me sentirais inutile. Excuse- moi Tao, ce n’est pas contre toi, mais je crois que je ne supporterai pas de rester les bras croisés sur le pont à attendre qu’on arrive à Anticythère. Je vous rejoindrai là-bas.
T : Je comprends, même si je n’approuve pas. Bon, je suppose que tu auras le temps de repérer les lieux. Mais si tu vois quelque chose de suspect, sur une île ou une autre, surtout ne tente rien tout seul !
E : Tu me connais…je suis la prudence incarnée.
T : Alors, bonne chance. On se revoit à Anticythère.
Une fois Esteban descendu à terre, Tao s’installa aux commandes du Solaris II. Les voiles se déployèrent comme par magie. Même s’il avait déjà assisté à ce spectacle la veille, Nacir ne put réprimer un petit frisson. Ses nouveaux amis avaient beau prétendre ne pas être des magiciens, leurs machines merveilleuses lui donnaient l’impression de vivre un rêve éveillé. Tao lui avait expliqué le fonctionnement de ses voiles, dont seul un discret chatoiement doré, quand le vent les faisait onduler, révélait qu’elles étaient partiellement tissées d’orichalque. L’éclat du soleil sur la mer donnait les mêmes reflets irisés, mais Tao était parvenu à atténuer ceux de ses voiles jusqu’à donner l’impression qu’elles étaient faites de simple tissu, grâce à un système de double voilage.
T : Je vais te faire voir ce que la bête a dans le ventre, Nacir ! Regarde un peu par-dessus bord !
Les rangs de rames sortirent sous les yeux ébahis du pêcheur d’éponge. Quand elles s’abattirent toutes en même temps dans la mer, il éclata de rire. Il avait cru l’espace d’un instant que des rameurs invisibles se cachaient sous ses pieds ! Il fallait absolument qu’il demande à Tao de lui expliquer comment fonctionnait tout ça ! Il resta quelques minutes à admirer la cadence parfaitement régulière avant de courir le rejoindre, tandis que le Solaris II fendait majestueusement les flots sous le soleil matinal.