"Sa Machine Ailée" et autres histoires

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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Amaya
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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Amaya »

La Salamandre.


Si Esteban sort d'un endroit tout seul, je me poserai plus de questions. [-|


L'histoire est tellement réaliste par rapport à ce qu'ils vivent.

On les qualifie encore "d'enfants", mais ce sont plutôt des "pré-ados" avec pleins de questions dans leur tête, qui parfois restent sans réponses.

Ils essaient de comprendre le sens de la vie, de la leur, mais aussi de connaître leurs envies, leurs orientations et leurs pulsions sous tous les sens du terme.

A l'époque, on sait tous que c'était encore plus archaïque que maintenant. Alors, on connait l'éducation qu'à pu recevoir Esteban mais aussi l'enseignement de vie... On imagine bien sa position face à tout cela.

On a eu aussi son âge, avec les mêmes questions.

Voilà que nos 3 "enfants" sont des polyamoureux ! Et bien pourquoi pas... C'est original quand même et ça sort du lot.
Après, on aime cette vision ou on ne l'aime pas héhé.
La fin est très poétique je trouve. Et puis, ça se finit plutôt bien pour les trois !

1/ La vie est la meilleure des écoles.
2/ Le plus important dans toutes vos recherches est de vous trouver.
3/ Je préfère quand même :Esteban: :Zia: sans :Tao: :tongue: :tongue:

Après, je vois pas ce que je peux rajouter en commentaire parce qu'on a tous vécu cela donc (les questionnements, je ne dis pas que tout le monde est dans le polyamour)... chacun en tira selon sa propre expérience ! :x-):
" Esteban, ne soit pas triste, ne soit pas inquiet. Tu as, toi aussi, ta propre route à continuer. Pour devenir vraiment grand, vois-tu mon enfant, un fils doit dépasser son père."

ATHANAOS ❤

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Sandentwins
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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Sandentwins »

Amaya a écrit : 23 août 2019, 16:45 1/ La vie est la meilleure des écoles.
2/ Le plus important dans toutes vos recherches est de vous trouver.
3/ Je préfère quand même :Esteban: :Zia: sans :Tao: :tongue: :tongue:
Ah, ben désolé mais je vais te décevoir encore.


:condor: Ni Richesse, ni Révelation :condor:

Esteban a vu des tas de choses dans sa vie. Il a visité tant d'endroits, rencontré tant de gens, et vécu tant d'expériences qui l'ont profondément changé. Mais même après avoir vécu tout ceci, découvert tous les secrets et fait tous les pas qu'il a faits lors de son voyage, il se faisait encore surprendre par le plus grand trésor d'entre tous.

Car ce n'était pas un héritage perdu provenant d'un continent englouti avec lequel il avait une vague et distante parenté; ni une merveille technologique cachée au plus profond d'une métropole dorée. Ce n'était ni fortune, ni révélations terribles, mais quelque chose de tout aussi précieux, voire plus encore. Et depuis tout ce temps, il se trouvait tout près de lui, attendant qu'on le retrouve.

Et à chaque fois qu'il y repensait, son cœur s'emballait comme une nuée de papillons.

Au delà de l'horizon, le soleil commençait à se lever, baignant son visage des premières lueurs du matin. Il ferma les yeux pendant un moment, prenant le temps d'apprécier cette chaleur qui se répandait sur sa peau, qui le revigorait et le réchauffait. Il ne pouvait échapper à sa vraie nature, il le savait bien.

Il respira profondément, comme pour se purifier de la lourdeur de la nuit qui le quittait lentement, alors que la lumière lui parvenait, parvenait au Grand Condor sur lequel il était assis. Le vieil oiseau luit à son tour d'un éclat d'orichalque, et Esteban sentit la très faible vibration du moteur lui signaler que l'animal se réveillait. Il tapota doucement sa coquille dorée, comme pour un chien qui remue la queue en voyant son maître. Puis ses yeux revinrent sur l'orient, à regarder le soleil se lever et teindre le ciel comme pour le peindre devant lui, tout en oranges et en roses damasquinés de fils d'or.

Cette beauté dorée était leur vieil ami, celui qui avait porté leur équipage sur les terres et les mers depuis déjà cinq ans. Cinq années qu'ils cherchaient les légendaires Cités d'Or, depuis qu'ils ont commencé de voyager ensemble pour découvrir les secrets de leurs origines. Et même une fois leur quête terminée, il leur restait encore tant à voir. L'héritage de Mu et de l'Atlantide les attendait toujours, là où il se cachait, ce qui voulait dire que leur trio avait encore du pain sur la planche.

Un mouvement attira son attention, le sortant de ses pensées, et il tourna la tête pour voir que Tao s'était réveillé à son tour, se relevant avec les yeux fatigués d'un joli rêve interrompu par un méchant rayon de soleil. Sa petite expression ronchonne fit sourire Esteban, alors que son ami bailla et finit par se rapprocher, pour s'asseoir avec lui.

« Bien le bonjour, marmotte. », taquina Esteban. « J'espère que tu ne faisais pas un rêve trop important. »

« – On n'est pas tous des lève-tôt comme toi. », répondit-il avec un brin d'ennui amusé. « Ou des organismes mangeurs de lumière. »

« – Et c'est bien dommage. Après tout, j'ai toujours dit que celui qui se lève avec le soleil gagne en sagesse et en jeunesse. »

Ce ton prétentieux et vantard fit pouffer Tao, et il marmonna quelque chose dans sa barbe naissante avec un hochement de tête. Esteban aurait parié n'importe quoi que ça sonnait comme « typique d'un Atlante ».

« J'ai eu un bon rêve. », dit-il au bout d'un temps. « Je pourrais te le raconter, si je m'en souviens. »

« – Ça veut dire que je n'en entendrai jamais mot. C'est dommage, il se passe tant de choses bizarres dans ta tête. »

« – Ma tête, hein? Continue de m'appeler bizarre, et tu vas finir par me la prendre. »

Tous deux gloussèrent de rire. Esteban sourit, ravi de voir que sa journée commençait aussi bien.

Lentement, sa tête vint se poser sur l'épaule de Tao, s'y reposant avec un rien de fatigue joueuse qu'apportait le matin. C'était un geste simple, et assez timide; à cette humilité, Tao répondit en l'enserrant solidement dans son bras, pour l'amener dans son étreinte. Quelle prise solide! Esteban s'en sentit tout faible, mais d'une bonne façon, qui amena plus encore de papillons dans son ventre. Et pour être honnête, il adorait ça.

« Tu n'as plus l'air si endormi. », mina-t-il. « As-tu récupéré quelques forces? »

« – Mes forces ne me quittent jamais. Tu devrais le savoir. »

« – Ah, vraiment? »

« – Tu veux tester? »

Il n'eut besoin que d'un regard de défi et d'un sourire malicieux, pour capturer Esteban dans ses bras solides qui faillirent lui couper le souffle. Tu parles d'une façon de commencer la journée!

Esteban essaya de se dégager, de se libérer de l'emprise de Tao, mais celle-ci était trop forte pour qu'il s'en échappe; il se tortilla en vain, son visage crispé d'un rire endolori, avant d'abandonner.

« D'accord, d'accord, t'as gagné! », supplia-t-il. « T'es plus fort que moi, je le reconnais! »

« – Il était temps! »

Tao le laissa aller, et Esteban prit une profonde inspiration. Mais il souriait tout de même, car son ami resterait décidément le même.

« T'es vraiment pas possible, tu sais ça? », demanda-t-il, haletant un peu.

« – Je croyais que t'aimais bien. »

Bon. Pour être honnête, il n'avait pas tort. Mais Esteban ne l'admettrait jamais, et certainement pas devant lui. C'était sa manière d'être. Et bien que parfois cette obstination fasse rogner Tao de frustration, de temps à autres elle se révélait adorable.

Combien de fois les petits défauts et manies d'Esteban l'ont-il ennuyé à en mourir, avant qu'il ne se rende compte qu'il les aimait bien? Combien de temps avait-il pris pour réaliser qu'il aimait ses manières et ses façons, que sa petite bizarrerie était ce qu'il avait d'unique, et qu'il en tombait amoureux de plus en plus chaque jour? Admettre ses propres sentiments avait été un long et lent procédé; mais on ne pouvait pas nier l'inévitable. Et une fois qu'il fut passé outre son dédain des Espagnols et son obligation d'honorer une rivalité des temps anciens, il s'est aperçu de la véritable douceur de la vie.

La douceur des yeux de miel d'Esteban, se dit-il. Sans doute y avait-il une relation.

« T'apprécies la vue? »

Tao cligna des yeux, et se rendit compte qu'il fixait depuis un moment, perdu dans ses pensées. Perdu dans la contemplation, dans les doux souvenirs de leurs premiers moments de tendresse, dans un silence qui contrastait fortement avec son babillage habituel. Un côté de lui-même qu'il ne montrait guère, mais qu'il laissait volontiers voir. Esteban sourit, et son sourire sembla comme une provocation, qui ramena vite Tao à la réalité. À partir de là, il ne leur fallut pas longtemps pour recommencer leur bagarre amatrice, ainsi que la guerre sans fin de leurs obstinations.

Heureusement, ça ne dura pas bien longtemps, car des pas non loin interrompirent leur bataille au bout d'un moment. Avec l'aisance de l'expérience habituée, Zia grimpa sur le dos du Condor, rejoignant les deux jeunes hommes qui essayèrent de se mettre un peu plus en ordre.

« C'est donc là que vous vous cachiez. », dit-elle, bras croisés. « Je détourne le regard une seconde, et vous en êtes déjà à vous bagarrer. Parfois je me demande comment vous pouvez bien vivre sans vous entre-tuer! »

« – C'est lui qui a commencé! », répondirent-ils à l'unisson, l'un pointant l'autre.

Zia gloussa à leur manège, alors que les yeux des garçons se lançaient des éclairs, et s'assit entre eux pour apaiser la tension habituelle. Ah, combien de fois se sont-ils réveillés dans un tel état? Elle avait perdu le compte depuis bien longtemps.

« Allons, allons. », dit-elle calmement, posant une main sur leurs épaules. « Ne nous disputons pas si tôt, voulez-vous? L'aurore est si belle, ce serait mal de ruiner une telle vue. »

Et c'était une magnifique aurore, en effet. Le ciel s'était éclairci, les couleurs chaudes des nuages se fondant en un bleu pâle qui se répandait au-dessus de leurs têtes un peu plus à chaque seconde. Ce n'était certes pas la meilleure scène qu'ils aient jamais vue, mais elle restait magnifique à voir. Et dans le silence de leur contemplation, leurs esprits s'en trouvèrent en effet apaisés.

« C'est vrai. », remarqua Esteban doucement. « J'aimerais pas briser un tel moment. »

« – Alors tais-toi. », minauda Tao. « Ta voix me résonne aux oreilles. »

« – Ma voix est un chant du cygne, et tu le sais. »

Ils en pouffèrent de rire. Un sourire attendri caressa chacun de leurs visages, et aucune dispute ne pourrait les en effacer. Peu à peu, ils s'assirent plus près l'un de l'autre, appréciant la chaleur montante du soleil matinal qui s'étendait sur eux comme une couette. Une couette familière, rassurante, qui les avait suivis depuis le début de leurs aventures.

Zia bougea un peu, laissant sa tête reposer sur l'épaule de Tao. Ses cheveux étaient si doux, encore un rien emmêlés depuis son réveil, et sans qu'il ne s'en rende compte, il se mit à les peigner de ses doigts, pour amener un peu d'ordre dans cette bataille. Elle le laissa faire, fermant les yeux et soupirant de plaisir. Que c'était bon de se faire traiter si gentiment, quand l'aube était encore calme et tout le monde autour était en paix! Elle ne l'aurait donné pour rien au monde.

Mais on pouvait faire encore mieux. Sentant des yeux jaloux se poser sur elle, elle leur ouvrit les bras, et Esteban ne perdit pas un moment pour se blottir dans son étreinte. Il était aussi chaud que les ailes du Condor sous le soleil de midi, et le serrer tout près semblait la revigorer comme une batterie d'orichalque. Elle enfouit son visage dans ses cheveux, respirant un parfum de sel marin et de tissu de siège. Des sensations familières qu'elle a appris à connaître au fil des années, et dont elle ne pouvait désormais plus se passer.

Ces garçons-là étaient ses garçons à elle. Cette pensée possessive lui amena un sourire, alors qu'ils se rapprochaient encore un peu les uns des autres, déterminés à transformer les cheveux de Zia en une tête à coiffer et à tresser, ce qui la fit glousser alors qu'ils la pomponnaient comme une poupée. On dirait bien que ses efforts pour calmer leur rivalité ne fonctionneraient jamais, peu importe ses efforts. Mais ça ne les dérangeait pas, donc ce n'était pas si grave. Au pire, elle appréciait leurs petites disputes, car elles se finiraient toujours en un jeu de séduction.

La première fois, ce fut une surprise. Aucun d'entre eux n'avait jamais montré d'intérêt romantique pour les autres, à part d'occasionnels moments d'admiration ou de jalousie qui arrivent souvent à l'aube de l'âge adulte. Mais petit à petit, les choses ont changé. Alors que ces trois-là grandissaient, leur amitié prenait quelques tours qu'ils n'avaient jamais considérés auparavant. Des moments où l'étroitesse de leurs liens et la curiosité des esprits mûrissants menaient à toutes sortes de questions, de petits « et si », qui à leur tour menaient à une exploration hésitante.

Les mains se sont prises, les mots se sont adoucis; les regards se sont rencontrés, les lèvres timides se sont touchées. Bientôt il ne resta plus qu'eux trois dans 'aventure, et dans l'intimité nouvelle de leurs voyages, ils ont osé faire plus encore qu'ils n'auraient jamais admis. C'était eux trois contre le monde, à briser toutes ces règles qu'ils sentaient exister quelque part, dans un coin de leurs esprits qui semblait de plus en plus distant au fil de leur parcours, de leur contemplation de ce que le monde avait à offrir.

Au début, ils hésitaient. Ils ne savaient pas comment s'appeler, comment arranger leur relation étrange. Depuis longtemps, tout portait à croire qu'Esteban et Zia seraient ceux destinés à unir leurs cœurs et leurs vies, comme si c'était une condition sine qua non de leur destin tracé. Et en effet, il fut un temps où ils l'ont envisagé, mais ça n'avait pas semblé juste. Jamais ils ne pourraient laisser Tao derrière, loin de ce destin qu'ils étaient supposés partager. Ils formaient un trio inséparable, après tout, et ils ont démontré à bien des reprises qu'ils ne sauraient avancer les uns sans les autres. Ce n'était pas prévu par les plans de Mu, mais c'était leur façon de faire, leur façon d'aimer faire. Et donc, comme tous les défis qu'ils ont relevés jusqu'ici, ils le feraient tous les trois.

Les sentiments d'Esteban se sont longtemps embrouillés, il devait l'admettre. Il n'aurait jamais pu choisir entre ses deux amis, et il savait qu'ils ressentaient la même chose. S'il avait le choix, il les prendrait tous deux en tant que compagnons de vie; or, il avait effectivement le choix. Et une fois qu'il s'en était rendu compte, le reste avait suivi tout naturellement.

Au bout d'un moment de coiffure et de tressage, Zia se releva quelque peu, regardant le soleil qui avait fini de se lever. Elle se tourna vers ses partenaires, qui semblaient aussi empressés qu'elle.

« Allez. On devrait y aller, tant que le ciel est dégagé. »

« – Où est-ce qu'on va, maintenant? »

Esteban y réfléchir, regardant le paysage où ils avaient atterri la nuit dernière. Un champ vide quelque part au nord du Nouveau Continent, pas très loin de la côte, où ils avaient trouvé d'autres restes de l'héritage de Mu. Des traces qui mèneraient sûrement vers d'autres surprises.

« Suivons la côte. », se décida-t-il au bout d'une minute. « Par le sud, vers la baie. J'ai le sentiment qu'on y trouvera quelque chose. »

« – Ah, si tu en as le sentiment, alors c'est bien réel. », s'amusa Tao. « Allez, dépêchons. Plus vite on décolle, plus vite on le trouvera. »

Ils acquiescèrent, et ne perdirent pas de temps à se remettre en route. Esteban se laissa glisser le long du dos du Condor, retombant dans le cockpit et prenant sa place. Le levier serpent se glissa hors de sa cache, se lovant dans la paume de sa main sous le coup de l'habitude.

Il leur restait tant à faire, et tant à découvrir. Alors que leurs liens devenaient plus forts, ils ont réalisé que peu importe ce que les prophéties disaient, ils ne sauraient continuer seuls. Donc s'ils devaient reprendre leur voyage, il n'y aurait pas d'autre moyen.

Il y avait encore tant de choses qui les attendaient là-bas. Tant de merveilles à découvrir, de secrets à voir. Tant de trésors qu'ils trouveraient bientôt; mais pour le moment, Esteban ne s'inquiétait pas. Car le plus grand trésor de tous n'était ni richesse, ni révélation.

Ses deux trésors étaient juste à ses côtés; ils avaient sa confiance, son soutien et son cœur. Peu importe si leur voyage promettait d’être long ou difficile, ils le feraient ensemble. Et il n'y changerait jamais rien au monde.



Avec en prime, nos trois ptits gars tout grandis:
Oui, c'est la pose du générique.
Oui, c'est la pose du générique.
:condor: Le meilleur personnage de toute la série, c'est la mère d'Esteban.:condor:

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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Sandentwins »

On va s'interrompre sur les histoires de polyamour, pour apporter du sérieux et du plus dramatique. Si vous n'avez pas encore lu Nos Chemins sous la Lune, vous ne serez pas spoilés, mais c'est quand même mieux.
Voici donc ce qui se passe entre l'histoire susnommée et Sa Machine Ailée, et qui explique le processus un peu plus en détail. Il y a deux chapitres, je posterai le second plus tard.

Notez toutefois que le chapitre ci-dessous contient de la violence assez graphique, et peut ne pas être adapté à toutes les sensibilités. Le second n'en contiendra pas, mais celui-ci peut en choquer certains, bien qu'il n'y ait pas de gore. On parle quand même de sacrifices humains.


:condor: Serres de Lune - La Vestale et l'Oiseau :condor:

Ses pieds nus s'écorchent sur le sentier froid de gravier humide, où elle marche avec difficulté. Le vent fouette ses cheveux, les faisant voler dans tant de directions qu'elle à du mal à voir où elle va. Les mains étrangères qui l'empoignent la tirent en avant, la forcent à escalader le chemin de montagne, vers un endroit qu'elle a seulement entendu de légendes. Plus haut encore vers un sommet dont elle sait qu'elle ne redescendra jamais.

Son visage est trempé de larmes et de pluie, sa vision floue et sa respiration haletante. L'air est plus rare dans ces hauteurs, et elle est épuisée de toute cette marche. Mais elle sait que c'est ce qu'ils veulent. Elle sait que les choses vont empirer au fur et à mesure de son ascension, et qu'elle ne peut y échapper.

Elle ne peut échapper à son destin.

De là où elle se trouve, elle a une vue magnifique de la côte. De son petit village, celui où elle a grandi et passé toute sa vie. Et c'est une vue magnifique, familière, qui remplit son cœur de regret et de nostalgie. Cet endroit est sa maison, là où se trouvent tous ses souvenirs. Depuis ces hauteurs, elle peut voir le Temple du Soleil où elle a passé tant d'années, rencontré ses amies et appris tout ce qu'elle connaissait. Tout ce qu'elle a fait, tout ce qu'elle est se trouve en bas, au pied de la montagne. Et en détourner les yeux lui déchire le cœur.

Le ciel est teint d'un gris sombre, les nuages cachant le soleil couchant. La tempête n'était toujours pas passée, et les échos lointains du tonnerre lui remirent en tête des souvenirs déplaisants. Sa gorge lui fait mal, et elle a envie de pleurer à nouveau; mais elle essaye de retenir ses larmes. C'est inutile, maintenant, et le regret n'aidera pas sa situation. Elle doit rester forte, et garder la tête froide. C'est ce pourquoi on l'a amenée ici, ce pourquoi elle est là. Et elle ne laissera pas ses sentiments empiéter sur son devoir.

Pas cette fois.

Elle s'appelle Killa. Elle est tombée amoureuse d'un étranger, et ils ont vécu les meilleures années de sa vie. De leur union naquit un enfant, qui aurait dû amener joie et bonheur dans leurs vies; mais au jour de son premier souffle, le ciel s'est obscurci de la plus noire tempête. Inti le Dieu Soleil s'était enragé de sa naissance.

Ils se sont emparés d'elle. Ils l'ont accusée de ce crime. Et ils l'ont amenée en haut de cette montagne, sur ce pic où elle pouvait à peine respirer, pour donner son corps en pâture aux condors et son âme à la merci d'Inti. C'était elle qu'on avait jugée et punie de l'existence de son enfant.

Ses pieds touchèrent le sol à nouveau, et les mains qui s'étaient emparées d'elle la poussèrent brusquement. Elle tomba sur le sol dur avec un grognement, son souffle coupé, et essaya de se remettre debout; mais ses forces l'abandonnaient. L'escalade l'avait davantage affaiblie, et les étourdissements s'acharnaient sur elle. Elle trouva à peine la force de se relever, se levant à quatre pattes hésitantes en essayant de retrouver sa respiration.

Elle entendit une voix parler d'un ton sévère, cérémonieux, mais elle n'en saisit pas les mots. Elle avait du mal à écouter, ses oreilles sifflant sous la pression. Ses poumons s'écrasaient dans sa poitrine, à tel point qu'elle pouvait à peine respirer, et elle se sentait de plus en plus près de l'évanouissement. Des étoiles clignotaient au coin de sa vision, alors qu'elle essayait de se relever et de garder sa dignité. Les mains brutales la relevèrent une fois de plus, et ses jambes fatiguées purent se tenir à peu près debout, courbées comme elles étaient. Une autre main lui releva la tête, et ses yeux fatigués rencontrèrent ceux de la doyenne du village.

Celle qu'elle considérait autrefois avec respect et admiration, mais qu'elle méprisait désormais. Et ses yeux le montraient bien, ses yeux fatigués qu'elle brandissait comme des armes de haine.

« C'est dommage qu'il faille te laisser partir. », dit la doyenne en secouant la tête. « Tu étais une bonne vestale. Tu aurais pu faire de grandes choses! »

Dans la voix de la vieille femme, Killa crut entendre quelque chose comme de la pitié. Ça ne fit que la rendre malade.

« Tu étais quelqu'un d'important à notre village, Killa. Pourquoi as-tu tout laissé tomber? »

Killa était fatiguée, épuisée de tout ce qui s'était passé ces quelques derniers jours. Les échos de l'accouchement, la fatigue de ses jambes, la pression dans sa poitrine lui pesaient, l'amenaient vers le fond comme des chaînes d'acier. Elle pouvait à peine garder la tête relevée pour regarder la doyenne en face, elle pouvait à peine respirer. Et pourtant elle y parvint, fixant la vieille femme d'un regard aussi acéré qu'elle pouvait faire, un regard qui brillait encore d'une faible couleur de pleine lune. Un cadeau de l'enfant à qui elle a donné le jour, un signe qu'elle était des leurs, désormais.

« Ce n'est pas vrai. », souffla-t-elle.

Sa voix était faible, un murmure qui pourrait à peine éteindre une bougie.

« Je n'ai rien laissé tomber. Au contraire. J'ai...j'ai tout gagné. »

Elle repensa à tout. À toutes ces choses qu'elle avait vécues avec l'homme qu'elle aimait, cet homme pour qui elle a ouvert son monde et son cœur. Cet homme qui lui avait tant donné en retour.

Cet homme avec qui elle avait voulu fonder une famille. Construire une vie.

« J'ai tout gagné. », sourit-elle en triomphe. « Et personne ne me le prendra jamais. »

La doyenne fronça les sourcils, et laissa tomber la tête de Killa, l'envoyant presque sur le côté comme un rebut.

« Tu es tombée bien plus bas que ce que je pensais. », siffla-t-elle.

Puis, elle regarda ceux qui portaient la pauvre femme.

« Finissons-en. »

Leur prise sur les bras de Killa se relâcha, et elle faillit retomber. Mais c'est alors que quelque chose de lourd la frappa en pleine tête, l'envoyant au sol avec force. La douleur lui parcourut le crâne comme une fléchette empoisonnée, explosive et assourdissante comme un tambour, et son corps tomba sur le gravier et les cailloux pointus qui lui écorchèrent la peau. Une fois de plus, son souffle fut arraché de ses poumons, et elle n'eut même pas la force de tousser toute la poussière qui lui envahit les yeux et la bouche. Les pas s'éloignèrent, et avant qu'elle ne s'en rende compte, elle était restée seule.

Elle réalisa alors à quel point elle avait froid. 

Elle ne pouvait bouger. Elle ne pouvait respirer. La douleur la paralysait, résonnait dans sa tête et noyait tout le reste. Elle n'était plus fatiguée, car elle ne sentait plus rien sinon cette douleur, qui lui remplissait la tête plus que tout ce que ses sens pouvaient lui apporter. Tout était sombre, et ses oreilles sifflaient.

Mais elle savait qu'elle n'était pas morte. Elle pouvait toujours sentir la poussière humide au sol, voir les lumières qui dansaient devant ses yeux, et peu à peu elle parvint à sentir le gravier rugueux frotter contre son corps tombé. Mais surtout, derrière la douleur, elle sentait quelque chose de chaud et de mouillé descendre le long de ses cheveux, quelque chose qui lui fit prendre peur.

Elle n'était pas encore morte, mais ce n'était plus qu'une question de temps, désormais. Elle avait du mal à respirer, et même si le coup à la tête ne l'avait pas exactement tuée, elle savait qu'elle était sur le point de s'évanouir. Peu importe si le manque d'air, l’hémorragie ou la douleur et la panique la prennent en premier; dans l'horreur du moment, elle souhaitait que le coup ne l'aie pas manquée et l'ait tuée sur le coup, pour qu'elle n'aie pas à s'apercevoir que malgré tout ce qui se passait, elle était encore vivante.

Elle n'a jamais souhaité la mort. Mais tout avait une première fois, pas vrai?

Elle essaya de respirer. De se relever, de survivre à son sort, de courir en bas de la montagne et d'échapper au sacrifice. De rejoindre son amour, leur enfant, et s'enfuir avec eux comme ils l'avaient planifié avec tant d'espoir. Elle essaya de bouger, de faire quoi que ce soit, mais son corps n'était plus sous son contrôle. Submergé de douleur, de peur et d'épuisement, ce n'était plus qu'une coquille inerte qu'elle habitait. Elle était devenue prisonnière de son propre corps, et voyait sa vie plus qu'elle ne la vivait.

Elle saignait toujours, ses cheveux mouillés de rouge qui coulait le long de son cou en un frisson d'horreur. Ses yeux étaient flous, et elle se rendit compte qu'elle pleurait, sans savoir pourquoi. Elle pouvait à peine chasser ces larmes du cil, et cette vision aqueuse s'ajouta à sa suffocation, lui donnant l'impression qu'elle se noyait. Elle n'en voulait plus, elle voulait que ces sensations prennent fin, peu importe le prix. Elle ne voulait plus qu'en finir, en bien comme en mal, peu importe comment, mais elle voulait vraiment, désespérément en finir.

Ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes, sans qu'elle ne les commande. Son cœur battait à ses tempes, à ses oreilles comme une cacophonie qu'elle craignait présager sa folie. C'était un tambourinement lent, assourdissant qui ajoutait à la pression de sa situation, et qu'elle sentait ralentir peu à peu. La panique s'empara d'elle, et elle essaya d'y résister, de se calmer, de ne pas y penser. Plus elle paniquait, plus vite elle se saignerait à mort. Et bien qu'elle souhaitait que son tourment prenne fin, elle ne voulait pas y mettre fin elle-même.

Sa respiration n'était plus qu'un souffle, désormais, sa voix un murmure bas dans sa poitrine. Mais elle était là, lui donnant quelque chose à écouter. Alors, très silencieusement, elle se mit à chanter.

Il y avait une chanson qu'elle a entendu il y a longtemps. Une chanson aux mots étrangers, dans une langue qui caressait ses lèvres comme la promesse exotique des mondes au-delà de la mer, au-delà des montagnes. Les mondes qu'elle voulait explorer, les mondes qu'il avait promis de lui montrer. Il lui avait appris ces mots, leur signification, et la mélodie de leurs voix s'est enlacée plus d'une fois, chantant ces mêmes mots comme une promesse, comme un vœu, comme un sine de leur amour qu'ils montraient au monde entier. Et en ce moment, ces mots lui donnaient la force, lui donnaient un dernier fragment d'espoir auquel se raccrocher, un souvenir à chérir dans ses derniers moments. Une volonté déterminée et obstinée de vivre, de survivre à ça, de ne rien laisser l'abattre, malgré tous les signes qui prouvaient qu'elle n'y survivrait pas.

Peut-être qu'elle hallucinait. Peut-être que son cerveau épuisé et privé d'air s'affolait. Mais en ce moment, elle crut entendre quelque chose. Une voix qui chantait avec elle.

Sa voix. 

Un sourire lui revint aux lèvres, alors qu'elle continuait de chanter faiblement, s'abandonnant à cette sensation. Même si c'était une hallucination, une illusion, elle la suivrait, et laisserait leurs voix s'étreindre et danser ensemble une dernière fois, laisserait le souvenir de son amant lui revenir alors qu'elle chantait d'un souffle murmuré, laisserait ces visions la faire se sentir aimée et protégée. Ses yeux toujours fermés, elle pouvait le voir ici, avec elle, ses mains pressant doucement sur les siennes. Elle imagina le rire heureux de leur enfant, la prise de ses toutes petites mains, son sourire et ses yeux chaleureux; elle essaya de se le représenter plus grand, d'imaginer qui il deviendrait, ce à quoi ses frères et sœurs pourraient ressembler. Dans sa délusion fatiguée, mourante, elle était entourée de sa famille, de son amant et de leurs enfants, et ils avaient tout leur avenir devant eux. Et malgré la douleur, la peur et la fatigue, elle était heureuse.

Peu à peu, elle ouvrir les yeux, et la lumière du crépuscule l'aveugla un instant. Son corps était entouré de larges formes sombres, qu'elle ne reconnut qu'après un temps comme des oiseaux. Des condors, qui la regardaient avec des yeux affamés.

Bien sûr. Elle devait leur servir de repas, avoir son corps déchiré par les charognards et se faire refuser tous les rites. Ainsi était le sort des traîtres et des infidèles. Ainsi serait son sort.

Elle ne savait pas ce qu'elle faisait. Mais lentement, sa main se tendit faiblement, se tendit vers l'un de ces oiseaux, suivant un instinct qu'elle ne comprenait pas. Un condor s’avança, lui picorant les doigts, avant de la laisser lui toucher le cou. De la peau nue et douce, qui battait sous ses doigts. Le condor avait des yeux clairs, et sa tête n'avait pas de crête; une femelle. Un grand adulte, qui cherchait sûrement de quoi nourrir ses bébés.

Nous avons toutes deux connu les joies de la maternité, pensa-t-elle, trop épuisée pour parler. Nous savons ce que c'est, de s'occuper de nos oisillons.

Le condor ne bougea pas, se contentant de la regarder. Attendant qu'elle meure, pour qu'il puisse manger. Elle le comprit.

Je ne t'en veux pas. Tu fais juste ce que tu dois faire. Tu...fais de ton mieux, pour ta famille.

Faiblement, elle lui caressa le cou, et l'oiseau sembla s'y blottir. Il ne la voyait pas comme un danger, et elle s'en sentit heureuse. Au moins aurait-elle un peu de compagnie dans ses derniers moments, même si c'était le lien simple et unilatéral de la présence d'un animal que ne la voyait que comme nourriture.

Je ne durerai guère longtemps. Mon corps est fatigué, et mon heure sonne. Mais avant que je ne parte...tu veux bien rester avec moi?

Une fois encore, le condor ne répondit pas. Mais il ne repoussa pas sa main, et c'était tout ce qu'elle désirait. Elle sourit, fermant les yeux, et chuchota dans un souffle muet.

« ...merci. »

Tout irait bien, se dit-elle. Tout se passerait bien.

Il lui fallut des heures, une horrible attente dans la nuit naissante. Killa avait cessé de bouger, son souffle faible et silencieux. Quand sa main tomba finalement au sol, le condor releva la tête. Il ne bougea pas pendant un moment, ses yeux toujours sur elle, puis, dans un battement d'ailes noires, il s'envola.

Il vola longtemps, ses ailes solides et ses yeux perçants, à travers le ciel nocturne. Sur le chemin, il attrapa quelque rongeur dans ses serres, pressé de le ramener. Et lorsque le soleil d'été finit enfin par se lever, le condor était rentré dans son nid sur la montagne. Un nid construit dans les restes d'un vieux temple, surplombant le lac.

Un vieux temple construit autour d'une gigantesque créature dorée.

Une créature ailée, aux yeux qui brillaient comme la pleine lune.






Le chapitre suivant sera plus long, et plus calme.
Modifié en dernier par Sandentwins le 26 août 2019, 01:12, modifié 1 fois.
:condor: Le meilleur personnage de toute la série, c'est la mère d'Esteban.:condor:

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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Amaya »

Ni Richesse, Ni Révélation


Il y a tellement de mignonneries entre les deux. Les petites taquineries qui forment une des bases solides d'une romance.

D'un côté, on peut dire que c'est une fin fabuleuse pour les trois héros : petit mélange entre "l'après Cités" tant au niveau de "Que feront-ils après la fin de leur quête ?" que "Que vont-ils devenir après ?".


Ils se taquinent entre eux, certes cela mène à une chose différente. On voit bien que même sans Zia, ils s'avouent des choses. Mais... si Zia n'avait absolument pas été là ? Joue t'elle un rôle d'équilibre entre ces 2 garçons ? Aurait-ils envie de poursuivre cette romance uniquement tous les deux, sans Zia ?



Pour "Serre de lune" : mon avis, fait en juillet, attend bien au chaud, car je l'ai déjà lue !
" Esteban, ne soit pas triste, ne soit pas inquiet. Tu as, toi aussi, ta propre route à continuer. Pour devenir vraiment grand, vois-tu mon enfant, un fils doit dépasser son père."

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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Sandentwins »

Wooooo, j'ai mal aux poignets.


:condor: Serres de Lune - Le Secret du Grand Condor :condor:

Elle n'est pas sûre du temps qui s'est écoulé depuis son réveil. C'est comme un rêve, au milieu duquel elle se trouve soudain. Et c'est étrange, et bizarre, et elle n'est pas sûre d'apprécier.

Mais elle se dit que c'est mieux que rien.

Elle ne sait pas où elle se trouve. On dirait un grand endroit vide, elle sait ça. Mais elle ne l'a jamais vu. Est-ce que son esprit l'a inventé de toutes pièces de souvenirs? C'est ce qu'elle pensait au début. Mais plus le temps passe, et plus elle en doute.

Elle ne se souvient de rien. Ni de comment elle est arrivée ici, ni d'où elle était avant, ni même de ce qu'est « avant ». Elle n'est même pas sûre de se souvenir d'elle-même, de qui elle était. Elle sait que c'est quelque part, juste là, mais c'est loin et flou, indéchiffrable.

Elle sait que son nom est Killa. Elle était une Vierge du Soleil. Mais à part ça, elle a du mal à se souvenir. Elle décide donc de laisser faire le temps, et ne se force pas. À la place, elle se concentre sur le présent, et sur où elle se trouve désormais.

C'est un endroit sombre, où chaque petit son résonne. Sans doute une grotte, ou quelque chose comme ça. Elle aimerait explorer, marcher, mais elle est clouée sur place, paralysée, incapable de lever le petit doigt. Et c'est une perspective horriblement effrayante qui l'horrifie, et puis plus du tout, et elle se demande pourquoi elle en avait eu peur.

Bien qu'elle ne puisse bouger, elle apprend à sentir. Elle apprend à voir les petites particules de lumière que le soleil envoie par les fissures des murs. Elle les voit rebondir sur les pierres et se réfléchir sur leurs alentours, et elle observe le lever et le coucher du soleil au fil des jours. Parfois le soleil reste plus longtemps, parfois moins longtemps, et elle s'en sert pour savoir quelle saison il est. Ainsi elle sait combien de jours, de mois, d'années passent. Elle les compte tous, elle essaye de garder le compte de tout.

Elle ne ressent pas le temps. Elle ne ressent ni faim, ni fatigue, ni même ennui. Tout se contente d'arriver, et elle arrive en même temps. Les jours passent, les nuits passent, et ses sens s'affinent: elle peut voir la lumière avec précision, elle peut entendre des bruits, elle peut sentir ce qui touche son corps. Un corps dont elle n'a pas encore assez conscience.

Il y a un nid en hauteur, près des entrées. Un couple de condors qui élèvent un petit poussin. Elle les regarde en silence, regarde le poussin grandir, muer, apprendre à voler. Un jour, il quitte le nid, et un autre œuf le remplace, et avant qu'elle ne s'en rende compte, il éclot. Et elle observe cette famille de condors, elle en fait son lien avec le monde extérieur.

Elle avait une famille, elle aussi. Il y avait quelqu'un qu'elle aimait. Quelqu'un dont le visage, le nom lui échappent encore aujourd'hui, bien qu'elle sache que ce fut quelqu'un de cher à son cœur. Et ils eurent un enfant, un petit bébé dont elle peut à peine se remémorer les traits. Et ça lui fait mal de ne rien savoir de plus. Elle observe ces condors élever leur bébé, le nourrir, le protéger, lui apprendre à voler, et elle se languit des rares souvenirs où elle faisait de même. Ça fait mal, mais elle essaye de l'ignorer, de ne pas laisser ça lui monter à la tête.

Mais elle se demande ce qui s'est passé. Ce qui l'a séparée de sa famille.

Plusieurs poussins naissent. Ils viennent et partent, un à la fois; d'abord des œufs, puis des petites peluches grises, puis de jeunes adultes. Un jour, la maman condor ne revient pas de son vol, et Killa sait dans son cœur ce qui s'est passé. Le papa condor doit élever leur enfant seul, s'en occuper et lui donner une bonne vie. Elle souhaiterait pouvoir aider, mais dans son état actuel, elle ne peut pas bouger. Et elle s'en morfond.

Parfois, le soleil lui caresse le corps, la réchauffe dans des endroits qu'elle ne pouvait plus sentir. C'est un des rares moments où elle sait ce qu'elle est devenue; elle sent ses bras, son visage, seulement quelques moments dans l'année. Et ils ont toujours l'air...étrangers, comme si ce n'étaient plus les siens. Ils sont toujours dans la même position: ses bras levés au dessus de sa tête, son visage baissé vers l'avant. Peu importe ses tentatives, elle ne peut pas les bouger.

Mais ces petits moments sont l'occasion parfaite d'apprendre. De voir sa situation, de voir ce à quoi sa vie l'a menée. Jour après jour, à chaque fois qu'elle a un peu de soleil, elle essaye de bouger, de savoir ce qui est advenu de son corps. Elle essaye d'utiliser la force qu'elle regagne lentement, jour après jour, nuit après nuit.

Il lui faut du temps. Il lui faut de la patience. Il lui faut de l'effort. Mais après quelques années passées à accumuler patiemment de l'énergie, elle parvient à faire un premier pas hors de sa prison.

Elle se sent incroyablement légère. Elle ne peut sentir son poids, c'est comme si elle était faite d'air solide. Une liberté nouvelle! Elle fait un autre pas, puis un autre, puis un autre, puis elle marche et elle court vers un rayon de lune qui brille à travers les fissures du mur. Elle le laisse baigner son corps aérien, se laisse ressentir sa brillance, et enfin retrouve le bonheur; mais d'un seul coup, elle est partie, et elle se retrouve à nouveau dans le noir, sa forme se dissipant déjà. Alors elle retourne vers sa prison, bien décidée à réessayer demain.

Il lui faut un temps incroyablement long avant de pouvoir sortir à nouveau. Pendant ses escapades sous le peu de lumière qu'elle reçoit, elle observe ses alentours. Elle se trouve dans un temple, où il fait chaud et flotte une odeur de cendre et de poussière. Il y a des gravures sur les murs, des scènes qu'elle ne reconnaît pas, et des écritures étrangères. Et le corps qu'elle appelle désormais le sien est en réalité un gigantesque oiseau de métal brillant.

Ça lui revient lentement. Une histoire qu'elle a entendu il y a longtemps, une histoire d'immenses machines de métal qui brillent comme le soleil. Des machines de grands pouvoirs, capables d'entrer en communion avec les âmes vivantes.

Peu à peu, les pièces s'assemblent. Et peu à peu, elle comprend sa situation.

D'autres années passent, et les condors finissent par quitter leur nid. À un moment la terre tremble, et les fissures du mur s'élargissent, laissant passer plus de lumière. Elle le prend comme un soulagement, et alors que plus d'énergie s'accumule en elle petit à petit, elle découvre de plus en plus de choses sur elle-même. Elle découvre son corps, ses capacités, ses alentours.

Un jour, elle rassemble assez de lumière pour grimper hors de la chambre souterraine, et poser le pied hors du temple. Elle redécouvre le plaisir de marcher au dehors, d'avoir un petit corps qu'elle peut facilement contrôler. Elle n'est qu'air, que lumière, et sa forme est imprécise et encore hésitante mais c'est la sienne, et jour après jour, nuit après nuit, elle se redécouvre. Avec le temps, elle se souvient qu'elle aime laisser ses cheveux libres, qu'elle aime voir ses vêtements flotter dans le vent, et qu'elle adore danser sous la lumière de la lune, entre les temples et les maisons vides qui forment ce village de pierre sur la montagne. La lumière de la lune la revigore, lui donne de quoi faire, de quoi rêver, et chaque pleine lune est une nouvelle occasion pour elle de sortir et de danser et de gambader et d'être libre et vivante.

Peu à peu, elle se sent revenir à la vie. Peu à peu, elle en vient à comprendre l'immortalité.

~~~~~

Mais son repos est de courte durée. Un jour, alors qu'elle se repose de son escapade nocturne, elle sent quelque chose bouger. Et d'un seul coup, son corps doré bouge, et rentre dans la lumière. Et soudain, tout autour d'elle, il y a des gens.

Elle peut distinguer leurs voix, mais elle ne comprend pas leurs mots. Elle a assez de lumière pour les vois, mais pas assez pour qu'elle bouge. Ils marchent autour d'elle, crient d'excitation, et lui touchent les serres, et la mettent mal à l'aise. Mais bientôt la nuit tombe, et ils se calment, et finissent par s'endormir.

Un rayon de lune passe au dedans, brillant sur ses ailes et lui donnant assez d'énergie pour se projeter au dehors. Sautant de son bec, tombant sans un son, elle regarde ces gens dormir, essayant de faire sens de leur présence. Comment ont-ils trouvé cet endroit? Elle croyait qu'il était abandonné. Personne ne vient jamais ici; elle pensait être seule pour toujours, seule et libre. Mais ça ne serait visiblement pas le cas.

Ce sont des étrangers. Ils ne sont pas d'ici, elle le sait de par leurs habits; sauf peut-être cette petite fille, bien qu'elle ne soit guère sûre. Elle s'approche pour l'examiner de près, et c'est là qu'elle le voit.

La fille porte un médaillon au cou. Un médaillon dont Killa se souvient, avec les mêmes gravures.

Comment est-ce possible? Ça ne se peut pas! Elle connaît ce médaillon, et elle sait qui est censé le porter! D'horribles idées lui viennent en tête, sur ce qui se serait passé et comment une étrangère avait pu mettre les mains sur le trésor de son amant; mais c'est alors que le garçon près d'elle remue dans son sommeil, et Killa remarque la cordelette à son cou.

Elle hésite. Ça ne se peut pas. Ce n'est pas logique, ça va à l'encontre de tout ce qu'elle croyait! Et pourtant, ses doigts se tendent lentement, et tirent la cordelette de sous sa tunique; et le médaillon du Soleil reflète la pâle lumière de sa main. Cette fois, il n'y a aucun doute: il lui manque sa pièce centrale, mais c'est le même collier que son amant portait. Elle l'a vu tant de fois, elle ne pourrait jamais l'oublier! Et ça ne voulait dire qu'une seule chose.

Ils se réveillent avant qu'elle ne puisse faire quoi que ce soit, et elle se retire rapidement, sa lumière se dissipant dans l'air. Mais alors qu'elle réfléchit à la suite, la lumière frappe son corps, et pour la première fois depuis qu'elle l'habite, elle sent l'oiseau s'activer.

Pour la première de tant d'autres fois.

~~~~~

Quand elle essaie de communiquer, soit ils ne l'entendent pas, soit ils choisissent de ne pas répondre. Donc après les premières tentatives, elle abandonne, et accepte son destin avec passivité et ennui.

Elle ne comprend pas leur langue. Mais en volant avec eux, en écoutant leurs conversations, elle vient à en glaner quelques mots. En les sentant bouger dans son corps, elle en apprend aussi beaucoup sur ces gens eux-mêmes, et qui ils sont. Pour le reste, elle l'imagine.

Le plus grand du groupe parle avec une voix calme mais grave, et semble être le chef de la bande. Il ne bouge guère, mais tous les autres suivent son initiative. Il est flanqué de deux acolytes aux voix fortes et agaçantes, dont elle confond les noms mais se dit que ce n'est pas important, car ils ne sont jamais l'un sans l'autre, de toutes façons. Ces trois-là sont adultes, et leurs voix empestent de cet accent étranger, et ils n'ont de vues que pour l'or.

L'enfant au perroquet parle avec excitation. Il lui touche parfois les commandes, curieux, et elle aimerait lui dire d'arrêter. Il sautille souvent. Il a le rire facile et ne quitte jamais son compagnon à plumes. Mais ses mots sont remplis de sagesse, et il en sait beaucoup sur le monde; ses histoires lui rappellent parfois celles qu'elle a entendues à propos d'anciennes civilisations.

La jeune fille est calme et polie, et la traite toujours avec révérence et respect. Elle s'assied convenablement et avec réserve, et tout le monde se tait quand elle parle. Il y a des accents Inca dans sa voix, et ça rassure quelque peu Killa, qui très vite se met à apprécier cette petite. Après tout, elle aurait pu être une petite sœur.

Et puis, il y a le pilote. Ce jeune homme heureux, excité, qui ne cesse de l'impressionner. Ses mains sont timides aux commandes, et elle fait de son mieux pour être patiente avec lui; mais au fil du temps et de ses pensées, elle se rend compte que tout concorde. Elle compte et recompte les saisons dans sa tête, se remémore tout le temps qu'elle a passé seule, et les années tombent juste: son enfant aurait aujourd'hui l'âge de ce garçon. Il porte le médaillon du Soleil, un bijou précieux dont elle sait qu'il n'y a que deux exemplaires au monde. Et plus elle écoute, plus elle en vient à le connaître, et plus elle se rend compte qu'il ressemble à un homme qu'elle a aimé dans le passé, ainsi qu'à elle-même.

Et maintenant, la voilà. Seule avec ses pensées et ses questions et ses inquiétudes. Elle ne sait pas quoi faire: devrait-elle l'interpeller, lui parler? Et si elle avait tort, et que tout n'était qu'une colossale coïncidence? Et si elle avait perdu l'esprit, et pensait à de fausses théories pour soulager ses doutes?

Et s'il ne la reconnaissait pas?

Elle a peur. Elle ne sait pas ce qu'elle doit faire. Il y a une chance qu'elle se trompe: cet enfant ne porte pas le nom qu'elle lui avait donné, il ne mentionne jamais son père ou sa famille. Il parle la langue des étrangers, et ses manières n'ont rien des gens de son peuple.

Soit elle a tort, et cet enfant n'est pas le sien; soit elle a raison, et quelque chose de terrible s'est produit pour le rendre ainsi.

Alors elle ne dit rien. Elle continue de voler, prétend être une machine idiote et sans pensées, sauf quand ce n'est pas le cas. Parfois elle doit agir activement pour les aider lui et ses amis, et là encore elle ne dit rien. Elle attend le bon moment, une meilleure occasion. Elle veut être sûre.

La patience est devenue sa vertu, après tout. Elle peut attendre encore un peu.

~~~~~

Parfois, quand la lune est pleine et son corps baigné de sa lumière, elle s'avance en dehors.

Elle ne sort plus de son corps, car elle ne veut pas être vue. Elle ne le fait donc que la nuit, quand tout le monde dort et tout est plus calme. Le Grand Condor, comme ils l'appellent, fonctionne grâce au soleil; mais si la pâle lueur de la lune ne peut le faire bouger, elle suffit à la réveiller.

Elle s'assied près des restes du feu de camp qu'ils sont allumé, regarde les flammes danser entre les brindilles. Ils dorment tous profondément, et si elle ne fait aucun bruit, elle pourra apprécier leur compagnie silencieuse pendant un moment. Après tout, ne fait-elle pas partie de leur équipe, maintenant?

Le vent souffle, faisant danser ses cheveux d'argent dans une brise de lune. Le feu est presque éteint, donc elle touche le bois et laisse la lumière de ses doigts, le rallumer. C'était une petite astuce qu'elle avait apprise, et qui savait se rendre utile.

Parfois, quand elle est sûre qu'ils dorment, elle fredonne sa chanson, leur chanson. Elle se rappelle les vieux jours, les moments qu'elle a vécus avec son bien-aimé. Et elle regarde le visage endormi de ce jeune enfant, et elle sait, elle sait que c'est vrai. Que même si son nom n'est plus le même et qu'il ne se souvient pas de sa patrie, il reste son enfant, leur enfant. Et elle se demande ce qui s'est passé, mais elle sait qu'il vaut mieux ne pas rouvrir les vieilles blessures. Donc elle ne dit rien, et continue de chanter, s'asseyant près de lui. Doucement, elle le berce vers le sommeil quand ses rêves s'agitent. Caresse son visage de son toucher de lune.

Elle sait que c'est vrai. Et même si ce n'est pas le cas, ce n'est pas grave. Elle a envie d'être mère, et ces enfants en ont bien besoin.

~~~~~

Le temps continue de passer, et elle en vient à voir certains des plus beaux paysages qu'elle a jamais vus.

Ils partent de lieux familiers, dans les cieux de sa patrie. De temps à autre, elle reconnaît un endroit, une montagne, un lieu-dit. Elle sait dans quelle direction se trouve son village, et elle se languit de le revoir, mais son pilote l'emmène toujours dans une autre direction, et elle ne peut que suivre.

Un jour, elle s'envole sur l'océan. Elle ne peut y croire, elle quitte vraiment la terre de ses ancêtres! Les forêts vertes disparaissent, ne laissant que le bleu de la mer sous ses ailes. Et ça lui coupe le souffle...enfin, elle n'a plus vraiment de souffle, mais l'idée reste la même.

Il y a longtemps, quelqu'un qu'elle aimait beaucoup lui avait promis qu'ils verraient le monde ensemble. Ils auraient navigué ensemble sur leur navire de rêve, et vécu tant de nouvelles expériences dans d'autres terres et royaumes. Elle se rappelle ces moments, ces souvenirs heureux, les pans qu'ils avaient faits et les projets tracés sur des cartes hésitantes. La vie qu'ils étaient censés avoir.

La vie qu'elle était censée donner à l'enfant qu'elle attendait.

Pourquoi est-ce que tout a raté? Pourquoi tout est-il devenu amer et triste? Qu'est-ce qui les a empêchés de vivre leur rêve, d’être ensemble?

Repenser à tout ça ne fait que la blesser davantage, donc elle arrête. Elle doit rester concentrée sur le présent, désormais. L'équipage du Condor dépend d'elle, et elle ne laissera pas ses sentiments de nostalgie s'interposer dans sa mission. Donc elle ne dit rien, et regarde simplement les magnifiques paysages qu'ils survolent.

Elle prétend être sur le navire, son bien-aimé à ses côtés et leur bébé dans ses bras. Elle prétend que rien n'est arrivé, et que sa vie va exactement comme elle l'avait souhaité. Elle prétend être encore en vie, et marchant sur son chemin sans que rien ne l'arrête.

~~~~~

Ces enfants sont casse-cou, obstinés, et profondément amoureux du danger. Parfois elle se demande ce qui leur passe par la tête, et s'ils réfléchissent seulement avant de suivre leurs pulsions. Mais c'est la mère en elle qui s'inquiète, alors que son côté aventureux les encourage.

Parfois, quand ils s'en vont et laissent le Condor seul, elle sort et les attend. Perchée sur le bec, elle observe l'horizon pour un signe de ces enfants qu'elle aime tant. Elle n'a rien d'autre à faire, car son corps n'interagit pas très bien avec le monde autour. C'est frustrant, honnêtement, mais elle réfléchit pour passer le temps.

Tout autour d'elle se passe à la fois trop lentement et dans une hâte impossible. Elle s'ennuie à mourir quand rien ne se passe, et quand c'est le cas, elle veut juste que ça s'arrête. Sa vie pouvait-elle se complexifier encore? Elle redoute la réponse. Mais dans ce tumulte de temps et de lieux et de pensées, une chose reste constante: elle ferait tout pour protéger ces enfants. Si c'est ce qu'elle doit faire, alors elle le fera.

Ça pouvait être aussi simple que de légèrement changer leur cap, ou de bouger d'elle-même quand ils se font pourchasser. Des petits riens qui leur assurent de ne pas atterrir là d'où ils ne pourront pas redécoller. Un rayon de lune rapidement reflété dans leurs yeux les réveille avant que les ennemis n'arrivent; un signe discret dans le paysage guide leurs pas vers quelque chose d'intéressant. Elle les aide de sa manière secrète, car elle sait que si elle sortait pour se montrer à eux, ils ne la croiraient pas. Il ne la reconnaîtrait pas, et il prendrait peur. Alors elle attend, et apprend tout ce qu'elle peut d'eux, de lui. Pour qu'une fois le moment venu, elle soit prête à le rencontrer enfin.

Elle a si hâte d'enfin lui parler, de le serrer contre elle, de rattraper toutes ces années perdues. Mais elle ne doit pas le détourner de sa quête. Alors pour le moment, elle se contente de s'asseoir près de lui pendant son sommeil, de veiller à ce qu'il soit en sécurité. Elle apaise ses rêves agités de chuchotements et de douces caresses, aide à chasser ses cauchemars. Elle sait qu'elle ne devrait pas, mais elle en a envie, elle a besoin d'être à ses côtés. Cet aspect d'elle qui désire être mère peut se montrer puissant, et elle ne peut l'ignorer.

Comme il ressemble à son père. Parfois, elle croit voir le portrait craché de cet homme qu'elle aimait, dont l'apparence est préservée par cet enfant qui est également le sien. Et elle s'en sent toute chose, elle s'en sent heureuse d'une manière qu'elle n'est pas sûre de comprendre. Mais elle n'en a pas besoin. Elle veille à son côté, s'assure de son repos. Elle veille, en silence, comme la lune dans le ciel, et disparaît avant qu'il ne puisse la voir.

Il pensera que ce n'est qu'un rêve, mais elle connaît la vérité.

~~~~~

Depuis qu'elle a commencé à piloter ce corps, elle savait que son destin était désormais lié à la fable des Cités d'Or. Elle en avait entendu parler, et elle connaissait l'intérêt de son amant pour ces histoires. Mais elle n'aurait jamais deviné qu'elles feraient partie de son existence et de son objectif.

Et elle en apprend de plus en plus chaque jour. Elle en apprend sur elle-même, et sur sa place dans la grande mécanique des choses et l'ordre de l'univers. Le corps qu'elle habite n'est qu'une petite pièce d'une gigantesque machine, sur laquelle repose désormais le sort du monde. Et en faire partie est à la fois un horrible poids à porter et un immense honneur.

Elle ne peut pas vivre seule. Depuis qu'elle était petite, elle était toujours destinée à faire partie de quelque chose: que ce soit sa famille, le Temple du Soleil, l'équipage de leur navire de rêve, ou l'héritage d’ingénierie d'une grande et puissante civilisation. Elle aime l'idée selon laquelle personne ne peut survivre seul, car tout le monde est censé faire partie de quelque chose de plus grand, et qu'elle aura toujours sa place quelque part. Ça la rassure, et la laisse penser qu'elle n'a pas à s'inquiéter; que les dieux la soutiendront toujours.Et si ce n'est pas le cas, elle se fera une place quelque part, car c'est ce qu'elle fait le mieux.

En aidant l'équipage du Condor dans leur voyage autour du monde, elle retrouve lentement sa place dans le grand ordre des choses. Elle est heureuse de savoir qu'elle peut leur être un véhicule de confiance, qu'elle peut encore se rendre utile. Mais parfois, alors que le temps passe et qu'elle en apprend plus sur l'esprit de ses passagers, elle se rend compte qu'ils ne la voient pas comme un simple véhicule.

Ils savent qu'elle n'est pas un vaisseau ordinaire. Bien sûr, ils ne savent pas qu'elle est consciente et capable de pensée rationnelle; mais de temps à autre, ils parlent d'elle comme si elle était sa propre personne, comme si elle savait des choses qu'ils ignoraient. Comme si ses moments d'actions reflétaient une pensée intelligente, un instinct animal, une preuve qu'il y avait plus en elle que de l'orichalque et du soleil. Quand vient son tour de prendre une décision, ils on confiance en elle, et la laissent faire. Et elle ne les remerciera jamais assez pour ça.

Pour eux, elle est toujours un objet de mystères, une pièce complexe d'ingénierie qui n'a pas encore dévoilé tous ses secrets. Et aussi longtemps qu'ils voyageront ensemble, il subsistera un rien de doute, un et si? pour leur rappeler qu'ils n'ont pas encore tout découvert d'elle, une possibilité qu'elle soit en effet plus qu'une machine.

Bien sûr, ce n'est pas grand-chose. Mais c'est tout ce qu'il lui faut pour se souvenir que, sous ces rouages d'orichalque et ces mécanismes Muens compliqués, elle reste un être vivant.

~~~~~

Au fil du temps, elle a fini par accepter sa nouvelle vie, une aventure après l'autre sur la route des Cités d'Or. Elle a même fini par l'apprécier. Mais un jour, quelque chose la renvoie brusquement dans la réalité de son ancienne vie.

Au beau milieu d'un moment de tension, pendant l'évasion d'une forteresse en flammes, elle sent une présence inattendue à bord. Ce n'est pas la première fois qu'elle prend un passager inconnu; mais cette fois, quelque chose la frappe. Elle a entendu prononcer un certain nom...non, ça ne se peut pas. Elle a dû mal entendre, au milieu de ce tumulte. Et cet invité ne ressemble pas à qui elle sait...elle est sûrement confuse, c'est tout. Elle n'en fait rien, suivant les instructions de vol et s'assurant que tout le monde va bien. Ce n'est pas son premier moment de danger, et ce ne sera pas le dernier.

Toutefois, quand les choses se calment, et qu'elle atterrit à nouveau, elle peut mieux voir les choses. Elle voit clairement son jeune pilote, et l'homme qu'ils ont sauvé de ce fort, et l'étreinte heureuse qu'ils partagent un moment plus tard. Et dans un sursaut de lucidité qui la frappe comme un seau d'eau glacée, elle reconnaît ce passager.

C'est lui. Son amant! Il est ici! Avec eux!!

Elle ne sait pas comment c'est arrivé, ou pourquoi; mais pour la première fois depuis treize ans, elle a enfin retrouvé son amant. Et la pensée l'emplit de joie; puis de peur. Car il est si différent de ses souvenirs, et elle est si différente aussi, et il ne sait même pas qu'elle est ici. Et elle veut lui dire, elle veut s'avancer vers lui, lui faire savoir qu'elle est là avec lui; mais elle ne sait pas comment faire. Et pour l'instant, il est occupé à revoir son enfant, leur enfant. Elle ne veut pas ruiner ce moment. Ils pleurent tous les deux; et si elle avait encore des yeux, elle aurait pleuré avec eux.

Cette nuit-là, le petit village où ils séjournent célèbrent la défaite de leurs ennemis. Son corps est posé dans une clairière près du fort, mais assez de lumière lui parvient pour qu'elle puise se glisser en dehors, se rapprocher des gens. Alors que la nuit s'écoule et que tout le monde commence à s'endormir, elle parcourt les rues comme un fantôme, le cherchant.

Il est très tard quand elle le retrouve; et pourtant, il ne dort pas. Typique de lui...mais sur le coup, ça ne lui rappelle que plus encore de bons souvenirs. Lentement, elle s'approche de la fenêtre, ses pas muets.

Elle l'observe à distance, alors qu'il lui tourne le dos. Il est penché sur une table, feuilletant lentement un livre comme s'il cherchait quelque chose, examinant avec soin des fioles de verre. Elle ne peut se retenir se s'appuyer sur le rebord, la tête dans les bras, et se demander ce qui lui est arrivé. Il a l'air fatigué, ses mains gantées tremblent, et ce masque continue de l'inquiéter. Elle ne sait pas quoi en penser.

Soudain, il s'arrête. La fiole qu'il tient en main reflète un rayon de sa lumière de lune. Rapidement, elle s'abaisse, hors de vue, juste avant qu'il tourne la tête. Une seconde plus tard, elle entant des pas précipités, et la porte de la petite maison s'ouvre.

Elle est rapide. Elle s'est déjà frayée un chemin vers le toit en un saut, hors de vue et de portée. Il regarde alentour, comme s'il avait vu quelque chose d'incroyable, et finit par conclure que c'était son imagination. Qu'est-ce que ça pouvait bien être d'autre?

Mais au lieu de rentrer, il reste figé. Il regarde autour de lui, puis vers le ciel. Et elle pense rêver, mais lentement, comme un murmure, sa voix s'élève suivant son regard. Et ce n'est pas de l'espagnol comme elle avait l'habitude d'entendre avec l'équipage, c'est...c'est une autre langue, qu'elle n'a entendue que dans des situations bien spécifiques. Du grec.

Et elle connaît ces mots. Elle sait ce qu'il dit. Elle sait ce qu'il chante.

Sa mélodie est lente, douce, comme s'il savait que c'était inutile et s'en sentait honteux. Comme si personne ne répondrait à son appel. Et elle sait qu'elle ne devrait pas, elle sait que personne ne doit la voir...mais ça lui brise le cœur. Elle peut utiliser cette excuse pour son fils qu'elle n'a jamais connu, mais pas pour l'homme qu'elle a aimé, l'homme qu'elle aime encore aujourd'hui.

Elle se laisse tomber au sol derrière lui, silencieuse comme une lumière. Et, se faisant plus tamisée, elle répond à sa chanson, tout aussi calmement. Il se fige d'un coup, et sa tête se retourne juste un petit peu, mais il se retient et fixe droit devant lui. Et la chanson se poursuit.

Lentement, comme si elle avait peur d'effrayer un animal, elle s'approche. Ses mains sont tendues, mais elle a peur de les tendre. Leurs voix chantent toutes deux, mais elles ne s'enlacent pas, comme si elles avaient perdu leur harmonie. Ce ne sont plus que des moitiés confuses qui se cherchent, incapables de se trouver dans les ténèbres et le silence de la nuit, bien qu'elles soient juste là, elles sont juste et elles se touchent presque, elles sont si proches, elles doivent juste se rapprocher...

Mais elles ne le font pas. Ses mains ne le touchent jamais, et leurs voix restent perdues, éloignées l'une de l'autre. Il ne se retourne pas, comme s'il avait peur de ce qu'il allait voir. Elle se met à regretter sa décision, et commence à s'éloigner. Elle déteste ce sentiment, elle veut juste le serrer contre elle, lui dire que tout ira bien. Qu'elle l'aime, qu'elle n'a jamais cessé de l'aimer.

...donc ça a marché, n'est-ce pas?

Sa voix lui parvient comme une surprise. Il ne la regarde pas, et pourtant...il lui parle. Ou tout du moins, elle l'assume.

« Ça a marché. », répond-elle lentement.

Elle ne peut pas voir son visage, avec cette pénombre autour. Mais elle sait qu'il pleure. Parfois, il n'y avait besoin de voir ou d'entendre, pour savoir.

C'est...c'est une bonne nouvelle. Je suis si content...

Elle acquiesce, sachant qu'il ne pouvait pas la voire; juste les reflets de sa lumière.

« Moi aussi. »

Lentement, elle tend la main. Juste...juste une étreinte. Ça ne ferait aucun mal, pas vrai?

« Car je peux enfin te revoir. »

Lentement, il se met à se retourner. Juste un coup d’œil. Juste un. Ça n'aurait pas de conséquences néfastes, pas vrai?

Mais alors qu'il allait la voir, une voix vient troubler leur paix. D'un réflexe, elle laisse partir sa forme, son corps se dissolvant en petites étincelles qui se dispersent et s'effacent.

Leur enfant a été réveillé par le bruit, et voulait s'assurer que son père allait bien. À contrecœur, les deux rentrèrent à l'intérieur, laissant le corps de Killa se reformer sur le Condor, sa chance gâchée peut-être pour toujours.

Mais tout va bien. Au moins, elle sait qu'il est en vie. Et elle ne voulait pas qu'il poursuive une chimère, de toutes façons. Autant elle aimait l'immortalité, autant la version atlante du concept ne laissait guère de place aux relations conjugales.

Au moins, il ne s'était pas remarié. Elle s'y autoriserait une pointe de fierté, ne serait-ce que pour se sentir mieux. Et puis, peut-être valait-il mieux qu'elle garde de lui l'image du séduisant jeune homme qu'elle avait épousé. Juste au cas où.

~~~~~

Le danger ne fait que grandir de jour en jour. Désormais, c'est une course vers la prochaine Cité d'Or, et les choses ne sont que de plus en plus risquées.

Elle n'est plus sûre de pouvoir garder cette façade d'aide silencieuse, avant que ces enfants de tombent dans un danger trop grave pour leur bien. Un jour il lui faudra agir, se révéler et faire quelque chose d'insensé pour s'assurer que personne n'en pâtisse. Mais plus le temps passe, plus elle craint qu'ils ne lui demandent pourquoi elle ne s'était pas révélée plus tôt. Quelle difficile condition que la sienne!

Mais elle reste positive. Elle croit en ces enfants, et en ce qu'ils font. Elle sait qu'ils accompliront leur quête, et elle n'acceptera aucune autre possibilité. L'ennemi est certes fort et impitoyable, mais leurs équipage est soudé et confiant. Et elle les portera vers la victoire, pour qu'ils trouvent une fois pour toutes la réponse à cette énigme. Car son destin et le leur sont liés, désormais.

Elle les protégera à tout prix. Telle est sa promesse.
killacondor.png




Et parce que pourquoi pas, un pitit moodboard.
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Modifié en dernier par Sandentwins le 27 août 2019, 01:37, modifié 2 fois.
:condor: Le meilleur personnage de toute la série, c'est la mère d'Esteban.:condor:

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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Amaya »

J'aime bien ce moodboard, l'ambiance qu'il s'y dégage par les images prises... ^^
" Esteban, ne soit pas triste, ne soit pas inquiet. Tu as, toi aussi, ta propre route à continuer. Pour devenir vraiment grand, vois-tu mon enfant, un fils doit dépasser son père."

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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Sandentwins »

Dites, vous aimez Mendoza? Moi oui. Quel courage, de se jeter à l'eau pour sauver un bébé.

D'ailleurs, en parlant de ca, si on se penche sur la chronologie on voit qu'Esteban aura passé plusieurs mois à bord de leur navire avant d'arriver en Espagne. Et ca, ca mérite de s'y intéresser.

:condor: Frères d'une Mer Lointaine :condor:

Le bébé dormait profondément, couché dans un berceau de fortune fait d'une vieille caisse, pelotonné avec soin dans l'une des rares couvertures épargnées des puces et des mites. La tangue du bateau sur les eaux désormais calmes du Pacifique l'avait vite bercé, alors que la nuit tombait lentement sur le bleu infini de l'horizon. Sous la lumière tremblante de la lanterne de la cabine, son petit visage avait un léger teint doré, qui accentuait la douce rondeur de ses joues. C'était dur à voir sous la couverture, mais ses petites mains potelées étaient solidement refermées sur l'étrange bijou d'or qu'il portait au cou.

Assis non loin, Mendoza achevait de se sécher, essayant d'ignorer les frissons qui parcouraient encore sa peau glacée de vent et d'eau de mer. Il jouait avec sa chemise depuis un long moment déjà, au lieu de l'enfiler, car son esprit était encore criblé de pensées. Tout s'était passé si vite, et maintenant que les choses s'étaient quelque peu calmées, les émotions et doutes repoussés par l'adrénaline refaisaient surface à toute vitesse.

Un homme venait de mourir. Emporté par les vagues et la tempête, son navire brisé et voué à s'enfoncer dans les profondeurs de l'océan, il n'y avait guère d'espoir quant à sa survie. Et son visage hantait encore les pensées choquées de Mendoza, car une telle rencontre était difficile à oublier. Cette expression de peur, de pure panique qui crispait les traits de cet homme, et l'effroi qui s'était emparé de sa voix qui appelait de désespoir. Il l'entendait encore, l'entendait encore appeler à l'aide, supplier Mendoza dans une langue qu'il ne comprenait pas, mais qui était terrorisée de l'approche des dangers de l'océan.

Mendoza s'était approché, avait voulu lui prendre le bras, la taille, n'importe quoi– mais à la place, un bébé qu'il n'avait même pas remarqué lui fut mis dans les bras. Et il avait hésité, confus pendant une fraction de seconde, où il n'a pas bougé avant de vouloir l'atteindre à nouveau; et cette fraction de seconde avait tout provoqué. Peut-être que s'il avait mieux fait, il aurait pu mieux saisir ce marin, il aurait pu le faire s'accrocher à son filin. S'il avait nagé plus vite, il aurait pu les avoir tous deux sauvés avant que les vagues ne frappent. Il aurait pu y faire quelque chose...il aurait pu sauver la vie de cet homme, il aurait pu...

Il aurait pu...

...non. Ç’avait été bien trop dangereux au dehors, il n'aurait rien pu faire même s'il avait eu tout le temps du monde. Pire encore, il aurait pu y laisser sa peau en voulant sauver celle d'un autre; il aurait pu faire tomber le bébé, le perdre aux dents cruelles de l'océan. Il aurait pu tout compromettre plus encore. Ça ne servait à rien de ruminer le passé; le présent était ce qui comptait. Il y avait toujours une chance que les courants aient porté cet homme jusqu'à la côte, qu'il aie survécu à la tempête. Ce n'était guère possible, mais Mendoza choisissait de rester optimiste. Après tout, lui était indemne; et surtout, le bébé était sain et sauf.

Ce dernier commençait à s'agiter, sans doute réveillé par le bruit de l'eau frappant contre la coque. Mendoza cligna des yeux, comme s'il se réveillait à son tout, et se hâta de se rhabiller avant de se pencher sur le berceau, chuchotant doucement au petit pour essayer de le garder calme. L'équipage du bateau n'avait vraiment pas besoin de voir son peu de sommeil interrompu par des braillements.

« Allons donc. », chuchota-t-il. « Retourne dormir. »

Ça sembla fonctionner, le marmot restant silencieux. Maintenant que les choses étaient calmes, Mendoza put regarder cet étrange enfant de plus près. Il était à peine plus vieux qu'un nouveau-né, quelques cheveux bruns recouvrant déjà sa petite tête. C'était difficile à dire sous la lumière de la lanterne, mais il n'avait pas l'air d'un natif du Nouveau Monde. Mendoza se demanda alors ce qu'un marin solitaire pouvait bien faire sur les mers avec un bébé aussi jeune; soit cet enfant avait été dérobé à sa famille, soit il était le seul survivant d'un voyage catastrophique.

Dans tous les cas, ils avaient maintenant un orphelin sur les bras.

Il ne connaissait pas l'avis du capitaine à ce sujet. La plus logique des choses à faire serait de laisser cet enfant à qui le prendrait, dès qu'ils toucheraient terre. Mais ils avaient prévu de traverser tout le Pacifique d'une traite, et ne s'arrêteraient pas avant d'atteindre les Îles Philippines de l'autre côté de l'océan. Même avec un temps conciliant, ce serait un voyage de plusieurs mois, en aucun cas supportable pour un bébé de cet âge. De quoi pourraient-ils bien le nourrir? Il doutait sérieusement qu'un nourrisson puisse manger de la viande séchée ou du biscuit. Peut-être que certains matelots ayant des enfants au pays sauraient trouver une solution.

Le bébé bougea à nouveau dans son sommeil, et l'éclat de l'or capta l'attention de Mendoza. Il pencha la tête, et regarda à nouveau l'étrange collier du bébé. Une petite lune dorée, gravée de symboles qu'il ne comprenait pas; la pièce centrale manquait. Mais il savait où elle était, et il s'avérait qu'elle était en sa possession.

Mendoza ne savait pas pourquoi il avait fait ça. Juste après avoir sauvé cet enfant de l'orage, alors que le navire les remontait à bord, il avait vu le pendentif doré du bébé. Sans savoir pourquoi, il s'en est emparé, et a tiré la pièce de sa lune. Peut-être qu'il ne voulait pas en toucher mot aux autres; peut-être était-ce pure cupidité. L'or n'a pas d'odeur, après tout, et il méritait payement pour son acte d'héroïsme. Personne ne le jugerait, si personne ne le savait.

Il lança la pièce de son doigt, et elle atterrit sur le bureau près de lui dans un bruit métallique. La ramassant, il pouvait sentir son étrange texture, différente de celle de vraies pièces d'or. Elle semblait plus légère, et bizarre d'une certaine façon, mais il ne saurait dire comment. Sans doute en tirerait-il un bon prix. Il la tint à la lumière, regarda le métal luire de toutes parts, et pendant un moment il aurait juré voir les gravures s'illuminer. Mais c'était sans doute son imagination; après tout, il était fatigué. Il la remit donc dans sa poche, où elle serait en sécurité loin de la vue de ces marins grippe-sou. Dont il faisait partie, pour être honnête. Mais il était un bien meilleur marin grippe-sou que ses équipiers, donc il en tirait une certaine légitimité. Personne n'avait dit qu'il se devait d’être honnête.

« Repose-toi autant que possible. Ça va être un long voyage. »

Il ramena la couverture sur les bras du bébé, et souffla la lanterne.

~~~~~

Qu'il est difficile de réfléchir quand la faim vous pend au ventre. Surtout quand on réfléchit pour aider le capitaine dans sa navigation. Mais Mendoza essaya d'ignorer cette sensation, de se concentrer sur sa tâche, et de ne pas se laisser abattre comme tant d'autres déjà. Il doit être fort, s'il veut un jour rentrer dans l'histoire.

La mer est relativement calme, et les trois bateaux n'avaient guère rencontré de problèmes dans leur voyage continu sur l'océan. Mais dans les coques de bois pourrissant, l'humeur avait pris un sacré coup au fil des semaines. La vue continue de ce bleu sans fin, ainsi que des rations réduites de piètre qualité, promettaient un équipage rancunier qui regrettait d’être parti dans cette traversée. La maladie de la mer leur rôdait autour comme une épée de Damoclès, et ceux qui n'avaient pas succombé à ses mains avides étaient affaiblis et fatigués. Même Mendoza se surprit à tousser du sang; mais pour garder son allure forte, il refusa d'en toucher mot. Qu'arriverait-il s'il montrait sa faiblesse? Pas grand-chose, mais ça ferait tout de même la différence. Et c'est ce qui comptait.

Les pensées qu'il essayait de garder claires se firent briser par un bruit non loin. Des pleurs, pour être exact. Assis près de lui, un marin essayait de donner au bébé de cette immonde soupe qu'ils en étaient venus à cuisiner avec du cuir de voiles et de l'eau de mer. Ç’avait un goût horrible et n'offrait sans doute rien de bon, même si ça leur donnait l'illusion d'avoir le ventre plein; mais l'enfant n'en voulait pas du tout, détournant la tête de la cuillère.

« Allez. », soupira le marin. « C'est tout ce qu'il y a, donc si tu ne manges pas, tu n'auras rien d'autre. »

Mendoza le regarda essayer de raisonner un bébé, ce qui aurait pu être comique s'il n'y avait pas ces implications morbides. Bien sûr qu'un enfant aussi jeune ne supportait pas la dure vie de marin, où la maladie et la faim et les naufrages et les mutineries étaient monnaie courante. Tout le monde ici le savait bien. Mais qu'est-ce qu'ils pouvaient y faire? Personne dans l'équipage ne supporterait voir cet enfant finir comme tous ces amis qu'ils ont dû balancer par dessus bord. Mais personne n'avait le cœur de l'achever tant qu'ils pouvaient, même ceux qui comprenaient la gravité de la situation. Ceux qui avaient eu des enfants avaient tous fait de leur mieux pour garder le petit en bonne santé, au nom de l'espoir. Du moins c'était ce qu'ils disaient; mais Mendoza savait la vérité. À voir la mer commencer à s'agiter, il savait parfaitement.

Il soupira, et se leva de sa contemplation, se tournant vers le pauvre marin qui avait abandonné l'idée de réveiller les instincts de survie du petit. Avec un petit rire, il lui tapota l'épaule.

« Donne-le moi. Je le ferai manger. »

Le marin haussa un sourcil, mais se contenta de se débarrasser de ce fardeau. Mendoza prit le petit dans ses bras, taisant gentiment ses tentatives de sanglot.

« Eh bien, je sais que ce navire n'est point une taverne de luxe, mais vous devriez revoir vos standards à la baisse, votre petite majesté. »

Il lui caressa la tête, espérant qu'un peu de chaleur le réconforterait. Il aimait bien se faire porter, vu qu'il passait son temps d'une paire de bras à l'autre. Même ceux qui n'avaient jamais été parents comprenaient que garder un enfant de trois mois tout seul sur un bateau secoué de vent et de vagues était une très mauvaise idée. De plus, un peu de chaleur humaine faisait toujours du bien à l'humeur générale.

« Je sais que tu as faim, gamin. Moi aussi. Mais c'est ainsi que sont les choses. Bientôt on accostera terre, et on s'approvisionnera, et ce sera pour le mieux. Peut-être même qu'on pourra te trouver du lait. »

L'enfant renifla, et le regarda de ses yeux d'or liquide. C'était comme regarder un lever de soleil printanier sur l'océan. Avec la lune autour de son cou, ce trait ne faisait qu'ajouter au mystère des origines de cet enfant, qui avait définitivement quelque chose de mystique.

« Voilà ce que je te propose. Je peux te donner quelque chose, mais seulement si tu n'en souffles mot à personne. Ça reste entre nous, d'accord? »

Il vérifia que personne n'était dans les parages, avant de s'asseoir, prenant l'enfant sur sa cuisse. Puis, fouillant sa poche, il en tira une petite branche de plante verte qu'il avait trouvée dans le détroit. Prévoyant les difficultés des mois à venir, l'équipage en avait récolté autant que possible, obtenant une nourriture supplémentaire aujourd'hui épuisée. Mais Mendoza en avait gardé une petite provision juste au cas où, et il avait bien fait.

Il cassa un petit morceau de tige verte, la pressa pour en tirer un peu de jus. Doucement, il la porta à la bouche du bébé, pour essayer de le faire boire. Le goût était bien meilleur que celui de voiles bouillies, et les petits sanglots cessèrent. Il soupira de soulagement, relevant la tête du petit et gardant un œil sur d'éventuels passants.

Lentement, les doigts du bébé s'enroulèrent autour du sien dans un réflexe. Mendoza cligna des yeux, le regardant; et quelque chose dans son expression dut avoir l'air drôle, car ces petites joues sourirent d'amusement. Les mains se resserrèrent, et il n'essaya pas de se dégager, car déjà la mer s'était quelque peu calmée. Et en effet, au-dessus, les nuages s'écartaient, laissant la lumière du soleil réchauffer les corps et les âmes de l'équipage. À cette sensation chaude qui lui caressa le visage, Mendoza ne put s'empêcher de sourire.

« Moi aussi, je t'aime bien, petit gars. Mais ne le dis à personne. Si les gens savaient que j'aime des choses, c'en est fini de moi. »

L'enfant gazouilla à nouveau, et continua de mâchonner.

~~~~~

Après de longs mois de navigation, enfin mettre pied à terre était un soulagement que rien ne saurait surpasser. Depuis combien de temps n'avaient-ils pas mangé de fruits frais ou vu ne serait-ce que l'ombre d'un arbre? L'escale dans ces petites îles des Philippines devait être courte, juste le temps de se réapprovisionner et de réparer, mais la présence de natifs a poussé le capitaine à prolonger leur séjour. Et tout se passait bien, car ils avaient même obtenu des épices à échanger et pu répandre leur message à ces sauvages. Tout se passait bien, jusqu'au jour où non.

La fumée se levait lentement dans l'air, alors que le troisième et désormais vide bateau de la flotte se consumait en cendres. Même la danse des flammes ne pouvait sortir Mendoza de ses pensées. Il s'était passé tant de choses, si vite...et maintenant, tout reposait sur lui. Tout, même le destin de leur équipage, était entre ses mains.

Il avait toujours voulu devenir capitaine...mais pas de cette façon.

Soupirant, il détourna le regard du navire en flammes, et se posta sur le pont inférieur, regardant la mer. Le plan actuel était d'aller au sud-ouest et de quitter l'archipel après une dernière escale, tout en essayant d'éviter les flottes portugaises qui auraient des colonies dans le secteur. C'était le choix le plus raisonnable; ils ne devaient pas s'éterniser. Le voyage était déjà assez long comme ça, et il ne voulait pas risquer la mutinerie. Pourtant les premiers murmures de dissidence lui parvenaient aux oreilles, s'il en croyait ses équipiers fidèles. Ce serait problématique...il devait donc faire bonne figure et leur remonter l'esprit. Il n'avait vraiment pas besoin d'une mutinerie maintenant.

Une bonne chose qu'ils aient avec eux un petit rayon de soleil.

Au début, le plan était de laisser le bébé à qui voulait l'adopter. Les natifs des îles auraient pu le garder. Puis tout s'était passé, et alors que tout le monde était occupé à survivre, ça leur était sorti de la tête. Mais de toute façon, l'équipage s'était habitué à cette petite présence à bord.

C'était une bonne chose. Personne ne comprenait comment un bébé avait pu survivre là où des adultes entraînés avaient péri, mais ça redonnait espoir à ceux qui en étaient témoins. Même ceux qui n'aimaient guère les enfants souriaient parfois quand le petit s'intéressait à eux. Et il avait l'air bien parti pour essayer les bras de tout le monde avant la fin du voyage, bien qu'il eut déjà ses favoris. C'est comme si cet enfant savait qui saurait mieux le porter autour du pont ou jouer avec lui, car il était très joueur. Les marins superstitieux ont vite compris que les sourires et rires du bébé étaient la clé d'une navigation calme et ensoleillée, donc le garder heureux et distrait était une tâche essentielle. Surtout quand ses cris apportaient de vilaines tempêtes si on le laissait pleurer trop longtemps, donc tout était mis en œuvre pour lui donner le sourire.

Et en ce moment, le bébé pleurait. Celui qui le portait pour le moment se fit assaillir de regards énervés, alors qu'il essayait de le faire cesser. Mendoza roula les yeux, et se dirigea vers lui pour voir ce qui se passait.

« Tu le tiens mal. Fais attention, ce n'est pas un sac de farine. »

Le bébé sanglota, et tendit ses petits bras vers le capitaine, babillant des syllabes floues. Pour ne pas énerver le petit qui contrôlait le temps, Mendoza le prit délicatement dans ses bras, calmant ses pleurs.

« Tout va bien. », rassura-t-il. « Tout va bien. On n'a pas à être tout ronchon, pas vrai? »

Le bébé renifla, mais au moins il avait cessé de pleurer. Mendoza pouvait sentir les regards qu'on lui jetait, mais décida de les ignorer.

« On dirait que hermanito vous aime bien, capitaine. », remarqua l'un des marins. « Il ne pleure jamais avec vous. »

« – On dirait presque que c'est le vôtre. »

Ah, oui, cette vieille blague. Il la prit avec humour, laissant aller un petit rire.

« Ceci, mes amis, se nomme talent. Vous devriez prendre quelques notes. Maintenant, retournez à vos postes, le pont ne va pas se nettoyer tout seul. »

Ceci sembla les remettre d'aplomb. Au devant, le vent se levait, et le bébé éternua de cette adorable façon enfantine. Mendoza décida de le ramener à l'intérieur avant qu'il ne fasse trop froid.

« Repose-toi un peu. Ne t'en fais pas, tu ne rates rien du spectacle. Tous les jours se ressemblent, sur les mers infinies. »

Il le reposa tout doucement sur le plancher, et vint relire sa carte pour vérifier leur trajet. L'enfant l'observa, visiblement contenté de sa présence proche, et se mit à gigoter ses petits membres, tombant sur le ventre et remuant comme une chenille. Mendoza le regarda du coin de l’œil, alors qu'il essayait de ramper comme un ver maladroit, et il y parvint presque, mais sa frustration de l'échec amena une autre série de hoquets sanglotants, que Mendoza interrompit avant qu'ils ne commencent en le reprenant dans ses bras.

« D'accord, petite racaille, tu as gagné. Tu sais, tu n'apprendras jamais à marcher si tu tiens tant à te faire porter. »

Ce qui était sûrement pour le mieux. Il n'avait pas du tout besoin de la panique que causerait ce marmot en disparaissant, avec tout l'équipage qui le chercherait. Ce serait une pensée hilarante, si elle n'était pas si dangereuse.

Le petit ne s'en plaignit pas, et se blottit confortablement dans le bras de Mendoza. Ce dernier soupira, et s'assit avec lui, le posant sur sa cuisse.

« Je te jure, tu es vraiment un cas d'école. »

« – Aaaa? »

« – Exactement. »

L'enfant continua de babiller, heureux de se trouver là, au chaud et au sec. Ses mains se refermèrent sur le pendentif à son cou, et il le contempla un moment avant de se remettre à le mâchouiller. Mendoza avait depuis longtemps abandonné l'idée de le faire cesser, donc s'il se blessait, ce serait de sa faute.

« ...tu sais, ça fait longtemps que personne ne s'est assis là où tu es. Tu en as de la chance. »

L'enfant le regarda, clignant des yeux. Une seconde plus tard, le menton de Mendoza se retrouva tout recouvert de bave de bébé, amenée par une main curieuse. Ah, oui. Ça faisait également longtemps qu'on lui avait bavé dessus, mais honnêtement il aurait préféré oublier cela.

« Hermanito, arrête ça, veux-tu? »

Il s’arrêta, même si pas tout de suite. Mendoza dut lui donner une vieille plume pour attirer son attention et ses mains ailleurs, veillant à ce qu'il ne se crève pas un œil avec. Et bien qu'il ne soit pas d'humeur à rire, une telle innocence enfantine le fit rêver. 

Il savait qu'il ne devrait pas s'attacher. Personne ne devrait. Et pourtant ils l'ont tous fait, entichés de ce « petit frère » qu'ils ont plus ou moins adopté. Même l'ancien capitaine avait apprécié la présence à bord de ce bébé, ne serait-ce que pour son étrange influence sur le soleil. Peut-être était-ce pour ça que personne ne lui avait encore donné de nom, car il en avait certainement un que personne ne connaissait. Ceux qui l'adopteraient lui donneraient un nom, aussi. Et ce ne serait pas lui, il en était certain.

Bon, en toute honnêteté, il y avait pensé. Cet enfant avait un vrai potentiel. Mais Mendoza était un navigateur, un explorateur au cœur, et il ne voulait pas compromettre la vie de cet enfant comme elle l'avait déjà été au cours de ce voyage. Il ne voulait pas se marier pour lui donner une mère, car il préférait la compagnie d'un bon équipage aux affaires conjugales. De plus, rien ne disait qu'il reviendrait vivant de cette navigation.

Mais la vraie raison était qu'il n'était pas encore prêt. Il n'était pas prêt à s'occuper d'un petit être, à devoir l'élever presque seul, à veiller sur lui.

Pas une seconde fois.

Le temps qu'il finisse, l'enfant s'était endormi. Ses mains étaient repliées sur le jouet de fortune, comme un trésor dont il ne voulait pas se séparer. Se levant lentement, Mendoza le ramena à son berceau, le bordant.

« Dors bien...p'tite tête. »

Un souffle calme lui répondit. Mendoza resta un moment à regarder sa silhouette endormie, avant de se sortir de la nostalgie et de la pièce.

~~~~~

Depuis ses plus jeunes années, il voulait devenir marin. La vue des bateaux quittant le port, les célébrations de ceux qui revenaient, les histoires de trésors et de richesses qui attendaient derrière l'océan ont rempli son imagination de promesses qu'il s'est juré de tenir. C'était un rêve aujourd'hui réalisé, un rêve qui aurait pu le rendre heureux. Mais seulement maintenant voyait-il la vérité qui s'y trouvait.

Cela faisait maintenant près de deux ans que la flotte avait quitté l'Espagne. Beaucoup avaient depuis perdu l'espoir d'un jour revoir le port de Sanlúcar, car nombre d'entre eux avaient perdu leur chance au cours des derniers mois. Des jours et des jours de bleu sans fin avaient drainé les espoirs de tout le monde, et ni promesses ni assurances ne sauraient calmer l'équipage. La seule chose qui empêchait une mutinerie était leur nombre si réduit que tout le monde devait y mettre du sien à toute heure pour manœuvrer le dernier bateau restant. Ils s'étaient séparés de la moitié de leur équipage dans les Moluques, et ils ne pouvaient savoir ce qu'il était advenu d'eux. Tout le monde devait se serrer les coudes et se surpasser, s'ils voulaient un jour revoir leur pays. Tout le monde devait participer.

Tout le monde. Y compris le petit enfant occupé à « nettoyer » le pont en l'éclaboussant d'eau de mer.

Le hermanito favori de l'équipage était toujours en bonne santé, malgré son mode de vie instable. Il avait désormais presque un an, et heureusement, apprendre à marcher ne fut pas un problème comme Mendoza l'avait craint. Bien qu'il était toujours plus occupé à jouer avec ce qu'il trouvait pour passer le temps, il devenait curieux des choses autour de lui. Il savait par observation à quoi servaient un seau, une corde, une cuillère; il montrait les voiles dès qu'il y avait du vent, la cale quand il avait faim, et disait toujours au revoir au soleil quand il se couchait. Il ne parlait pas encore très bien, mais comprenait ce qu'on lui disait en catalan et en espagnol, ou du moins les mots simples. Et il adorait imiter les actions de l'équipage, même s'il se limitait à porter des objets et retomber sur les fesses. C'était un joyeux petit luron, dont le sourire enjoué les avait plus d'une fois sortis de la mélancolie. Peut-être que c'était ce dont ils avaient le plus besoin, plus encore que de la nourriture ou un but à suivre.

Et alors qu'il grandissait, qu'il apprenait à marcher, à babiller, à faire d'adorables petits trucs de bébé, Mendoza commençait à se rappeler. Parfois, en posant les yeux sur cet enfant, il se souviendrait brièvement de ce que ça avait été, et de tout ce que ça aurait pu être. Mais ça ne durerait guère longtemps, et il se redirait que ce n'était pas le même enfant, que celui-ci était la mascotte du voyage, le petit frère anonyme de l'équipage, un rayon de soleil qui réchauffait les cœurs et les âmes des marins déprimés. Un enfant assez chanceux pour avoir survécu sa première année en haute mer, d'une manière telle que ça ne pouvait être qu'un miracle.

Quand ils rentreront en Espagne, ils devront lui trouver une famille. Ils n'ont jamais rien promis à cet enfant, surtout pas de rester avec lui; une fois l'équipage dissout, leur fraternité hésitante ne sera plus. Mieux valait s'en éloigner avant de s'y attacher, et profiter du fait qu'il soit trop jeune pour s'en souvenir.

Il vaut mieux qu'il oublie tout. Et il en va de même pour l'enfant.

Un tiraillement sur sa cape réveilla Mendoza de son observation de la mer. Baissant la tête, il vit que le hermanito avait une fois encore besoin d'attention.

« Que puis-je faire pour toi, aujourd'hui? », demanda-t-il de manière si formelle que c'en était presque drôle.

L'enfant désigna la mer devant eux. Comprenant, Mendoza le prit dans ses bras, se demandant comment il avait pu prendre autant de poids avec si peu de nourriture, et l'assit doucement sur la barrière du navire, le tenant fermement. D'ici, il avait une meilleure vue de l'eau, des vagues, de l'horizon; et ça n'échouait jamais à le faire rire et applaudir de ses petites mains. Mendoza sourit, s'assurant qu'il ne tombe pas. Si ce voyage venait à s'éterniser, cet enfant pourrait certainement devenir mousse, vu qu'il avait déjà la passion des marins pour le grand bleu.

Une vague caressa l'océan, envoyant de l'écume s'écraser contre la coque. L'enfant applaudit à nouveau, désignant l'eau.

« Onda, onda! », s'exclama-t-il avec joie.

« – Oui, c'est une vague. Une petite. L'océan est calme, on ne verra pas de danger. »

« – Plaf. Plaf plouf! »

« – C'est le bruit des vagues, en effet. Elles font plouf. »

Il fit un bruit de vague avec sa bouche, que l'enfant apprécia. Il regarda l'océan encore un peu, ses yeux d'or attirés par les petites vagues, les poissons ou les oiseaux qu'ils voyaient. Quel curieux bébé, hâtif de tout savoir des choses.

« Hermanito. »

L'enfant tourna la tête.

« ...non, rien. Regarde, il y a un poisson là-bas. »

Son attention se reporta bien vite sur l'eau.

N'ayant pas de nom, il croyait s'appeler « petit frère ». Il avait également l'habitude d'appeler tout le monde « grand frère », car c'était ce à quoi répondait la majeure partie de l'équipage. Ou alors, ils n'arrivait pas à retenir les noms de tout le monde, surtout quand les marins semblaient disparaître mystérieusement jour après jour.

C'était si triste d'y penser. Mendoza essayait d'ignorer ce sentiment, de se concentrer sur le présent. D'apprécier la présence et la joie de l'enfant, et de préserver son innocence, qui à son tour apporterait de bonnes choses. C'était ce qui leur manquait, ce qu'ils demandaient, quelque chose que lui ne pouvait leur apporter. Quiconque adopterait cet enfant serait la famille la plus heureuse d'Espagne.

Ils avaient juste à s'en sortir vivants. Ils avaient juste à persévérer, à garder leur volonté de vivre. Ainsi seulement serait-il sain et sauf.

~~~~~

En septembre 1519, près de trois cent hommes à bord de cinq navires ont quitté l'Espagne en direction du Nouveau Monde. Et maintenant, presque trois ans plus tard, dix-huit hommes et un enfant sont revenus du premier tour du monde.

Même dans la joie et la célébration de l'équipage et des habitants, on ne pouvait cacher le fait que ce voyage avait été un désastre massif. Les pertes humaines et financières avaient été trop grandes, et pas même les biens rapportés du voyage ne sauraient rembourser les dettes. Clairement, Mendoza avait tout à gagner à partir de Séville au plus vite. Il n'avait pas du tout besoin de se faire accuser, alors que depuis le début il s'était efforcé de garder tout le monde vivant.

Comme il s'en était douté, aucun des survivants n'était en état de garder le hermanito avec eux. Et même s'ils pouvaient, ce dernier n'allait pas quitter les bras de Mendoza si facilement. Peut-être que toute cette protection dont il avait fait preuve avait désigné Mendoza comme le meilleur père de tout l'équipage restant.

Mais Mendoza ne pouvait pas garder cet enfant avec lui. Autant il avait appris à aimer ce petit bout de soleil, autant il n'avait ni les moyens ni l'énergie d'élever un enfant. Alors que le dernier bateau restant s'approchait de la côte espagnole et le voyage de sa fin, il y avait réfléchi et s'était décidé. Et c'était un choix difficile à faire, mais c'était ce qui conviendrait le mieux au petit.

Barcelone était assez loin de Séville pour que personne ne l'y retrouve. L'enfant comprenait déjà le catalan, ce ne serait guère dur pour lui. C'était une bonne ville, avec plein de possibilités, il le savait pour y avoir passé une partie de son enfance. Il savait que le hermanito y trouverait ce dont il avait besoin.

Ce jour-là, ils se contentèrent de marcher en ville. L'enfant, du haut de ses deux ans d'âge, était un petit pressé qui courait partout avec hâte. Mais il écoutait son grand frère, et lui tint la main alors qu'ils marchaient dans les rues ensoleillées de la ville.

« 'mano, on va où? », demandait-il. « Bateau? »

« – On ne va pas sur un bateau tout de suite. », répondrait-il. « On s'amuse. »

Et il amènerait son attention sur plein de petites choses, comme des fleurs poussant à travers les pavés, des vêtements de toutes les couleurs pendant d'entre les maisons, des oiseaux volant de toit en toit. Il voyait nombre de ces choses pour la toute première fois, et était aussi excité que possible. Ce qui, bien sûr, l'amena à se fatiguer très vite le soir venu, une fois toute son énergie épuisée.

« Ne t'inquiète pas, petit gars. », le rassura Mendoza. « Viens, laisse-moi te porter. Ce soir, tu dormiras dans un lit douillet. Demain, tu auras plein à manger. Et même après, tu n'auras plus à t'inquiéter de rien. »

L'enfant ne s'inquiéta pas, faisant confiance à Mendoza qui le portait à travers les rues illuminées du crépuscule. Et les propres inquiétudes de Mendoza essayaient de trouver leur résolution, de se convaincre qu'il prenait la bonne décision. Après une courte vadrouille, il trouva enfin un endroit qu'il pensa convenable.

La lourde porte de bois tonna quand il y frappa. Peu après, un vieux moine lui ouvrit, et le laissa entrer.

Il lui fallut du temps. Il lui fallut beaucoup d'explications. Il lui fallut réfuter beaucoup de scepticisme. Mais alors que la nuit s'achevait de tomber, Mendoza avait réussi à assurer l'avenir de l'enfant.

« ...ce que vous me demandez est peu conventionnel, capitaine Mendoza. », dit lentement le père Rodriguez. « Mais je m'en occuperai. Cet enfant a l'air d'avoir besoin de soutien. »

« – Croyez-moi. J'ai vu ce qu'il est capable de faire. Celui qui adoptera ce petit sera le plus chanceux du Vieux Contient. »

Son air confiant est sans doute ce qui poussa le père Rodriguez à accepter sa demande. S'accrochant toujours à lui, le hermanito marmonna quelque chose dans son sommeil, s'agitant. Le cœur lourd mais l'esprit décidé, Mendoza le tendit au vieux prêtre, qui lui chuchota pour calmer ses rêves.

« Quel bon garçon, en effet. », sourit-il.

Puis, comme se rappelant, il se tourna vers Mendoza.

« Puis-je vous demander si vous lui avez donné un nom? »

Mendoza ouvrit la bouche pour répondre, mais ses mots se coincèrent dans sa gorge. Silencieux, il regarda l'enfant endormi, pensif.

Ce serait mentir que de dire qu'il ne s'était pas attaché à ce petit bout de soleil. C'était impossible de prétendre qu'il ne lui a pas amené la joie et le sourire quand tout allait mal. Cet enfant des miracles, sauvé de la mort aux mains d'une mer cruelle, et qui en retour les a sauvés de tant d'orages par sa joie seule. Ce petit frère qui leur a tant donné sans même le savoir.

Dans la poche de Mendoza, la petite pièce gravée du soleil pesait lourd de culpabilité, plus encore que de métal. Il avait pensé à la lui rendre, vu qu'il n'aurait plus sa place dans la vie de cet enfant. Mais à la place, il lui était récemment venu à l'idée qu'il se devait de lui donner autre chose en retour.

Peut-être qu'ainsi, il pourrait tourner la page.

« ...Esteban. », dit-il au bout d'un moment. « Il s'appelle Esteban. »

Son cœur battit fort à l'évocation de ce nom, qu'il n'a pas prononcé depuis des années. Mais le père Rodriguez ne le remarqua pas, et après quelques mots, Mendoza lui souhaita une bonne nuit.

Au dehors, la nuit baignait tout d'une pâle noirceur, brisée par les quelques lumières de boutiques et tavernes. Il prit une profonde bouffée du frais air de la ville, et sortit la pièce de sa poche, la regardant un moment.

« Je pourrais me cacher quelques jours. », se dit-il. « Ou bien repartir en voyage. »

Les gravures de la pièce étaient plus prononcées sur l'une des faces. La tenant sur son pouce, il la lança haut dans l'air, et la rattrapa dans sa main; la face gravée refléta la lumière de lune sur ses motifs.

Mendoza sourit.

« L'aventure, alors. »

Et, la remettant dans sa poche, il redescendit vers le port.

~~~~~

« Allez, plus vite! », encouragea Carlos. « On va les rater! »

« – Attends-moi! »

Les supplications du petit garçon rattrapèrent à peine son aîné qui courait dans les rues, se frayant facilement un chemin entre les foules et les allées étroites au grand outrage des adultes. Il savait qu'il ne devrait sans doute pas laisser Esteban derrière, mais aujourd'hui était un grand jour! Il ne le manquerait pour rien au monde! 

« Carlos, attends-moi!! »

Il n'avait pas envie d'attendre, mais y aller tout seul ne serait pas drôle, donc il pausa sa course folle, laissant le garçon de sept ans le rattraper en haletant.

« Tu vas trop vite pour moi! », se plaignit-il. « Tia a dit que tu dois tenir la main! »

« – Et qui me dit que c'est pas toi qui vas trop lentement? », répondit le garçon de douze ans.

Esteban bouda de colère, et le poussa du coude, ce qui fit rire Carlos.

« Oh, allez, p'tite tête! On y est presque. Tu peux le faire. »

« – On devrait pas aller aussi loin. Tia a dit que le port est plein de mauvais gens. »

« – Ouais, mais Tia elle est pas là, donc soit tu me suis, soit tu rentres à la maison tout seul. »

Esteban était sur le point de pleurer, désormais. Et Carlos ne voulait surtout pas attirer l'attention, donc il lui offrit la main, essayant de le réconforter. Esteban s'y tint fermement, et ils coururent ensemble vers le port, où tout le monde s'était rassemblé pour fêter le départ du navire.

Ils escaladèrent une pile de barriques, pour avoir une meilleure vue des gens, de la mer, et des imposants vaisseaux qui se tenaient comme des mastodontes de bois et de corde. Il y avait de la musique, il y avait de la joie, et toute la ville s'était rassemblée pour voir ces braves marins partir pour un voyage de plusieurs années. Carlos les encouragea à son tour, sa voix n'étant qu'une note dans la cohue du port, mais il sentit qu'elle ferait quand même la différence.

Près de lui, Esteban regardait avec appréhension, peu fier de sa présence, mais l'humeur générale semblait le gagner petit à petit. Et quand les voiles blanches se déployèrent, il ajouta sa propre voix aux encouragements, même si elle restait assez timide. Mais Carlos pouvait l'entendre, et elle fit une différence pour lui.

Finalement, les navires quittèrent le port, emportant avec eux les rêves et les espoirs de Barcelone vers des terres encore inconnues. Carlos les regarda partir, son propre cœur rempli de pensées de royaumes lointains, de trésors cachés et d'aventures épiques; difficile de cacher ce qu'il pensait de telles promesses.

« Quand je serai grand, je serai marin. », clama-t-il fièrement. « J'explorerai le monde, et je serai riche! »

Esteban pouffa, s'asseyant sur les barriques.

« Tu peux pas être marin. T'as jamais mis le pied sur un bateau! »

« – Pas encore. Mais j'apprendrai! Encore quelques années, et j'aurai l'âge de m'embarquer. J'apprendrai, je deviendrai le meilleur! »

Il se tint droit comme une tour, le torse bombé.

« Je serai à la tête d'une armada! Capitaine Juan Carlos Mendoza, menant une flotte de dix mille hommes! »

« – Ça se peut pas, une flotte si grande!! »

« – Ben la mienne, elle le sera! »

Il rigola, et souleva un Esteban tout excité.

« Et tu pourrais être...mon second! Commandant Esteban Ricardo Mendoza, un nom craint de tous les ennemis! Fléau des pirates et des Maures, la terreur de la Méditerranée! »

« – Fais pas l'idiot! », rit Esteban, se tortillant pour être reposé. « Si t'es capitaine, alors moi aussi je veux être capitaine! »

« – De toutes façons, j'ai besoin de quelqu'un pour manœuvrer mon second bateau. Très bien, vice-capitaine, vous êtes engagé. »

Il frotta les cheveux de son frère, mettant ses boucles en bataille. Esteban continua de pouffer de rire, avant que ses yeux ne retombent sur la mer, et qu'il prenne un air contemplatif.

« ...on va explorer le monde. », dit-il, rêveur.

« – Ouais. C'est promis. »

« – Vraiment? »

Carlos acquiesça, et tendit une main.

« Promis, p'tite tête. Un jour, on se tirera d'ici. »

Esteban sourit, et la serra. C'était promis, alors.

Un jour, se dit Carlos. Un jour, il montrerait à Esteban le monde de là-bas. Un jour, ils verraient les légendaires Cités d'Or de leurs propres yeux.

Un jour, ils se tireront d'ici.



Ooooh, ca explique donc cette image.
Image
Juan Carlos et Esteban
Modifié en dernier par Sandentwins le 19 oct. 2019, 09:49, modifié 3 fois.
:condor: Le meilleur personnage de toute la série, c'est la mère d'Esteban.:condor:

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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Akaroizis »

Sûrement le récit que j'ai préféré. ;)
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par Amaya »

Frères d'une Mer lointaine. C'est un beau récit que nous avons là, sur une page d'histoire (commune) à ces deux là.

Avec Esteban, les nuits ne sont pas si complexes ! Pourquoi ? Les bras de Mendoza ou 4 mots suffisent et il ne braille plus. :x-):
De plus, Hermanito se porte comme un sac à farine... Parce qu'il est un sac à farine. Si si, faites comme moi : imaginer la tête de Baby Esteban sur un sac à farine vers le boulanger du coin.

Lorsque Mendoza pense que la future famille sera la plus heureuse en ayant Esteban et que l'on connait la vraie suite de cette histoire, on sait surtout qu'aucune "famille" (dans le sens où il le prévoyait) n'aura eu cette "joie" de l'avoir. Par contre, lui, bah il l'aura parce qu'il reverra son petit bouchon d'amour !

Je déteste les scènes où Mendoza et Esteban doivent se quitter, ne se parlent plus, etc... C'est trop déchirant pour mon pauvre petit coeur si minuscule.
Parce que je le redis, à mes yeux : Mendoza et Esteban sont I.N.D.I.S.S.O.C.I.A.B.L.E.S ! Tout comme Tao et Pichu, Sancho et Pedro.
" Esteban, ne soit pas triste, ne soit pas inquiet. Tu as, toi aussi, ta propre route à continuer. Pour devenir vraiment grand, vois-tu mon enfant, un fils doit dépasser son père."

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TEEGER59
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Re: "Sa Machine Ailée" et autres histoires

Message par TEEGER59 »

C'était superbe.
Tu as devancé Viviane qui tenait à écrire quelque chose sur cette période clé (Entre le repêchage d'Estéban et son adoption par le père Rodriguez).
Sandentwins a écrit : 26 août 2019, 16:37 En septembre 1519, près de trois cent hommes à bord de cinq navires ont quitté l'Espagne en direction du Nouveau Monde. Et maintenant, presque trois ans plus tard, dix-huit hommes et un enfant sont revenus du premier tour du monde.
Dont Miguel De Rodas... :x-):
Tu colles au plus près des faits historiques et c'est superbement écrit. Tout comme le dit Akar,
Akaroizis a écrit : 26 août 2019, 17:19 Sûrement le récit que j'ai préféré. ;)
Je suis entièrement d'accord avec lui.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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