Re: Fanfic: Le monde est dans sa jeunesse.
Posté : 23 oct. 2020, 11:54
Suite.
CHAPITRE 45.
Juan quitta la transe du guerrier. Il dut repousser une vive vague de lassitude. S'il n'avait pas aussi bien récupéré de son périple dans la forêt de la Braunhie grâce aux bons soins de Morgane, nul doute qu'il serait tombé inconscient. Épuisé par le contrecoup d'un combat aussi intensif.
Sur un geste de Don Luis, un page se rua vers le mercenaire pour lui reprendre son épée, un autre pour lui offrir de quoi se rafraîchir. Mendoza se contrôla pour ne pas se jeter sur ce simple verre d'eau. Il s'obligea à boire à petites gorgées. Elle était fraîche, si fraîche. En cet instant, cette eau valait largement le meilleur des vins.
Ce moment si doux, arraché au temps, fut trop vite terminé car le verre était vide. Mais le page se permit de lui faire un clin d'œil et le resservit. Le bretteur le remercia d'un sourire et but lentement, avec délice. Il se sentait mieux. Bien mieux. Pas seulement physiquement mais également libéré d'un poids. Un poids qui l'avait accablé durant toutes ces longues années d'exil. Restait en suspens sa mission de Yeoman.
Le Catalan rendit le verre. On lui laissa le temps de s'essuyer à l'aide d'une serviette et de revêtir sa tunique, tendue par le page, juste avant que ce dernier ne disparaisse avec les autres.
Enfin prêt, Mendoza contempla fièrement les membres du conseil. Il avait gagné cette manche mais la suivante se révélait encore plus ardue. Ce n'est pas avec l'acier qu'il allait se battre mais avec les mots. Et cela s'annonçait, pour le taiseux qu'il était, un combat bien incertain.
Il se retrouva seul. Seul avec les seigneurs de la Catalogne qui le toisaient depuis l'estrade. De sa voix chargée d'autorité martiale, Don Luis fit boucler les portes. La pièce fut ainsi protégée contre les oreilles indiscrètes.
Le vice-roi entama:
Fadrique: La lumière de Dieu a jugé! Pedro Folc de Cardona était donc un traître! Que l'Empereur lui pardonne... Une des plus grandes familles de l'Empire plongée dans le déshonneur, quelle tristesse...
Avec force, le secrétaire d'État affirma:
Cobos: Mendoza a donc fait reconnaître son bon droit... et la vérité! Juan-Carlos, tu étais donc innocent de ces regrettables accusations, d'évidence orchestrées par ce suppôt du diable. Jamais nous ne l'aurions soupçonné de cette vilenie. Quel gâchis!
Luis: À propos de gâchis, en voici un autre... Un problème urgent qu'il convient de régler au plus tôt. Nous n'avons plus personne pour mener notre projet, messeigneurs. Qui conduira nos soldats d'élite au combat? Leur rôle, je vous le rappelle, est tout de même prépondérant.
Le président de la Généralité intervint:
Francesc: C'est un problème facile à résoudre. La solution me paraît évidente. Juan-Carlos Mendoza, veux-tu, au nom de l'Empire, accepter cette charge qui t'est due, pour notre bénéfice à tous?
À part peut-être le cardinal Cardona, qui le regardait pensivement, aucun des autres seigneurs ne mettait plus en doute la loyauté du Catalan. Le Jugement de Dieu lui avait conféré la légitimité qu'il avait tant voulue.
Après avoir pesé sa réponse, le mercenaire répondit:
: Messeigneurs, si vous saviez... j'ai attendu cet instant depuis si longtemps! Mais je dois pourtant refuser: sachez que je n'en suis aujourd'hui pas digne.
Francesc: Bien sûr que si, Mendoza. Inutile d'être si modeste après un tel combat!
: Ce n'est pas cela...
Le capitaine prit une inspiration avant de poursuivre.
: Durant ces années au contact des Anglais, mon âme a été souillée. J'ai dû commettre des actes dont je ne suis pas fier, bien éloignés des Préceptes Sacrés... Avant de songer à mon avenir, je dois me laver de cette influence pernicieuse. Je vous demande donc, Messeigneurs, de m'autoriser à faire le pèlerinage jusqu'à Compostelle. Comme il se doit vêtu de la robe des suppliants, selon les anciennes traditions. Lorsque j'aurai obtenu le pardon de Dieu, alors je pourrai accepter ce poste.
Soudain penché en avant, le cardinal de Barcelone susurra:
Juan: Et quels sont ses actes? J'aimerais en savoir un peu plus sur vos agissements passés...
: Il va falloir que je me méfie de celui-là... (Pensée).
Malgré le Jugement, Cardona ne se départissait pas d'une pointe de défiance à l'égard du vainqueur. Et cette inimitié naissante se révélait réciproque.
Avec douceur, le vice-roi fit:
Fadrique: Cardinal, s'il vous plaît, quittez donc vos manières d'inquisiteur. Mon jeune confrère, il est inutile d'importuner ainsi cet homme. Dieu l'a jugé et innocenté, dois-je vous le rappeler? Nous sommes rassemblés ici pour servir la même cause et nous aborderons la question Anglaise, soyez-en tous assurés. Cela dit, plus j'y pense, plus je me dis que notre Empereur, notre loué Charles Quint, doit avoir la primeur de ces révélations... et adouber Mendoza.
Cobos s'exclama:
Cobos: C'est vrai! Notre roi doit être averti.
Francesc opina:
Francesc: Je suis d'accord avec vous. Avant tout, notre souverain doit l'entendre. Mais comme il est toujours à Bologne, Juan-Carlos devra attendre son retour.
L'évêque de Siguenza renchérit:
Fadrique: Voici de sages paroles! Je partage également cette opinion.
Le secrétaire d'État s'enquit:
Cobos: Êtes-vous donc d'accord, Messeigneurs? Don Luis?
L'homme de guerre répondit:
Luis: Ma foi, étant moi-même membre de l'Ordre d'Alcántara, je peux toujours l'élever au rang de chevalier. Mais si Mendoza préfère être intronisé par notre roi, je n'y vois pas d'objection. On peut toujours lui trouver un suppléant pour diriger la première phase. Il y a bien le tout jeune Luys del Marmòl y Carvajal à qui je pourrais confier cette rude tâche, mais il manque encore d'expérience.
Cobos, qui n'avait rien perdu de ses facultés d'analyse stratégique, commanda:
Cobos: Eh bien, flanquez-le du meilleur de nos officiers... Un soldat qui connait bien les terres Africaines. Votre Luys del Marmòl y Carvajal s'appuiera sur ses conseils. D'ailleurs, vous voyez à qui je pense, non?
Le regard malicieux, le principal conseiller de l'Empereur s'exclama:
Cobos: Fernando Alvarez de Tolède.
Satisfait par cette solution, le militaire se lissa les moustaches et sourit largement.
Luis: Cobos, j'aurais dû y penser moi-même! Ainsi, dès son retour de pèlerinage et dès que la cérémonie de l'adoubement aura eu lieu, Mendoza pourra rejoindre nos troupes et prendre ses fonctions aux côtés du duc d'Albe. Luys del Marmòl y Carvajal deviendra son second... Oui, c'est une alternative tout à fait valable, j'y adhère sans réserve.
Pour sa part, Juan Cardona se contenta d'un reniflement de désapprobation mais il avait la majorité contre lui. Le regard rapide, bouche pincée, qu'il lança au meurtrier de son oncle indiquait néanmoins qu'il ne le tenait pas quitte de soupçons pour autant. Qu'il n'attendait qu'une erreur de sa part pour faire intervenir le pouvoir de l'Inquisition.
Ce point réglé, le vice-roi reprit:
Fadrique: Juan-Carlos Mendoza, il y a bien longtemps que je n'avais vu un homme suivre aussi rigoureusement les Préceptes que toi. Après ce que tu as vécu, c'est tout à ton honneur... Quel exemple pour nous tous! Je suis persuadé à présent de la justesse de notre choix: tu dois absolument devenir chevalier. Considère-toi dès maintenant comme pèlerin, ton jeûne vient de commencer! Tu partiras dès demain à pied pour Compostelle afin d'entreprendre ton pèlerinage sur le tombeau de Jacques, fils de Zébédée. Dès que ce sera chose faite, tu reviendras ici à Barcelone sans perdre de temps. Après l'obtention de ton nouveau statut, tu pourras assumer ta charge.
Sur ces mots, l'évêque de Siguenza se rassit. Don Luis convoqua l'un des serviteurs qu'il chargea de mener le Catalan jusqu'à ses nouveaux appartements. Il ordonna:
Luis: Laisse-nous, maintenant, Mendoza. Tu as besoin de repos et nous devons finaliser ce changement de stratégie et préparer une déclaration officielle sur les événements d'aujourd'hui. Ce page va te conduire jusqu'au palais Requesens. Cette nuit te permettra de préparer ton âme pour le pèlerinage. Et par ma voix, je me fais l'écho de tous: bienvenue chez les tiens!
CHAPITRE 46.
Le calme était revenu au sein de l'hôtel de ville, vidé de ses visiteurs. Le Yeoman avait été traité avec un grand respect. Il disposait à présent d'appartements privés dotés de tout le confort nécessaire, où il put se laver et se détendre sinon se sustenter, puisque son jeûne avait déjà débuté.
Ses maigres possessions avaient été empaquetées en vue du voyage, ses lames lui avaient été rendues, à son grand soulagement, même s'il devrait de nouveau les abandonner provisoirement une fois sur la route.
Après l'exaltation du combat, de la vengeance achevée, Mendoza se sentait soudain tiraillé.
Le plan qu'il avait conçu n'avait que trop bien fonctionné et la proposition du conseil résonnait encore à ses oreilles. Son honneur avait été restauré en même temps qu'avait été prouvée son innocence. On lui offrait tout. Tout le destin qu'il avait désiré. Que décider pour la suite, à présent qu'il avait un avenir si longtemps attendu? Il lui restait toujours sa mission de Yeoman à accomplir et il se demandait si cela en valait la peine. Rien ne l'empêchait plus de reprendre son allégeance au roi d'Angleterre. De le quitter afin de servir l'Empereur, de retrouver sa place parmi les siens.
Et malgré tout, quelque chose le dérangeait.
Mendoza s'assit en tailleur sur le sol. Se plongeant dans une sorte de méditation, il en profita pour affiner sa mémoire, pour revoir mentalement ce qu'il avait vécu depuis son arrivée dans le salon des Cent. Son intervention pour demander le Jugement. Le combat. L'entretien avec le Conseil... Un détail titillait son subconscient.
À force de concentration et de volonté, il trouva... Oui, c'était là... Peu avant que Pedro ne meure. Juan se repassa la scène. La révélation l'emporta comme une feuille ballottée par la tempête. Il ouvrit les yeux et se releva avant de se rasseoir. Le mercenaire réfléchit longuement, reliant plusieurs faits, du passé et du présent. Tout s'imbriquait maintenant. Son regard se durcit.
Son choix était arrêté. Il savait ce qu'il lui restait à faire. Plus aucun doute pour l'entraver.
Par-dessus un pantalon propre, ses bottes et sa tunique, le capitaine revêtit la robe des pénitents, tissée de lin clair. Déterminé, il saisit son paquetage et quitta le palais Requesens. Sa dague sombre était glissée dans sa botte gauche.
☼☼☼
D'un pas tranquille, Mendoza retourna à l'hôtel de ville et s'engagea à l'intérieur. Après une dizaine de minutes de marche, il finit par longer un couloir, désert, percé de colonnes, éclairé par des torches fichées en hauteur.
Il avançait trop confiant, désarmé de son habituelle prudence.
Au milieu du couloir, une masse énorme jaillit de derrière un pilier et vint le percuter sur le côté, l'envoyant bouler contre un mur, tel un pantin désarticulé. La puissance avec laquelle Juan-Carlos avait été frappé le laissait à la limite de l'inconscience, sans défense.
Emplie de fureur, une voix de baryton cracha:
: Traître, tu les as tués! Pedro, Alfonso et les autres, tu les as tués! J'ai juré de te faire payer!
Mendoza reconnut cette voix de basse. Diricq de Melo. Le robuste Diricq avec qui il avait partagé tant de prières, qu'il avait patiemment aidé dans ses devoirs de stratégie militaire. Le Catalan avait totalement oublié le dernier des Compagnons et cette erreur risquait de lui coûter la vie.
☼☼☼
C'est alors qu'une autre présence se manifesta. Une autre voix connue s'éleva, au timbre encore plus grave, qui changeait la donne et lui redonnait espoir.
: Hé, le gros joufflu! Tu veux jouer? Et si tu choisissais un adversaire à ta taille? Ça serait beaucoup plus amusant, non?
: Ciarán! Mais que fait-il ici? (Pensée).
Entre Mendoza et Diricq, l'Irlandais s'était interposé. Malgré ses vertiges, le mercenaire profita de ce répit miraculeux pour se redresser et s'appuyer contre le mur.
Sa chevelure hérissée au-dessus de son crâne, Ciarán Macken gronda en signe de défi. De Melo, cependant, ne recula pas. Il était embrasé par l'appel frénétique du combat. Il voulait voir couler le sang. Sentir la chair s'écraser sous ses poings avides. Entendre le craquement des os et se repaître des plaintes et des gémissements du nouveau venu.
Des poches de son pourpoint, il sortit deux cestes, une espèce de protège-poings garnis de pointes rugueuses, qu'il passa à ses doigts. Deux de ses armes favorites, conçues pour infliger de terribles blessures.
Diricq: Ne reste pas là, sous-homme, ou je vais t'arracher la couenne!
L'Irlandais sourit largement:
Ciarán: Aaah! Encore un petit vantard! Viens jouer avec moi, gros tas!
Ramassé sur lui-même en une boule compacte de muscles bandés, Poil-de-Carotte attendait, dévoilant sa nature de fauve.
Face à lui, Diricq écarta ses bras et baissa la tête. Il chargea avec toute la force de ses quatre mille cent soixante onces*.
Ciarán attendit l'impact avec une gourmandise manifeste. Au dernier moment, il bondit sur le côté, sauta sur le mur qui lui servit d'appui et retomba dans le dos du colosse. À peine au sol, l'Irlandais frappa. À deux reprises. Deux crochets vicieux, dévastateurs, destinés à mutiler les reins. Diricq s'effondra en grondant sourdement tel un ours blessé.
Ciarán: Alors, c'est tout? Je suis déçu.
Ciarán s'approcha de son adversaire en secouant la tête d'un air peiné. Un coup de poing recouvert d'acier jaillit du bas pour entailler profondément sa joue. Malgré la douleur irradiant ses lombaires, Diricq de Melo avait répliqué. Il se releva d'un bond, profitant de l'effet de surprise pour sauter sur le rouquin, l'étouffant de tout son poids, les mains plaquées sur sa gorge en pesant de toute sa masse. Il était écarlate d'effort dans sa tentative d'étranglement. Un réseau de câbles tendu gonfla le cou de Macken pour résister à cette menace.
Mendoza assistait à la scène sans pouvoir réagir. Encore sonné, il était incapable de se relever pour aider son ami. Il jura.
À suivre...
*
CHAPITRE 45.
Juan quitta la transe du guerrier. Il dut repousser une vive vague de lassitude. S'il n'avait pas aussi bien récupéré de son périple dans la forêt de la Braunhie grâce aux bons soins de Morgane, nul doute qu'il serait tombé inconscient. Épuisé par le contrecoup d'un combat aussi intensif.
Sur un geste de Don Luis, un page se rua vers le mercenaire pour lui reprendre son épée, un autre pour lui offrir de quoi se rafraîchir. Mendoza se contrôla pour ne pas se jeter sur ce simple verre d'eau. Il s'obligea à boire à petites gorgées. Elle était fraîche, si fraîche. En cet instant, cette eau valait largement le meilleur des vins.
Ce moment si doux, arraché au temps, fut trop vite terminé car le verre était vide. Mais le page se permit de lui faire un clin d'œil et le resservit. Le bretteur le remercia d'un sourire et but lentement, avec délice. Il se sentait mieux. Bien mieux. Pas seulement physiquement mais également libéré d'un poids. Un poids qui l'avait accablé durant toutes ces longues années d'exil. Restait en suspens sa mission de Yeoman.
Le Catalan rendit le verre. On lui laissa le temps de s'essuyer à l'aide d'une serviette et de revêtir sa tunique, tendue par le page, juste avant que ce dernier ne disparaisse avec les autres.
Enfin prêt, Mendoza contempla fièrement les membres du conseil. Il avait gagné cette manche mais la suivante se révélait encore plus ardue. Ce n'est pas avec l'acier qu'il allait se battre mais avec les mots. Et cela s'annonçait, pour le taiseux qu'il était, un combat bien incertain.
Il se retrouva seul. Seul avec les seigneurs de la Catalogne qui le toisaient depuis l'estrade. De sa voix chargée d'autorité martiale, Don Luis fit boucler les portes. La pièce fut ainsi protégée contre les oreilles indiscrètes.
Le vice-roi entama:
Fadrique: La lumière de Dieu a jugé! Pedro Folc de Cardona était donc un traître! Que l'Empereur lui pardonne... Une des plus grandes familles de l'Empire plongée dans le déshonneur, quelle tristesse...
Avec force, le secrétaire d'État affirma:
Cobos: Mendoza a donc fait reconnaître son bon droit... et la vérité! Juan-Carlos, tu étais donc innocent de ces regrettables accusations, d'évidence orchestrées par ce suppôt du diable. Jamais nous ne l'aurions soupçonné de cette vilenie. Quel gâchis!
Luis: À propos de gâchis, en voici un autre... Un problème urgent qu'il convient de régler au plus tôt. Nous n'avons plus personne pour mener notre projet, messeigneurs. Qui conduira nos soldats d'élite au combat? Leur rôle, je vous le rappelle, est tout de même prépondérant.
Le président de la Généralité intervint:
Francesc: C'est un problème facile à résoudre. La solution me paraît évidente. Juan-Carlos Mendoza, veux-tu, au nom de l'Empire, accepter cette charge qui t'est due, pour notre bénéfice à tous?
À part peut-être le cardinal Cardona, qui le regardait pensivement, aucun des autres seigneurs ne mettait plus en doute la loyauté du Catalan. Le Jugement de Dieu lui avait conféré la légitimité qu'il avait tant voulue.
Après avoir pesé sa réponse, le mercenaire répondit:
: Messeigneurs, si vous saviez... j'ai attendu cet instant depuis si longtemps! Mais je dois pourtant refuser: sachez que je n'en suis aujourd'hui pas digne.
Francesc: Bien sûr que si, Mendoza. Inutile d'être si modeste après un tel combat!
: Ce n'est pas cela...
Le capitaine prit une inspiration avant de poursuivre.
: Durant ces années au contact des Anglais, mon âme a été souillée. J'ai dû commettre des actes dont je ne suis pas fier, bien éloignés des Préceptes Sacrés... Avant de songer à mon avenir, je dois me laver de cette influence pernicieuse. Je vous demande donc, Messeigneurs, de m'autoriser à faire le pèlerinage jusqu'à Compostelle. Comme il se doit vêtu de la robe des suppliants, selon les anciennes traditions. Lorsque j'aurai obtenu le pardon de Dieu, alors je pourrai accepter ce poste.
Soudain penché en avant, le cardinal de Barcelone susurra:
Juan: Et quels sont ses actes? J'aimerais en savoir un peu plus sur vos agissements passés...
: Il va falloir que je me méfie de celui-là... (Pensée).
Malgré le Jugement, Cardona ne se départissait pas d'une pointe de défiance à l'égard du vainqueur. Et cette inimitié naissante se révélait réciproque.
Avec douceur, le vice-roi fit:
Fadrique: Cardinal, s'il vous plaît, quittez donc vos manières d'inquisiteur. Mon jeune confrère, il est inutile d'importuner ainsi cet homme. Dieu l'a jugé et innocenté, dois-je vous le rappeler? Nous sommes rassemblés ici pour servir la même cause et nous aborderons la question Anglaise, soyez-en tous assurés. Cela dit, plus j'y pense, plus je me dis que notre Empereur, notre loué Charles Quint, doit avoir la primeur de ces révélations... et adouber Mendoza.
Cobos s'exclama:
Cobos: C'est vrai! Notre roi doit être averti.
Francesc opina:
Francesc: Je suis d'accord avec vous. Avant tout, notre souverain doit l'entendre. Mais comme il est toujours à Bologne, Juan-Carlos devra attendre son retour.
L'évêque de Siguenza renchérit:
Fadrique: Voici de sages paroles! Je partage également cette opinion.
Le secrétaire d'État s'enquit:
Cobos: Êtes-vous donc d'accord, Messeigneurs? Don Luis?
L'homme de guerre répondit:
Luis: Ma foi, étant moi-même membre de l'Ordre d'Alcántara, je peux toujours l'élever au rang de chevalier. Mais si Mendoza préfère être intronisé par notre roi, je n'y vois pas d'objection. On peut toujours lui trouver un suppléant pour diriger la première phase. Il y a bien le tout jeune Luys del Marmòl y Carvajal à qui je pourrais confier cette rude tâche, mais il manque encore d'expérience.
Cobos, qui n'avait rien perdu de ses facultés d'analyse stratégique, commanda:
Cobos: Eh bien, flanquez-le du meilleur de nos officiers... Un soldat qui connait bien les terres Africaines. Votre Luys del Marmòl y Carvajal s'appuiera sur ses conseils. D'ailleurs, vous voyez à qui je pense, non?
Le regard malicieux, le principal conseiller de l'Empereur s'exclama:
Cobos: Fernando Alvarez de Tolède.
Satisfait par cette solution, le militaire se lissa les moustaches et sourit largement.
Luis: Cobos, j'aurais dû y penser moi-même! Ainsi, dès son retour de pèlerinage et dès que la cérémonie de l'adoubement aura eu lieu, Mendoza pourra rejoindre nos troupes et prendre ses fonctions aux côtés du duc d'Albe. Luys del Marmòl y Carvajal deviendra son second... Oui, c'est une alternative tout à fait valable, j'y adhère sans réserve.
Pour sa part, Juan Cardona se contenta d'un reniflement de désapprobation mais il avait la majorité contre lui. Le regard rapide, bouche pincée, qu'il lança au meurtrier de son oncle indiquait néanmoins qu'il ne le tenait pas quitte de soupçons pour autant. Qu'il n'attendait qu'une erreur de sa part pour faire intervenir le pouvoir de l'Inquisition.
Ce point réglé, le vice-roi reprit:
Fadrique: Juan-Carlos Mendoza, il y a bien longtemps que je n'avais vu un homme suivre aussi rigoureusement les Préceptes que toi. Après ce que tu as vécu, c'est tout à ton honneur... Quel exemple pour nous tous! Je suis persuadé à présent de la justesse de notre choix: tu dois absolument devenir chevalier. Considère-toi dès maintenant comme pèlerin, ton jeûne vient de commencer! Tu partiras dès demain à pied pour Compostelle afin d'entreprendre ton pèlerinage sur le tombeau de Jacques, fils de Zébédée. Dès que ce sera chose faite, tu reviendras ici à Barcelone sans perdre de temps. Après l'obtention de ton nouveau statut, tu pourras assumer ta charge.
Sur ces mots, l'évêque de Siguenza se rassit. Don Luis convoqua l'un des serviteurs qu'il chargea de mener le Catalan jusqu'à ses nouveaux appartements. Il ordonna:
Luis: Laisse-nous, maintenant, Mendoza. Tu as besoin de repos et nous devons finaliser ce changement de stratégie et préparer une déclaration officielle sur les événements d'aujourd'hui. Ce page va te conduire jusqu'au palais Requesens. Cette nuit te permettra de préparer ton âme pour le pèlerinage. Et par ma voix, je me fais l'écho de tous: bienvenue chez les tiens!
CHAPITRE 46.
Le calme était revenu au sein de l'hôtel de ville, vidé de ses visiteurs. Le Yeoman avait été traité avec un grand respect. Il disposait à présent d'appartements privés dotés de tout le confort nécessaire, où il put se laver et se détendre sinon se sustenter, puisque son jeûne avait déjà débuté.
Ses maigres possessions avaient été empaquetées en vue du voyage, ses lames lui avaient été rendues, à son grand soulagement, même s'il devrait de nouveau les abandonner provisoirement une fois sur la route.
Après l'exaltation du combat, de la vengeance achevée, Mendoza se sentait soudain tiraillé.
Le plan qu'il avait conçu n'avait que trop bien fonctionné et la proposition du conseil résonnait encore à ses oreilles. Son honneur avait été restauré en même temps qu'avait été prouvée son innocence. On lui offrait tout. Tout le destin qu'il avait désiré. Que décider pour la suite, à présent qu'il avait un avenir si longtemps attendu? Il lui restait toujours sa mission de Yeoman à accomplir et il se demandait si cela en valait la peine. Rien ne l'empêchait plus de reprendre son allégeance au roi d'Angleterre. De le quitter afin de servir l'Empereur, de retrouver sa place parmi les siens.
Et malgré tout, quelque chose le dérangeait.
Mendoza s'assit en tailleur sur le sol. Se plongeant dans une sorte de méditation, il en profita pour affiner sa mémoire, pour revoir mentalement ce qu'il avait vécu depuis son arrivée dans le salon des Cent. Son intervention pour demander le Jugement. Le combat. L'entretien avec le Conseil... Un détail titillait son subconscient.
À force de concentration et de volonté, il trouva... Oui, c'était là... Peu avant que Pedro ne meure. Juan se repassa la scène. La révélation l'emporta comme une feuille ballottée par la tempête. Il ouvrit les yeux et se releva avant de se rasseoir. Le mercenaire réfléchit longuement, reliant plusieurs faits, du passé et du présent. Tout s'imbriquait maintenant. Son regard se durcit.
Son choix était arrêté. Il savait ce qu'il lui restait à faire. Plus aucun doute pour l'entraver.
Par-dessus un pantalon propre, ses bottes et sa tunique, le capitaine revêtit la robe des pénitents, tissée de lin clair. Déterminé, il saisit son paquetage et quitta le palais Requesens. Sa dague sombre était glissée dans sa botte gauche.
☼☼☼
D'un pas tranquille, Mendoza retourna à l'hôtel de ville et s'engagea à l'intérieur. Après une dizaine de minutes de marche, il finit par longer un couloir, désert, percé de colonnes, éclairé par des torches fichées en hauteur.
Il avançait trop confiant, désarmé de son habituelle prudence.
Au milieu du couloir, une masse énorme jaillit de derrière un pilier et vint le percuter sur le côté, l'envoyant bouler contre un mur, tel un pantin désarticulé. La puissance avec laquelle Juan-Carlos avait été frappé le laissait à la limite de l'inconscience, sans défense.
Emplie de fureur, une voix de baryton cracha:
: Traître, tu les as tués! Pedro, Alfonso et les autres, tu les as tués! J'ai juré de te faire payer!
Mendoza reconnut cette voix de basse. Diricq de Melo. Le robuste Diricq avec qui il avait partagé tant de prières, qu'il avait patiemment aidé dans ses devoirs de stratégie militaire. Le Catalan avait totalement oublié le dernier des Compagnons et cette erreur risquait de lui coûter la vie.
☼☼☼
C'est alors qu'une autre présence se manifesta. Une autre voix connue s'éleva, au timbre encore plus grave, qui changeait la donne et lui redonnait espoir.
: Hé, le gros joufflu! Tu veux jouer? Et si tu choisissais un adversaire à ta taille? Ça serait beaucoup plus amusant, non?
: Ciarán! Mais que fait-il ici? (Pensée).
Entre Mendoza et Diricq, l'Irlandais s'était interposé. Malgré ses vertiges, le mercenaire profita de ce répit miraculeux pour se redresser et s'appuyer contre le mur.
Sa chevelure hérissée au-dessus de son crâne, Ciarán Macken gronda en signe de défi. De Melo, cependant, ne recula pas. Il était embrasé par l'appel frénétique du combat. Il voulait voir couler le sang. Sentir la chair s'écraser sous ses poings avides. Entendre le craquement des os et se repaître des plaintes et des gémissements du nouveau venu.
Des poches de son pourpoint, il sortit deux cestes, une espèce de protège-poings garnis de pointes rugueuses, qu'il passa à ses doigts. Deux de ses armes favorites, conçues pour infliger de terribles blessures.
Diricq: Ne reste pas là, sous-homme, ou je vais t'arracher la couenne!
L'Irlandais sourit largement:
Ciarán: Aaah! Encore un petit vantard! Viens jouer avec moi, gros tas!
Ramassé sur lui-même en une boule compacte de muscles bandés, Poil-de-Carotte attendait, dévoilant sa nature de fauve.
Face à lui, Diricq écarta ses bras et baissa la tête. Il chargea avec toute la force de ses quatre mille cent soixante onces*.
Ciarán attendit l'impact avec une gourmandise manifeste. Au dernier moment, il bondit sur le côté, sauta sur le mur qui lui servit d'appui et retomba dans le dos du colosse. À peine au sol, l'Irlandais frappa. À deux reprises. Deux crochets vicieux, dévastateurs, destinés à mutiler les reins. Diricq s'effondra en grondant sourdement tel un ours blessé.
Ciarán: Alors, c'est tout? Je suis déçu.
Ciarán s'approcha de son adversaire en secouant la tête d'un air peiné. Un coup de poing recouvert d'acier jaillit du bas pour entailler profondément sa joue. Malgré la douleur irradiant ses lombaires, Diricq de Melo avait répliqué. Il se releva d'un bond, profitant de l'effet de surprise pour sauter sur le rouquin, l'étouffant de tout son poids, les mains plaquées sur sa gorge en pesant de toute sa masse. Il était écarlate d'effort dans sa tentative d'étranglement. Un réseau de câbles tendu gonfla le cou de Macken pour résister à cette menace.
Mendoza assistait à la scène sans pouvoir réagir. Encore sonné, il était incapable de se relever pour aider son ami. Il jura.
À suivre...
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