Et si la rancœur d'Isabella envers les hommes avait une origine (premier acte)
Une proposition dérangeante
Septembre 1525, lisière de la forêt de Vilanova i la Geltrú
« Isabella, veux-tu bien descendre de là ?
- Encore quelques minutes Miguel.
- Ton père ne serait pas ravi de voir que tu tentes encore une fois de fuir tes corvées. »
L'adolescente descendit de quelques branches et se suspendit, tête en bas, à la branche la plus basse de son chêne favori. Voyant que le jeune médecin l'attendait, Isabella souffla et mit pied à terre.
« Tu sais bien que ton père ne supporte pas de te voir grimper absolument partout.
- A ton avis, qui m'a appris à grimper aux arbres ?
- Sûrement pas lui. C'était bien tenté mais je sais aussi bien que toi qu'il est sujet au vertige. »
La jeune fille rit, accompagnée presque aussitôt de celui qu'elle considérait comme un grand-frère.
Bien sûr, ni l'un ni l'autre n'ignorait le vertige de Fernando mais Isabella ne pouvait s'empêcher d'escalader arbres et murs dès qu'elle en avait l'occasion. Cela lui procurait un sentiment de liberté immense dont elle avait tant besoin. Bien que la catalane ait conscience d'effrayer son père, tout cela était bien plus fort qu'elle.
Miguel retira une brindille coincée dans la natte d'Isabella.
« Il vaut mieux que tu n'aies rien dans tes cheveux.
- Pourquoi ça ? Ce n'est certainement pas la première ni la dernière fois que je monte à un arbre...
- Mais cette fois-ci, ton père souhaite te parler. Il t'attend justement dans son bureau.
- Son... Dans son bureau ? »
La jeune Laguerra fut confuse. Jamais elle n'avait eu le droit d'entrer dans l'antre de son père. Cette invitation, si cela en était une, l'excitait autant qu'elle l'angoissait.
Jusqu'à ce qu'elle regagne son domicile, Isabella ne cessa d'imaginer ce dont son père souhaitait l'entretenir. Serait-ce pour l'informer qu'elle partirait avec lui pour son prochain voyage ? La catalane rêvait de ce voyage depuis des jours puisque Fernando avait malencontreusement évoqué la possibilité de la laisser venir avec lui. Cette simple pensée la fit sautiller de joie.
Lorsque Miguel eut raccompagné la jeune fille chez elle, il la laissa et continua sa route pour s'engouffrer dans le village.
Isabella, quant à elle, franchis le petit portillon entourant son domicile et traversa la minuscule allée avant de rentrer. Une fois à l'intérieur, l'adolescente s'assura qu'elle ne s'était point salie et se recoiffa légèrement en envoyant ses petites mèches en arrière. Puis elle s'engouffra dans l'étroit couloir à sa droite.
Isabella se tint devant la porte interdite, inspira profondément et, après un moment d'hésitation, frappa trois coups secs.
Elle entendit la voix de son père l'autoriser à entrer. Tremblante, la catalane ouvrit la porte.
Fernando reposa sa plume et se redressa sur son fauteuil, demandant à sa fille de se rapprocher.
« Vous souhaitiez me voir père ?
- Tout à fait. J'aimerais te faire part d'une nouvelle.
- Quelle est telle ? »
La catalane trépignait d'impatience. Pourquoi diable son père faisait-il durer le suspense ? Il devait trouver amusant de la faire attendre.
Son géniteur la sortit de sa rêverie et la ramena à la réalité.
« Te souviens-tu du Vicomte de Aguilar ? »
Isabella afficha un sourire très discret. Comment pouvait-elle oublier cet homme ? Pendant que le docteur s'occupait de lui, elle en avait profité pour filer et explorer les rues de Barcelone. Exploration qui lui avait permis de rencontrer un jeune marin aux yeux sombres mais hypnotiques.
Sans faire attendre son père plus longtemps, la catalane lui répondit.
« Oui, bien sûr. Il s'agit de l'homme que vous avez guéri de la petite vérole il y a deux ans et qui a fait appel à vous lorsque son fils est tombé de cheval en début d'année.
- Exact. Je viens de recevoir un courrier de sa main. Un courrier dans lequel cet homme remarquable m'accorde, nous accorde, une véritable faveur. »
L'adolescente ne parvenait pas à comprendre où son père souhaitait en venir tant celui-ci parvenait à garder un visage impassible.
Devant son air dubitatif, Fernando expliqua alors à sa fille que le Vicomte désirait enfin remercier l'homme qui avait sauvé sa vie et surtout celle de son fils. Contre toute attente, le noble offrait au médecin la possibilité de marier son unique fille à son fils aîné.
Isabella vacilla... Un mariage ?
Malgré sa grande imagination, elle n'aurait jamais pu croire qu'un noble accepterait de marier son héritier à une simple fille de la campagne...
Fernando se mit à lire la missive dans son intégralité afin que sa fille puisse avoir tous les détails. Cependant, cette dernière n'en avait cure. Elle ne voulait pas se marier, qu'importe le rang de l'homme.
Isabella sentit sa gorge se serrer et les larmes monter lorsqu'elle entendit son père annoncer qu'ils devraient se rendre à Barcelone pour organiser les fiançailles.
« Pourquoi ? Père, allez-vous réellement accepter cela ?
- Pourquoi ne le ferais-je pas ? C'est une opportunité unique pour notre famille, pour toi de devenir une jeune noble. Cela t'assurerait un avenir serein dans lequel tu ne manqueras plus jamais de rien.
- Je ne manque déjà de rien. Je suis très heureuse de la vie que je mène ici avec vous. Je me moque bien de devenir vicomtesse ! »
La jeune catalane s'était un peu emportée, le choc de l'annonce remplacée par une colère naissante.
Isabella n'avait pas pour habitude de hausser le ton avec son père, cela ne lui était même jamais arrivé. Elle avait toujours accepté ce que son père lui disait sans broncher néanmoins ce jour-là, la jeune fille fut bien décidée à riposter.
« Je ne veux pas épouser cet homme. Peu importe qui il est.
- Penses-tu sincèrement que nous soyons en mesure de refuser ?
- Ce n'est qu'une proposition ! Vous n'êtes pas obligé d'accepter. Je vous en prie Père, je ne veux pas me marier.
- Et donc, que voudrais-tu ?
- Vous aviez promis de m'emmener avec vous lors de votre prochain voyage. C'est cela que je souhaite : Partir à l'aventure avec vous, vivre ce que vous avez vécu avant de vous installer avec mère.
- Isabella, je ne tiendrais pas cette promesse. J'ai eu tort de te la faire, tu es bien trop jeune et fragile. »
Entendant cela, l'adolescente se sentit flouée, par son propre père. Comment pouvait-il lui dire ça ?
Sans réfléchir, Isabella se mit à hurler : Elle n'épouserait pas ce nobliau, peu importe ce que cela lui coûterait. L'adolescente argua que ce n'était qu'une proposition, ils n'étaient pas obligés d'accepter. Elle ordonna d'ailleurs à Fernando de refuser ce mariage, le menaçant de ne plus jamais lui adresser la parole voire même de fuir le domicile.
Elle eut à peine fini sa diatribe qu'Isabella entendit un claquement. Le choc physique et émotionnel calma la jeune fille instantanément.
Cette dernière apposa sa main sur sa joue encore chaude. Isabella fixa son père, totalement incrédule : Fernando venait-il vraiment de la gifler ? C'était la première fois qu'il levait la main sur elle...
Tout à fait conscient de ce geste, le Docteur ne prit cependant pas le temps de s'excuser.
« Isabella écoute bien ce qui va suivre. C'est une offre que je ne peux refuser et pour laquelle tu oublieras ce sale caractère. Te rends-tu compte de la chance de cette demande en mariage ?! Une jeune fille comme toi accédant à un titre de noblesse. C'est inespéré ! Par conséquent, et que tu le veuilles ou non comme tu sembles le dire, tu épouseras ce jeune homme. »
Les mots de Laguerra résonnèrent dans la pièce mais surtout dans les oreilles de l'adolescente. La voix de son père avait été si dure, sans une once de compassion... La jeune fille comprit immédiatement qu'il ne reculerait pas et que, dans quelque temps, elle serait en robe blanche devant un homme d'Eglise.
Dépassée par les événements, Isabella se laissa tomber à terre : Elle ne pouvait croire ce qu'il lui arrivait. Des larmes interminables coulaient le long de son visage...
Fernando, comprenant l'état d'esprit de sa fille, s'adoucit et s'agenouilla face à elle. Il la prit par les épaules, lui intimant de relever la tête pour la regarder.
« Isabella, ma chérie... Je comprends que tout cela te chamboule mais, lorsque ta mère nous a quitté, je lui ai promis de te donner la meilleure éducation et de m'assurer que tu es le meilleur avenir possible. Accepter cette proposition me permettra de tenir cette promesse.
- Mais... Et si ce Vicomte ne m'aime pas ? Quel noble accepterait de se marier à une campagnarde ? De plus, je ne me ferais jamais à la vie des nobles...
- Ne dis pas ça. Tu te feras à cette vie : Même sans être des beaux quartiers, tu es une jeune fille tout à fait remarquable et ta beauté est sans égal.
- Je ne veux pas...
- Malheureusement, tu ne feras pas toujours ce qu'il te plaît. Accepte ce mariage et deviens une femme respectable avec un minimum de pouvoir. »
Résignée, Isabella se blottit dans les bras de son père. Les larmes coulant encore sur son visage et à contre-cœur, la jeune fille murmura :
« C'est d'accord... Si ce mariage peut vous rendre heureux, j'épouserai cet homme... »