Suite.
La cuisine des mousquetaires.
Le soleil commençait à baisser sur l'horizon, mais la touffeur demeurait.
Dans le pré qui descendait vers le Llobregat, les vaches recherchaient l'ombre. Les pâturages n'avaient d'herbe fraîche qu'au plus près de l'eau. Tout le haut du terrain, décoloré ou roussi par des semaines de sécheresse, offrait l'aspect d'une natte de paille usagée.
Un seau en bois cerclé de fer dans chaque main, Miranda, la vachère, se dirigeait vers le troupeau agglutiné sous les branches de chêne dont les frondaisons se déployaient au-dessus de la haie d'épine noire.
De la cour où elle était revenue prendre Paloma, Isabella regardait la petite femme maigre progresser de sa démarche raide vers les bêtes qui l'attendaient en beuglant.
:
Comme elle a l'air sévère. Il est vrai que la vie n'a pas été coulante avec elle... (Pensée).
Le mari de Miranda, maçon de son état, avait été écrasé cinq ans plus tôt, sous le chargement d'une charrette de pierres qui s'était renversée sur lui. Restée seule avec son fils Modesto et une fille plus jeune, la veuve était venue demander si elle pouvait travailler pour le señor De Rodas. Elle avait entendu dire qu'on y cherchait quelqu'un pour s'occuper des bestiaux. Elle voyait là une occasion de demeurer avec ses enfants. Modesto aimant bien ce qu'il faisait pourrait continuer auprès d'elle son apprentissage.
Miguel l'avait engagée comme vachère et la petite Consuelo, sa fille alors âgée de sept ans, comme gardeuse d'oie.
Ils logeaient depuis tous trois, à côté du
patrón et de sa famille, dans une maisonnette adossée aux principaux bâtiments du domaine.
:
J'ai presque honte parfois, de me voir si heureuse, si protégée, alors que l'existence de tant de gens est d'une telle dureté. Peut-on avoir des remords d'être tout simplement ce que l'on est, quand on n'a, pourtant, fait de tort à personne? (Pensée).
Sous le flamboyant bleu, elle constata que les servantes de son beau-frère avaient noué le drap contenant la laine cardée, pris les paniers où il restait des toisons non peignées, et emporté aussi les petits bancs à l'intérieur de la demeure.
De son côté, Elena avait suivi Estéban et son père dans la chambre aux barriques.
L'aventurière se retrouvait seule sous les branches du faux palissandre qu'aucun souffle d'air ne faisait remuer. L'odeur de feuilles chauffées par le soleil s'exacerbait, se mêlait aux relents de poussière qu'aucune pluie n'avait abattue depuis longtemps. La cour sentait la sève chaude et le silex.
Perchée sur un toit, une tourterelle se mit à roucouler.
Tant de paix autour d'elle et dans son cœur pouvait-elle être reprochée à une créature de Dieu?
:
Je ressens en moi une telle joie de vivre, un si profond accord avec la nature, avec l'air que je respire, le pain que je mange, l'amour que je fais... C'est comme si tout mon être participait à l'élan de la Création. N'est-il pas bon qu'une plante fleurisse quand il lui a été demandé de fleurir?... Je suis si heureuse ici, dans cet endroit, entre Juan et mes enfants... Seigneur, ne m'imputez pas ce bonheur à charge, mais donnez-moi de savoir le faire rayonner, pour leur plus grand bien, sur ceux qui m'approchent... qu'il soit partage et non satisfaction égoïste! (Pensée).
Un panier débordant de choux et de salades à la main, Luis, le jardinier, sortit du potager pour se diriger vers la cuisine. L'époux de Carmina passait son temps à arroser la terre assoiffée afin d'assurer la survie des légumes qui lui étaient confiés. Les bras écartés du corps, sa grosse tête enfoncée dans les épaules, il allait d'un pas lourd. Son bliaud court, ceinturé d'un tablier, découvrait d'épais mollets engoncés dans des chausses basses dont les semelles étaient protégées par des patins de bois. Une coiffe de toile, attachée sous le menton, lui couvrait le crâne jusqu'aux oreilles. Il avait posé dessus un chapeau de paille bosselé.
Isabella lui sourit, puis, soulevant le léger berceau où Paloma, assommée de chaleur, continuait à dormir, emporta sous son bras l'enfant dans sa couchette.
Elle allaitait ses derniers-nés jusqu'aux environs de deux ans, ce qui était commode et avait l'avantage d'espacer ses grossesses. En outre, cet usage possédait à ses yeux le mérite de conserver intacts entre elle et son nourrisson des liens intimes qui prolongeaient le temps de la gestation. Aussi voyait-elle chaque fois avec mélancolie et appréhension venir le terme de ses allaitements.
Tenant toujours sa petite fille dans sa berce, elle rentra chez elle où elle aurait à surveiller les apprêts du repas.
Couverte en tuile, construite en pisé enduit d'un lait de chaux et soutenu par des pans de bois, la maison du couple, qui s'intégrait parfaitement aux différentes constructions de l'hacienda, n'avait qu'un étage sur un soubassement de pierres. Elle se situait à l'ouest de la cour. Au sud et à l'est, les chais, les étables, les dépendances occupaient la place restante. Le petit bâtiment des étuves se trouvait isolé à l'un des angles du quadrilatère de terre battue, non loin de l'ouverture donnant sur le jardin, les prés, le fleuve, la plaine, qui offraient au nord une large perspective. Une solide enceinte délimitait le pourtour de la propriété.
Mendoza avait tenu à ce que sa demeure soit aussi vaste que celle de son frère. Il avait veillé lui-même, durant la construction, au moindre détail.
Le rez-de-chaussée s'était vu consacré au cellier, à la resserre de vivres, au fruitier. Plusieurs marches conduisaient au premier où se trouvait la salle, assez spacieuse pour que toute la famille pût s'y réunir à l'aise. La grande nouveauté de cette installation, celle dont le marin était le plus satisfait, était la cheminée circulaire, placée au centre de la pièce, permettant à tous de se chauffer sans qu'il y ait d'exclus.
Si la découverte du conduit d'évacuation autorisait à présent, dans les villes et les villages neufs, la construction de cheminées à foyers au lieu de simples trous à fumée de naguère, la plupart d'entre elles étaient placées à l'angle des murs ou au milieu de l'un d'eux. En hiver, bien peu pouvaient bénéficier pleinement de la chaleur. Beaucoup se trouvaient refoulés loin de l'âtre.
Juan s'était passionné pour une innovation qui apportait un supplément d'aise à chacun. Grâce à l'ingéniosité des nouveaux bâtisseurs, tout le monde avait part au rayonnement des flammes.
Au-dessus de la grande pierre plate du foyer, la hotte en forme de pyramide était faite de briques réfractaires soutenues par des travers de bois.
En pénétrant chez elle, Isabella songea que l'automne approchait, que, bientôt, il faudrait renoncer à passer les soirées dans la cour ou au jardin et qu'on allait retrouver les veillées autour de cette cheminée ronde dont elle s'émerveillait toujours.
Si le capitaine avait tenu à diriger la construction de leur logis, sa femme, en revanche, s'était vu octroyer la haute main sur l'agencement intérieur des pièces. Dans la salle et dans les chambres avoisinantes, qu'à la manière andalouse, on avait séparées les unes des autres par de solides cloisons et non plus par des tentures, c'était Isabella qui avait décidé de tout.
Les coffres, bahuts, banquettes ayant autrefois appartenu à ses beaux-parents lui étaient revenus grâce à la générosité de Raquel. Celle-ci lui avait dit:
Raquel: Il est normal, ma fille que vous les preniez. Je possède du mobilier à ma suffisance et, quand je ne serai plus là, vous aurez le reste...
Après le séjour de deux ans fait à Barcelone au début de leur mariage, les époux avaient également rapporté avec eux au moment de leur nouvelle installation, certains objets auxquels ils tenaient. En premier lieu le grand lit de bois sculpté, au matelas moelleux, à la couette de plumes, aux couvertures doublées de peaux d'écureuils, aux coussins de fin duvet. Il était le lieu de tant d'ébattements, de récréations coquines.
Mais ce n'était pas le moment de se complaire à de telles réminiscences! Il était urgent d'aviser au souper.
Isabella déposa le berceau dans un coin de la salle et gagna la cuisine attenante, séparée de la vaste pièce par un simple mur de pierres.
Carmina était en train de sortir du panier apporté par Luis les plantes potagères qu'elle rangeait au fur et à mesure sur la lourde table de chêne occupant le centre du local. Une petite fenêtre qui était ouverte, et une cheminée à double crémaillère de fer, à hotte assez peu volumineuse, mais au foyer encombré de landiers, marmites, pelles, grils et poêles, s'y faisaient face. Dans un coin, une large pierre plate creusée, à usage d'évier, perforée à l'une de ses extrémités permettait l'écoulement des eaux grasses vers l'extérieur. Dans un autre, une huche pouvait contenir le pain d'une semaine. Près de l'âtre, un buffet bas, où l'on voyait par une porte entrebâillée pots, cruches, écuelles, gobelets en étain ou en bois, boîtes à épices. Deux escabeaux à quatre pieds, des bassines, des chaudrons, de petits balais pour les cendres, des couteaux dans un panier plat, des crocs à piquer la viande, des essuie-vaisselle pendus au mur près de l'évier, achevaient de donner à la cuisine un aspect encombré et actif à la fois.
Carmina: J'avais prévu deux beaux pâtés de palombes aux oignons frits ainsi que deux perdrix aux choux. Avec des crêpes au cerfeuil et du fromage de brebis, mon souper était fait. Mais ce n'est pas assez pour un repas de fête.
: Le señor Mendoza n'a-t-il pas pêché deux ou trois brochets ce matin, à l'aube?
Carmina: J'y pensais señora! Je vais les faire rôtir sur un lit de romarin, avec du vin rouge et du verjus. On s'en lèchera les doigts!
: Les enfants aiment les beignets à la sauge. Puisque Luis vient de vous en apporter, ne l'épargnez pas. Faites-nous ensuite une grosse salade avec cette laitue et la mâche que voilà.
Carmina: Croyez-vous que ce sera suffisant?
: N'êtes-vous pas de cet avis?
Carmina redressa le menton.
Carmina: Si. Soyez sans crainte. Au besoin, je rajouterai un rien de mon invention. Pour aller plus vite en besogne, je vais demander à Miranda de me donner un coup de main. Avec elle et Jesabel, tout ira bien.
: Il me faut maintenant nourrir Paloma qui doit mourir de faim. Dès que j'en aurai fini avec elle, je reviendrai vous aider toutes trois.
Selon une habitude qui lui était chère, elle alla s'installer avec l'enfant devant la porte de la salle, en haut des marches conduisant à la cour, sous la petite logette que formait une avancée du toit de tuiles.
Supporté par deux gros madriers, cet auvent recouvrait un étroit emplacement dallé. Le mur de fondation, qui était surbaissé à cet endroit, formait de la sorte, sur un de ses côtés, une baie ouverte d'où on pouvait voir ce qui se passait dans la cour. Protégé de la pluie et du soleil, cet abri plaisait fort à la jeune mère qui s'asseyait souvent sur le banc de bois adossé au mur haut, face à l'ouverture donnant vers l'extérieur.
Selon la saison, elle disposait sur la solive de chêne qui bordait la partie basse de la baie, des pots de myosotis, de giroflées, de soucis ou de bruyères. En cette fin d'été, des trèfles blancs et roses égayaient le rebord de bois rugueux.
Paloma se réveillait. Son regard hésita un instant, puis se fixa sur sa mère et un sourire ravi étira sa bouche largement fendue.
Isabella la sortit du berceau et souleva à bout de bras le petit corps maintenu dans ses langes par d'étroites bandelettes croisées. Il allait bientôt falloir les supprimer, car la petite fille commençait à marcher et supportait de plus en plus mal d'être ainsi entravée durant son repos.
Aussi mignonne que sa sœur mais plus robuste, elle se montrait d'humeur joyeuse et avait un appétit d'ogresse.
La confiance, l'abandon, le don sans restriction que les bébés témoignaient à celle qui les nourrit de son lait, émouvaient toujours l'aventurière. Elle se mit à embrasser amoureusement les joues encore chaudes de sommeil, le nez menu, le cou gracile dans les plis moites duquel l'odeur enfantine de sueur légère et d'eau de senteur, se nuançait, sous les boucles brunes, d'un léger fumet qui évoquait à l'odorat de la jeune mère celui des plumes de perdrix encore chaudes au retour de la chasse.
Paloma éclata de rire. Elle avait des yeux brun clair couleur de noisettes mûres.
Posant sa fille sur ses genoux, Isabella écarta le haut de sa chemise. Les deux grains de beauté qu'elle avait sur chaque sein s'étaient élargis. Ils marquaient de leurs lentilles sombres la peau blanche où, à présent, sur la chair épanouie, courait à fleur d'épiderme un lacis de veines bleutées.
Afin d'empêcher les dents toutes neuves de mordre et de blesser le mamelon qu'elles enserraient, Isabella maintenait d'un doigt l'écartement de la petite mâchoire avide. Penchée sur Paloma qui tétait avec frénésie, elle n'entendit pas venir Pablo.
Une ombre allongée par la lumière rasante du soleil, se projeta soudain sur la mère et l'enfant.
Isabella leva les yeux.
: Te voilà de retour, mon grand! Sais-tu la nouvelle? Ton grand-père, Charles Quint, vient de signer, une fois de plus, la paix avec le roi de France.
Pablo: Je sais, maman. Tout le monde en parle. Mais moi, je sais que ces deux-là se jouent encore la mutuelle comédie de l'amitié!
Pablo avait laissé échapper des paroles trop vives, qui avaient la couleur du reproche. Devant tant d'amertume pour un enfant de son âge, sa mère soupira.
Pablo: À Barcelone, on danse devant la cathédrale. Oncle Philippe a fait mettre en perce plusieurs tonneaux de vin. La taverne de Sancho et Pedro est bondée.
Le garçon, qui allait fêter ses sept ans le mois suivant, caressait avec douceur une hermine apprivoisée qu'il portait agrippée à son épaule gauche. Ses traits étaient d'une grande pureté: transparence de la peau, netteté des sourcils, mousse brune des cheveux, eau des prunelles.
: Sa femme et lui nous ont conviés demain à un festin qui aura lieu au palais, après une grand-messe d'action de grâces.
L'automne précédent, le demi-frère d'Isabella avait épousé Marie-Manuelle de Portugal à Salamanque, dont il ajouta les possessions à la couronne d’Espagne. Mais il ne l'aimait point.
: Ton père a décidé de nous y emmener tous.
Pablo: Même moi?
: Bien sûr, mon grand! Pourquoi pas?
Pablo: Pour rien!... Je vais aller retrouver Consuelo qui vient de rentrer avec ses oies. Je l'aiderai à donner à manger aux oiseaux de la volière.
Il disparut en claudiquant.
:
Seigneur, il est bien de moi celui-là! Quel caractère! Je ne peux pas le renier... Mais que faire, Vierge Sainte, que faire? Comment réparer un tel préjudice? Que donner pour que mon fils retrouve sa démarche d'antan? Je sacrifierai sans hésiter dix ans de ma vie si je pouvais, par là, obtenir sa guérison complète. Je ne cesse de vous le répéter... mais sans doute ai-je tort de m'obstiner dans ce genre de supplique. La véritable prière est celle qui tend à fondre notre volonté en la Volonté du Seigneur, non pas celle qui, dans son ignorance, le sollicite à des fins trop humaines. Lui seul sait ce qui est bon pour nos âmes et ce qui ne l'est pas. Je le reconnais, et pourtant, je ne cesse d'espérer un miracle... (Pensée).
Une chanson jaillit soudain au bas des marches, signalant l'arrivée de Joaquim. À quatre ans, le petit garçon était déjà fou de musique. Il passait ses journées à jouer du pipeau ou de la flûte, accompagnant Tao quand ce dernier avait fini son travail. Le naacal aimait toujours autant enseigner et partager ses goûts.
Seul descendant de la lignée à ressembler vraiment à son aïeule maternelle, la mère d'Isabella, qui avait été brune aux yeux noirs, Joaquim se démarquait du reste de la famille. On disait qu'au temps de l'invasion des Maures, un de ses ancêtres avait converti, puis épousé une jeune beauté Sarrasine... C'était peut-être une légende. Nul ne le savait. Toujours était-il que les Occitans qui composaient la parentèle de la défunte grand-mère du jeune garçon comptaient parmi eux un certain nombre de personnes au teint basané et à l'œil sombre.
Joaquim: Je vais faire une chanson pour la fête de demain.
L'enfant s'élança vers sa mère et s'abattit sur ses genoux en riant.
Joaquim: Tu verras maman, ce sera très joli.
Intelligent comme un chat, dont il possédait aussi l'indépendance, il avait déjà des idées bien à lui.
: Mon petit prince...
L'aventurière aimait l'appeler ainsi parce qu'il ressemblait à l'un des rois mages.
: ... Mon petit prince, je t'en prie, n'écrase pas cette pauvre innocente!
En dépit des soubresauts causés par les mouvements désordonnés de son frère, Paloma continuait son repas avec le même appétit. Sans tenir compte d'elle, Joaquim roulait dans le giron maternel sa tête aux cheveux épais et en bataille. Il répétait en chantonnant:
Joaquim: J'ai trouvé un air gai, très gai, si gai. Si gai, si gai...
Venant des chais et portant Elena sur ses épaules, Estéban grimpa deux par deux les marches conduisant à la logette.
: Ma pauvre Isabella, ton plus jeune fils finira jongleur!
Il déposa l'aînée de la fratrie auprès du banc de bois.
: Je ne vois pas ce qu'il pourrait faire d'autre avec un pareil amour de la musique!
: Devenir moine et chanter les offices en son moutier. Ce serait grande merveille que d'avoir un enfant consacré à Dieu!
: Dans ce cas, il lui reste à progresser en sagesse. Par mon saint patron et le sien, il a du chemin à faire!
: Mmm! Je ne te connaissais pas à son âge, mais tu ne devais être guère plus obéissant... et puis j'ai le souvenir d'une véritable tête de mule vers douze-treize ans en ce qui te concerne...
Elena s'était penchée pour regarder boire sa sœur. D'un doigt, elle effleura les boucles brunes.
Elena: Mon parrain vient-il dîner avec nous, ce soir?
: Oui, mon ange. Il ne va pas tarder à arriver.
Miguel venait souvent passer la soirée chez son frère. Catalina l'accompagnait également. Il était reparti pour Chiloé puis l'avait ramené en Espagne pour l'épouser presque deux ans après le mariage d'Isabella. À la suite de plusieurs fausses couches, l'artiste peintre avait également enfanté. Plus personne ne faisait désormais allusion aux trois enfants qu'elle avait eu et qui demeuraient à Quivira.
☼☼☼
C'est la fête... la fête.
À l'heure du souper, quand les De Rodas pénétrèrent dans le jardin privé où la table avait été dressée, Isabella venait tout juste de coucher Joaquim et Paloma. Elle avait troqué son pantalon noir pour une robe écarlate et lissé ses cheveux sur son front avant de les recouvrir d'un voile de lin blanc. En voyant son beau-frère, elle se dit une fois encore en l'accueillant, qu'il ne changeait pas.
Il ressemblait toujours autant à Juan. Ou était-ce l'inverse? Même carcasse puissante, mêmes gestes amples et calmes, mêmes traits d'une grande beauté, au nez grec, mêmes yeux marrons, où, cependant, l'indulgence remplaçait la moquerie, et l'attention. Une attention constante aux autres, la curiosité.
À quarante deux ans, l'hidalgo était un homme d'importance. Nommé échevin par le roi qui ne manquait jamais de lui manifester l'estime qu'il lui portait, Miguel passait pour riche. En dépit de la sagesse dont témoignait sa façon de vivre, cette réputation lui valait animosité et malveillance de la part de quelques-uns. Il disait souvent avec fatalisme:
MDR: Que voulez-vous, les
hacendados ne sont pas aimés! C'est de notoriété publique. Quoi qu'ils fassent, on leur reprochera toujours l'argent gagné sur la vente de leurs produits.
Mais en ce jour, la conversation ne tourna quasiment qu'autour de la fin du conflit.
Les adversaires acharnés avaient signé le traité. Il était stipulé que Charles d'Orléans - le roi lui donnerait les duchés de Bourbon, de Châtellerault, d'Angoulême et, évidemment, celui d'Orléans - épouserait soit l'infante Marie, fille de l'empereur, soit la fille de Ferdinand d'Autriche, la nièce de Charles Quint. L'une ou l'autre fiancée recevrait en dot le duché de Milan que l'on enlèvera à Philippe. De son côté, François 1er devrait renoncer, une fois de plus, à la suzeraineté de la Flandre et de l'Artois, et devra évacuer la Savoie et le Piémont. Mais tout le monde se doutait déjà que le roi de France n'avait absolument pas l'intention de rendre ces deux provinces qu'il avait conquises les armes à la main. S'en défaire serait se couper du duché de Milan.
Il promit encore - tout en espérant bien dégager sa parole - de mettre à la disposition de l'empereur dix mille hommes et six cents lances pour attaquer... Soliman! Le Turc, en apprenant l'engagement de son allié, était ivre de rage et le malheureux ambassadeur du roi de France, Gabriel d'Aramon, faillira être empalé vif. Selon certains, une mort plus raffinée que la décapitation.
Ce traité laissera à François la possibilité de regrouper ses forces contre Henry VIII, le roi d'Angleterre, qui vient de se remarié pour la sixième fois avec Catherine Parr.
Mais toutes ces bassesses politiques n'intéressaient pas Miguel.
En tant que maître du domaine, il prit place sur une cathèdre à haut dossier en bout de table, puis tout le monde, amis, famille, domestiques, s'assit sur les bancs disposés de chaque côté. On avait mis sur la nappe quelques lourds chandeliers à plusieurs branches, et posé à même le sol, derrière les convives, des lanternes qui éclairaient les abords du courtil. Leurs lumières conjuguées, tremblantes, bien qu'il n'y eût toujours pas un souffle de vent, éclairaient de reflets fauves les écuelles, les brocs, les gobelets d'étain, tout en faisant briller les lames des couteaux, les prunelles, l'émail des dents.
Carmina apporta pour commencer trois vastes récipients. L'un contenait des mûres, le second des écrevisses en buisson, le troisième, des légumes verts au jus.
Isabella, qui se trouvait à la gauche de Miguel, fit asseoir Juan auprès d'elle. Catalina, placée à la droite de son époux, fut divertie par sa voisine de table. Zia entreprit de lui conter comment des bergers, voyant que leurs moutons ne redoutaient plus les morsures de vipères après avoir mangé des genêts en fleur, avaient contribué à lui faire découvrir les propriétés curatives de ces plantes.
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Au contact des familiers et, aussi, depuis son mariage, l'artiste peintre s'était transformée. Elle avait gagné en épanouissement ce qu'elle avait perdu en agressivité. Elle offrait aux regards un visage étroit qu'on aurait dit coincé entre les nattes blond cendré qui l'encadraient. Au premier abord, elle paraissait effacée, mais, dès qu'elle parlait, ses phrases précises, émises d'une voix ferme bien que discrète, amenaient ses interlocuteurs à réviser leurs jugements à son endroit. Isabella, qui la connaissait depuis l'enfance, savait qu'elle était de celles qui cachent une volonté bien trempée sous une apparence fragile.
Ce qui demeurait pourtant vulnérable en elle était l'attachement sans faille qu'elle vouait à son second époux. Éprise de lui autant qu'il était possible, elle vivait sa passion avec toute la violence de son cœur entier, étranger à la modération tout autant qu'au simulacre.
Au moindre propos de l'hidalgo, elle levait sur lui les larges yeux saillants dont la nature l'avait pourvue avec tant de tendresse admirative qu'elle ressemblait alors à une orante à l'écoute de son Dieu. Un jour, elle avait confié à Isabella:
Cat: La première fois qu'il m'a embrassée, j'ai failli m'évanouir. Après avoir perdu Bernardo, je ne pensais pas retomber amoureuse d'un autre homme... Il est seulement dommage de ne pas l'avoir rencontré plus tôt...
Elle avait alors caressé son ventre qui commençait à s'arrondir, avant de conclure:
Cat: Dieu merci, nous nous rattrapons comme il faut de ce retard! Je peux te garantir que le petit qui est là est un véritable enfant de l'amour!
Elle avait déjà donné naissance à deux petites filles. Dolores, l'aînée, qui venait d'avoir sept ans, et Cora, qui avait vingt et un mois d'écart avec sa sœur. Enceinte du troisième, Catalina n'ignorait pas que Miguel espérait secrètement que ce soit un garçon.
Les autres convives s'installèrent à leur gré, parmi les rires et les plaisanteries.
Il y eut pourtant un moment de silence, réclamé par Miguel, afin qu'Elena récitât le bénédicité.
Tout de suite après, l'animation reprit de plus belle.
Le vin de Jerez, la grenache, la cervoise et l'hydromel coulaient généreusement. L'eau restait dans les pichets où on l'avait prudemment versée.
Mendoza prit sa coupe entre ses doigts et la fit tourner pour apprécier la viscosité du vin, ainsi que les reflets de sa robe presque noire. Appréciateur, il huma le bouquet qui s'en dégageait jusqu'à s'en imprégner.
Pour Catalina, totalement novice en la matière, c'était une nouvelle expérience. Et somme toute, elle jugea qu'elle pourrait vraiment apprécier un tel breuvage, manifestement complexe, à sa juste mesure avec de la pratique.
Mais pour l'heure, elle n'était pas capable d'en saisir toutes les subtilités. Tout en dégustant, son beau-frère évoquait les termes de "longueur en bouche", de "persistance", de "rondeur". Mais à part l'expression de "longueur en bouche" qui parlait à l'artiste peintre, même si elle ne voyait pas le rapport avec du vin, elle ne comprit rien au reste. Peu lui importait, le nectar était excellent, avec un étonnant côté soyeux, et elle en boirait sans se faire prier.
Depuis le début, les autres imitaient le capitaine dans cette espèce de rituel qu'il avait initié et Catalina, à bien y regarder, crut remarquer une étincelle de malice dans les prunelles de ses amis. D'ailleurs, il lui sembla bien voir Miguel adresser un léger signe à Tao.
Ses yeux mi-clos, tout entier plongé dans sa dégustation, Mendoza, lui, n'avait rien repéré.
MDR: Dis frérot, il n'aurait pas un bouquet de pomme de terre, celui-là?
L'hidalgo demanda ceci avec un air parfaitement innocent.
: Moi, je lui trouve plutôt un arôme de betterave.
: De quoi?
: De betterave.
Mendoza ferma les yeux et prit une inspiration, avant de les rouvrir:
: Non, soyons clairs! Un vin ne peut avoir un bouquet ni de pomme de terre ni de betterave ni de chou ni d'artichaut. Enfin Tao! Tu travailles avec moi, tu sais bien que le vin est fait avec du raisin, un fruit donc, et absolument pas avec un légume.
MDR: Tu es sûr?
Ils reprirent une bonne gorgée.
MDR: Finalement, je trouve qu'il a un petit goût de melon.
À l'autre bout de la table, Pedroe s'exclama:
: Non, de coriandre... Je suis sûr qu'il y a de la coriandre dedans!
Sancho asséna à son tour:
: De la gre..., de la gregre..., de la grenade.
Mendoza lâcha un profond soupir:
: Ni melon, ni coriandre, ni gregremachin! Vous n'êtes que des barbares, incapables d'apprécier les subtils bienfaits de la vigne. Je me demande pourquoi je perds mon temps avec vous. De la betterave, non mais je rêve! Pourquoi pas de l'échalote, pendant qu'on y est?
: Pourquoi? Il y en a dedans? Ah, je me disais bien aussi...
Isabella opina faussement sérieuse. Riant sous cape, Zia se pencha vers Catalina et lui murmura:
: Tu assistes à une blague qu'on aime bien faire à papa, de temps à autre. Depuis qu'il travaille la vigne, on a appris à aimer ce qu'il produit et le vin qu'il nous propose se révèle toujours parfait. Mais c'est plus fort que les garçons, ils aiment bien le faire bisquer. Ça lui apprendra à les mener à la baguette!
Les voix résonnaient, réjouies, ravies, chaleureuses:
: ... Il a un nez intense et vous sentez ce bouquet, ce tanin soyeux, cet équilibre?
MDR: ...En 1526, je suis parti avec une flotte de trois navires et cent cinquante marins pour trouver le Cathay et une nouvelle route vers les Moluques...
: ... La... la meilleure table de... de Barcelone? Sans... sans conteste la no... la nono... la nôtre: La Ta... La Taverne de Sancho et P... et Pedro! Mais à éga... égalité avec La
Gastro...
Gastronomica, dans le... dans le centre d'El... d'El Raval.
: ...Et je lui ai dit: "Toujours aussi empoté, Gaspard." Eh bien, tu sais ce qu'il s'est prit en pleine tête, juste après? Ah! Ah! Ah!
: ...Dans le port d'Amsterdam, y'a des marins qui chantent!
MDR: ...Alors que nous remontions le rio de la plata, Francisco de Rojas, Martin Mendez et moi-même, nous nous sommes querellés avec Cabot. Ce foie-jaune de Vénitien nous a abandonné sur place...
: ... Alors j'ai pris un bâton et j'ai fabriqué un collet. Il s'est retrouvé les quatre fers en l'air, ce sacré lapin!
: ...L'acier de Tolède est le meilleur, quoi qu'on en dise, et les meilleurs artisans sont les successeurs de Hashim al-Darrab, le forgeron qui avait attaqué en 829 les garnisons berbères de Santaver et de Talavera, précisément celles qui avaient été impliquées dans la répression de la rébellion de Tolède une génération plus tôt....
MDR: ...Et c'est à ce moment-là que je me suis retrouvé attaché la tête en bas, complètement nu, entouré d'une bande de guerrières déjantées. Je peux vous assurer que sur le moment, mes
cojones étaient grosses comme des raisins de Corinthe!
: ...Oui, ce Gomez, c'était un sacré bretteur! Il était grand, il était beau et, en plus, il sentait bon le sable chaud!
Le repas se poursuivit, léger, chaleureux, complice. On dévora pour commencer les mûres avec du pain frais. Là, les deux taverniers se firent encore remarquer. Sancho mangeait pour trois et patrouillait dans les plats comme un gros moineau dans un tas de grains.
: Voici qu’il mange aussi la salière.
Et l'autre répondit:
: Quand elle est... elle est faite d’un mor... d'un morceau de pain creu... creusé, il faut la... la manger quelque... quelquefois, de pe... de peur qu’en vieillissant les... les vers ne s’y...ne s'y mettent!
Comme on attaquait ensuite les crêpes au cerfeuil, le pâté aux oignons frits et les écrevisses, Tao se leva pour faire une proposition:
: Si la conversation ambiante le permet, Modesto et moi pourrions jouer alternativement du pipeau durant le repas? Chacun de nous deux mangera pendant que l'autre s'exécutera.
On accepta avec enthousiasme.
Elena, qui s'était d'abord placée entre son frère Pablo et sa cousine Cora, quitta soudain sa place pour venir rejoindre sa mère.
Elena: Je voudrais m'asseoir près de toi.
: N'étais-tu pas mieux du côté des plus jeunes, ma petite plume? Ma petite perle, ma petite fleur, ma petite mésange...
Ces litanies tendres qu'elle égrenait au chevet de ses enfants sur le point de s'endormir ou dans des moments d'abandon comme celui-ci, était un jeu qui les ravissait chaque fois qu'Isabella s'y livrait. La magie de cette incantation fit sourire la fillette, qui répondit pourtant:
Elena: Non, je préfère être avec toi.
: Mets-toi donc entre ton parrain et moi.
Isabella se rapprocha un peu plus de Juan, dont la jambe se collait déjà étroitement à la sienne. Assise entre son mari et sa fille, elle mesurait mieux les difficultés qu'elle allait avoir à affronter sans cesse. Entre ces deux êtres possessifs, et ne voulant à aucun prix inquiéter l'enfant dont elle connaissait l'ombrageux attachement, l'aventurière songeait qu'elle aurait, désormais, à maintenir un équilibre bien délicat entre sa vie de femme et sa vie de mère.
Toute sa tendresse, toute son attention ne seraient pas de trop si elle ne voulait meurtrir ni Juan ni Elena...
Dans la chaleur de la nuit où flottaient de riches odeurs de victuailles mêlées à celles du jardin, elle éprouva pourtant une bouleversante impression de plénitude.
Tous ceux qui se trouvaient là étaient siens à des titres divers. Ils partageaient avec elle toutes sortes de sentiments, de souvenirs, de projets, de tâches. Ils formaient sa famille, son groupe, sa mesnie. Elle fut alors transpercée, comme elle ne l'avait jamais été, par l'évidence d'une solidarité d'échange et de protection entre elle et ses convives.
Elle prit la main de Juan qu'elle serra de toute ses forces, et, parce qu'elle se sentait soudain comblée au-delà de l'exprimable, des larmes lui montèrent aux yeux...
Mais, en même temps, un remords s'insinuait en elle. Comment pouvait-elle éprouver une joie si aiguë à la découverte d'une telle surabondance, alors que Miranda, là, tout près, lui offrait un profil marqué d'une grande peine. Était-elle donc égoïste au point de pouvoir oublier la souffrance de Pablo et l'absence éternelle de Marco? Son âme lui parut superficielle, son cœur trop étroit.
En douze ans, sa compassion pour autrui avait changé du tout au tout. Mendoza lui murmura à l'oreille:
: La lumière des chandelles est-elle seule responsable du scintillement de tes prunelles, princesse, ou bien y-aurait-il autre chose?
: Je ne sais, mon chéri, je ne sais... La douceur de certains instants est si violente qu'elle en est douloureuse.
: Voilà une douleur que je te ferai bientôt passer, Dieu me pardonne, pour la transformer en une toute autre sensation...
Elle lui connaissait ce regard filtrant entre les cils comme un rai de soleil dans une pièce obscurcie...
Dans un souffle, elle lui dit:
: Attendons... Ce n'en sera que meilleur.
Puis elle se tourna vers Miguel et entreprit de lui parler de la fête du lendemain.
En face d'elle, décalé sur la gauche et placé entre Zia et Elvira d'Alcalã, la sage-femme, Estéban s'entretenait avec chacune d'elles tour à tour. S'il se sentait à l'aise avec sa jeune épouse dont il goûtait les remarques drôles, Elvira lui procurait en revanche une impression de gêne qu'il avait toujours ressentie à son sujet. Et il n'était pas le seul.
Grande et lourde, avec des seins énormes et un ventre distendu comme si toutes les femmes accouchées par elle lui avaient laissé en partage un peu de leur embonpoint, elle se trouvait affligée d'une bouche d'ogresse. Un menton protubérant projetait sa lèvre inférieure bien au-delà de sa lèvre supérieure. Aussi, dès qu'elle disait quelque chose, une quantité de dents plates et tranchantes comme des pelles apparaissaient, prêtes, semblait-il, à dévorer toute chair fraîche qui se présenterait.
Carmina, comparée à elle, paraissait séduisante.
En réalité, Elvira était une excellente ventrière qu'on demandait bien au-delà de Barcelone. Il n'y avait guère de marmots dans la vallée qu'elle n'eût aidé à venir au monde.
De son côté, Elena avait beau savoir que, depuis qu'elle s'était installée ici, sa propre mère avait toujours eu recours à Elvira pour l'assister durant chacune de ses couches, la petite fille se félicitait d'être née ailleurs, du temps où ses parents ne connaissaient pas encore Emilio et sa forte moitié.
Comment ces deux êtes massifs avaient-ils pu engendrer un fils aussi frêle que Diego? Pour l'élu, c'était un mystère aussi incompréhensible que la course du soleil ou le retour des saisons dans leur ronde immuable.
Estéban jeta un coup d'œil à Tao. Assis entre Jesabel - qui se déplaçait sans cesse pour aider sa mère à la cuisine ou autour des convives - et Mendoza, le naacal était bien silencieux. Redescendant sur terre, il s'adressa à Modesto, qui se trouvait de l'autre côté de la table.
: Que vas-tu composer en l'honneur de la fin de cette guerre? Je gagerai ma part de paradis que tu es en train de nous fabriquer un hymne à ta façon!
Modesto: Par sainte Cécile, patronne des musiciens, tu es dans le vrai. Je crois avoir trouvé les accords que mérite un tel événement!
Assis sur le même banc, l'élu considérait l'apprenti avec admiration avant de s'adresser à sa femme:
: Goûteras-tu de ce brochet en galantine?
Le jeune ménage ne cherchait pas à dissimuler son amour et leurs proches attendaient fébrilement l'annonce d'une prochaine grossesse. Depuis le temps qu'ils se connaissaient ces deux-là! Seul le Muen tournait de temps en temps vers le couple un regard envieux.
: Je n'ai guère faim, Estéban, je me sens lasse...
: Ce n'est pas étonnant après la journée que tu as passé. Veux-tu te retirer?
: Plus tard. Je suis si bien près de toi...
Pablo fit tomber sa cuillère et se baissa aussitôt pour que Moreno, le chien de Miguel qui flairait tout ce qui était à terre, ne vînt pas la lécher. À la lueur des lanternes posées sur le sol, il s'aperçut que Jesabel, sans doute incommodée par la chaleur, avait, sous la table, remontée sa cotte assez haut sur ses cuisses. À même la peau blanche ainsi découverte, il vit très nettement la main brune de Tao qui progressait. Dans l'émoi de sa découverte, le jeune garçon se redressa brusquement. Son front heurta alors avec violence le rebord mal équarri des planches que recouvrait la nappe. Un gobelet se renversa. Le vin se mit à couler entre les morceaux de pain tranchoir.
Placée à la gauche de l'enfant, Elvira lui demanda:
Elvira: Tu t'es fait mal?
Pablo: Non. Ce n'est rien!
Elvira: Mais tu t'es écorché le front! Regarde-moi.
La ventrière voulut l'attirer vers elle. Vexé, il se dégagea d'un geste brusque, se leva et s'éloigna en boitant.
Elvira: Où vas-tu?
: Laissez-le. Vous connaissez mon fils... Il est gentil, mais il est également impulsif et coléreux. Le mieux est de le laisser se débrouiller tout seul.
Elvira: Sans doute, mais il est blessé...
L'aventurière intervint.
: Ne vous inquiétez pas, señora d'Alcalã. Je vais le chercher.
: Ne te dérange pas Isabella. J'y vais.
Sans hâte, avec le mélange de force et de tranquillité qui la caractérisait, elle se leva à son tour et prit une lanterne par terre afin d'éclairer le chemin.
Pablo s'était dirigé vers le potager. Bien que la nuit fût tombée depuis longtemps, il ne faisait guère sombre parmi les plates-bandes. En son premier quartier, la lune mêlait sa clarté à celle des étoiles dont le ciel était parsemé. On distinguait les formes des feuilles, des tiges, des branches, mais tout était décoloré par la pâleur blafarde qui coulait comme une eau paisible sur la campagne. Les lys paraissaient bleus, les roses grises, les choux, formés en carré, semblaient cendreux.
Les bruits du souper ne parvenaient plus aux oreilles que sous la forme d'une rumeur futile, un peu inconvenante, qui rompait le silence de la nature et forçait les oiseaux nocturnes à se taire.
L'inca rejoignit le jeune garçon, immobile au milieu d'une allée.
D'un air bonhomme, elle lui demanda:
: Qu'est-ce que tu as, Pablo?
Pablo: Laisse-moi tranquille, grande sœur.
En l'entendant l'appeler ainsi, elle fit un bond de plus de dix ans en arrière.
Quand ils rentrèrent au pays après la quête des cités d'or, Isabella et Mendoza avaient fait les démarches nécessaires pour l'adopter, elle et Tao. Cet épisode n'avait pas manqué d'attiser la jalousie d'Estéban. Se trouvant laissé pour compte, il avait demandé des explications au couple. Mendoza lui avait dit:
:
Réfléchi un peu, mon garçon. Primo: nous ne savons pas vraiment ce qui est advenu d'Athanaos. La prophétie concernant le Myrcur est assez nébuleuse et ton père fut le dernier à l'avoir eu entre les mains. Secondo: même s'il ne fait plus partie de ce monde, nous n'aurions pas agi autrement.
L'élu s'était offusqué:
:
Mais pourquoi?
:
Écoute-moi, jeune écervelé! Parce que Isabella et moi avons pensé à long terme. Si nous l'avions fait, tu aurais été dans l'impossibilité de prendre Zia pour épouse plus tard. Même si vous n'avez aucune affiliation par le sang, frère et sœur adoptés ne peuvent s'unir devant Dieu...
: Zia...
En entendant son prénom, elle sortie de sa rêverie.
Pablo: Zia. Je veux être seul.
Elle fit mine de ne pas l'avoir entendu et éleva sa lanterne pour mieux le voir.
: Voilà une belle entaille...
Elle fit ce constat avec sa placidité coutumière en écartant les mèches de son front.
: Pour arrêter le sang, il n'y a rien de meilleur qu'un morceau de feuille de chou. Le savais-tu?
Elle n'eut qu'à se baisser pour en cueillir une, large et frisée, en déchira un lambeau, se mit en devoir de le froisser avec application entre ses doigts, essuya l'écorchure d'où le sang coulait encore.
: Je vais t'en mettre une autre, toute fraîche, sur la plaie. Mais il va falloir bien l'appuyer contre ta peau si tu veux qu'elle puisse faire de l'effet.
Pablo: Je ne peux pas la tenir tout le temps avec la main!
: Tu as raison! Luis doit avoir de minces cordelettes dans sa remise. Allons en chercher. Je t'attacherai la feuille autour du front avec l'une d'elles.
La petite bâtisse carrée au toit pentu qui servait à abriter les outils du jardinier était fermée par une porte de bois fendillée. Zia la poussa.
À l'intérieur de la resserre, il faisait chaud. Une odeur de chanvre et d'oignons mis en réserve flottait sous les tuiles. L'inca attacha la feuille de chou sur le front blessé.
: Voilà. Ton pansement va tenir. Nous pouvons rejoindre les autres si tu veux.
Il hocha la tête.
De loin, la table environnée d'un halo de lumière, de rire, de musique, de toute une animation joyeuse, leur parut un havre...
Un havre jusqu'au moment où le fracas d'un écroulement, puis des hurlements venus de l'intérieur de la maison les firent s'arrêter. Ils entendirent Elena crier:
Elena: C'est Joaquim!
Isabella se précipita vers la logette. Mendoza et plusieurs invités la suivirent.
Ils découvrirent, sous l'auvent de tuiles, le petit garçon en larmes qui lançait de furieux coups de pied à des tréteaux écroulés autour de lui.
: Par tous les saints, mon petit prince, que t'arrive-t-il?
L'aventurière attira dans ses bras Joaquim dont la lèvre supérieure saignait, pendant qu'une énorme bosse poussait sur son front.
Elena: Il voulait écouter la musique! Alors, il a grimpé sur tout un échafaudage qu'il avait monté pour pouvoir regarder et entendre par la petite fenêtre ouverte...
: Tu sembles bien au fait, ma fille. N'aurais-tu pas été dans le secret?
Elena rougit et baissa la tête. Ses nattes brunes glissèrent sur ses joues. Elle sourit de sa façon discrète, puis coula vers sa mère un regard où l'amusement se nuançait d'inquiétude.
Elena: Un petit peu.
Tout le monde se mit à rire.
: Ta curiosité et ta désobéissance n'ont pas tardé à être punies, jeune fou. Après t'avoir couché, je t'avais défendu de te relever. Tu m'avais promis de rester sagement au lit.
Le petit garçon grogna:
Joaquim: J'ai pas pu résister.
: Par le grand saint Nicolas, qui protège les enfants, tu aurais pu te casser un bras, une jambe ou pire. Tu as eu de la chance de t'en tirer à si bon compte!
Isabella, qui ne pouvait oublier la mort de Marco, serra farouchement Joaquim contre elle et s'exclama avec véhémence:
: Un malheur comme celui-là suffit dans une famille. Un autre m'achèverait!
Puis, se tournant vers ceux qui étaient entrés dans la salle à sa suite, elle dit:
: Ne vous occupez plus de lui. Retournez à table. Je vais aller soigner ce garnement et je reviens.
Elena et Miguel furent les seuls à l'accompagner dans sa chambre où elle étendit Joaquim sur son lit avant de lui laver la lèvre et le front à l'eau fraîche.
Elle demanda ensuite à sa fille d'aller quérir dans le petit bâtiment des étuves un sachet de feuilles séchées de la plante nommée "bec de grue".
: J'en confectionnerai une compresse que j'appliquerai sur cette grosse bosse. Et tu me feras le plaisir de la conserver en place, sans bouger, jusqu'à demain matin!
MDR: J'admire toujours combien tu sais garder ton calme dans les situations les plus inattendues. Dieu sait que, depuis toutes ces années, les occasions de m'en apercevoir ne m'ont pas fait défaut!
Isabella soupira.
: Hélas! Il est vrai que la vie peut parfois nous malmener!
Debout auprès du lit où elle avait déposé Joaquim, elle tournait le dos à son beau-frère. Elle voulut se retourner pour lui sourire, mais, tout d'un coup, elle eut le sentiment qu'il était préférable de s'en abstenir. À travers le voile qui recouvrait ses cheveux, son cou et ses épaules, elle sentait le souffle de l'hidalgo, tout proche d'elle. Ce souffle, rien de plus... Pourtant, elle sut que quelque chose de singulier était en train de se produire. Qu'au moindre mouvement qu'elle amorcerait vers lui, l'homme qui se tenait derrière elle agirait.
Que ferait-il? Elle en avait bien sûr une petite idée mais ne voulait en aucun cas que leurs rapports familiaux basculent. Elle le sentait et suspendit son geste...
Quelques instants s'écoulèrent. Personne ne bougeait. Joaquim avait fermé les yeux et, de l'autre côté de la couche, Paloma dormait dans son berceau.
Elena ouvrit la porte.
Elena: Voici le sachet.
Le sortilège fut rompu. Miguel retourna parmi les siens. Pablo, lui aussi, avait regagné sa place.
: Tout va bien, mon grand?
Pablo: Beaucoup mieux. J'ai encore un peu mal, mais le sang ne coule plus.
L'enfant montra à son père le lambeau de verdure attaché à son front.
: Décidément, c'est la soirée "bleus et bosses" pour mes garçons!
Le capitaine posa une main sur l'épaule de Zia en lui disant tout bas:
: Merci.
Il contourna la table et revint s'asseoir en face. Isabella le rejoignit quelques minutes plus tard. On apportait des salades, des tartes au fromage de brebis, du jambon salé. Le ton montait. Las de chanter au milieu de tant de bruit, Modesto se rassit.
Consuelo: Abandonne un moment la musique et mange.
L'apprenti écouta sa petite sœur. À côté de lui, Cora se pencha vers son cousin.
Cora: Ça va mieux, Pablo?
Pablo: Oui.
Cora: Que s'est-il passé pour que tu te cognes de la sorte?
Pablo: Rien.
Cora: Moreno t'a fait peur?
Pablo: Non. J'ai vu autre chose.
Cora: Quoi donc? Tu veux m'en parler?
Pablo: Non.
Elle se pencha davantage, jusqu'à frôler les cheveux bruns du garçon dont la discrétion l'agaçait soudain.
Cora: Même à moi, Pablo, tu ne veux rien dire?
Pablo: Ni à toi ni à personne... J'ai dû me tromper... De toute façon, ce n'est pas intéressant. Il est préférable d'oublier.
Jesabel, que Tao caressait un moment plus tôt sous la table, aidait à présent à enlever les plats vides, en apportait d'autres avec Carmina: les noix, les framboises cueillies dans l'après-midi, des flans, des galettes sucrées, des gaufres, les fameux beignets à la sauge.
Pablo, qui suivait la fille de cuisine des yeux, la vit qui lançait une œillade au naacal.
Mendoza, en se tournant vers sa femme, remarqua:
: Ce repas de fête est bien long!
Il venait de sacrifier aux convenances en entretenant avec Tao une conversation sur les mérites respectifs de la flûte et du pipeau.
Elle lui répondit d'un air moqueur:
: Après le souper, nous danserons.
: Pourquoi pas? La danse permet maints rapprochements...
: Il ne faut jamais témoigner de préférence à une danseuse plus qu'à une autre, mon chéri, tu le sais bien!
Leurs jambes accolées depuis le début du repas leur tenaient lieu de confidences.
Le capitaine laissa choir le morceau de galette qu'il tenait à la main, se baissa afin de le ramasser, posa un instant ses lèvres sur les genoux de sa princesse, puis se redressa.
Pablo: Papa. Tu es tout décoiffé!
Pablo s'exprimait avec aménité. Tout en écoutant son oncle qui lui récitait un poème de Garcilaso de la Vega, il jetait de fréquents coups d'œil en direction de ses parents. Puis, sans souci de logique, il demanda soudain à Tao:
Pablo: Pourquoi n'es-tu pas marié?
: Parce que je n'ai pas encore rencontré la femme qu'il me faut, Pablo.
Pablo: Il serait grand temps! Tu vieillis de jour en jour.
: Eh oui! Que veux-tu, le temps passe pendant que je cherche.
: Voyons, Pablo, que racontes-tu là? Est-ce des questions à poser à ton grand frère?
L'enfant fit la moue.
Pablo: Je te demande pardon maman, mais il y a déjà lontemps que j'avais envie de me renseigner auprès de lui.
: Tu es bien curieux!
Pablo: Tu ne l'es pas?
Une complicité évidente les liait. Raquel, qui terminait sa gaufre, intervint:
Raquel: Ma bru, je vous trouve trop coulante avec ce petit.
Tout le monde savait que la vieille femme se souciait de l'avenir de ses petits-enfants. Quand Juan-Carlos était absent, elle se voulait la gardienne des traditions de fermeté qui lui semblait nécessaires aux adultes qu'ils deviendraient plus tard.
Raquel disait souvent à Miguel:
Raquel: Isabella les traite toujours comme les nourrissons qu'ils ne sont plus. Elle oublie que l'enfance est brève, qu'il faut élever Elena, Pablo et Joaquim en songeant à la femme, aux hommes qu'ils seront dans quelques années. Elle ne devrait pas hésiter à les contraindre, au besoin, plutôt que de céder devant eux, toujours!
MDR: Bah! La vie les formera.
Raquel: Ce sera, hélas, à leurs dépens!
Très jalouse de ses droits maternels, très assurée du bien-fondé de sa façon d'agir, Isabella n'acceptait pas sans broncher les rappels à l'ordre de sa belle-mère. Ce soir-là, elle se leva et entoura de son bras les épaules fragiles de son fils.
: Allons, ma mère, n'assombrissons pas la joie de nos enfants en ce jour de fête.
Son ton était faussement léger.
: Ne songeons qu'à nous divertir.
Son regard s'était durci.
Le souper se terminait. On apportait des coupes de dragées et de fruits confits. Miranda s'adressa à l'assemblée:
Miranda: Je vais rentrer. Vous me voyez bien contente d'avoir passée cette soirée en votre compagnie à tous, mais je n'ai pas l'habitude de veiller si tard et la traite matinale n'attend pas.
: On doit danser depuis un bon moment déjà sur la place de Barcelone. Si on allait rejoindre les autres?
Debout, il cambrait la taille et frappait le sol du pied ainsi que le faisaient, dans leur écurie, les chevaux dont Diego s'occupait tout au long du jour.
Miranda: Vous piaffez comme un étalon!
Le côté fringuant du naacal agaçait visiblement la vachère.
Miranda: Par mon saint patron, calmez-vous un peu, mon garçon!
: Et pourquoi donc, Miranda? Je ne suis pas fatigué, moi, et ce n'est pas tous les jours la fête!
Son sourire carnassier, ses yeux noirs, luisaient d'appétit.
: Venez donc, les jouvencelles, venez vous amuser!
On débarrassait la table. Pour que ce fût plus vite fait, tout le monde y prêtait la main et une agitation intense refluait du courtil vers la maison.
: Qui va danser?
Il remportait des pichets vide à la cuisine. Isabella, qui le précédait en tenant deux coupes de dragées sérieusement entamées, lança par-dessus son épaule.
: Tout ceux qui souhaitent se divertir! Mais ça sera sans moi...
Cette nuit-là, une fois la veillée terminée et chacun rentré chez soi, Mendoza alla embrasser ses enfants. Pablo ne s'endormait jamais avant que son père ne vienne lui dire bonne nuit. C'était leur rituel. Chaque soir, longtemps après s'être couché, il attendait, allongé dans le noir, que la porte de sa chambre s'ouvre et que la silhouette du marin apparaisse, accompagnée d'un pas léger, foulant le parquet.
: Hé, mon grand, tu es encore éveillé?
Pablo: Je voulais mon câlin, papa.
L'Espagnol ne rechignait jamais. Il était aux petits soins pour ses quatre pitchouns.
Des bruits de bottes se mirent à résonner dans la chambre des garçons. Une main ébouriffa les cheveux de l'aîné puis lui caressa la joue droite. Du fond de son lit, Pablo sentit un sentiment de plénitude l'envahir et ferma les paupières. Mendoza l'embrassa sur le front et lui dit:
: Demain, il faudra nettoyer ça.
Pablo: Oui, papa.
: Tu as récité tes prières?
Le garçon ouvrit les yeux et hocha la tête.
: Alors dors maintenant. Bonne nuit, mon grand.
Juan borda ensuite Joaquim et sortit de la chambre de son même pas léger avant de fermer la porte.
Quelques minutes passèrent.
Allongé dans l'obscurité, sous de lourdes couvertures, Pablo écoutait le tic-tac de la grosse horloge ronde du couloir et les bruits familiers de la nuit: un frêle esquif qui glissait sur les eaux noires du Llobregat, non loin; une légère brise qui s'était mise à souffler puis la complainte du lit de ses parents, de l'autre côté de la fine cloison, leurs gémissements, les petits cris étouffés de sa mère, les mugissements de son père... La nuit avait ses propres sons, sa propre musique.
L'enfant s'endormit sur cette partition.
De l'autre côté du mur, après avoir trouvé dans les bras de Juan la paix des sens, Isabella repensa à la scène qui s'était si discrètement déroulée un moment plus tôt au bord de ce même lit où elle reposait à présent. Sans que rien ait été exprimé, un événement s'était produit, qui demeurait à jamais enfoui dans le mystère des choses informulées, mais qui n'était pas sans importance. La violence du trouble ressenti par Miguel avait été si intense, si proche de l'acte, qu'elle en avait subi le choc comme s'il l'avait touchée...
Qu'aurait-elle fait, si son beau-frère n'avait pas su se taire plus longtemps?
Il était toujours attiré par elle... Les années passées n'avaient rien détruit, rien entamé dans ce cœur fidèle...
Elle rêva un moment, puis chassa de son esprit des pensées qui ne débouchaient sur rien. Son amour pour son époux était un bouclier de bronze qui la protégeait d'elle-même et des autres, qui la gardait, à l'abri de son disque frappé d'une croix...
Sa pensée se détacha enfin de l'hidalgo pour se tourner vers Jesabel et Tao qui la faisait briller comme une torche...
De ce côté-là non plus, rien ne fut dit. Mais elle soupçonnait quelque chose entre la jeune servante et le naacal.
On devait être à peu près au milieu de la nuit. Allongé sur le ventre, Juan dormait mais semblait faire des rêves agités. Il remuait beaucoup et des bribes de phrases lui échappaient par instants.
Dans son berceau à baldaquin, posé près du lit où ses parents reposaient, Paloma, croyant téter tout en dormant, suçait son pouce avec ardeur. Isabella entendait le bruit mouillé des lèvres obstinées de sa petite fille.
Installée dans la pièce attenante à la chambre principale, Elena était également toute proche.
Pablo et Joaquim se partageaient la troisième et dernière chambre.
Percevoir autour d'elle tout son monde endormi et confiant pendant qu'elle somnolait procurait à la mère de famille un sentiment aigu de satisfaction. Elle aimait se sentir responsable de la bonne marche de sa maisonnée, du destin de chacun de ses membres. C'était avec assurance qu'elle supportait une charge qui ne l'écrasait pas. Mais une pointe d'angoisse venait de troubler cette sérénité. À certains moments, une peur affreuse transperçait l'aventurière.
☼☼☼
À suivre...