Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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TEEGER59
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par TEEGER59 »

Il faut relire les pages 7 et 8 pour se rafraîchir la mémoire (et se souvenir de García Alvarez de Tolède).
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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yupanqui
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par yupanqui »

Difficile quand on est amnésique ! :tongue:
« On sera jamais séparés » :Zia: :-@ :Esteban:
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Akaroizis
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par Akaroizis »

x)) Un perso que je connais, ça m'rassure. :x-):
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

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TEEGER59
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par TEEGER59 »

Suite.

Une demi-heure plus tard, Isabella et son escorte pénétraient dans la cour d'honneur du château. La jeune femme pensait qu'on l'enfermerait dans la grosse tour isolée au nord, celle que l'on appelait la "Justice du Roi", mais il n'en fut rien. On ne fit que traverser cette sorte d'esplanade où se trouvaient les logis de la garde et où, au milieu des cris et des encouragements, plusieurs de ces vaillants soldats se mesuraient aux armes. Elle chercha vainement la haute silhouette de son beau-frère et, ne l'apercevant pas, cessa de s'intéresser à ce qui s'y passait.
Une autre prison, plus petite, se trouvait à l'angle de la cour d'honneur et des jardins, prise dans l'épaisseur du mur d'enceinte qui défendait le logis royal. Celle-là devait être réservée aux prisonniers de marque et la nouvelle venue, qui s'attendait à une basse-fosse, fut agréablement surprise. La chambre dans laquelle on l'introduisit ne possédait aucun luxe: le sol en était fait de grosses dalles, la porte bardée de verrous et d'énormes pentures de fer montrait un petit guichet grillagé. Quant à la fenêtre, étroite et placée assez haut pour décourager l'escalade, elle portait deux barreaux en croix gros comme un bras d'enfant. Mais c'était tout de même une chambre avec un lit à courtines, des draps et des couvertures, une table pour la toilette, une autre pour prendre les repas, un coffre à vêtements et deux sièges: une chaise à bras et un escabeau. Enfin, le geôlier qui accueillit la prisonnière ressemblait à un être humain et non à un molosse prêt à mordre: lorsqu'il eut ouvert la porte, devant elle, il lui offrit la main en lui recommandant de prendre garde au "pas". Elle l'en remercia d'un sourire puis, avisant le lit, elle s'y jeta pour y dormir comme une bête harassée, plongeant d'un seul coup dans un profond sommeil qui fut certainement une manifestation de la miséricorde divine: ce coup tellement inattendu, ce coup affreux qui la frappait après le calvaire qu'elle venait d'endurer eût été capable de la mener aux portes de la folie.
Elle ne s'éveilla que le lendemain matin, au vacarme des verrous tirés, quand le geôlier pénétra dans sa chambre pour lui apporter son repas. Dans ce langage élégant qui était l'apanage des gens de Catalogne, il lui dit:
:?: : Vous devez avoir faim! Hier, je vous ai monté un plateau, mais je vois que vous n'y avez pas touché. Il est vrai que vous dormiez si bien...
:Laguerra: : C'est vrai! J'ai faim, mais si je pouvais avoir de l'eau pour faire ma toilette, je vous en serais reconnaissante.
Fouillant dans sa bourse, elle en tira une pièce d'argent qu'elle voulut lui donner, mais il la refusa:
:?: : Non merci, noble señora! Les ordres de notre sire le roi sont de ne vous laisser manquer de rien. En m'occupant de vous, je ne fais que mon devoir...
:Laguerra: : Manquer de rien? Je crains fort que vous ne puissiez me donner ce qui me manque le plus: mes enfants...
Le brave homme eut un geste navré:
:?: : Hélas non! Je ne peux donner ce que l'on m'autorise à vous procurer. Croyez que je le regrette... Je vais vous apporter de l'eau chaude, des serviettes et du savon. Mangez, en attendant! Votre repas va refroidir.
Celui-ci était composé de lait chaud, de pain croustillant encore tiède, de miel et d'une petite motte de beurre enveloppée dans une feuille de vigne que l'aventurière considéra avec une sincère stupeur:
:Laguerra: : Est-ce que vous nourrissez aussi bien tous vos prisonniers? Je sais peu d'auberges de bon renom où l'on vous traite de cette façon!
:?: : C'est que vous êtes la seule pensionnaire en ce moment et que ma femme est autorisée à prendre notre nourriture aux cuisines du château. La vôtre aussi. Et puis, cette prison n'est pas comme les autres et elle reçoit peu de monde. C'est assez différent du donjon de la première cour. Enfin, je le répète, j'ai reçu des ordres.
:Laguerra: : Suis-je autorisée à recevoir des visiteurs? Je voudrais voir l'échevin de Rodas.
:?: : L'enjôleur?
Le gentil gardien se mit à rire.
:?: : Tout le monde le connaît bien ici. Malheureusement, la chose n'est pas possible. D'abord parce que, señora, vous êtes au secret. Ensuite, parce qu'il n'est pas ici. D'ailleurs, cela fait un moment que l'on ne l'a pas vu au palais... Je vais vous chercher votre eau.
:Laguerra: : Encore un mot! Dites-moi au moins votre nom?
:?: : Antonio, señora. Antonio Ubilla, mais le prénom suffira. Je suis tout à fait aux ordres de la señora Mendoza!
Et avec une sorte de petite révérence, l'étonnant geôlier laissa Isabella dévorer ce petit repas encore plus surprenant. Tout en mangeant, elle s'efforçait de mettre de l'ordre dans ses idées. On la traitait évidemment avec une certaine faveur, et pourtant on n'avait pas hésité à lui arracher ses enfants, sa chère Carmina et son domaine de Can Casadella. Et, si elle se rappelait la brutalité avec laquelle, la veille, les archers avait empêché Miranda de lui parler et le ton employé par l'abominable García Álvarez, il était certain que son père avait donné, la concernant, des ordres précis, des ordres que son conseiller se gardait de transgresser, quelle que soit l'envie qu'il en eût, mais pourquoi? Pourquoi? Quel crime avait-elle pu commettre? L'affreux personnage avait prononcé le mot "trahison" et ajouté que le cas était grave. Mais comment, en quoi avait-elle pu trahir son père ou même le royaume? Il ne devait s'agir que d'un malentendu habilement exploité, sans doute, par le conseiller ou tout autre personne lui voulant du mal. Ou alors une calomnie? Isabella savait son père méfiant à l'extrême et capable, quand il se croyait trompé, de passer d'une grande bonhomie à une effroyable rigueur. Si cela était, il fallait pouvoir s'expliquer avec lui le plus vite possible...
Lorsque Antonio revint avec les divers objets annoncés, Isabella lui demanda s'il accepterait de faire dire au roi qu'elle le suppliait de vouloir bien l'entendre dès que possible. Mais cela non plus, le gardien ne pouvait le faire: Charles Quint ne se trouvait pas à Barcelone. Ne s'opposant plus au concile, réclamé par Luther depuis novembre 1518 et maintes fois repoussé, des entretiens secrets se succédaient. Si Paul III ne ménageait pas ses efforts, tenir une assemblée était terriblement compliqué dans les conditions techniques du temps et compte tenu des événements politiques, auxquels la papauté et la réunion étaient soumis.
Quoi qu'il en soit, l'Empereur n'était pas en Catalogne pour le moment.
:Laguerra: : Vous pensez qu'il va être absent longtemps?
Antonio: En général, non, mais qui peut savoir? Le concile, convoqué à Trente, demande une organisation matérielle pour accueillir et loger tant de monde. Le roi a le devoir de préserver les valeurs sacrées du passé.
Mais qui le comprenait? Qui l'aidait d'un cœur sincère? Qui d'autre désirait la grandeur et l'unification de la Chrétienté? Comment dans cet univers en décomposition opposer un barrage au chaos?
Antonio: Prenez patience, señora! Je serais fort étonné si, dès son retour, le roi ne vous fasse mander...
La patience! Cette vertu tant vantée par Mendoza et que l'aventurière n'était jamais parvenue à maîtriser, surtout quand elle se trouvait dans une situation désagréable! Elle aimait à prendre des décisions et qu'ensuite les choses aillent vite. Les neuf mois d'attente d'un enfant lui avaient toujours paru neuf siècles. Une attitude qui amusait Carmina. Cette fois, la patience ne pouvait être qu'une épreuve de plus. Quelle mère pouvait supporter longtemps d'ignorer le lieu où se trouvait sa progéniture?

Charles, par la grâce de Dieu, roi du monde...

Et pourtant, il fallut attendre. Chaque heure semblait interminable à cette jeune femme pleine de vie et réduite à l'inaction totale, Antonio étant incapable de lui procurer des livres, la seule chose qui eût pu lui faire trouver le temps moins long. Ce n'était certes pas la première fois qu'elle se trouvait captive, mais jamais elle n'en avait souffert à ce point, car alors ses angoisses ne concernaient qu'elle-même et non les siens. Où pouvaient être Carmina, Zia et les enfants? Son père savait qu'en la séparant d'eux sans lui dire le lieu de leur résidence, il lui infligeait la plus pénible des épreuves, ce qui rendait inutiles les sévices corporels et expliquait, en partie au moins, la chambre convenable, la bonne nourriture et même les vêtements, ceux qu'elle avait laissés à l'hacienda et qu'elle avait retrouvés dans le grand coffre de sa prison. Une seule consolation: l'Empereur aimait et respectait trop les enfants pour faire du mal aux siens. Javier, Joaquim, Pablo et leurs sœurs étaient certainement mieux traités que leur mère. Mais que les heures parurent lentes durant les huit jours qu'elle dut passer en la seule compagnie de son geôlier! Isabella s'obligeait à une tenue irréprochable, à une minutieuse toilette chaque matin, à porter du linge propre. La femme d'Antonio se chargeait du lavage et du repassage. C'était une façon comme une autre de garder sa propre fierté; ensuite, elle ne voulait pas être surprise en négligé lorsque, enfin, on viendrait la chercher pour la conduire devant son juge... ou devant ses juges...
Au soir du neuvième jour, Antonio accourut, tout essoufflé:
Antonio: Le roi, señora! Le roi! Il arrive!
Isabella le savait déjà. Elle avait entendu les roulements de tambours, les trompettes d'argent et tout le bruit que peut produire une forte troupe de cavaliers, surtout quand elle est escortée de chiens et du déménagement que représentait alors le moindre déplacement d'un souverain. Et son cœur avait battu plus fort. Enfin, enfin, elle allait savoir de quoi on l'accusait!
Cependant deux jours, deux jours encore plus interminables que les autres, s'écoulèrent sans qu'elle pût savoir si l'on avait l'intention de s'occuper d'elle ou si on n'allait pas simplement l'abandonner au fond de sa prison.
Ce soir-là, après une courte toilette et ses prières, elle se coucha le cœur infiniment lourd, ne sachant plus que penser. Son esprit tendu lui refusait le sommeil. Allongée dans son lit, triturant nerveusement la pince de son chignon, elle écoutait les heures sonner au petit couvent qui, dans la première cour, jouxtait les murs du château proprement dit. Comme tous les prisonniers, elle vivait par ce que lui apportaient ses oreilles... Soudain, elle sursauta et s'assit brusquement: on était en train d'ouvrir sa porte, alors qu'il ne devait pas être loin de minuit.
En effet, Antonio parut, armé d'une lanterne et, avant qu'il eût repoussé le battant, Isabella put voir qu'au-dehors, il y avait au moins deux hallebardiers éclairés par des torches...
Antonio: Vite, vite señora! Le roi vous demande!
L'aventurière, sautant à bas de son lit, se trouva nez à nez avec la figure effaré du geôlier, la lanterne qu'il levait éclairant leurs deux visages.
:Laguerra: : À cette heure?
Antonio: Oui. Grâce à Dieu vous ne dormiez pas! Mais je vous en supplie, pressez-vous!
En hâte, Isabella se chaussa et, renonçant à se coiffer, se contenta de refixer convenablement sa pince. Le tout ne demanda pas plus de deux minutes et elle se dirigea vers la porte où, en effet, l'attendait un piquet de soldats. Deux marchèrent devant elle, deux la suivirent et, dans cet équipage, elle descendit les deux étages qui séparaient sa prison du niveau du sol avant de déboucher dans la cour d'honneur, vide et silencieuse à cette heure tardive. On n'entendait que le pas cadencé des sentinelles de garde sur les murailles et les bruits de la campagne proche. La nuit était belle, claire, pleine d'étoiles et Isabella, après sa réclusion, en respira les fraîches odeurs avec un plaisir inattendu. Comme cela sentait bon le jasmin et les camélias!
À l'exception d'une lumière brillante dans l'appartement du roi et de deux torches allumées à l'entrée de la tourelle octogone où se logeait l'escalier, le palais était plongé dans l'obscurité. Un chien aboya, quelque part de l'autre côté du mur d'enceinte, et, dans l'intérieur même du château, un autre canidé, puis deux, puis trois lui répondirent.
Quelques instants plus tard, la porte de la chambre royale devant laquelle veillaient deux gardes s'ouvrit sous la main d'un valet qui invita Isabella à entrer et s'éclipsa aussitôt, refermant sur lui le vantail de chêne ouvragé.
Emmitouflé, en dépit de la température assez douce de cette fin octobre, dans une houppelande de drap noire fourrée de martre, son chapeau enfoncé jusqu'à ses épais sourcils, Charles Quint était assis dans sa grande chaire de bois garnie de coussins, au coin de la cheminée monumentale où brûlait un feu clair. Avec le chandelier de fer forgé à cinq branches posé près de lui, ces flammes fournissaient tout l'éclairage de la vaste pièce qui, ainsi plongée aux trois quarts dans les ténèbres, parut immense à la prisonnière. Le roi ne la regardait pas car il fixait intensément le cadran posé sur le manteau de l'âtre. L'Empereur avait des manies bizarres: une passion pour les montres, horloges et autres pendules. Il en possédait une quantité dont il voulait entendre toutes les sonneries en même temps. Il y veillait avec une sorte d'anxiété comme si son bonheur dépendait de cette concordance. Son terrible profil au long nez, au lourd menton têtu et à la bouche dédaigneuse se découpait sur le fond flamboyant qui accusait ses pommettes osseuses et ses paupières pesantes, plissées comme celles des tortues, entre lesquelles filtrait l'éclat sourd du regard. Il tendait vers les flammes ses longues mains nerveuses miraculeusement épargnées pour un homme qui cheminait doucement vers ses quarante-six ans et, de temps en temps, les frottait l'une contre l'autre.
Comme il ne tournait toujours pas les yeux vers Isabella, cette dernière fit quelques pas, étouffés par l'épaisseur des tapis sur lesquels étaient couchés les chiens. Tous avaient redressé la tête, humant l'air que modifiait cette présence étrangère, attendant peut-être un ordre qui ne vint pas, de même que l'aventurière attendait une parole qui, elle non plus, ne vint pas.
Sachant combien sa colère pouvait être redoutable, elle n'osa pas rompre ce silence qui devenait étouffant. Elle salua profondément puis attendit, un genou en terre, qu'on lui permît de se relever. Le roi se taisait toujours. Alors, à demi étranglée par l'angoisse, elle murmura, en dépit de l'orage qu'elle pouvait déchaîner sur sa tête:
:Laguerra: : Père!... J'ignore pourquoi le Roi détourne de moi son regard et quelle faute j'ai pu commettre pour encourir sa foudre, mais je le supplie humblement de me dire... au moins ce qu'il est advenu de mes enfants?
À nouveau l'effrayant silence. Elle sentit sa gorge se nouer et des larmes qu'elle s'efforça de refouler monter à ses yeux. Et puis, brusquement, son père tourna la tête vers elle, et elle reçut en plein visage le regard aigu, étincelant d'une rage que seule la volonté réprimait:
C.Q: Tes enfants?
Il gronda avec un mépris qui souffleta la jeune femme.
C.Q: Il est bien temps de t'en soucier! Depuis bientôt quatre mois que Javier est né, combien de jours as-tu passés auprès de lui?
:Laguerra: : Bien trop peu, mais le Roi sait bien...
C.Q: Rien du tout! Et relève-toi! Tu ressembles trop à la condamnée que tu n'es pas encore!
:Laguerra: : Dois-je vraiment l'être? Mais en quoi ai-je offensé le Roi?
À nouveau, il détourna son regard de cette mince silhouette noire, trop gracieuse peut-être, et de ces grands yeux trop brillants pour n'être pas humides.
C.Q: Offensé? Le mot est faible, Isabelle! Tu m'as insulté, trahi autant que souverain peut l'être, tu as comploté ma mort!
:Laguerra: : Moi?
Ce fut un cri si spontané que le roi tressaillit. Un tic nerveux tirailla sa bouche et agita ses narines sensibles de grand nerveux.
C.Q: Oui, toi! Toi que j'ai accueillie quand ta mère, Germaine de Foix, s'est retirée dans le monastère de Guadalupe en renonçant à ses droits dynastiques sur la couronne de Navarre. Toi que j'ai confiée à Luis Méndez Quijada pour te garder près de moi, et à qui, Dieu me pardonne, j'accordais quelque affection! Comme si un homme saint d'esprit pouvait accorder un semblant de tendresse à une femme, fut-elle sa fille!
Il avait craché le mot avec tant de mépris que l'aventurière sentit qu'un début de colère séchait ses larmes.
:Laguerra: : Père! Le ventre qui a porté le Roi n'était-il pas celui d'une femme?
Le regard qu'il tourna vers elle était lourd de rancune, peut-être aussi de chagrin:
C.Q: Madame la reine, ma mère, est une sainte et noble femme qui n'a guère connu ce bonheur après lequel vous courez toutes, et cela pour une seule raison: elle est folle. Mais ma grand-mère, Isabelle la Catholique, n'était rien d'autre que ce que les Italiens appellent "una gran'putana" et, non contente de cela, elle s'est laissée influencer, en son temps, par Torquemada en chassant les Juifs d'Espagne! Et moi, qui ne voulais pas de femmes dans mon entourage, j'ai agi comme un fou en te permettant d'y vivre. C'est pourquoi je t'ai repris le manoir de Can Casadella...
:Laguerra: : Et l'hacienda?
C.Q: Elle appartient toujours au señor De Rodas. García Álvarez ne fera pas main-basse dessus.
:Laguerra: : Mais mes enfants, mes enfants?
C.Q: Les filles, je n'ai pas encore statué sur leur cas... Mais mes petits-fils, eux, seront élevé comme il convient au nom qu'ils portent. Je les confierai à Quijada qui saura en faire des hommes...
:Laguerra: : Je respecte profondément mon ancien précepteur, mais je lui dénie le droit, moi vivante, de s'occuper de mes garçons!
C.Q: Toi vivante? Es-tu si sûre de l'être pour longtemps?
:Laguerra: : Ah!... Mon père songe donc à me donner... la mort?
C.Q: Tu as bien comploté la mienne, Isabelle!
:Laguerra: : Jamais! J'en jure sur le salut de mon âme, jamais je n'ai souhaité ta mort. Il aurait fallu que je sois folle, comme grand-mère Jeanne!
C.Q: Ou trop habile! Tu as des origines Françaises. En côtoyant Ambroise de Sarles, tu l'es devenue complètement et il semble que l'intrigue n'ait plus de secret pour toi. Nieras-tu avoir, l'été dernier, écrit une lettre que tu as confiée au souverain pontife à l'hacienda?
:Laguerra: : Au pape Paul III? Sans doute, Sire, et je n'ai aucune raison de le nier.
C.Q: Que contenait-elle?
:Laguerra: : Ma disposition à plaider la cause du Vatican. C'est d'ailleurs à la demande instante d'Alessandro Farnese que je l'ai écrite.
Charles Quint haussa les épaules.
C.Q: Comme c'est vraisemblable! Pourquoi t'aurait-il demandé cela?
:Laguerra: : C'est assez simple. Il souhaitait qu'en s'assurant de ma profonde affection, je lui promette également d'agir auprès de toi pour que tu fasses cesser la guerre entre ton royaume et la France...
C.Q: Et ceci d'une façon bien simple: en assassinant le "vieux diable"! Car c'est ainsi que ta plume me traite...
Hors d'elle, elle cria:
:Laguerra: : Je n'ai jamais rien rédigé de semblable! Et pour quelle raison aurais-je imaginé cette horreur?
C.Q: Dans l'espoir que le pape te rendrait beaucoup plus que ce que la désertion de ton époux t'a fait perdre! Tiens!
D'une de ses manches, il tira un grand papier déplié qui avait dû voyager, car les cassures en étaient salies et le sceau de cire verte brisé. Il le tendit à sa fille:
C.Q: Cette lettre est bien de toi? C'est bien ton écriture n'est-ce pas? Et aussi ton sceau: cire verte frappée de ces trois armes que sont le fouet, la rapière et le pistolet, que tu as choisies comme emblème personnel?
La lettre, en effet, ressemblait au moindre détail près à celle qu'elle avait remise au souverain pontife. C'était en effet son écriture, son petit sceau vert, mais le texte était loin d'être le même et Isabella en le lisant se sentit blêmir, car c'était sa propre perte qu'elle tenait entre les mains. Elle lut et relut plusieurs fois les terribles phrases pour se convaincre que ses yeux ne la trahissaient pas et qu'elle n'était pas en train de devenir folle:

"... et je puis assurer Sa Sainteté d'un dévouement sur lequel elle peut compter absolument. Dans quelques semaines, car il me faudra prendre langue avec certains éléments rebelles à l'occupation Flamande sur nos terres de Bourgogne, je ferai en sorte que le vieux diable qui mérite les flammes de l'enfer cesse de nuire à la haute réputation du Très Saint-Père. L'Empire tombé aux mains d'un petit duc de dix-huit ans cessera alors d'importuner les princes dont ce roi misérable n'est que la grotesque copie..."

Suivait, bien sûr, la demande de récompense pour un si grand service. Isabella, alors, releva vers le roi un regard épouvanté, mais cependant clair, et lui rendit la lettre d'une main qui ne tremblait pas.
:Laguerra: : Mon père me croit-il vraiment capable d'écrire pareille infamie? Moi qui n'aie rencontré le pape que trois petites fois...
C.Q: Tu es une femme, et une femme très belle. Celles de ta sorte sont capables de tout pour obtenir la fortune qui leur permet de soigner cette beauté cependant si vaine et de s'assurer un cadre digne d'elle.
Emportée par une colère brutale, l'aventurière s'écria:
:Laguerra: : Je suis riche et n'ai pas besoin des dons du Saint-Père. Miguel De Rodas m'a versé la quasi-totalité de la fortune de mon époux. Et j'irais à présent pactiser avec les Macaronis pour en avoir plus! Pourquoi?
Un mince sourire étira les lèvres du monarque en même temps que ses mains se mettaient à applaudir vigoureusement:
C.Q: Bravo! Quelle comédienne tu fais, Isabelle! En vérité, je pourrais m'y laisser prendre. C'est très tentant!
Ce dédain souriant brisa Isabella plus sûrement que ne l'eût fait une violente crise. Elle se laissa tomber à genoux:
:Laguerra: : Alors, tue-moi, père! Tue-moi sur l'heure... mais ne m'insulte pas! Sur ces enfants que je te réclame avec des larmes, je jure que cette lettre n'est pas de moi!
C.Q: Tu oublies que tu m'as déjà écrit? La comparaison est facile...
:Laguerra: : Un faux ne le serait-il pas? Les copistes habiles ne manquent certainement pas... Comment... Avec quels mots, en quelle langue puis-je te jurer que je n'ai jamais écrit ce... cette ordure?
Soudain, une idée lui vint, montée des profondeurs de sa mémoire:
:Laguerra: : Sire! Quelqu'un était auprès de moi quand j'ai écrit la lettre que l'on me demandait...
C.Q: Et qui donc?
:Laguerra: : Doña Carmina, que je n'ai pas rencontrée depuis plusieurs semaines et dont je ne sais ce qu'elle est devenue. Je l'avoue, j'ai eu beaucoup de mal a rédiger cette épître, non à cause des sentiments de bienveillance de Paul III à mon égard, mais parce que je savais qu'essayer de t'inciter à mettre fin à la guerre était hors de mon pouvoir. Comment m'aurais-tu reçue si j'avais tenté d'intervenir dans ta politique?
C.Q: Très mal. Je t'aurais priée de te mêler de ce qui te regarde... Tu ne vas pas réécrire l'Histoire avec une seconde "Paix des Dames" quand même?... Doña Carmina, dis-tu?
:Laguerra: : Oui, père!
Il frappa dans ses mains, ce qui réveilla tous les chiens et fit paraître le valet qui avait introduit l'infante Isabelle. L'appelant auprès de lui d'un geste impérieux, il lui murmura quelques mots à l'oreille. L'homme fit signe qu'il avait compris et ressortit aussi vite qu'il était venu. Le roi semblait un peu calmé, mais mordait sa lèvre inférieure en considérant sa fille toujours agenouillée entre un épagneul blond et un lévrier blanc qui formaient avec elle une figure héraldique d'une surprenante beauté. Au bout d'un instant, il fit:
C.Q: En tout cas, il t'es déjà arrivé de m'adresser au moins un pli mensonger. Te souviens-tu de celui que tu écrivis quand tu es retournée à Corça? Si ce n'est pas un tissu de mensonges, je veux bien être pendu!
Après son entrevue avec Doria, elle lui avait fait porter un message stipulant qu'elle resterait au manoir plus longtemps que prévu. Isabella baissa la tête sans répondre se souvenant des paroles de García Álvarez. Si le conseiller savait qu'elle ne se trouvait pas en Catalogne, son père certainement le savait aussi.
:Laguerra: : Je le confesse, père. J'ai menti.
D'un ton triomphant, il fit:
C.Q: Ah! Il arrive tout de même que tu l'admettes! Alors dis-moi à présent où tu étais durant le mois dernier?
L'aventurière releva la tête.
:Laguerra: : À Corça d'abord, et en cela je n'ai pas menti. Puis j'ai traversé la France pour rejoindre...
Jaillissant de son siège comme si un ressort y était caché, le roi s'écria:
C.Q: Ah! Nous y voilà!
Il se mit à marcher de long en large devant la cheminée.
C.Q: Pour rejoindre qui? Ne te donnes pas la peine de me le dire, je vais le faire pour toi: tu as rencontré secrètement ton oncle. Et c'est en cela que cette maudite lettre ne ment pas! Tu as bel et bien pris langue, comme tu l'annonçais, "avec des éléments rebelles", en d'autres termes François 1er. Tu vois que je sais tout!
Abasourdie, Isabella se laissa tomber assise sur ses talons au mépris de tout le protocole. Avec plus de sincérité que de politesse, elle souffla:
:Laguerra: : Qu'est-ce que c'est que cette ânerie? Ce n'est pas mon oncle François que je suis allée voir, mais ma tante Marie!
C.Q: Ma sœur?
:Laguerra: : Bien sûr! Tous ceux qui m'ont approché, à commencer par le señor De Rodas, pourront te le dire: je me suis rendue à Bruges afin de chercher mon époux.
C.Q: Et l'as-tu retrouvé?
:Laguerra: : Oui, mais pas là-bas.
C.Q: Où alors? Et quand?
:Laguerra: : Il y a un petit peu plus de deux semaines, à Gérone, au prieuré Notre-Dame...
C.Q: Pâques-Dieu! C'est donc là qu'il se cache?
Instantanément Isabella fut debout, relevée par une poussée d'orgueil.
:Laguerra: : Si je l'ai dit au Roi, c'est parce qu'il ne se cache pas! Il a choisi d'y vivre désormais pour pouvoir, chaque jour, prier au tombeau de Saint Narcisse. Un jour, peut-être prochain, il y prononcera des vœux perpétuels.
Lentement, Charles Quint retourna vers son siège et s'y étendit à moitié, coiffant de ses deux mains les lions de chêne sculpté qui en formaient les bras. Il semblait plongé dans une profonde méditation. Puis, il dit:
C.Q: Il veut se faire moine, lui?
Avec une ironie cruelle qui blessa sa fille, il ajouta:
C.Q: Ne t'aime-t-il donc plus?
L'aventurière soupira:
:Laguerra: : J'aurais pu l'emmener avec moi. Mais... c'était aux prix d'un parjure.
C.Q: Lequel?
:Laguerra: : Il m'a demander de jurer... devant Dieu que rien ne s'était jamais passé entre le señor Berenguer et moi. Or, cet homme m'a volé deux baisers et a tenté de... Sans l'intervention de Pablo, qui sait... Bref, je n'ai pas pu lui mentir...
C.Q: Pourquoi ne pas lui avoir expliqué?
:Laguerra: : Il ne m'en a pas laissé le temps...
Reprise par le souvenir de cet instant cruel, Isabella ne tourna même pas la tête lorsque la porte s'ouvrit à nouveau avec un léger grincement, mais aussitôt, un cri éclata:
:?: : Señora Mendoza!
L'instant suivant, Isabella se retrouvait serrée dans les bras de Carmina où elle se blottit avec une merveilleuse sensation de délivrance et d'apaisement:
:Laguerra: : Carmina! Ma Carmina!... Oh, mon Dieu!
Le souverain tonna:
C.Q: Je vous ordonne de vous séparer! Femme, je ne vous ai pas fait venir pour assister à une scène d'attendrissement, mais pour que vous répondiez à mes questions!
Carmina: Moi, je vais vous en poser une, Sire! Qu'avez-vous fait à votre fille pour la mettre dans cet état?
Sidéré, l'Empereur resta sans voix en face de cette vieille dame qui osait l'interroger sur le ton qu'aurait employé un lieutenant du guet envers un tire-laine ramassé dans la rue.
C.Q: Pâques-Dieu, commère, vous oubliez un peu qui je suis?
Carmina: Non... et vous êtes un grand roi. Mais elle, cette pauvre femme à qui tout bonheur semble refusé sur cette terre, elle est plus encore pour moi qu'un simple employeur! Je la considère comme ma deuxième fille, alors posez les questions que vous voulez... mais ne nous séparez plus!
C.Q: Comment parvenir à la vérité? Enfin! Essayons toujours!... Avez-vous connaissance d'une lettre écrite, il y a deux mois, par ma fille et confiée à Sa Sainteté?
Carmina: Au pape? Je pense bien! Elle lui a donné assez de mal...
C.Q: Alors, vous la connaîtrez facilement. La voici!
Carmina, obligée de lâcher Isabella, prit avec respect la lettre qu'on lui tendait, la lut, puis la rejeta aux pieds du roi avec dégoût...
Carmina: Pouah! La laide chose que voilà! J'espère, Sire, que vous n'avez pas cru votre fille responsable de ce papier déshonorant?
C.Q: C'est son écriture, c'est son sceau et...
Carmina: Et c'est surtout l'œuvre d'un fameux faussaire! Si vous le trouvez, Sire, envoyez-le sur l'heure brancher au gibet le plus proche. Quant à celui qui vous a remis ce torchon, je vous conseille fort de le lui donner pour compagnon.
C.Q: C'est un de nos plus fidèles conseillers!
Sans la moindre retenue et à la grande frayeur d'Isabella, la vieille femme se mit à rire:
Carmina: Je gage que ce bon conseiller est votre García Álvarez de Tolède... ou le Malin, comme disent les bonnes gens de par ici?
C.Q: Le... Malin?
Le roi se signa précipitamment deux ou trois fois avant de baiser la médaille qui pendait à son cou.
Carmina: Il faut dire que le mot lui convient assez bien. En outre, il ferait n'importe quoi pour obtenir ce beau manoir à Corça. Il a même tenté de nous faire tuer!
C.Q: Laissons cela pour le moment. Prétendez-vous que ce pli soit un faux?
Carmina: Ma main au feu, Sire! D'ailleurs... si vous voulez bien m'excuser, je reviens dans un instant.
Et, ramassant ses longues robes de velours prune, elle quitta la chambre royale aussi vite que le permettaient des jambes ayant perdu la jeunesse depuis longtemps, laissant le père et la fille aussi stupéfaits l'un que l'autre. Se parlant à elle-même plus que posant une question, Isabella murmura:
:Laguerra: : Mais... où va-t-elle?
Et le monarque répondit, lui aussi avec un grand naturel:
C.Q: Là où je l'ai logée avec tes enfants: dans l'appartement qui est celui de tes demi-sœurs, Jeanne et Marie, quand elles sont de passage, ce qui est rare.
Puis, soudain furieux:
C.Q: Tu ne me croyais pas assez cruel, j'espère, pour jeter en prison mes petits-enfants?
Une grande joie inonda leur mère, lui faisant oublier ce que sa propre situation pouvait avoir d'incertain, et même de dangereux, avec un homme de ce caractère. Son petit Javier et sa fratrie étaient tout près d'elle, peut-être réussirait-elle à obtenir la permission de les embrasser au moins une fois?
Le temps lui manqua pour s'interroger davantage. Carmina revenait déjà avec une liasse de papiers. Les délivrant du ruban qui les retenait, elle les offrit au roi avec une révérence, certes un peu tardive.
Carmina: Moi, Sire, je ne jette jamais rien. Surtout ce qui est écrit.
C.Q: Qu'est-ce que cela? On dirait des brouillons?
Carmina: C'est cela, Sire! Ceux de doña Isabella quand, cette fameuse nuit, elle s'acharnait à écrire cette maudite lettre. Vrai Dieu! Elle n'en sortait pas! Mais le Roi peut voir qu'il n'y a rien là d'offensant pour Sa Majesté! Tenez, Sire! Celle-ci surtout! Il n'y manque que les salutations... mais il y a un pâté d'encre! Alors, on l'a refaite.
Soigneusement, Charles Quint examina ce qu'on lui apportait, reprit la lettre et compara, puis roula le tout:
C.Q: Je garde ceci... mais vous avez dit, il y a un instant, doña Carmina, que messire Álvarez avait tenter de vous faire tuer?
Carmina: Sans Messire De Rodas et Messire du Rœulx, nous y passions et nous serions en train de pourrir quelques pieds sous terre dans la forêt de Garraf.
Avec sévérité, le roi fit:
C.Q: Comment se fait-il que le grand prévôt, Adrien de Croÿ, ne nous en ait rien dit?
Carmina haussa les épaules:
Carmina: Parce qu'il est comme nous autres, Sire: il n'a pas de preuves. Rien que des aveux d'un bandit qui ignorait le nomde son client.
C.Q: Je vois! Eh bien... vous pouvez vous retirer, doña Carmina. Le roi vous remercie...
Carmina: Puis-je l'emmener avec moi?
Elle avait entouré de son bras les épaules d'Isabella qui, accablée de fatigue à présent, appuyait sa tête contre elle.
C.Q: Non. Il faut que nous réfléchissions à tout ceci. Pour l'heure présente, ma fille va être ramenée dans sa prison...
L'aventurière supplia:
:Laguerra: : Père! Laissez-moi au moins embrasser mes enfants! Ou alors... permettez à Carmina de venir avec moi. Zia suffira à s'occuper d'eux.
Carmina: Elle n'est pas logée avec nous car elle doit aussi s'occuper d'Agustín! Elle ne nous rend visite que pour nourrir Javier.
:Laguerra: : Ah? En ce cas, allez vite, chère Carmina. Mes petits ont plus besoin de vous que moi... Allez, vous dis-je! Il ne faut pas contrarier le Roi. N'oubliez pas que mon sort est entre ses mains.
C.Q: C'est bien ainsi que nous l'entendons! Gardes!
Sa voix forte fit rouvrir aussitôt la porte de sa chambre.
Isabella salua profondément puis, la mort dans l'âme suivit les soldats qui allaient la ramener chez elle. Elle emportait l'image de son père, un coude posé sur le bras de son fauteuil et le menton dans la main. Jamais elle ne lui avait vu un visage aussi dur ni un regard aussi glacé. Avait-il seulement compris quelque chose à ce qu'elle avait dit? Elle ne l'aurait pas juré...

☼☼☼

Et encore moins quand, dans l'après-midi du lendemain, les gardes sous le commandement d'un sergent vinrent à nouveau la chercher. Cette fois, ce fut dans la grande salle d'honneur du château qu'on la conduisait. Quand elle en franchit le seuil, elle s'arrêta un instant, interdite devant le spectacle qui s'offrait à elle.
Le roi, habillé avec plus d'élégance, se tenait debout, le grand collier de la Toison d'Or au cou. Auprès de lui, ses familiers et sa cour.

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Pourtant, elle éprouva un peu de joie en reconnaissant Miguel, se tenant à quelques pas de son père. Un piquet de la garde veillait aux fenêtres et, dissimulé derrière la porte, Adrien de Croÿ était appuyé sur une grande épée...
Le silence se fit quand parut la prisonnière et l'on eût entendu voler une mouche tandis que, lentement, elle s'avançait vers son père, ne s'arrêtant qu'à trois ou quatre pas de lui pour le saluer comme il convenait. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine, elle était certaine que c'était son jugement qui allait se dérouler au milieu de cet apparat. Une audience aussi solennelle ne pouvait être que menaçante...
Pourtant, un petit incident vint détendre l'atmosphère si lourde. Sempere, le grand chien blanc, le favori de Charles Quint qui se tenait, comme d'habitude, assis à ses pieds, se leva et, de son pas nonchalant, vint jusqu'à Isabella dont il lécha doucement la main.
Touchée par cette marque d'amitié, elle caressa la tête soyeuse cependant que des larmes montaient à ses yeux. Ce beau chien était donc son dernier, son seul ami dans cette assemblée? Adrien de Croÿ lui-même regardait avec obstination le bout de ses souliers...
Le roi ordonna:
C.Q: Viens ici, Sempere!
Mais au lieu d'obéir, l'animal, comme s'il entendait se faire l'avocat de la jeune femme, s'assit tranquillement à côté d'elle.
Le roi ne réitéra pas son commandement. Du geste, il fit signe à Isabella de se relever, puis toussota pour s'éclaircir la voix et dit enfin:
C.Q: Messeigneurs, nous vous avons réunis ici, en cette noble assemblée, pour être les témoins du grand souci que nous avons de notre justice. La señora Mendoza, ici présente a été accusée de trahison envers notre couronne et d'intention de meurtre envers notre personne. Une lettre est le principal chef d'accusation et, cette lettre, elle nie absolument l'avoir jamais écrite. D'autres éléments nous ont été fournis par une tierce personne et lesdits éléments tendraient à innocenter ladite señora.
Il prit un temps, tira un mouchoir et se moucha avec un bruit qui résonna dans le silence comme un coup de tonnerre. Personne ne souffla mot. Alors, il reprit:
C.Q: Étant donné que la señora Mendoza se trouve être ma fille, notre esprit est grandement troublé et ne saurait trancher sainement dans une affaire aussi singulière. Aussi nous sommes-nous résolu à en appeler au jugement de Dieu!
C'était tellement inattendu que le silence s'éparpilla en murmures divers et Nicolas Perrenot de Granvelle, le garde des Sceaux de l'Empereur, releva la tête et s'écria:
NPG: Sire! Le Roi veut-il vraiment s'en remettre à ces pratiques d'un autre âge?
C.Q: Si vous voulez dire, "mon lit de repos", que le Dieu tout-puissant est passé de mode, vous ne serez plus longtemps de mes familiers! Paix donc et ne nous interrompez plus! Par jugement de Dieu, nous n'entendons par l'ordalie. Ma fille ne sera pas jetée à l'eau ni invitée à marcher en tenant dans ses mains un fer rougi au feu, ni livrée à aucune de ces pratiques dont nous n'avons jamais pensé grand bien. Mais les accusations qui pèsent sur elle ont été portées par deux personnages... Messire le secrétaire, voulez-vous venir par devant nous?
il y eut un mouvement dans cette foule que l'aventurière ne regardait pas et Jaume Berenguer, magnifiquement vêtu à son habitude, s'inclina devant le roi qui lui sourit gracieusement. À son aspect Isabella ne tressaillit même pas. Que son ancien soupirant fût là, devant elle, et qu'il fît partie de ses accusateurs ne la surprenait pas. Il avait dû se donner beaucoup de mal pour obtenir une audience auprès du roi d'Espagne, mais, lors de leur dernière rencontre, elle avait senti qu'il était devenu son ennemi et ferait tout pour se venger d'avoir été par elle dédaignée... Et, comme il jetait vers elle un regard accompagné d'une ombre de sourire, elle détourna les yeux avec un écrasant mépris...
C.Q: Vous nous avez bien dit, Messire le secrétaire, que la señora Mendoza - que vous connaissez depuis longtemps?
Jaume: Depuis des années, Sire.
Incapable de se contenir, Isabella s'écria:
:Laguerra: : Mais c'est totalement faux!
C.Q: Paix, Isabelle!... Que la señora Mendoza, disions-nous, aurait eu... des bontés pour vous et vous aurait fait des confidences sur l'oreiller.
:Laguerra: : Quoi?!? Moi, je serai la maîtresse de cet homme?
Le sourire railleur de Jaume lui donna envie de lui sauter à la gorge.
Jaume: Allons Isabella! Vous êtes charmante et experte aux jeux de l'amour... Quand nous nous sommes connus, vous étiez forte dolente car votre époux était encore parti Dieu ne sait où. Avec le temps, vos sentiments pour lui se sont... délités. Vous m'avez même confié que les recherches le concernant étaient un excellent prétexte pour rejoindre en grand secret le roi de France afin de comploter avec lui.
C.Q: Vous m'aviez également assuré que son dernier né n'est pas le fils de Mendoza... mais le votre...
Jaume: En effet, Sire. Je l'ai dit et je le répète, cet enfant est le mien.
:Laguerra: : Il s'appelle Javier!... Javier, Juan, Carlos! Cela dit tout! Ce que vous dévoilez n'est qu'un tissu de mensonges!
Jaume: Mensonges? Il vous plaît à le dire, belle Isabella. Pour ma part...
D'une voix tout à coup sévère, le roi reprit:
C.Q: Pour votre part, nous espérons que vous êtes prêt à soutenir votre... vérité les armes à la main et contre tout champion qui se présentera pour défendre la cause de ma fille!
Jaume: Un duel? Mais je suis un secrétaire, Sire!
C.Q: Un secrétaire qui s'est mêlé de ce qui ne le regarde pas! Vous devez subir nos lois comme n'importe lequel de nos sujets. De toute façon, nous comptons bien prévenir notre bonne amie, la comtesse Pimentel, de notre intention de vous envoyer soutenir vos dires en champ clos.
Jaume: Sire!
C.Q: Rassurez-vous! Vous n'irez pas seul. J'ai parlé de deux personnages et je pense, Messire García Álvarez, que vous aurez à cœur, vous aussi, de soumettre au jugement divin cette fameuse lettre que vous nous avez vous-même remise en certifiant son authenticité... et en réclamant certain manoir pour prix de ce service.
À son tour, le conseiller effaré apparut sur le devant de la scène:
G.A: Mais, Sire notre roi... je ne suis pas chevalier et ne saurais me battre!
C.Q: Pas chevalier? Vous, un militaire dont j'avais fait mon capitaine général de la mer? Voilà une faute grave que nous nous reprocherons longtemps, mais, soyez en repos, nous avons le temps de vous adouber avant la rencontre...
G.A: Le Roi veut vraiment... m'envoyez en lice?
C.Q: En compagnie de Messire Berenguer. Vous serez deux contre un champion unique. Nous faisons ce choix étrange justement parce que vous êtes peu expérimenté à l'épée...
:?: : En revanche, au poignard et de préférence dans le dos, il ne craint personne!
Abandonnant sa place première, Miguel vint se poster devant Isabella.
MDR: Avec votre gracieuse permission, Sire, je serai le champion de votre fille! Et je tuerai ces deux misérables aussi vrai que je m'appelle Miguel De Rodas... Et davantage encore s'il plaît au Roi de m'envoyer cinq ou six ribauds de cette sorte!
Oh, la joie de sentir auprès de soi cette force tranquille, cet ami sûr! Isabella n'avait besoin de personne quand il s'agissait de croiser le fer, mais elle n'osa aller à l'encontre de la décision prise par son père. Avec un regard plein d'espérance, elle leva les yeux vers lui... mais celui-ci fronça les sourcils:
C.Q: Paix, De Rodas! Pâques-Dieu, je vous l'ai déjà dit: vous êtes à notre service, pas à celui des dames! Votre sang ne doit couler que pour l'Empire. Aussi récusons-nous votre proposition... Il faudra qu'un autre champion se présente. De l'issue du combat dépendra le sort de ma fille... Restez à votre place!
D'un geste impérieux, Charles Quint arrêta net l'élan de Messire du Rœulx, visiblement prêt à offrir ses armes...
C.Q: Dans une affaire aussi grave, il ne faut pas de précipitation. Celui qui se présentera devant nous, dans un mois jour pour jour, devra savoir que, s'il est vaincu, ma fille sera exécutée, et que le combat sera à outrance. Ainsi donc, messeigneurs, examinez et pesez bien votre décision...
Entre ses dents, Miguel marmona:
MDR: C'est tout décidé! Aucune force humaine ne m'empêchera de combattre pour elle, même si je dois donner ma démission!
Proche cependant de l'hidalgo, l'Empereur, comme s'il n'avait rien entendu, reprit:
C.Q: Que l'on ramène la señora Mendoza dans sa prison! Personne n'est autorisé à lui parler.
Le silence était encore plus profond qu'à l'entrée d'Isabella lorsqu'elle se dirigea vers la porte au milieu de ses gardes. Un silence où entrait sans doute beaucoup d'étonnement devant une aussi étrange décision: un duel judiciaire dans lequel un seul homme devrait affronter deux adversaires? Même peu habiles, c'était tout de même comprendre de curieuse façon l'égalité des chances, sans parler du seigneur qui, dans cette affaire, voyait son rôle quelque peu diminué.
La seule consolation de l'aventurière, avant de quitter la salle, fut d'entendre le roi ordonner que Berenguer et Álvarez fussent gardés nuit et jour en leur logis jusqu'au matin du combat. Consolation bien mince, car si ni Miguel ni Adrien de Croÿ n'étaient autorisés à se battre pour elle, il ne lui restait plus qu'un mois à vivre...

À suivre...
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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yupanqui
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par yupanqui »

C’est Juan-Carlos qui va combattre pour venger sa belle.
Ou alors le jeune Esteban, initié au maniement de l’épée par Isa.
Le dénouement serait-il proche ?
On ne sait jamais avec Teeger... un rebondissement est toujours possible !

(NB : je ne corrige plus les fautes d’accord, mais il y en a plusieurs dans les 3 ou 4 dernières publications).
« On sera jamais séparés » :Zia: :-@ :Esteban:
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TEEGER59
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par TEEGER59 »

Suite.

Le duel.

Le roi, néanmoins, semblait accorder quelque pitié à sa captive. Le lendemain, après que le geôlier Antonio eut enlevé le plateau du premier repas auquel Isabella n'avait guère touché, il revint tout joyeux:
Antonio: Je vous annonce une visite! Une bonne visite...
Rouvrant en grand la porte qu'il avait simplement rabattue derrière lui, il s'effaça pour livrer passage à Carmina, portant dans ses bras le petit Javier. Elena, Pablo, Joaquim et Paloma la talonnèrent. Le cri de joie de la prisonnière fit monter à ses yeux de brave homme une larme d'attendrissement et il resta un instant à contempler le joli tableau que formait Isabella entourée de ses enfants. Serrant son plus jeune fils dans ses bras, elle le couvrait de baisers passionnés en lui disant:
:Laguerra: : Mon tout petit!... Mon bébé!... Mon petit trésor!
Elle en fut précipitamment débarrassée par une Carmina qui lui dit:
Carmina: Là, Donnez-le moi à présent, et allez étreindre les autres.
L'Espagnole enlaça tout d'abord Elena, puis vint le tour de Pablo et Joaquim et termina avec Paloma. Elle embrassa le visage et les courts cheveux bruns qui frisaient autour de la tête ronde de sa petite fille, lui donnant l'air d'un angelot... ce qu'elle n'était pas tout à fait car, peu habituée à des effusions aussi intenses, elle se mit à protester. Isabella s'affola:
:Laguerra: : Est-ce que je lui ai fait mal?
En riant, la servante répondit:
Carmina: Non, mais vous êtes en train de l'étouffer... Posez-la par terre! Et vous, Paloma, saluez donc votre mère comme je vous ai appris à le faire!
La gamine, à présent âgée de deux ans et demi, prit un solide appui sur ses petites jambes et esquissa une sorte de révérence assez maladroite qui enchanta l'aventurière. Avec gravité, elle fit:
Paloma: Le bonjour, Madame ma mère. Allez-vous bien?
Mais comme Isabella s'était accroupie pour être à sa hauteur, Paloma se jeta dans ses bras en criant:
Paloma: Maman, maman!... Je m'ennuyais tellement de toi!
Par-dessus la tête de sa fille, Isabella interrogea Carmina:
:Laguerra: : Elle me connaît bien un peu, pourtant?
Carmina: Elle vous connaît bien mieux que vous ne pensez. Avec ses aînés, on lui a parlé de vous tous les jours et, dans ses prières, elle ne manque jamais de demander à Dieu de lui rendre sa maman...
Paloma: Mon papa aussi! Quand penses-tu qu'il viendra, maman?
:Laguerra: : Je n'en sais rien, ma colombe. Ton papa est parti pour un long voyage, mais tu as raison de prier le bon Dieu pour qu'il en revienne...
Carmina: Ne nous attendrissons pas! Et d'abord, laissez un peu cette jeune fille pour m'embrasser. Vous n'y avez pas encore songé!
Les deux femmes s'accolèrent chaleureusement, d'autant plus que la vieille femme apportait une autre bonne nouvelle: les enfants et elle étaient autorisés à venir chaque jour visiter Isabella dans sa prison, et même à prendre en sa compagnie le repas du milieu du jour. Baissant d'un ton à cause des plus grands, la captive chuchota:
:Laguerra: : Mon père veut adoucir mes derniers moments? C'est une attention à laquelle je suis sensible...
Choisissant avec soin, elle aussi, les mots à employer pour ne pas heurter la sensibilité des plus jeunes, Carmina rétorqua:
Carmina: Vous ne croyez tout de même pas que l'on va vous conduire sur la place publique et que ceux qui vous aiment laisseront faire?
:Laguerra: : Ceux qui m'aiment n'auront pas la permission de me défendre et à part Estéban - entre parenthèse, dites-lui bien que je refuse qu'il se présente, je ne vois pas qui pourrait prendre, pour une inconnue, un risque aussi considérable.
Carmina: Et le señor Mendoza? L'avez-vous retrouvé?
:Laguerra: : Oui et non. Je l'ai vu, en effet, mais il est à jamais perdu pour moi...
Et avec une grande sobriété, Isabella raconta ce qui s'était passé à Bruges, puis par quel hasard extraordinaire elle avait rencontré Juan là où elle ne l'attendait pas. Enfin, ce qu'il s'étaient dit et comment il avait décidé de demeurer au couvent.
Carmina: Au couvent, lui? C'est insensé! Ne vous aime-t-il donc plus?
:Laguerra: : Si... du moins il le dit, mais je ne suis pas certaine que ce soit la vérité. Il s'abuse lui-même ou il le prétend pour me ménager. Mais n'en parlons plus, voulez-vous, Carmina? J'aimerais bien mieux que vous me disiez ce qu'il se passe à l'hacienda... si vous avez des nouvelles...
La servante ne dit pas qu'elle préférait voir l'aventurière se préoccuper de son sort plutôt que de se tourmenter pour son domaine. Cette affaire de jugement de Dieu ne lui plaisait pas du tout. Néanmoins, l'angoisse ne l'étreignait pas encore, car une idée lui était venue: faire tenir une lettre à la princesse Jeanne, au château de Madrid, pour lui demander d'intervenir. Certes, la jeune demi-sœur d'Isabella n'avait pas grand pouvoir sur son terrible père, mais Carmina savait que devant son regard véritablement céleste, il arrivait au roi de se sentir mal à l'aise. À ce cœur angélique on pouvait tout demander. À défaut de Miguel, paraît-il envoyé en mission par le roi dès la veille au soir, à défaut de Messire du Rœulx expédié de la même manière, sans doute pour leur ôter toute envie d'entrer en lice pour Isabella, la vieille femme pensait confier sa lettre à la señora de Borgia, cette femme qui portait toujours, au goût de Charles Quint, des hennins trop pointus. C'était une brave femme, venue plus d'une fois boire une chopine à l'hacienda. Si elle ne pouvait faire envoyer le pli par quelqu'un de confiance, elle trouverait le moyen d'envoyer Estéban à Madrid. Quant au moment de la rencontrer, Carmina n'était pas en peine car elle la voyait souvent quand elle descendait avec les enfants au jardin où ils avaient la permission de se promener.
Le combat devait avoir lieu le dimanche 29 novembre, fête de saint Saturnin. Avec sa parfaite connaissance du calendrier, l'Empereur avait choisi ce jour-là parce que le souverain pontife semblait plus ou moins impliqué dans cette sombre histoire. Tout comme le pape Fabien fut en partie responsable du destin tragique du premier évêque de Toulouse, mort en martyr. Le roi ne manquait jamais une occasion de se concilier le ciel ou de l'appeler à son secours. De son côté, Carmina, presque aussi pieuse que lui, avait ajouté les quatre princes des apôtres à la longue liste des hôtes du Paradis qu'elle invoquait chaque jour pour la paix et le bonheur d'Isabella...
Néanmoins, à mesure que glissaient les jours, le sommeil la fuyait. Elle avait écrit sa lettre et la señora de Borgia s'en était chargée volontiers. Encore avait-elle dû prendre mille précautions pour n'être vue de personne en la lui remettant dans le jardin, le seul endroit où elle bénéficiait de quelque liberté. Elle ne l'avait pas revu par la suite et ne possédait aucun moyen de savoir si sa missive était parvenue à bon port.
En effet, Carmina, se trouvait elle-même soumise à une sévère surveillance, ne pouvant quitter son logement que sous la garde d'un archer et en compagnie des enfants. Il lui était défendu de sortir seule. Et, en dehors de ce garde qui la menait chaque jour à la prison rejoindre Isabella ou au jardin pour les sorties des petits, elle n'avait de rapports qu'avec les deux domestiques chargées de la servir. Pas une seule fois elle ne rencontra le roi dont, cependant, l'écho des trompes de chasse retentissait souvent dans la cour d'honneur. De ses fenêtres, elle pouvait apercevoir ceux qui entraient ou sortaient, mais comme elle ne les connaissait guère, ces allées et venues ne lui apprenaient pas grand-chose. Alors, quand elle n'était pas auprès de l'aventurière et que Javier dormait, elle passait des heures à regarder, dans l'austère bâtiment d'en face, la petite fenêtre barrée d'une croix de fer qui éclairait la prisonnière et elle priait, elle priait pour qu'un homme de bien, un chevalier digne de ce nom accepte de jouer sa vie afin que la jeune femme ne perde pas la sienne...
Pour sa part, Isabella s'inquiétait beaucoup moins, parvenue à une sorte de fatalisme qui lui ôtait toute crainte de cette mort à laquelle il lui restait peu de chance d'échapper. Elle n'en voulait même pas à son père du jeu cruel qu'il avait inventé. Le roi, elle le savait, craignait d'autant plus la camarde qu'il avançait en âge et, si son courage physique demeurait entier quand il allait en guerre, le meurtre sournois, perfide, lui causait une véritable frayeur. Peut-être parce que son propre père, Philippe le Beau, mourut vraisemblablement empoisonné à Burgos, après seulement deux mois de "règne". Peut-être aussi parce que, depuis vingt-cinq ans à la tête de l'Empire - et même avant, alors qu'il n'était encore qu'un enfant, un prince bien falot guidé par Guillaume de Croÿ - son intelligence aiguë lui avait permis d'éviter maints traquenards, trahisons et chausse-trappes. Or, la malheureuse lettre évoquait son assassinat. Au fond, le roi avait montré une grande mansuétude en proposant ce duel judiciaire, il aurait pu faire exécuter en secret sa fille ou l'envoyer pourrir au fond de quelque oubliette...
Alors, Isabella s'efforçait de rejeter loin d'elle l'évocation de ce jour menaçant pour se concentrer toute entière à ses deux cadets. Elle n'avait pas vécu longtemps auprès d'eux et les découvrait avec délices, s'enchantait de la beauté de Javier et de la précoce intelligence de Paloma.
Cette dernière, n'ayant jamais vu autour d'elle que des sourires et n'ayant reçu que des caresses, était une enfant très gaie. En dépit d'un caractère déjà affirmé, elle rayonnait d'une grande joie de vivre et débordait de tendresse pour sa mère qu'elle appelait parfois "ma belle maman".
Afin d'expliquer le fait que l'aventurière ne les accompagnait jamais au jardin, on lui avait dit qu'elle venait d'être malade et qu'il lui fallait un grand repos. Si Paloma avait accepté l'explication sans la combattre, elle ne parvenait à comprendre pourquoi sa mère ne vivait pas avec Carmina et ses aînés dans le château, mais dans "la vilaine chambre" qui, dans sa logique enfantine, ne devait guère être propice à une convalescence. Elle n'en dit rien, mais montra à Isabella encore plus d'amour. Elle, si turbulente, restait des heures assise sur les genoux maternels, blottie contre sa poitrine à quêter des histoires et des baisers...
Intérieurement, Carmina priait:
Carmina: Mon Dieu! Faites qu'après ce combat idiot, notre Isabella recouvre sa liberté. Sinon... oh, je n'ose même pas penser à ce qui se passerait!
Le mois de novembre s'écoula, froid et pluvieux, avec en son début les manifestations de la fête des morts qui dépouillèrent les jardins des environs du moindre pétale pour aller fleurir les cimetières et qui alluma, la nuit tombée, des cierges ou de grands feux sur la place de chaque village et dans la cour de chaque château. Au palais, Isabella, si elle entendait les chants et les cris de joie - car ce n’était pas un jour triste pour les Espagnols - elle n'aperçut même pas le reflet de l'immense brasier que la garde avait allumé dans la première cour, en face de ses logis. Sa chambre demeura obscure comme si on voulait lui faire sentir qu'elle était l'antichambre du tombeau.

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Quand elle pensait au roi, allongée sur son lit, c'était avec plus de tristesse que de colère car elle aimait cet homme vieillissant, dont le grand front abritait un esprit si subtil, une intelligence si universelle. Et voilà que ce cerveau exceptionnel avait laissé sa crainte du meurtre l'emporter sur la filiation, sur l'amour qu'il portait naguère à son premier enfant. Cet amour, après avoir aidé la jeune femme à grandir, s'était brisé sur une simple feuille de papier, sur quelques lignes d'une écriture dont le monarque n'avait pas voulu voir la contrefaçon. Pire encore, il avait refusé les deux champions qui s'étaient spontanément offerts pour défendre sa cause et, pour être bien sûr qu'ils ne viendraient pas troubler sa fête macabre, il les avait envoyés au loin. Alors, quand ces pensées lui venaient, Isabella se levait, s'agenouillait et priait...

☼☼☼

Vint le dernier jour.
Quand Carmina amena les enfants, elle eut beau dire qu'une poussière irritait ses yeux, il fut évident qu'elle avait pleuré toute la nuit. Et, de fait, les nouvelles n'étaient guère rassurantes: ni Adrien de Croÿ ni Miguel De Rodas n'étaient revenus et la señora de Borgia avait confié à la vieille servante qu'à sa connaissance, aucun champion ne s'était présenté. Elle avait ajouté qu'ils étaient nombreux, dans les rangs de la garde royale, à souhaiter offrir leurs armes à la captive, mais qu'il était à craindre que l'Empereur les déboutât comme il avait débouté l'hidalgo.
La journée fut longue et pénible pour les deux femmes. Pour les enfants, elle s'efforçaient à une attitude habituelle, leur souriaient et jouaient avec eux. Isabella y réussissait mieux que Carmina, peut-être parce qu'elle n'avait pas vraiment peur. Elle ne souffrait que d'abandonner ceux qu'elle aimait, de ne pouvoir au moins embrasser une dernière fois son époux qui, lui, ne connaîtra probablement jamais son dernier fils.
Au moment de se séparer, elle embrassa sa fidèle servante avec une infinie tendresse. En sentant des larmes couler contre sa joue, elle chuchota:
:Laguerra: : Vous si pieuse, vous devriez accorder plus de confiance à Dieu. C'est Lui qui va décider demain et, s'Il ne veut pas que je meure, mon père ni personne n'y pourra rien...
Carmina: C'est vrai, vous avez raison et je ne suis qu'une vieille bête. Mais je vais prier, prier, prier si fort qu'il faudra bien que le Seigneur m'entende! J'ai confiance à présent et si, demain soir, je ne peux vous serrer dans mes bras comme je le fais en ce moment, cela voudra dire que Dieu n'existe pas. Mais sur ce sujet, je suis tranquille...
:Laguerra: : Vous savez Carmina, j'ai saisi récemment que la somme de nos joies et de nos tourments concourt, dans une mesure que nous ignorons, au vaste projet de Dieu sur nous. Nous ne pouvons pas le comprendre, nos cervelles étant trop étroites pour en contenir l'immensité, mais nos destinées tissent au fil des siècles la tapisserie de la Création. Il faut des laines de toutes couleurs, vertes, rouges, blanches, mais aussi grises et noires, pour composer l'ensemble. L'œuvre ne nous sera révélée, dans toute sa splendeur et la complexité de sa plénitude qu'après son achèvement... Nous n'en sommes pas là!
Isabella conclut avec un sourire tristement moqueur, comme pour se faire pardonner la gravité de ses propos. Puis elle prit contre son cœur Javier et l'y garda un instant, couvrant de baisers légers le petit front si doux.
:Laguerra: : Sois bien sage, mon ange! Si tu ne me vois pas demain, c'est que je serai partie faire un voyage... pour ma santé!
Là-dessus, Joaquim lui demanda:
Joaquim: Tu ira voir papa?
:Laguerra: : Oui, mon petit prince, je te le promets: j'irai voir ton papa et peut-être qu'alors je te le ramènerai...
Les larmes étaient trop proches et elle ne voulait pas que l'enfant les vît. Elle le confia à Carmina et, doucement, les poussa tous vers la porte que Antonio tenait ouverte. Le garde attendait sur le palier.
Quand celle-ci se fut refermée, Isabella demeura figée à la même place, écoutant décroître, sur les degrés de pierre, les pas curieusement alourdis de sa servante. Et puis, il y eut le bruit du lourd vantail donnant sur la cour... Isabella était seule à présent, seule en face d'elle-même, de son passé, de ses fautes, de ses amours réelles ou simulées.
Tout cela n'était qu'un affreux gâchis et il eût mieux valu qu'à Akkad, Ambrosius ne lui sauve pas la vie.

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Il y aurait beau temps alors que son corps se serait décomposé au fond de ce puits, dans la montagne de la lune. Elle ne serait pas tombée amoureuse de Juan... Les enfants ne seraient pas nés. Mais Isabella était moins inquiète pour ses garçons que pour ses filles. Pablo, Joaquim et Javier vivraient protégés par le double amour de Don Luis de Quijada et de sa femme Madalena de Ulloa, couple sans enfant. Tandis que Paloma et Elena, si leur père ne quittait pas le refuge illusoire de son prieuré pour veiller lui-même sur ses deux brunettes, elles n'auraient que Carmina, déjà âgée, et aussi les braves gens de l'hacienda. Mais l'Empereur aurait-il pitié de ces petites doublement orphelines?
Lorsque le supérieur du petit couvent enfermé dans les murs du château pénétra dans sa prison pour entendre sa confession, il trouva Isabella assise sur son lit, les mains posées calmement sur ses genoux.
La confession dura longtemps. Pour être comprise de cet homme simple qui n'avait guère à juger que les péchés des gardes du palais et des serviteurs, la jeune femme dut lui raconter une grande partie de sa courte vie. En passant par les mots, cela paraissait tellement étrange, tellement anormal, qu'elle comprit parfaitement l'air effaré du moine... Horrifié quand elle évoqua ses étranges relations avec le pape, il demanda:
:shock: : Êtes-vous sûre, ma fille, de ne rien inventer? Notre Saint-Père ne saurait observer si noir comportement?
:Laguerra: : Je ne suis pas surprise de votre réaction, sire abbé. Mais vous n'êtes pas Italien. De là vient toute la différence. J'essaie simplement de vous faire comprendre pourquoi j'ai dû commettre tant de fautes et je vous demande de les pardonner aussi sincèrement que je les regrette. Songez que demain, peut-être, je vais comparaître au tribunal de Dieu. Mais Lui n'aura pas besoin d'explications...
Le religieux reparti, l'aventurière, tout son courage revenu, mangea de bon appétit la fricassée de canard et de pâté de veau que le bon Antonio lui servit avec une belle salade et des pâtes sucrées et frites accompagnés d'un pichet de vin frais. Un petit panier de noix achevait ce festin auquel la jeune femme fit honneur en refusant d'entendre les reniflements de son geôlier et de voir ses yeux, presque aussi rouges que ceux de Carmina. Après quoi, elle se coucha et s'endormit aussi tranquillement que si le lendemain devait être un jour comme les autres...

☼☼☼

Levée avec l'aube pour une longue et minutieuse toilette, Isabella revêtit ses vêtements usuels qu'elle aimait particulièrement. Incapable de se faire à elle-même une de ces coiffures pour lesquelles il faut l'aide d'une suivante, elle lissa soigneusement ses épais cheveux noirs, puis tressa deux nattes qu'elle épingla sur sa nuque en un lourd chignon qu'aucune lame ne pourrait traverser. C'était sa façon à elle de défier la mort. Après quoi, elle attendit qu'on vienne la chercher.
L'aventurière savait qu'elle était autorisée à entendre la messe dans la chapelle dédiée à Saint Agathe, l'oratoire préféré du roi, qui se trouvait au nord de la première cour, près du donjon. Berenguer et Álvarez, eux, l'entendraient dans celle du château qui faisait suite aux appartements royaux.
Isabella appréciait cette disposition qui la mettait à l'abri d'une rencontre avec ces deux hommes acharnés à sa perte. En traversant la cour d'honneur pour passer dans la première, elle aperçut devant le logis royal une tribune, tendue aux couleurs d'Espagne. Un vaste espace, délimité par des cordes de soie reliant quatre lances fichées en terre, avait été préparé. Le combat, en effet, aurait lieu à l'épée et à la dague afin que l'on sût bien qu'il ne s'agissait pas d'un tournoi. Sous ce froid soleil matinal, les tentures rouge et or donnaient tout de même à ces préparatifs un air de fête.
Cependant, des ordres avaient dû être donnés pour qu'à l'exception de son escorte armée, Isabella ne rencontrât personne. Dans la chapelle, ne se trouvaient qu'un vieux prêtre et son acolyte devant qui elle s'agenouilla pour suivre pieusement l'office divin et recevoir la Sainte Communion. Après quoi, par le même chemin, on la ramena dans sa chambre, sans rencontrer davantage âme qui vive. Le château, en dehors des sentinelles qui veillaient aux murs d'enceinte, semblait plongé dans une profonde torpeur.
Comme à son arrivée, un repas léger de miel, de lait, de pain et de beurre l'attendait, et elle en consomma une bonne partie pour s'assurer qu'aucune défaillance ne viendrait la trahir. Le combat devait avoir lieu en fin de matinée, à la dernière heure avant le milieu du jour, et il ne restait plus beaucoup de temps. Aussi vérifia-t-elle sa coiffure, puis elle se lava les mains. Elle était prête maintenant à subir son sort quel qu'il fût... Et elle se sentait l'âme en paix. Il ne lui fallait plus qu'un peu de courage car elle allait devoir mourir sans montrer de faiblesse. Isabella pensait qu'elle le devait au nom qu'elle portait autrefois, à la mémoire de son père adoptif.
L'aspect de la cour cernée par les bâtiments rose et blanc du château lui parut bien différent de ce qu'il était un peu plus tôt lorsqu'à l'heure prescrite, elle fut conduite à la place préparée pour elle: un siège élevé d'une marche situé à la droite et un peu à l'écart de la tribune royale, à présent emplie d'hommes vêtus de sombre entourant le fauteuil surélevé de Charles Quint. Si celui-ci portait encore le collier de la Toison d'Or, ses vêtements, par extraordinaire, étaient de velours noir comme le chapeau orné de médailles dont le bord baissé à l'avant accusait la ligne de son nez.
Sa fille le salua comme il convenait, puis se dirigea vers sa place. C'est alors seulement qu'elle aperçut le bourreau. Tout vêtu de rouge, sa longue épée sur l'épaule, il avait dû prendre la suite du petit groupe quand il avait quitté la prison, mais Isabella ne l'avait pas remarqué.
En dépit de son courage, elle se sentit pâlir quand il s'installa à deux pas d'elle, les mains appuyées sur la poignée de l'arme dont la pointe était plantée en terre. Alors, elle s'obligea à regarder droit devant elle l'espace délimité par les cordes de soie. L'un des côtés, vers l'entrée du château, restait ouvert, mais, à l'exception de ce passage, la lice était entourée par une file de gardes dont les armures polies étincelaient au soleil sous la cotte d'armes. Hélas, Adrien de Croÿ n'y figurait pas, et pas d'avantage Miguel dans la troupe réduite des conseillers du roi. Aucun public en dehors de ceux-ci, même la herse était baissée entre les deux cours du palais. Enfin, debout devant la tribune elle-même adossée au logis royal, il y avait le garde des sceaux Granvelle, juge du combat...
Auprès de lui quatre trompettes et, un peu plus loin, quatre tambours habillés de crêpe noir.
Nicolas Perrenot se tourna lentement vers l'Empereur qu'il salua avec la raideur d'un vieux soldats:
NPG: Plaise au Roi ordonner que les combattants entrent en lice?
D'un signe de tête et d'un geste de la main, Charles Quint approuva. Un instant plus tard, annoncés par un roulement de tambour, Jaume Berenguer et García Álvarez effectuaient leur entrée et venaient mettre genou en terre devant le souverain. Tous deux avaient revêtu la tunique de cuir et la demi-armure qui convenaient au combat à pied. Derrière eux, un écuyer portait deux épées et deux dagues. Leur cuirasses leur avaient été prêtées car il n'en possédaient pas, du moins en Catalogne pour García Álvarez de Tolède, dont les armoiries avaient été peintes sur le petit bouclier qui lui servirait à se défendre. Jaume, n'étant pas noble, n'avait rien fait peindre. Tous deux affichaient une affreuse pâleur.
À ce moment, la herse se releva pour donner passage au petit cortège de prêtre et du Saint-Sacrement devant lequel les assistants s'agenouillaient au fur et à mesure. Mais à quelques pas derrière les religieux, une petite fille marchait en priant. Son grand hennin ennuagé d'azur et sa robe contrastaient avec les tenues funèbres de l'entourage impérial. Isabella la reconnut avec un battement de cœur: c'était la seconde fille légitime du roi, Jeanne d'Autriche, infante d'Espagne. Et, de toute évidence, cette venue contrariait fort son père. Après que l'ostentatoire eut été déposé sur un autel portatif drapé d'or et installé par deux moines, l'Empereur s'écria:
C.Q: Pâques-Dieu, ma fille, que venez-vous faire céans?
La jeune princesse, pliant le genou avec humilité, leva courageusement vers son père son visage et ses yeux magnifiques dont la couleur était celle du grand ciel bleu de ce matin.
Jeanne: Je n'en sais rien encore, Sire mon père, mais il m'a semblé que je devais venir vers vous dès l'instant où vous en appeliez à Dieu pour vous assister dans votre jugement.
C.Q: Comment, diantre, avez-vous appris ceci au fond de votre château de Madrid?
Jeanne, qui ne savait pas mentir, fit:
Jeanne: J'ai reçu une lettre, il y a un mois peut-être...
C.Q: De qui, cette lettre?
Jeanne: Souffrez que je diffère ma réponse jusqu'à l'issue de ce combat...
C.Q: Comme il vous plaira! D'ailleurs, je m'en doute. Eh bien, puisque vous voilà, venez prendre place auprès de moi et passons à ce qui nous occupe ce matin.
Son regard sombre revint se poser sur les deux hommes toujours à genoux:
C.Q: Maintenez-vous vos accusations contre la señora Mendoza ici présente?
Seul Jaume répondit "oui" d'une voix assez ferme. Son compagnon, dont les dents claquaient en dépit de la relative douceur de cette matinée, se contenta d'un signe de tête, incapable de parler.
C.Q: Vous vous êtes confessés, vous avez ouï messe et avez reçu la Très Sainte Communion? Et, néanmoins, vous maintenez vos dires?
Ils répondirent de la même façon. L'œil du roi fulgura, mais il permit aux coins de sa bouche d'esquisser un sourire. Narquois, il fit:
C.Q: Nous croyons savoir pourquoi vous montrez tant d'assurance et tant de courage, bien aventuré d'ailleurs! Vous pensez que Messire De Rodas et Messire du Rœulx ayant été refusé comme champions de celle que vous accusez, personne ne viendra aventurer sa vie pour une si mauvaise cause? Alors, regardez! Et vous trompettes, sonnez! Je crois qu'il nous vient là un chevalier!
La herse, en effet, se relevait encore et laissait passer trois cavaliers: l'un en tenue de voyage, les deux autres en armure... et une immense joie inonda le cœur d'Isabella: car si les deux premiers, portant des aigles d'argent sur leurs cottes d'armes, étaient Miguel et le grand prévôt, Adrien de Croÿ, le troisième se trouvait être... Juan...
Les trois hommes mirent pied à terre la porte franchie et marchèrent ensemble vers la tribune devant laquelle Jaume Berenguer et García Álvarez les regardaient approcher avec une vague épouvante, persuadés sans doute que les règles du combat allaient se retourner et qu'ils auraient au moins à affronter les deux guerriers. Parvenus devant le roi, tous trois saluèrent d'un même mouvement et Adrien de Croÿ parla:
Rœulx: Sire, Messire De Rodas et moi-même avons accompli la mission dont le Roi nous avait fait l'honneur de nous charger. Plaise à notre Sire de recevoir le señor Mendoza, son beau-fils qui vient par-devers vous, de sa libre volonté, pour défendre la cause et la vie de sa femme injustement accusée. Il accepte naturellement le combat à outrance.
De sa place, apercevant le profil de Juan, Isabella sentait son cœur fondre d'amour. Jamais il ne lui était apparu plus magnifique et plus fier! Charles Quint se pencha vers lui, un coude appuyé sur l'un de ses genoux:
C.Q: Il nous plaît de vous accueillir en cette lice, mon gendre. Nous estimons, en effet, que vous deviez apprendre le grave danger couru par votre épouse... du fait de son imprudence.
:Mendoza: : Si ce que l'on m'a dit est exact, Sire, et je n'ai aucune raison d'en douter, je ne vois ici aucune imprudence mais innocence surprise et c'est avec joie que je vais combattre, avec la permission du Roi - et ensemble - ces deux hommes qui ont osé l'accuser pour les motifs les plus bas: la jalousie et la cupidité...
C.Q: Un instant! Avant que vous n'entriez en lice, il est bon que nous éclairions votre position par-devers nous. À Emden, vous avez été condamné à mort une première fois par la régente de Frise orientale, Anne d'Oldenbourg, pour vous être opposé à l'arrestation d'un Juif. Vous avez été emprisonné dans la forteresse de la ville...
Comme le capitaine ouvrait la bouche, le roi gronda:
C.Q: Accordez-nous de parler sans être interrompu, s'il vous plaît!... Suite à de féroces négociations, l'archiduchesse Marie avait obtenu votre grâce, mais vous vous êtes évadé. Est-ce bien exact?
Mendoza esquissa un salut pour montrer qu'il était d'accord.
C.Q: Une seconde fois, ici même à Barcelone, notre vice-roi vous a frappé d'une sentence de mort pour avoir tué un garde forestier. Cette fois, compte tenu des circonstances - notamment avec le suicide de votre compagne de voyage - c'est notre seule volonté qui vous a épargné la vie pour ne pas faire pleurer les beaux yeux de ma fille...
:Laguerra: : Une compagne? (Pensée).
C.Q: Cependant, vous êtes toujours à nos yeux un prisonnier en fuite et, comme tel, nous sommes en droit de vous punir si d'aventure vous remportez ici la victoire. Nous espérons que nos messagers vous ont clairement exposé la situation...
Un étroit sourire éclaira la bouche altière de l'Espagnol:
:Mendoza: : Je n'ignore rien de ce qui m'attend. Messire du Rœulx, en particulier, s'est montré on ne peut plus clair sur ce point. Aujourd'hui, une seule chose m'importe: arracher à ce bourreau que je vois auprès d'elle la femme qui porte mon nom et qui m'a donné un autre fils...
C.Q: Un fils que vous ne sembliez pas autrement pressé de connaître? Non seulement vous faites un étrange époux, mon gendre, mais vous êtes aussi un curieux père...
:Mendoza: : Ceux qui entendaient rester fidèles à leur vie d'antan vivent des temps cruels, Sire Roi! Pour ma part, j'ai choisi de servir Dieu! Lui seul me semblait assez grand...
C.Q: Pour avoir droit à votre hommage? Encore que ce ne soit guère aimable pour notre personne, nous sommes loin de vous reprocher d'avoir choisi si haut seigneur, un seigneur dont nous, rois et princes, ne seront jamais que les humbles valets. Mais nous ne sommes pas certain que ce choix si noble efface le serment prêté devant un autel à une damoiselle qui était en droit d'attendre de vous amour et protection.
:Mendoza: : Je n'ai pas oublié et c'est pourquoi je vais combattre pour elle...
C.Q: Deux adversaires à la fois, songez-y! Nous savons que ce n'est guère conforme aux règles mais, ne doutant pas de votre venue et connaissant votre valeur, il nous est apparut qu'ainsi les forces seraient plus égales...
En regardant ses adversaires, le sourire de Mendoza se chargea d'un indicible dédain:
:Mendoza: : Il y a quelques années, il me semble avoir vu jouter à la cour du vice-roi, Messire Berenguer et je crois lui avoir dit alors ce que je pensais de... ses talents guerriers. L'autre, je ne le connais que pour l'avoir entendu mentir...
Jaume: Insupportable prétentieux! Je vais te montrer de quoi je suis capable. Souviens-toi que seule la volonté de la comtesse m'a empêché alors de te couper les oreilles!
:Mendoza: : Une volonté qui tombait bien à propos. Quant à mes oreilles, je pense qu'elles n'ont pas grand-chose à craindre. Quand vous voudrez, Messires?
Des mains de son frère, Juan prit son épée puis, de celles d'Adrien de Croÿ, son écu.

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Après un dernier salut au roi, il alla s'agenouiller brièvement devant le Saint-Sacrement pour recevoir la bénédiction du prêtre. Les deux autres le suivirent, le malheureux conseiller sur des jambes mal assurées qui firent sourire Miguel. Enfin, tous trois vinrent se remettre aux ordres du prévôt, Adrien de Croÿ qui, retrouvant sa place, allait remplacer Granvelle afin de diriger le combat et leur énoncer les règles strictes. À ce moment, la voix de Charles Quint se fit entendre:
C.Q: Encore un instant! Revenez ici, Messeigneurs!
Quand ils furent de nouveau alignés devant lui, le roi s'accorda le plaisir de les dévisager à tour de rôle puis, arrêtant son regard aigu, si difficile à soutenir, il dit doucement à son beau-fils:
C.Q: Señor Mendoza, il n'y a jamais eu de griefs sérieux entre nous et nous estimons trop votre bravoure pour vous infliger l'affront de combattre García Álvarez qui, bien que militaire, n'est rien d'autre que notre conseiller et dont nous n'avons pas pu nous résigner à faire un chevalier de la Toison d'Or. C'est un pleutre, indigne de porter les armes. Vous n'affronterez donc que le secrétaire de la comtesse Pimentel...
Le soulagement du conseiller fut tellement évident qu'un rire discret parcourut l'assemblée. Mais Mendoza ne rit pas:
:Mendoza: : S'il a insulté ma femme, il mérite la punition que je vais lui infliger en lui coupant la gorge. Pour cela, la dague seule suffira et je ne souillerai pas mon épée...
C.Q: Tout beau, tout beau! Pâques-Dieu, mon gendre, nous comprenons votre colère, mais ne nous privez pas de lui!
Avec une certaine dureté, il ajouta:
C.Q: Néanmoins, les vilenies prouvées de García Álvarez lui vaudront d'être emprisonné en nôtre château pour autant qu'il nous plaira. Ensuite, si nous décidons de le rendre à la lumière, il devra expier le parjure dont il s'est rendu coupable devant Dieu en allant prier au tombeau de Monseigneur Saint Jacques à Compostelle de Galice. Emmenez-le, señor De Rodas, en attendant que notre grand prévôt ait loisir de s'occuper de lui!
Adrien de Croÿ, seigneur de Beauraing et comte du Rœulx, soupira:
Rœulx: Ce sera une joie, Sire! Plaît-il à Sa Majesté que le combat commence, à présent?
Le roi fit un geste signifiant qu'il n'avait plus rien à dire tandis que l'on emmenait le conseiller hurlant et gigotant. Sa joie avait été de courte durée. Cependant, Mendoza se dirigeait vers Isabella et, prenant son épée par la pointe, la lui tendit pour qu'elle posât un instant ses doigts sur le pommeau, comme le voulait une tradition ancienne. Peu s'en était fallu que l'on ne la respectât pas, il semblait que ce matin, les traditions n'eussent pas la part belle. Juan tenait à celle-ci. Pour être entendu de tous, il fit à très haute voix:
:Mendoza: : Señora Mendoza, m'acceptes-tu pour ton champion?
Elle toucha l'arme d'une main tremblante et, à travers les larmes qu'elle ne pouvait retenir, offrit à son époux un regard rayonnant d'amour.
:Laguerra: : Oui... mais pour l'amour de Dieu, veille sur toi-même car, s'il t'arrivait malheur, ce serait moi qui appellerais la mort...
Le capitaine eut un bref sourire et ajouta, à voix basse:
:Mendoza: : Je t'en supplie, même si tu me vois tomber, ne viens pas te jeter entre les épées car je n'aimerais pas vivre une telle scène...
Puis il rejoignit son adversaire, tandis que les tambours faisaient entendre un roulement lent et tellement sinistre qu'il glaça le sang de l'aventurière. Jaume, elle s'en doutait, n'était pas un ennemi négligeable. À la cour, n'ayant rien de mieux à faire, il pratiquait les armes, art que Juan n'avait sans doute guère approché depuis plusieurs mois. Une prière fervente et silencieuse jaillit de son cœur vers le ciel bleu:
:Laguerra: : Pas pour moi, Seigneur, mais pour Vous puisqu'il Vous a choisi, faites qu'il vive!
À cet instant, Isabella pensa que l'amour était une fleur dangereuse qu'il ait fallu ne jamais cueillir... Au moment où les tambours s'arrêtèrent, le grand prévôt cria:
Rœulx: Laissez aller les bons combattants et que Dieu y ait part!
Comme dans une figure de danse bien réglée, les deux armes se levèrent en même temps et Isabella enfonça ses ongles dans sa main, le cœur étreint d'une angoisse mortelle car le combat commença avec une extrême violence. Sans même prendre la peine de s'étudier mutuellement, les deux hommes se jetèrent l'un sur l'autre résolus à s'exterminer, donnant la juste mesure de la haine qu'ils se portaient.
Isabella aurait voulu fermer les yeux, ne rien voir, mais cela lui était impossible, il lui fallait regarder... Parfois, son regard glissait, plein d'appréhension, vers le visage immobile de son père dans lequel, seuls, les yeux semblaient vivre. Ils étincelaient, ces yeux, en suivant les phases de la lutte qui, pour son âme guerrière, devait être un spectacle de choix.

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Sous les coups d'épée, où naissaient parfois des étincelles, les boucliers sonnaient comme des cloches, mais il fut vite évident que Juan avait l'avantage de la taille et aussi de la force. Ayant esquivé avec adresse une botte sournoise dirigée vers son ventre, il se rua vers son adversaire et ses coups se mirent à pleuvoir aussi drus que grêle en avril. Jaume reculait, reculait, s'efforçant de protéger sa tête et ne parvenant même plus à porter le moindre coup. Il fut sauvé lorsqu'il toucha les cordes d'enceinte: le juge ordonna à Mendoza de lui laisser reprendre un peu de champ. Celui-ci obéit et sauta en arrière. L'autre en profita pour se ruer derrière son épée comme un bélier avec l'intention évidente de reprendre le coup manqué un moment plus tôt: lui transpercer le ventre au défaut de protection. Ce fut si soudain que l'aventurière ne put retenir un cri, mais son époux avait trop l'expérience des diverses formes de combat pour se laisser surprendre. Il esquiva le coup avec la souplesse d'un danseur et le secrétaire, emporté par son élan, faillit transpercer Adrien de Croÿ qui le repoussa avec vigueur. Jaume marmotta une excuse puis tourna les talons pour faire de nouveau face à l'Espagnol, mais déjà celui-ci était sur lui. Lâchant son épée, il envoya à son adversaire un coup de poing qui le jeta à terre. Puis il bondit sur lui et, tirant sa dague, s'apprêta tranquillement à lui trancher la gorge en ironisant:
:Mendoza: : Je savais bien qu'un scribouillard Flamand n'était pas de taille contre un marin Catalan. Fais ta prière!
Jaume: Grâce! Grâce!... Pitié! Oui, j'ai menti pour que l'Empereur croie que votre femme complotait avec le roi de France... Mais...
:Mendoza: : Si tu as encore beaucoup de choses à dire, dépêche-toi car je n'ai plus de patience pour toi...
Jaume: L'enfant... existe... mais je n'en suis pas le père! Grâce! J'ignore qui est-ce...
:Mendoza: : Triple buse! Qui veux-tu que ce soit? Cet enfant est le mien!
Mendoza venait de lever sa dague. Un cri du roi le retint...
C.Q: Halte!
Sans lâcher son ennemi vaincu, Juan tourna la tête vers la tribune.
:Mendoza: : Le combat devait être à outrance, Sire, je le rappelle. La vie de cet homme m'appartient.
C.Q: Alors, accordez-la nous! C'est un misérable et Dieu à bien jugé, mais il touche à la famille Pimentel d'assez près. Nous n'aimerions pas offenser plus qu'il ne faut la comtesse qui a notre amitié.
Le capitaine se releva, mais il ne remit pas sa dague au fourreau et garda un œil sur le vaincu:
:Mendoza: : À la volonté du Roi! Mais puis-je demander ses intentions?
C.Q: Il va rejoindre le vice-roi en son château sous bonne garde et muni d'une lettre de nous exposant ce qui vient de se passer. Nous serions fort surpris si la comtesse ne lui réservait pas quelques manifestations de mécontentement. Gardes! Ramenez-le à sa chambre où il restera au secret jusqu'au départ.
Pendant ce temps, comprenant qu'il n'avait plus rien à faire céans et que sa présence n'était plus souhaitable, le bourreau s'inclina devant Isabella et, son épée sur l'épaule, repartit vers la tour de la Justice dans la première cour. La jeune femme, elle, mourait d'envie de s'élancer vers son mari, mais elle n'osait bouger sans la permission du monarque. Elle répondit d'un gracieux mouvement de tête au salut de l'exécuteur et attendit. Mendoza, cependant, s'avançait tout près de la tribune royale, mais sans mettre genou en terre comme l'usage l'eût exigé:
:Mendoza: : La vie et l'honneur de mon épouse sont saufs, Sire, comme Dieu l'a voulu. Quant à moi, je suis à présent le prisonnier du Roi!
C.Q: C'est bien ainsi que nous l'entendons, mais, avant d'en décider, répondez à une question! Si nous vous rendions la liberté à présent, qu'en feriez-vous?
:Mendoza: : Je retournerais d'où je suis venu, Sire!
:Laguerra: : Oh!...
Bien que légère, la plainte d'Isabella fut perçue par le roi qui, d'un geste, lui imposa le silence.
C.Q: Vous retourneriez au couvent?
:Mendoza: : Oui, Sire. Je n'ai plus envie de servir quelque maître que ce soit sinon Dieu. Que le Roi me pardonne!
C.Q: Nous ne pouvons vous reprocher un si haut dessein, mais cette liberté n'était qu'une supposition. En fait, nous vous donnons le choix entre deux perspectives: ou bien vous regagnez l'hacienda avec votre femme, vos enfants et vous promettez de vous y tenir tranquille, ou bien vous avez devant vous de longues et joyeuses années au palais royal de Barcelone, dans l'une de nos cages. Viens là, Isabelle!
La jeune femme s'avança lentement auprès de son mari qu'elle n'osa pas regarder. Levant sur son père ses yeux emplis de larmes courageusement contenues, elle fit:
:Laguerra: : Sire! Je supplie mon père de ne pas contraindre mon époux à un choix pénible. Qu'il lui accorde permission de retourner au prieuré s'il le souhaite!
C.Q: Et toi, que deviendras-tu?
:Laguerra: : Ce qu'il plaira au Roi que je devienne, mais je le conjure de m'accorder de vivre en paix. Je suis infiniment lasse...
C.Q: On le serait à moins! De toute façon, tu conserveras le manoir qui t'a été donné à titre définitif pour toi-même et tes descendants. Mais... voyons un peu ce qui nous arrive là!
Ce qui arrivait, c'était la princesse Jeanne qui, à la fin du combat, avait quitté la tribune après que son père lui eut parlé à l'oreille. Par la main, elle tenait sa nièce, la petite Paloma. Carmina la suivait, Javier dans ses bras et une grande partie des familiers du capitaine derrière elle...
Comme chacun, Mendoza avait tourné la tête dans la direction où regardait Charles Quint. Le groupe, assez charmant, le figea. Jeanne, alors, s'arrêta et dit doucement:
Jeanne: Veux-tu aller embrasser ton père?
La petite fille, regardant avec émerveillement ce grand homme tellement semblable au souvenir qu'elle en gardait, n'hésita pas un instant. Tendant ses petits bras, elle courut vers lui cependant que Juan s'agenouillait pour la recevoir, sans la serrer trop fort car le contact de la tunique trempée par l'effort n'avait rien d'agréable. Mais il l'embrassa avec ferveur et fit de même en voyant pour la première fois le petit être endormi dans les bras de Carmina, ce qui fit sourire son beau-père. Ce dernier se garda de souligner les deux larmes qui glissaient sur les joues de l'intraitable bretteur. Charles Quint soupira:
C.Q: Je crois que la cause est entendue!
Se levant péniblement de son trône, il descendit les trois marches qui joignaient la tribune au sable de la cour. Sévèrement, il dit à son gendre:
C.Q: Nous ne vous demanderons pas de nous prêter serment d'allégeance. Mais nous exigeons de vous promesse formelle de ne plus chercher aventure aux quatre coins du monde.
Mendoza, déposa son fils dans les bras de sa servante tandis que Paloma en profita pour courir vers sa mère. Lentement, le capitaine mit un genou en terre et tendit le bras:
:Mendoza: : Sur mon honneur et le nom que je porte, Sire. J'en fais serment.
C.Q: Nous vous en remercions! Eh bien, Isabelle, te voilà en famille. C'est à toi que nous confions ce rebelle! C'est toi qui en sera la gardienne et nous ne doutons pas...
:Laguerra: : Non, père, par pitié! Je ne veux pas de cette responsabilité...
C.Q: Tu en feras ce que tu veux! Nous vous donnons le bonsoir.
Se tournant vers Jeanne, il ajouta:
C.Q: Eh bien, ma fille, êtes-vous contente de nous?
Jeanne: Oui, Sire! En vérité, je n'ai jamais douté de votre justice. Mais pourquoi avoir infligé à ma sœur cette longue pénitence, cette angoisse aussi de craindre pour sa vie? Aviez-vous vraiment besoin d'en appelez à Dieu?
Tout en parlant, elle et le monarque s'éloignaient vers le logis royal. Charles Quint sourit et, baissant la voix, se pencha pour être mieux entendu:
C.Q: Bien sûr que non! J'ai vite compris que votre sœur était victime d'une conspiration, mais il fallait que tous la crussent en danger de mort pour obtenir de son entêté de mari qu'il sorte de sa tanière...
Jeanne: Mais elle? Pourquoi ne pas l'avoir avertie?
C.Q: Parce que, tout de même, cette malheureuse a commis assez de sottises pour mériter une petite leçon. Et je vous défends bien de lui dire quoi que ce soit. Je n'aime pas beaucoup expliquer les méandres de mes pensées! À présent, ma fille, allons nous mettre à table! En vérité, tout ceci m'a donné grand appétit!

☼☼☼

Isabella, avec Juan, ses enfants, Zia et Carmina, revenaient à cheval vers l'hacienda, mais les deux époux n'avaient pas encore échangé une seule parole. Mendoza tenait Javier et ne se lassait pas de le contempler. Néanmoins, Isabella se sentait triste car son époux n'avait pas eu le moindre élan vers elle. Avec le petit, il semblait s'enfermer dans un monde à lui, un monde où il n'y avait guère de place pour elle...
Aussi, quand on atteignit l'allée de chênes moussus qui menait au domaine, elle se rapprocha de lui. D'une voix qui ne trembla pas, ce dont elle lui fut reconnaissante, elle dit:
:Laguerra: : Juan! Avant que tu ne pénètres dans cette maison et puisque le roi m'a donné tous pouvoirs sur ton destin, je veux te dire...
:Mendoza: : Quoi donc?
:Laguerra: : Je veux dire que tu es libre, entièrement libre! Si tu veux retourner à Gérone, tu n'auras aucune explication à me donner!
:Mendoza: : Si je comprends bien, tu ne tiens pas à m'offrir l'hospitalité?
:Laguerra: : Tu es fou! Bien sûr que si! C'est mon vœu le plus cher!
:Mendoza: : Mais tu entends en jouir seule, comme d'ailleurs du manoir et aussi de cet adorable bout d'homme? Tu me chasses, en quelque sorte? Il est vrai que je l'ai largement mérité et que tu as tout les droits de refuser de vivre avec moi.
Il avait mis pied à terre et, confiant Javier à Carmina, il offrait la main à Isabella pour l'aider à descendre de cheval. Elle eut comme un éblouissement. Il la regardait comme autrefois avec, dans ses yeux noisette, cette tendresse un peu railleuse qu'elle aimait à y voir et, surtout, surtout, il lui souriait...
:Laguerra: : Je n'ai jamais souhaité que vivre auprès de toi, Juan!
Il ne lâcha pas sa main et l'attira à lui:
:Mendoza: : Tu sais que je suis un homme impossible?
:Laguerra: : Je le sais, mais je ne suis pas, moi non plus, un modèle de patience...
:Mendoza: : Je crois m'en souvenir. Veux-tu tout de même que nous essayions de reformer un couple et de vivre ensemble... jusqu'à ce que la mort nous sépare?

89.PNG

Pour toute réponse, elle se blottit contre lui, tandis que Tao, Estéban et les habitants de l'hacienda accouraient joyeusement pour souhaiter à tout le monde la bienvenue.
:Laguerra: : Jusqu'à ce que la mort nous sépare...
Isabella répéta avec ferveur.
:Laguerra: : Crois-tu que nous pourrions y arriver?
:Mendoza: : Je viens de te le dire: on peut toujours essayer...
Et, serrés l'un contre l'autre, ils pénétrèrent dans le logis embaumé par l'odeur des gâteaux que Jésabel venait de sortir du four...


À suivre... ou pas...
:tongue: :tongue: :tongue:
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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yupanqui
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par yupanqui »

Oh happy Day !

Bravo pour cette magnifique story qui (nous) m’aura tenu en haleine !
Et bravo pour les illustrations.
J’aime beaucoup celle d’Isa sur son lit en attente du procès.
« On sera jamais séparés » :Zia: :-@ :Esteban:
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par Akaroizis »

Ou pas ? Nous n'aurions plus droit à tes écrits ? :cry:
:x-):

Si c'est vraiment la fin, elle est bien. c: Personne ne peut espérer mieux, pour cette famille !
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par TEEGER59 »

Merci les garçons! J'ai commencé l'épilogue hier soir mais me connaissant, je vais encore écrire un bouquin entier...
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
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Re: Chroniques Catalanes. Les lettres de mon marin.

Message par Akaroizis »

Ah '-' :x-):
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

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