Bon, quand je disais que je ne vous ferais pas trop attendre...Merci fidèles lecteurs pour vos commentaires, vous avez bien fait de les poster, du coup ça m'a donné envie de continuer
Alors je continue...
Chapitre 20: Tout vole et s'envole.
Première partie.
Gonzales courait à petites foulées vers les bois qui dissimulaient le condor, quand il perçut un mouvement sur sa gauche. Quelqu’un approchait. Immédiatement, il sut de qui il s’agissait, mais il continua comme s’il n’avait rien remarqué, tout en accélérant imperceptiblement son allure pour tenter de fatiguer son poursuivant avant la confrontation inévitable. Bientôt, Mendoza fut assez proche pour qu’il entende ses pas heurter le sol. Il tourna alors la tête pour jauger l’état d’esprit du capitaine, et ne fut pas surpris de lire sur son visage l’envie d’en découdre. Il se mit alors à ralentir, tout en continuant à le regarder, comme s’il hésitait et ne savait quelle attitude adopter. Mendoza tira son épée et ralentit lui aussi son allure, au point de finir par marcher à pas pressés. Gonzales s’arrêta et le héla.
G : Que me voulez-vous ? Si vous désirez vous battre, sachez que je n’en ai nulle envie !
M : Vous n’êtes pas contre un peu d’exercice…
G : Vous n’êtes pas drôle ! Cessez vos enfantillages ! Je n’ai aucune raison de me battre contre vous !
M : Je vous ai dit que mon bain de ce matin m’avait remis les idées en place…
G : J’ai plutôt l’impression que vous avez perdu la tête ! Je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous et Isabella, mais elle avait l’air de vous en vouloir, et cela a manifestement obscurci votre jugement…
M : Battez-vous, ou je vous tue froidement !
G : Très bien, mais expliquez-moi d’abord pourquoi vous m’en voulez. Vous avez très bien vu que c’est elle qui a voulu ce baiser. Je vous jure que je n’y suis pour rien, et vous le savez parfaitement. Elle l’a fait pour vous provoquer, à l’évidence. Mais si vous voulez vous défouler sur moi….
Il ouvrit les bras comme pour inviter Mendoza à le frapper. Ce dernier leva son épée et sembla vouloir l’abattre sur le jeune métis, mais arrêta son geste et, pointant son arme en direction de la poitrine de Gonzales, se campa sur ses deux jambes avant de s’exprimer d’une voix sourde.
M : Vous avez raison, je vous dois des explications. Je ne supporte plus votre regard, vos manières, qui me rappellent notre geôlière.
G : Vous voulez parler de cette femme…Hava ? Je ne comprends pas. Décidément, vous n’êtes pas dans votre état normal.
M : Vous lui ressemblez plus que vous ne le pensez.
G : C’est-à-dire ? Votre remarque n’a rien de plaisant.
Il croisa les bras sur sa poitrine.
M : Inutile de jouer les innocents. Vous êtes de mèche tous les deux.
G : Tiens donc ? Parce que j’ai le malheur d’avoir un regard semblable au sien, selon vous, je devrais être sa complice ? Vous rendez-vous compte de l’absurdité de vos propos, et de leur caractère offensant ? Qu’ai-je donc fait pour mériter vos soupçons ? Vous feriez mieux de vous excuser, avant que je perde patience. Je ne pensais pas un jour être traité aussi injustement. Vous voulez mon avis ?
M : Votre avis m’importe peu. Battez-vous !
G : On dirait que vous cherchez la mort…mais je ne veux pas vous la donner, pas après vous avoir sauvé. Pensez-vous donc avoir perdu Isabella à jamais, pour être si désespéré ? Quoi que vous ayez fait, elle vous pardonnera, n’en doutez pas ! Si vous saviez comme elle m’a traité tout à l’heure….
M : Taisez-vous !
Rien ne semblait devoir fléchir la résolution de Mendoza qui s’avança d’un pas, obligeant Gonzales à se reculer pour éviter que la pointe de l’épée ne touche sa poitrine. Il décroisa les bras et répondit d’une voix lente.
G : Est-ce donc parce que vous ne pouvez vous en prendre à Hava que vous vous en prenez à moi ? Ou parce que vous n’avez pas le courage de faire face à votre propre responsabilité ? Car je ne vois qu’une raison pour que vous soyez si obsédé par le regard de notre geôlière…
M : Allez vous vous taire !
Cette fois, Mendoza attaqua franchement en même temps qu’il hurlait son ordre. Gonzales s’y attendait et fit un bond de côté en tirant son épée.
G : Mendoza, ne m’obligez pas, je vous en prie…Pensez à Isabella…
Pour toute réponse, le capitaine renouvela son attaque, et le duel s’engagea.
G : Elle vous attend…Vous êtes le père de son enfant…Elle vous aime !
Il eut bien du mal à esquiver un coup qui aurait pu lui transpercer la rate. Rien ne semblait fléchir la détermination de Mendoza, qui se battait en silence, la rage au ventre. Gonzales se contentait de parer les coups. C’était trop bête. Voilà qu’il se forçait à contenir son envie de meurtre pourtant prête à se déchainer. Mais s’il tuait Mendoza, maintenant, que pouvait-il espérer ? Même si, avec le témoignage d’Isabella, il parvenait à convaincre les autres que Mendoza s’en était pris à lui sous le coup de la jalousie, jamais il n’obtiendrait son pardon, à elle. Il devait tenir bon, et se retenir pour parvenir à le blesser simplement, pour sauver sa tête et son plan. Mais Mendoza semblait infatigable, et ne commettait pas d’erreur.
G : Je vous en prie, Mendoza, par amour pour Isabella !
M : Notre amour est mort, et vous l’avez tué, vous et Hava ! Et maintenant, vous allez payer !
G : Vous ne savez plus ce que vous dites…la colère vous aveugle…ne m’obligez pas à vous faire du mal…
M : Battez-vous donc vraiment, si vous avez un peu d’honneur !
G : Comment pourrais-je me battre contre un homme à qui je dois la vie, et qui me doit la vie ?
M : N’ayez donc pas tant de scrupules, vous m’avez sauvé, je vous ai sauvé, nous sommes donc quittes et libres de nous entretuer si cela nous plait !
G : Cela ne me plait pas.
Et disant cela, il tenta d’enfoncer sa lame dans le bras de son adversaire, sans succès. Mendoza para fermement le coup et, dans le mouvement qu’il fit pour repousser l’épée de Gonzales, lui entailla la chair. Le jeune métis poussa un cri de surprise et de douleur, et la rage emplit ses yeux. Il recula, la manche rougie. La vue du sang sembla troubler Mendoza. Il se figea, suspendant sa nouvelle attaque. Haletants, les deux hommes se faisaient face.
M : Je vous prenais pour un adversaire plus redoutable. Vous êtes en train de gâcher tout mon plaisir. A Oran, à Lampedusa, vous vous battiez avec une autre ardeur !
G : Peut-être parce qu’il s’agissait de sauver la vie d’autrui, tout autant que la mienne. Je ne suis pas un assassin, et vous non plus.
M : C’est une question de point de vue, rien de plus. Chacun ses intérêts. En vous tuant, je me débarrasse d’une menace. Mais je pourrais vous épargner.
G : Je ne comprends rien à vos délires. Si vous voulez me tuer, faites-le, cela m’évitera de perdre définitivement toute l’estime que j’avais pour vous.
M : Je ne voudrais pas vous tuer avant d’entendre de votre bouche la vérité.
G : Quelle vérité ? Ce conte absurde à propos de mon regard ? Dans ma vie, j’ai dû lutter constamment contre la méfiance qu’inspiraient mon regard, et mes origines. Avec la plupart des gens, je ne pouvais espérer qu’une tolérance fragile, une indifférence prête à virer à la haine au moindre problème. C’est ainsi, j’ai l’habitude. Mais avec vous, j’avais cru gagner la confiance que seule l’amitié peut susciter. Je constate aujourd’hui que vous êtes comme tous les autres. Tuez-moi, vous dis-je. Vous me rendrez service.
M : Où étiez-vous en train d’aller ? Au condor ?
G : Oui. J’allais chercher Zia, pour qu’elle veille sur Isabella, puisqu’elle n’accepte plus notre présence, ni la vôtre, ni la mienne. Mais en quoi cela vous intéresse-t-il ? Vous avez plus l’air de vous préoccuper de me tuer que d’aider votre future femme.
Brusquement, le capitaine bondit sur lui. Gonzales eut tout juste le temps de lever son épée de son bras blessé. Au même instant quelqu’un cria le nom de Mendoza. L’épée de Gonzales vola et retomba à quelques mètres sur sa droite.
E : Mendoza ! Arrête !
Esteban et Zia surgirent du bois. En un instant, ils furent près des deux adversaires, qui n’avaient pas bougé. Mendoza tenait en respect Gonzales, qui était bien décidé de son côté à ne pas esquisser le moindre geste ni à tenter de fuir. Malgré la réaction brutale de Mendoza à ses dernières paroles, il était persuadé que ses propos avaient fait leur chemin dans son esprit, et que la situation était en train de se retourner à son avantage. Mendoza perdait son sang-froid, et ses certitudes. L’intervention du jeune couple n’allait que faciliter les choses.
E : Bon sang mais qu’est-ce qui vous prend à tous les deux ? Vous êtes devenus fous ? ! Expliquez-vous !
Le jeune homme se plaça entre Mendoza et Gonzales, tournant le dos à ce dernier. Zia s’approcha du jeune métis.
Z : Vous êtes blessé. Que s’est-il passé ? Où est Isabella ?
Sans la regarder, Gonzales répondit dans un souffle.
G : Isabella ? Je l’ai laissée à la maison, elle va bien, je crois, du moins physiquement. Je venais vous chercher…
Z : Pourquoi ?
G : Posez plutôt la question au capitaine Mendoza. Ils se sont disputés. Elle ne voulait plus voir personne, sauf vous.
E : Cela n’explique pas pourquoi vous étiez en train de vous battre. Mendoza, tu n’as rien à dire ?
M : Esteban, écarte-toi, c’est une affaire entre lui et moi.
E : Pas question. Pour qui me prends-tu ? Tu crois que je vais te laisser ainsi, face à un homme désarmé ?
M : Il n’a qu’à ramasser son épée.
G : Vous savez très bien que je n’en ferai rien. Je ne veux pas me battre avec vous. C’est vous qui m’y avez forcé.
E : C’est vrai ?
M : Oui.
E : Et on peut espérer avoir une explication ?
M : C’est un traître, un menteur. Isabella avait raison.
Esteban accusa la coup, mais ne se démonta pas.
E : Qu’est-ce qui te permet d’affirmer ça ? J’avoue que ton revirement me surprend, tout autant que ta dispute avec elle, si tu es de son avis. Alors, explique-toi davantage.
Après un long silence, Mendoza finit par répondre.
M : Non. C’est moi le traître.
Il baissa alors son arme, comme frappé par l’absurdité de ses accusations. La honte d’avoir à avouer ce qu’il avait avoué à Isabella malgré lui acheva de le déstabiliser. Il avait conscience que sa conduite irrationnelle ne plaidait pas en sa faveur. Esteban devait croire qu’il avait été pris d’un coup de folie. A nouveau, il eut l’impression de perdre pied. Et s’il s’était trompé ? Il mesura l’étendue de la violence qu’il venait de faire subir à Gonzales, en paroles et en actes, et, comme s’il était incapable d’y faire face, il entreprit de partir.
E : Eh, pas si vite ! Je n’y comprends rien ! Mendoza !
Il le rattrapa par l’épaule et le stoppa.
E : Où vas-tu comme ça ? Attends ! Zia et moi, nous allions prendre des nouvelles d’Isabella. Zia a eu, tu sais, un de ses…pressentiments. Et vu ce que Gonzales a dit, tu ne crois pas que nous devrions aller la voir ensemble ?
M : Non, c’est inutile, elle ne veut plus me voir. Laissez-moi. Je reviendrai, plus tard. J’ai besoin d’être seul.
E : Si tu crois que je vais te laisser seul, dans cet état ! Tu ne veux rien dire, d’accord ! Mais laisse-moi rester auprès de toi.
Z : Esteban a raison. Je vais accompagner Gonzales au condor, pour le soigner. Je ne serai pas longue. Ensuite, nous irons voir Isabella. Tu viendras avec nous, si tu le souhaites. Prends le temps de la réflexion.
En entendant Zia, Mendoza voulut protester, mais se ravisa. S’il s’opposait à ce que Gonzales se fasse soigner, sans fournir aucune explication, il n’arrangerait pas son cas. La sollicitude de ses amis était marquée de la prudence que l’on affiche envers ceux qui ont perdu l’esprit. Et peut-être était-il en train de le perdre tout à fait.
G : Ce n’est rien, ne prenez pas cette peine. Je préfère que vous rejoigniez Isabella au plus vite.
En se penchant vers lui, elle chuchota à son oreille.
Z : Allons, obéissez, il vaut mieux que je vous éloigne de Mendoza, dans son intérêt et le vôtre. Vous resterez au condor jusqu’à notre retour. Et vous me raconterez ce que vous savez, puisqu’il ne veut rien dire. Ainsi pourrai-je mieux aider Isabella, si tant est qu’elle ait besoin de mon aide.
Et elle l’entraîna sans qu’il proteste davantage, et sans susciter aucune réaction de la part de Mendoza. En chemin, elle apprit ce qui avait, selon Gonzales, déclenché la colère de Mendoza, le baiser que lui avait donné Isabella, de façon si inattendue. Le jeune métis lui rapporta toute la scène, la façon dont Isabella avait chassé son amant puis comment elle avait repoussé son aide à lui, avant de l’accepter par nécessité. Il lui expliqua qu’il avait eu l’impression que la jeune femme avait voulu provoquer Mendoza, le rendre jaloux, sans doute par vengeance, mais qu’ il ne comprenait pas bien ce qui avait provoqué son dépit et sa jalousie. Il n’avait qu’une seule certitude : elle était bouleversée. Zia se contenta d’écouter, sans donner son avis, et sans évoquer les accusations de Mendoza, quand il avait dit qu’Isabella avait raison. S’il avait découvert quelque chose, pourquoi avait-il refusé de le dire ? Peut-être allait-il se confier à Esteban. De son côté, elle n’avait rien observé d’anormal dans le comportement du jeune métis lors de sa visite du condor, et n’avait pas plus de raisons de se méfier de lui. Le seul danger qu’elle ait perçu avait pris la forme d’un nouvel accès de ces visions qui avaient commencé à l’assaillir chez les Chaldis. Elle était en train de prendre un peu de repos en compagnie d’Esteban après le départ de Gonzales, et se laissait aller entre ses bras à un demi-sommeil langoureux, entre deux doux baisers, quand elle avait vu à nouveau les yeux de feu, et eu la sensation de se noyer. Immédiatement, elle s’était redressée, et avait pensé à Isabella et Mendoza. Elle avait expliqué ce qui lui arrivait à Esteban, et ils avaient décidé d’aller voir si leurs amis étaient en danger. A l’évidence, ce qu’ils avaient trouvé indiquait qu’il s’était passé quelque chose de grave, et qui impliquait Gonzales. Pour Zia, il ne faisait plus de doute que ces yeux étaient ceux du jeune métis. Mais elle était toujours en peine de dire s’ils représentaient autre chose qu’une menace pour le couple de Mendoza et d’Isabella.
Quand ils furent arrivés, elle se hâta d’expliquer la situation à Tao et Indali. Ceux-ci, déjà inquiets en raison du départ précipité de leurs amis, ne furent guère rassurés par les nouvelles. Tao le fut encore moins quand il apprit qu’ils devaient rester seuls avec Gonzales pour un temps indéterminé. La jeune indienne avait aussitôt proposé de soigner Gonzales, tandis que Zia prenait Tao à part pour lui donner ses recommandations : si jamais Mendoza se présentait seul au condor, il ne faudrait pas le laisser entrer, afin d’éviter une nouvelle altercation entre les deux hommes, même si cela avait peu de chances de se reproduire. Elle faillit lui demander aussi d’observer Gonzales attentivement, mais se ravisa. Il était inutile de raviver ses soupçons. De toute façon, si Gonzales restait auprès d’Indali, elle ne doutait pas que Tao aurait un œil sur lui, surtout après ce qu’il venait d’apprendre. Avant que Zia ne parte, Gonzales la remercia chaleureusement en serrant sa main droite entre les siennes, et la pria de faire tout son possible pour réconcilier Mendoza et Isabella.
G : Et si ma présence est un obstacle, dites-leur que je partirai dès demain, seul.
Z : Nous verrons. En attendant, remettez-vous de vos émotions.
G : Je vais essayer d’oublier cette histoire en m’occupant de notre ami Nacir. Ne vous inquiétez pas pour moi.