Suite.
CHAPITRE 40.
Galeries de l'ancienne colonie de Barcino.
La cache quatre avait offert tout l'équipement nécessaire à l'expédition souterraine. Eau, nourriture, torches, cordes, lanterne sourde et armes. Chacun s'équipa selon ses préférences. En ancien militaire qui se respecte, Latrás s'était ceint d'une courte lame à double tranchant. Il avait en outre revêtu une cuirasse, un corselet couvrant tout le dessus du corps, ne laissant que les jambes sans réelle protection. Un morion, des gantelets et des bottes ferrées parachevaient sa tenue.
Patakon se moqua:
Patakon: Il a fière allure, hein! C'est sa tenue de
corseletes quand il était fantassin.
Latrás: Cette tenue, comme tu dis, m'a sauvé la vie plusieurs fois, vieille fripouille! Et la tienne par la même occasion. Bon, la Fratrie, vous mettez tous une cotte de mailles. Pas d'histoires! Je ne transigerai pas sur ce point. On ne sait pas sur quoi on risque de tomber là-dessous.
Dés-Pipés, qui peinait à enfiler son armure, rétorqua:
Fajardo: Fais pas ton rabat-joie, Lupercio. Ça va être une vraie promenade de santé!
Latrás: Tu veux que je te rappelle ce qui s'est passé, Diego, la dernière fois que tu as dis ça?
Barber et Zubiri s'étaient armés d'arbalètes à deux coups, qu'ils maniaient avec une aisance qui surprit Mendoza. Fajardo opta pour une épaisse masse d'arme qu'il fit tournoyer sauvagement, manquant d'arracher la tête du
manuel. Celui-ci dut bondir hors de portée en glapissant. Latrás se rangea à trois pas du barbu et pointa un doigt sur
Dés-Pipés, sans rien dire, se contentant de le foudroyer de ses prunelles aussi noires que sa chevelure. Ses sourcils épais se rejoignaient presque au-dessus de son nez épaté. Diego rangea prestement son arme et se dandina sur lui-même comme pour échapper à l'attention courroucée de l'ancien soldat.
Le
Yeoman déclina l'usage de la cotte de mailles. Il préférait la vitesse d'exécution à la protection. De plus, un tel poids risquait de le gêner s'il devait combattre. Il avait hésité à s'armer de son épée car il y avait trop peu d'espace dans les souterrains pour s'en servir. Madariaga avait tenté de l'en dissuadé mais, habitué à en sentir le poids, le mercenaire la laissa néanmoins au fourreau. Il se contenterait d'utiliser sa dague.
Enfin équipés, ils avaient emprunté une barque à fond plat pour se lancer dans les égouts, accédant à ceux-ci par le port. Sans être dérangés par autre chose que quelques bandes de rats craintifs, ils avaient navigué sur les eaux sales, abrités par d'épais foulards enduits d'onguent protecteur.
Arrivés sur un terre-plein sableux, ils avaient abandonné leur embarcation pour s'engager dans un souterrain de pierre. Barber et
Patakon s'étaient chargés à tour de rôle des verrous. Torches allumées, en silence, ils suivaient les épaules contractés de Latrás, le seul à apprécier l'endroit.
En file indienne, ils descendirent une succession d'escaliers et de passages en pente douce pour s'enfoncer dans les profondeurs souterraines.
Au bout d'une heure de marche, chacun avait roulé son manteau ou sa cape et l'avait rangé dans son paquetage. Sèches et chaudes, les larges galeries basses bâties jadis par les Romains n'abritaient plus que poussières et souvenirs.
Quoique manifestement peu satisfait d'avoir quitté la ville,
Patakon évoluait avec sa discrétion coutumière. Fidèle à son habitude, il exploitait les nombreuses zones d'ombre pour passer inaperçu. On sentait sa présence, sans pouvoir vraiment le repérer. Arbalètes au dos, Barber et Zubiri portaient les torches. Le gros Fajardo s'occupait de la lanterne.
Quant à Mendoza, handicapé par sa taille, il s'était déjà cogné la tête à plusieurs reprises sur les aspérités traîtres du plafond. Constamment voûté, il commençait à avoir des crampes dans les épaules.
Leur périple prit du temps et de l'énergie, bien qu'effectué sans la bonne humeur annoncée à la
Mouette Rieuse. Il se déroula sans problème, jusqu'au moment où...
☼☼☼
Arrivé à un nouveau croisement, Latrás se figea, fronçant ses gros sourcils charbonneux. Trois tunnels plongeant dans le noir les attendaient. Des rides de contrariété plissèrent son front. Il dégaina sa lame de son fourreau.
Les autres s'alertèrent. La nuque de Mendoza s'était mise à le démanger. Mauvais signe. Il posa son sac sur le sol. Sa main se rapprocha de sa botte armée. Au moins, le plafond était plus haut, il n'avait plus à se courber.
Lupercio grogna:
Latrás: Ça pue! Ça sent... le
malfaiteur!
En effet, à l'odeur de poussière, omniprésente, s'ajoutait maintenant un relent musqué. L'atmosphère souterraine semblait différente, chargée de menaces occultes. Oppressantes, les zones sombres paraissaient étendre leur emprise et préparer la voie à leurs ennemis. La tension gagna les membres de l'équipe.
Patakon grimaça:
Patakon: Le
malfaiteur? Et nous? Que sommes-nous, à ton avis?
Latrás: Nous? Nous sommes des malfaiteurs, certes, mais de simples détrousseurs, des hors-la-loi pacifiques, des
guapos affrontant des juges, des fermiers généraux injustes ou corrompus. Nous défendons les pauvres. Ceux qui sont en face, ce sont des
valientes. Des bandits, des inhumains, qui répandent le sang! Des fauves, des voleurs de vies et d’honneurs, donnant l’image de monstres religieux: ils ne craignent pas Dieu, ne respectent pas l’Église, ne reconnaissant pas la Loi du Père au-dessus de leur propre Désir. De vrais sauvages!
Mendoza se raidit. Il se disait bien avoir déjà senti cette odeur musquée. Vraiment mauvais signe.
Péremptoire,
Dés-Pipés annonça:
Fajardo: Tu dois te tromper, des
valientes, il y en a pas dans la capitale!
Tout aussi sûr de lui, Lupercio rétorqua:
Latrás: Écoute, gros malin, déjà, nous ne sommes pas dans la capitale mais en dessous. Là-haut, tu es peut-être un expert avec les dés, mais ici, c'est mon domaine. Et je sais ce que je dis, foi de Latrás! Il y a des marginaux dans ces boyaux. Et tu devines ce que ça fait, un
valiente? Ça tue pour un oui ou pour un non.
Patakon: Si Lupercio dit qu'il y a du danger, il vaudrait mieux se préparer, señores.
En dépit de réactions parfois déconcertantes, les voleurs vérifièrent leurs armes en véritables professionnels.
Le
Yeoman n'aimait pas ça. Pas ça du tout. Les
valientes, sévissant surtout dans les montagnes, n'avaient rien à faire dans ces lieux, normalement sous le contrôle des forces de l'Empire. Il songea à ce Zarès. Les brigands avaient-ils été envoyés à sa poursuite par le sorcier?
Peu rassuré,
Dés-Pipés demanda:
Fajardo: Et si on faisait demi-tour? On peut prendre un autre chemin?
Latrás: Si j'ai pu les sentir, la réciproque est vraie. Ils ont du flair, eux aussi. Et s'ils sentent qu'on a peur, ils vont nous charger. Je préfère les voir arriver de face que par-derrière... De plus, si nous faisons front, ils hésiteront à s'attaquer à une bande armée comme la nôtre.
Lupercio cracha par terre, avant de reprendre:
Latrás: Allez la Fratrie, plantez-moi ces torches pour qu'on aie de la lumière. Et écoutez-moi bien: ne montrez pas d'hésitation ou votre inquiétude, quel que soit leur nombre. Même s'ils sont courageux, une troupe comme la nôtre représente un gros morceau pour eux. Ça devrait bien se passer. Vous me laissez parler. Javier, Miguel, sur les côtés, et, surtout, montrez bien vos arbalètes. Ça les fera réfléchir. Diego, tu restes en arrière et tu ne me gênes pas. Manuel, comme d'habitude.
☼☼☼
Dans la pénombre du couloir, à la lisière de la lumière irrégulière produite par leurs flambeaux, ils pouvaient à présent apercevoir une masse indistincte, grouillante, d'où provenaient cris et sifflements furtifs. Des hommes dépenaillés, mais armés jusqu'aux dents, surgirent.
Latrás brandit sa lame et se campa au milieu du souterrain. Sa voix rocailleuse enfla, rebondissant sur la pierre:
Latrás: Halte-là! Ne bougez plus! Nous sommes armés.
Un des bandits avança au devant de ses compagnons.
: Et alors? Nous aussi! Videz vos poches et tout se passera bien.
Sa voix avait la tonalité d'un enfant. Elle contrastait fortement avec celle de Lupercio. Ce dernier répondit en agitant son coupe-chou.
Latrás: Restez où vous êtes! Nous n'avons rien à vous donner. Moi, je m'appelle Lupercio Latrás. Nous sommes bien entraînés et nous vous tuerons si vous avancez.
Son interlocuteur oscilla sur ses jambes pour manifester son indécision. Le nom de Latrás semblait craint au sein des
valientes et la morsure de son badelaire tout autant. Les brigands éprouvèrent le même sentiment que leur porte-parole. Un reflux s'amorça dans le couloir. Ils rebroussèrent chemin.
Dés-Pipés souffla:
Fajardo: Ça marche! Lupercio leur a flanqué la trouille!
C'est alors qu'un sifflement impérieux issu de la pénombre se fit entendre, derrière les rangs des bandits, les clouant sur place. Ils se raidirent et s'écartèrent pour laisser passer l'un des leurs. Un homme, un poing sur la hanche et le nez en bataille. Un nez impressionnant. Le personnage était du genre trapu mais les autres le traitait avec une déférence servile. Il avait une taille plutôt courte, des épaules et des mains énormes. Une barbe poivre et sel assortie aux cheveux mangeait la plus grande partie de sa figure et, dans cette superbe exubérance pileuse, ses yeux bruns brillaient comme des charbons ardents. Son costume se composait d'un pourpoint de buffle, truffé de nombreuses taches, sur lequel deux ou trois morceaux d'armures faisaient de leur mieux pour lui donner une tournure noble qui eût été risible sans l'interminable colichemarde qui lui battait les jarrets et retroussait élégamment par-derrière un lambeau de manteau rouge. Un chapeau crasseux de la même couleur, enjolivé d'une plume écarlate, complètait son équipement.
Il avança parmi les siens et toisa les cinq hommes de son regard de braise. Il examina chacun d'eux avant de se fixer sur Mendoza. Des dents blanches apparurent dans la broussaille de la barbe. Il désigna le mercenaire d'une main et fit:
: Une grande taille, une cape bleue et rouge, des cheveux bruns... Pas de doute, c'est bien toi...
En entendant cette intonation spécifique, Latrás lâcha:
Latrás: Un
nyerro!
Le joueur chuchota:
Fajardo: Que t'arrive-t-il, Lupercio? Je ne t'ai jamais vu agité comme ça!
Latrás: Un
nyerro, Diego... un
nyerro, c'est un chef de bande rivale. Il mène ses hommes sur notre territoire. Ils sont rusés. Les
valientes, c'est de la piétaille, à côté.
En disant ces derniers mots et sans qu'une intonation différente ait pu mettre l'adversaire en garde, Lupercio leva son arme et, avec la rapidité de l'éclair, porta un coup furieux dans la poitrine de son adversaire qui roula à terre. Celui-ci se releva prestement et épousseta son buffle crasseux avec des grâces de petit maître. Il ricana:
: Une cotte de mailles est toujours une bonne précaution quand on fréquente les
cadells, mais je te dois un nouveau trou à mon pourpoint et cela va te coûter cher, mon ami! Tuez-les... Tuez-les, sauf le plus grand. Je le veux vivant pour le maître!
Excités par les ordres du
salteador*, quatre bandits se lancèrent à l'attaque. En trois bonds, ils se jetèrent à la rencontre du groupe de voleurs. Zubiri hoqueta devant leur vitesse. Fajardo jura. Barber partit d'un petit rire incompréhensible.
Mais Latrás veillait. Lèvres retroussées par un rictus courroucé, il laissa parler l'ardeur guerrière propre à sa nature.
Il se rua dans la direction du premier malfaisant et le gratifia d'un violent coup de pied à la poitrine. L'autre tournoya sur lui-même et s'effondra sur le dos. Lupercio se laissa ensuite tomber sur lui, le bloquant d'un genou. Il le dévisagea, un rictus félin enlaidissant son visage, puis le frappa à la jointure de la mâchoire pour en finir véritablement avec cette menace. Sa dague trancha dans la chair de sa cible aussi aisément que dans une motte de beurre. Le négociateur parlait bien et visait juste. Zubiri cloua le second de deux traits d'arbalète consécutifs dans le gras de l'épaule, le repoussant contre la paroi. Le troisième fut éliminé par
Patakon qui surgit d'une zone obscure, armé de deux dagues.
Apparaissant en retrait du
nyerro, Madariaga frappa par-derrière, deux coups successifs et adroits sous le flanc gauche du spadassin. Touché à mort, ce dernier s'abattit en râlant, le corps saisi des tressaillements de l'agonie. Juan s'occupa du dernier. Il fit jaillir une dague de lancer qui fila dans les airs avant de se ficher dans le ventre du quatrième soudard.
Cette première escarmouche doucha l'ardeur des assassins. Avec des chuintements de dépit, ils reculèrent dans le noir, repoussant leur chef derrière eux pour le protéger. Avant qu'il ne disparaisse, le
salteador eut le temps de plonger ses prunelles dans celles de Mendoza. Ils se toisèrent et le capitaine comprit que cet homme en avait véritablement après lui. Il n'abandonnerait pas. D'un ton sifflant, le
Yeoman s'adressa à Latrás:
: Lupercio, trouve-moi un endroit où je puisse me battre. J'ai besoin de plus d'espace.
Latrás: Ramassez les torches et la lampes, les amis. Venez. Pas loin, il y a une ancienne salle de garde. On va s'y réfugier et faire le point.
L'ancien soldat courut dans le couloir de gauche, suivi par les autres. Au passage, Mendoza récupéra son paquetage. Du souterrain central s'éleva un bruit diffus, produit par le claquement de bottes sur le sol. Des murmures complexes croissaient dans le noir.
La voix du
salteador continuait néanmoins à se démarquer:
: Le grand! Le maître le veut vivant...
☼☼☼
Sans gaspiller de temps, le mercenaire et les voleurs prirent possession de la salle de garde. Miguel Barber se servit de sa torche pour allumer les lampes fichées dans les murs. Ils se débarrassèrent de leurs sacs. La pièce carrée, aussi poussièreuse que les galeries, comprenait deux coffres de bois pourris, deux longues tables et quelques bancs en pierre, des râteliers d'armes vides. Derrière eux, le rythme cadencé des bottes de la horde sauvage se fit plus distinct.
Lupercio Latrás passa la tête dans le couloir avant de rabattre la double porte qu'il boucla à l'aide d'une grosse barre de bois, trop vermoulue à son goût. Il s'exclama:
Latrás: Par la malepeste! Il y a vraiment un chef parmi eux, je ne rêve pas!
Essuyant le fil de son arme taché de sang, il jura encore:
Latrás: Un de ces maudits chefs
nyerro!
Zubiri: Et puis alors? Ce n'est pas comme si tu en rencontrais un pour la première fois.
Les autres de la Fratrie ne semblaient pas comprendre.
Latrás: Comment vous expliquer?
Latrás se gratta la tête. Mendoza vint à sa rescousse:
: Les chefs
nyerros sont issus de la noblesse. Il s'agit probablement d'un membre de la famille de Banyuls. Les
nyerros sévissent surtout de l'autre côté des Pyrénées, dans les comtés du Roussillon et de Cerdagne.
Latrás: Oui, c'est ça. Qu'on en trouve quelques-uns, trois ou quatre chez nous, oui, je veux bien. Ils se baladent un peu partout en Catalogne. Mais une milice complète? Ici? Par la barbe de l'Empereur, je n'aime pas ça du tout! Ce n'est pas normal. Les chefs
nyerros, ce sont des mauvais, plus malins que leurs hommes et plus forts. Des maîtres dans l'art de la traque. Et leur gibier, c'est nous. Ils ne nous lâcheront pas.
Lupercio se tourna vers le mercenaire et le toisa.
Latrás: Le
grand! Il t'a clairement désigné. Et par ma barbe, il a l'air de t'en vouloir! Il a parlé d'un maître... Je crois que tu t'es fait un sacré ennemi chez les Français, mon gars!
Juan garda le silence. Il avait fait les mêmes déductions que l'ancien fantassin mais n'avait aucune réponse à fournir. Pourquoi depuis ces derniers temps, les Français s'acharnaient-ils à causer sa perte? Il ne pouvait pas y avoir de rapport avec sa mission de
Yeoman. C'était impossible, l'Angleterre était le seul pays à pouvoir enrayer la menace qui pesait sur la France. Celle-ci n'allait pas sacrifier leur dernière chance d'éviter une invasion. Celui qui en voulait à Mendoza ne savait rien de son rôle d'agent spécial, sans quoi il aurait différé ses attaques. Non, c'était autre chose, mais quoi? Qu'avait pu faire le mercenaire pour s'attirer ainsi l'ire de la puissance de la France? Il n'en savait absolument rien!
Le pragmatique Javier Zubiri demanda calmement:
Zubiri: D'après toi, Lupercio, quelle est la ligne de conduite à tenir?
Latrás: Ils sont trop nombreux. Il faut tuer leur chef, c'est le seul moyen de les faire fuir. Sans le seigneur de Banyuls pour les mener, ils risquent de se débander... Sans ça, ils nous poursuivront dans les tunnels. Ils ont l'air en nombre suffisant pour bloquer nos voies de repli. Un chef de bande a une mémoire phénoménale et celui-ci connaît sûrement les lieux bien mieux que moi.
Le visage entouré de fumée,
Patakon s'exclama:
-Ils risquent? C'est tout? Ils
risquent de s'enfuir?
L'accalmie avait offert au
manuel le répit nécessaire pour rouler un cône qu'il partageait à présent avec Miguel le
rapineur. Lupercio s'esclaffa:
Latrás: Si tu as une meilleure idée,
Manu minou, je t'écoute!
Patakon: Ne m'appelle pas comme ça, espèce de vétéran rabougri!
Latrás: Ne t'énerve pas, vieux râleur, c'est mauvais pour ta tension...
Patakon: Lupercio, si tu n'étais pas...
Le
beau parleur les coupa:
Zubiri: Du calme, la Fratrie. Les circonstances ne sont pas propices à de telles chamailleries. Le danger nous menace, rangez vos futiles querelles.
Diego Fajardo commenta:
Fajardo: Ça me rappelle la fois où nous étions coincés dans la tour de l'église Saint-Félix de Gérone.
Barber, qui prenait enfin la parole, corrigea de sa voix paisible:
Barber: Sainte-Marie. C'était bien à Gérone, mais c'était dans la tour de la cathédrale Sainte-Marie.
Pour les ramener à l'essentiel, Mendoza intervint:
: Y a-t-il d'autres issues?
Latrás: Laisse-moi réfléchir. Ça fait un bout de temps que je ne suis pas venu dans le coin.
En retrait des autres, Zubiri étudiait la disposition de la pièce. Après quelques instants de réflexion, il héla
Dés-Pipés. Arbalète en main, impavide, Miguel montait la garde en face de la porte. Le
beau parleur et le gros joueur renversèrent la table et les bancs dans un des coins de la salle opposé à l'entrée, constituant ainsi un semblant de rempart.
Approbateur, Mendoza les regarda faire. Les voleurs avaient visiblement une certaine habitude de ce type de situation. Un maigre rempart, certes, mais en l'occurrence, le moindre avantage comptait.
Des coups s'abattirent sur la porte. De plus en plus puissants. De plus en plus furieux. Crachant d'un air dégoûté, Lupercio annonça:
Latrás: La barre ne résistera pas. D'abord les arbalètes. Visez bas, ils vont s'avancer baissés. Surtout, ne passez pas de l'autre côté de la table. Ils vous submergeraient.
Le morceau de bois céda, tombant sur le sol, brisé en deux. La porte était toujours fermée, mais dorénavant, la moindre pression suffirait. Les assaillants signalèrent leur satisfaction d'un concert de cris agressifs. Un bruit particulièrement éprouvant pour les assiégés.
Vint le silence, lourd de funestes présages et tout aussi insupportable. Diego s'exclama:
Fajardo: Mille écus! Qu'est-ce qu'ils font tes
nyerros? Cette attente, ça me brise les nerfs!
Barber: Sainte-Marie!
Tout à fait hors de propos, Barber répéta:
Barber: C'était la tour de la cathédrale Sainte-Marie de Gérone!
Enfin, la porte s'ouvrit brusquement et une marée humaine s'écoula à toute vitesse dans la salle. Terrifiante vision que celle d'une meute d'assassins en train de charger.
Le claquement sec des arbalètes marqua le début du combat.
Rampant au ras du sol, les brigands constituaient des cibles difficiles à atteindre sous leur cuirasse. Ils se mouvaient aussi en changeant brusquement de direction pour éviter les projectiles. Resté sur le seuil, le seigneur de Banyuls exhortait ses hommes par des ordres agressifs.
Bientôt, Mendoza et les voleurs furent submergés par le nombre. Le temps du combat rapproché était venu. Un corps à corps obstiné, désespéré.
Le capitaine avait pris un des coins ouverts de la barricade, la position la plus exposée, laissant soin à Lupercio de tenir l'autre. Diego se tenait au milieu, Javier et Miguel sur ses côtés, en retrait, pour contenir les tentatives d'encerclement. Pour sa part,
Patakon évoluait en franc-tireur. Avec une agilité surprenante pour un homme de son âge, il évitait les coups d'estoc et de taille. Il frappait vivement de ses dagues, se retirait de la mêlée et bondissait à un autre endroit pour frapper à nouveau. Derrière le couvert de la table, même le gros Fajardo faisait sa part. Soufflant, inondé de sueur, il assenait par-dessus le rempart de fortune de grands coups enlevés de sa masse d'armes, fracassant la chair des adversaires qui se risquaient à sa portée. Encadrant le joueur, Barber et Zubiri lâchaient leurs traits. L'hémoglobine se mit à gicler sur les parois et sur le sol. La Fratrie se battait le juron à la bouche.
Seul Mendoza évoluait en silence. Gifflé par le poids du passé qui tiraillait toujours sa conscience, il perdit toute notion de prudence. Il lâcha la bride à la Revanche de Sang, l'entité qui sommeillait depuis trop longtemps en lui. Aussitôt, la vengeance jaillit dans son esprit, alerte, avide, enragée, prête à trancher, fendre et fracasser. C'était exactement pour vivre ce genre d'instant qu'il s'était entraîné avec autant d'acharnement chez les
Yeomen, toutes ces années...
Assoiffé de sang, son épée et sa dague faisaient des ravages.
:
Découpe, tranche, larde, entaille... (Pensée).
Les corps ennemis s'amoncelaient à ses pieds.
Ayant épuisé tous ses carreaux, le
rapineur dégaina son coutelas et s'avança derrière
Dés-Pipés aux prises avec un
nyerro. Celui-ci avait réussi à sauter par-dessus la table, à l'intérieur de leur périmètre défensif. Miguel s'approcha trop près de l'ennemi. Sans même tourner la tête vers lui, le
valiente se laissa tomber sur un genou pour effectuer un coup de pied en pivot qui faucha les jambes de Barber. Miguel perdit l'équilibre et passa de l'autre côté du meuble. Au-dehors de la barricarde, il s'écroula lourdement et égara ses lunettes par la même occasion. À quatre pattes, il entreprit de tâter le sol autour de lui pour les retrouver. Une présence devant son nez lui fit dresser la tête. Une odeur musquée, une masse sombre et floue... Le
cadell retrouva soudain ses précieuses lorgnettes et les remit sur son nez.
En face de lui se tenait le seigneur de Banyuls, un sourire carnassier aux lèvres. Le
salteador saisit le petit voleur et le souleva en lui plaquant les bras le long du corps. Il marqua un temps d'arrêt pour bien s'abreuver de la terreur de Miguel, totalement immobilisé. Enfin, le
nyerro plongea sa lame acérée dans la gorge du pauvre
rapineur, faisant jaillir plasma et hurlements. Barber se débattit du mieux qu'il pouvait mais il n'était pas assez fort pour résister. Le sang s'échappait de la blessure à gros bouillons, comme sa vie le quittait. Exsangue, il se tut et son corps devint flasque.
☼☼☼
Le seigneur de Banyuls releva son visage pour toiser Mendoza quelques secondes avant de replonger son arme dans la blessure avec une inhumaine frénésie. Le carnage recouvrit sa barbe, ses bras et et son torse d'un voile fumant d'hémoglobine.
Lupercio hurla:
Latrás: Miguel! Non!
La colère d'un soldat sur un champ de bataille pouvait s'avérer une chose impressionnante. Mendoza avait affronté la vindicte des Écossais, partagé l'ardeur des Anglais au combat, combattu Français et Flamands. L'ancien militaire les valait bien.
Sans hésiter, ce dernier quitta sa position défensive. Il se propulsa en avant, à la rencontre de Banyuls. Sans ralentir, il projeta presque négligemment sa dague à droite ou à gauche, tranchant dans la chair pour dégager son chemin. Chaque frappe était parfaitement dosée, abattant au minimum deux rivaux à chaque fois.
:
C'est un Initié! (Pensée).
Mais Latrás n'en resta pas là et son armure dévoila ses secrets. De ses points renforcés jaillirent des lames aux pointes affûtées. Le soldat hurla le cri de guerre lors de la Reconquista:
Latrás: Santiago y cierra España!
Puis il sauta dans la masse des
nyerros. Chacun de ses mouvements hachait ou tranchait la peau des hommes qui tentaient de s'en prendre à lui. Sans temps d'arrêt. Lupercio abattait sa lame, latéralement ou de biais, pour dégager le chemin qui le menait au
salteador.
Zubiri combla la brèche laissée par son camarade. Les larmes coulaient sur son visage mais ses coups n'en étaient que plus assurés. Il en était de même pour Diego. La mort de Miguel l'avait galvanisé. Les brigands payèrent le prix de leur colère.
De son côté, Juan-Carlos continuait à contenir son lot d'ennemis. La transe du combat huilait ses mouvements. Ses opposants apprenaient à craindre la morsure de son épée et de sa dague. Les armes du Catalan se gorgeaient de leur essence. Mendoza se battait honorablement, chacun de ses gestes était parfait, chacune de ses cibles succombait. Il souriait, mais son expression était glacée. Étrécis par la concentration, ses yeux ne cillaient plus. Ses deux lames ne se croisaient jamais.
Bientôt, les brigands massés devant lui reculèrent.
Chacun à sa manière, Lupercio et
Patakon se rapprochèrent du chef.
Constatant que ses troupes commençaient à fléchir devant la fureur déchaînée de leurs adversaires, le seigneur de Banyuls proférait des ordres belliqueux pour les relancer à l'attaque. Il ne pouvait se permettre de reculer, sans quoi ses hommes risquaient de se débander.
Pendant ce temps, Lupercio avait poursuivi son approche. Il n'était plus qu'à quelques toises du seigneur et il ne restait que deux de ses
nyerros pour lui barrer le passage. Latrás s'écria:
Latrás: Maintenant, Patakon!
Madariaga répondit à son appel. Comme sorti de nulle part, le
manuel apparut juste derrière Banyuls. Le vieux voleur planta ses deux dagues dans les bottes du
salteador, le faisant beugler de douleur et le clouant sur place. Puis, sans attendre, il disparut de nouveau derrière un pilier environné d'ombres.
Aussitôt, le soldat hurla du plus profond de son âme:
Latrás: Viva la muerta!
La puissance extraordinaire de son cri figea les hommes qui se tenaient devant lui, seigneur compris.
:
Non, ce n'est pas un Initié, mais un Adepte! (Pensée).
Un Adepte, un Initié supérieur, capable de transformer sa rage. De la focaliser en énergie. En l'occurrence, un cri de guerre paralysant.
Sans arrêter sa progression, Lupercio lança sa lame. Elle tourna sur elle-même avant de toucher sa cible et de trancher une des jambes de Banyuls, à la jointure du genou. Une gerbe de sang arrosa le mur.
Bien que désarmé, Latrás ne s'arrêta pas pour autant. Au contraire, il accéléra encore l'allure, droit sur le meurtrier de Miguel. Au passage des lames qui sortaient au niveau de ses coudes, il lacéra les deux brigands qui se dressaient devant lui. Ne restaient plus que quelques pas à faire pour rejoindre le
salteador.
Celui-ci criait de douleur, de colère et de dépit en tentant de maintenir son équilibre.
Un mètre.
L'ancien militaire bondit dans les airs, planant quelques instants à l'horizontale.
Tentant de garder son aplomb, Banyuls ouvrit les bras pour l'accueillir. Mais juste avant l'impact, Latrás effleura un coin de son casque. Une pointe d'acier luisant, longue comme une dague, apparut sur le haut de son morion.
Transformé en projectile vivant, le soldat percuta le noble. Portée par le quintal de Lupercio, la pointe du casque s'enfonça de toute sa longueur dans la poitrine offerte. Touché gravement, Banyuls s'écroula, poussant une plainte inhumaine. Sans perdre de temps, le
cadell se releva, récupéra sa dague et, d'un seul coup de taille, trancha la tête du chef des
nyerros.
Saisis d'effroi, désorganisés par la mort de leur seigneur, la horde déserta la pièce avant de s'enfuir dans les couloirs.
Une chape de silence tomba sur la salle.
La bataille était terminée.
☼☼☼
Les voleurs se rassemblèrent autour du corps de Miguel Barber et s'y reccueillirent en silence, leurs visages ravagés par la tristesse, et soulagés, tout de même, d'avoir survécu à cette attaque.
Mendoza ne les rejoignit pas. Ce n'était pas sa place, il le savait. Il gagna la porte et sortit vérifier que les
nyerros avaient bien fui. Ce qui s'avéra être le cas, le reste des brigands ayant déguerpi sans demander leur reste.
Le Catalan en profita pour essuyer ses lames avant de s'inspecter. Il ne souffrait que d'estafilades. Son allonge supérieure et la transe guerrière l'avaient sauvegardé de cette échauffourée.
Il chercha à comprendre les raisons de cette escarmouche sans y parvenir. Une chose était sûre, à présent. Un puissant chez les Français s'acharnait à sa perte. Il jura intérieurement:
:
Eh bien, qu'il vienne! Ma lame réglera le problème une bonne fois pour toutes!
Il retourna dans la salle et rejoignit les autres. Les yeux rougis par la peine,
Patakon s'ébroua:
Patakon: Allez, on repart! On n'a pas fini la mission.
Jetant un dernier regard pour le
rapineur qu'ils avaient recouvert de son manteau, il fit:
Patakon: On reviendra le chercher pour prendre soin de sa dépouille et le pleurer comme il le mérite.
De sa voix grave, Latrás acquiesça:
Latrás: Tu as raison. Les
nyerros ne risquent pas de revenir dans cette pièce.
Après avoir porté le corps de Miguel à l'écart, ils sortirent de la salle et reprirent leur périple. Dague en main, Lupercio menait le groupe, Zubiri avait récupéré son arbalète, ayant changé au préalable la corde trop longtemps bandée, afin de garder un tir précis et ne pas risquer une perte de puissance en cas de nouvelle attaque. Fajardo marchait en sanglotant. Mendoza se porta au niveau de Manuel.
: Je suis désolé pour Barber. Sincèrement.
Le vieux voleur soupira:
Patakon: Les risques du métier, fiston. Tu n'y es pour rien. Si quelqu'un doit s'en vouloir, c'est moi. Lupercio nous avait avertis, j'aurais dû refuser d'emmener Miguel. De tous, c'était le moins apte au combat. Enfin... c'est comme ça. Allez, on y va.
La peine avait chassé l'insouciance. Le groupe continuait d'avancer, remontant le couloir d'un pas souple. Fermant la marche, Javier suivait ses compagnons, son regard alerte balayant le boyau, à l'affût.
Arrivé au palier inférieur, une fois passé un tournant à angle droit, le
manuel déverouilla une grille d'accès. D'un geste blasé, il fit signe à ses acolytes d'en franchir le seuil. Ce secteur commençait par un long et unique couloir de pierre qui se prolongeait après avoir formé un coude, et était éclairé de torches accrochées dans des niches, en hauteur.
:
Qui diable les a allumées? (Pensée).
Le palier formait un grand rectangle, percé de portes d'acier côté intérieur. C'était probablement un ancien centre de détention. Ce lieu n'avait pas pour vocation d'être un endroit agréable et ces sous-sols suintaient d'une aura lugubre. Au temps des Romains, désespoir et souffrance avaient dû y régner, pour le plus grand plaisir des tortionnaires.
Quelques pas après la grille, ils se retrouvèrent face à quatre personnages armés. Revêtus de cuir noir et de surcots frappés d'un écusson inconnu, ils étaient postés dans une alcôve. Ces derniers se redressaient, interloqués par cette étrange visite. Zubiri les toisa, une flèche déjà encochée à son arme et sourit:
Zubiri: On parie que je vous abats avant que vous n'ayez fait trois pas? Allez messires, faites-moi ce plaisir... ou bien laissez tomber vos armes et allongez-vous à plat ventre, vous aurez la vie sauve, je vous le promets. Décidez-vous.
Ces bougres-là n'avaient rien à voir avec ceux qu'ils avaient combattus dans la salle de garde et le
beau parleur pouvait les épargner.
L'un d'eux, grimaçant, fit mine de se ruer en avant. Javier brisa net son élan d'un carreau dans la cuisse, saisit un autre trait dans son carquois et l'encocha avec une telle vitesse que les trois autres comprirent qu'ils n'avaient aucune chance.
Laissant tomber leurs épées, ils s'allongèrent face contre terre. Le
Yeoman se dirigea vers eux, un rictus tordant ses traits, sa dague frémissant dans sa senestre.
Patakon lui rappela:
Patakon: Non Mendson! Ils se sont rendus.
: Je m'en moque, je ne leur ai rien promis, moi!
Zubiri rétorqua:
Zubiri: Mais moi, si... Ne fais pas ça!
D'une voix dont le soyeux n'était réservé qu'au mercenaire, Manuel ajouta:
Patakon: S'il te plaît, fiston...
Abreuvée par sa remontée de mort dans la salle de garde, la Revanche de Sang était devenue un feu éclatant, tellement séduisant, tellement séducteur, dont les flammes apaisaient momentanément l'âme meurtrie de Mendoza, l'apaisaient de ses cauchemars. Mais quelque chose retenait Juan. Un grand gaillard aux cheveux blancs, au regard pâle, au sourire éclatant. Un gaillard nommé Manuel Madariaga. Par la force qu'il lui donnait, par son respect, pour les épreuves qu'ils avaient partagé, le capitaine pouvait se contenir, étouffer l'appel de la vengeance et renvoyer l'entité carnassière dans sa grotte sombre et brûlante. Pour un temps.
Pour
Patakon, il pouvait résister, changer, sans pour autant se renier. Dans un haussement d'épaules, il concéda:
: Soit! Ceux-là, je te les laisse. Mais c'est vraiment parce que tu me le demandes.
Les
valientes furent attachés à l'aide de leurs propres ceinturons. Fajardo les bâillonna et les quatre hommes furent abandonnés sur place.
Le quintette progressa sans encombre durant une bonne heure dans les galeries avant de s'arrêter devant une paroi semblable à toutes les autres.
Latrás: On y est, Mendson. Regarde!
Lupercio apposa sa grosse main poilue sur un léger renfoncement dans la cloison. Il poussa trois autres marques à la suite, selon un ordre précis.
Un passage s'ouvrit dans la roche, découvrant un couloir pentu, au plafond bas. Mendoza s'engagea à la suite des autres, obligé une nouvelle fois de se courber. Latrás referma derrière lui. Le couloir menait à une salle sèche, fermée à l'opposé par un pan de roche percé d'un trou bas. L'Espagnol pouvait entendre l'eau couler, de l'autre côté de la paroi.
La salle avait été aménagée de quelques litières. Des caisses de bois renfermaient des réserves de provisions, d'armes, de vêtements. De l'une d'elles,
Dés-Pipés sortit de quoi soigner leurs blessures.
Portant le deuil de leur ami, les voleurs restaient silencieux. Une fois les soins achevés, Madariaga roula un peu de chanvre qu'il dédia à Miguel. Chacun des voleurs vint tirer au moins une bouffée de fumée. Mendoza resta à l'écart jusqu'à ce que le cône ne soit plus que cendres.
Alors Lupercio sortit de sa gibecière un gros trousseau comportant des clés de toutes sortes. Il en sélectionna une de forme allongée, l'inséra dans la fente en bas du mur et tourna. Le mur rentra dans la paroi et le chant de l'eau se renforça. Le fantassin passa dans l'ouverture, une torche à la main, qu'il ficha dans un trou prévu à cet effet, éclairant par la même occasion un parapet qui ouvrait sur un conduit vertical. En entrant à son tour, le mercenaire put distinguer des barreaux de métal, enchâssés dans la pierre.
Manuel prit la parole:
Patakon: Cette ouverture donne directement sur le patio de l'hôtel de ville. Nous nous trouvons à présent juste en-dessous. Remonte ces barreaux, ils te conduiront à destination.
: Parfait!
Pour Mendoza, tout avait démarré de là. Tendant la lettre de cachet à Madariaga, Juan poursuivit:
: Tiens, voici le paiement convenu. Votre aide m'a été précieuse. Je regrette pour ton ami...
Encore visiblement ému, le
manuel le coupa:
Patakon: L'affaire est réglée. On te laisse là, fiston, il est temps de s'occuper de ramener Miguel. Je crois toutefois que j'assisterai au Jugement. J'ai l'intuition que ça va se révéler particulièrement intéressant, cette année. Nous nous reverrons, Juan-Carlos Mendoza, je le sais. Alors inutile de se dire adieu!
: Un instant! Tu connais mon véritable nom? Depuis quand?
Le vieux voleur sourit malicieusement:
Patakon: Depuis le début... Vois-tu, j'étais présent à Séville lors du retour de Juan Sebastián Elcano quand il revint de l'expédition commandée à l'origine par Fernand de Magellan à bord de la Victoria. Avec le supplétif Antonio Pigafetta et le capitaine, tu faisais partie des dix-huit hommes à complèter le tour du monde. J'étais venu là pour affaire, or il n'y avait plus grand-chose à rapiner. La vente des épices rapportées à fond de cale remboursa l'essentiel des frais engagés au départ, mais fut insuffisante pour couvrir les arriérés de solde dus aux survivants et aux veuves. Tu connais mes principes, je ne pouvais donc rien faire.
: C'est un fait, le bilan financier fut très négatif. Ma solde m'avait néanmoins permis de retourner à Barcelone.
Patakon: Avec ce gamin que tu traînais partout avec toi... et que tu as laissé aux soins du père Rodriguez au monastère de Pedralbès.
: Comment le sais-tu?
Patakon: Parce que j'ai veillé sur vous durant ce voyage. Ton physique est plutôt facile à reconnaître, fiston, et je n'oublie jamais un visage. Je pense que tu as un compte à régler avec Pedro Folc de Cardona et je veux voir ça de mes propres yeux. Et sache également, si tu ne l'as pas encore compris, que j'ai apprécié notre collaboration...
Pris d'une inspiration, Mendoza prit le voleur par le bras. De son autre main, il esquissa un mouvement des doigts, une figure précise qu'il effectua d'abord lentement, puis plus rapidement.
: Tu vois ce signe, Manuel... tu le reconnaîtras? Bien. Si quelqu'un t'approche en faisant ce signal, tu sauras qu'il vient de ma part. On ne sait jamais... j'aurai peut-être à nouveau besoin de tes services. Merci pour tout,
Patakon. Moi aussi, ça m'a bien plu. À te revoir.
Le Catalan salua Lupercio, Javier et Diego puis s'engagea sur le parapet. Il saisit fermement l'un des barreaux et entama sa montée.
:
J'arrive Cardona. Je suis tout près, à présent! (Pensée).
À suivre...
*
*Salteador: terme espagnol, du verbe saltear qui signifie voler en zone rurale, délit fort atroce, surtout si en plus d’ôter sa bourse au voyageur, on lui ôte la vie.