FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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Akaroizis
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Akaroizis »

nonoko a écrit : 30 août 2019, 23:03 Mais je n'oublie pas que notre koala a droit aussi à sa dose de feuilles d'eucalyptus, histoire de maintenir son pelage lisse et son humeur douce...
Car nous ne sommes plus que deux à lire cette fanfic ? La dèche ! :lol: :x-): 8-x

(néanmoins je me sens anormalement tout doux... mais ça ne marchera pas la prochaine fois!)
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

Saison 1 : 18.5/20
Saison 2 : 09/20
Saison 3 : 13.5/20


Ma présentation : viewtopic.php?f=7&t=80&p=75462#p75462
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nonoko
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par nonoko »

:geek: Car le koala dévoreur de fanfic est une espèce rare, menacée, en voie de disparition, ce serait dommage de causer l'extinction de ce charmant petit animal faute de nourriture, même s'il est très résistant et capable de s'adapter pour survivre, en jeunant ou en variant son alimentation. :tongue:
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DeK
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par DeK »

Certes les chapitres s'allongent de plus en plus, certes il faut satisfaire l'estomac du koala (et celui d'autres lecteurs), mais il n'est pas le dernier de son espèce : les fanficovores. Tapis dans l'ombre d'un des rochers de son aquarium, le poisson surveille l'avancée de cette longue histoire. Je l'ai déjà clamé plusieurs fois (même si mes rares visites sur ce forum ne le montrent pas réellement), je suivrais jusqu'au bout cette fiction ! 8)
Peu importe les chemins sinueux, les sentiers semés d'embuches ou les embranchements complexes qu'elle empruntera ; peu importe le nombre de grains de sel ou de folie qui s'y trouveront, les auteurs peuvent même vider la salière tant que des textes de cette qualité nourriront mon imagination.
Et puis, lorsque l'histoire prend un tournant non prévu par les auteurs, c'est qu'il y a matière à développer les personnages, ce qui signifie encore plus de plaisir pour les lecteurs (on ne va pas s'en plaindre, tout de même :x-):).

La vie des enfants du soleil est bien plus mouvementée et plus complexe que ne l'auraient imaginé leurs ancêtres atlantes ou muens, il faut du temps et de nombreuses épreuves avant de pouvoir atteindre certains objectifs ou la maturité nécessaire pour résoudre des situations tendues ou des conflits qui menacent les peuples. Qui sait ce que leur union apportera au monde ?!
Comme toujours, je m'emballe mais je ne saurais faire autrement pour montrer mon enthousiasme et ma trop discrète fidélité devant cette aventure aux multiples intrigues et dont je ne me lasse pas.

Quant à savoir si celle-ci sera terminée avant la diffusion des premiers épisodes de la dernière saison de BS, je répondrai tout simplement :
«Inutile de se presser, mon intérêt pour votre fanfiction et son dénouement est bien plus grand que la «suite officielle» (que je ne visionnerai pas).»
Bref, je suis peut-être un cas isolé sur ce dernier point, toutefois tant qu'il y aura encore et toujours des pages et des pages à lire, il y aura des petits esprits qui s'en repaîtront sans risque d'indigestion.
« Tout vient à point à qui sait attendre... ou plutôt, tout vient à point à qui sait m'attendre ! »
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Akaroizis »

DeK a écrit : 01 sept. 2019, 02:09 «Inutile de se presser, mon intérêt pour votre fanfiction et son dénouement est bien plus grand que la «suite officielle» (que je ne visionnerai pas).»
Tout à fait ! Et je pense cela pour la majorité des fanfics présentes sur ce forum.
Outre qu'approuver ce que tu dis.
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nonoko
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par nonoko »

Fanficovores, voici enfin votre pâture! :x-): (donc maintenant nous pouvons identifier l'individu Bubbles comme étant non un simple piranha, mais un specimen de fanficovorus glutonus, appartenant sans doute à la branche des discreti enthusiasti fideles ;) :D )
Cette 9ème et ultime partie de 50 pages (word, c'est pas si long) conclut bien le chapitre 21 qui a atteint la taille non prévue d'un petit roman de quelques 120 pages, lesquelles peuvent quasiment se lire indépendamment du reste de la fanfic d'ailleurs (il faut tout de même avoir une petite idée des épisodes de l'arc Japon dans la saison 3).
Petite précision: vous vous demanderez peut-être ce que le Daimyo Shimazu fume, mais je me suis appuyée sur un fait historique trouvé totalement par hasard, quant à savoir s'il est véridique...en tout cas je l'ai mis à ma sauce car ça collait bien avec l'histoire, même si je l'ai trouvé après avoir écrit la confrontation de Zia et du Daimyo, comme quoi quand on dit qu'il n'y a pas de hasard, c'est peut-être bien vrai... 8)

Merci à tous les lecteurs qui suivent encore les aventures de nos héros, et à bientôt pour le chapitre 22 (je sais pas du tout quand par contre!)


Partie 9.

A : Si je puis me permettre d’exprimer d’humblement mon avis, cette fleur serait beaucoup plus en harmonie avec les autres en étant placée de ce côté.
Atsuko désigna l’emplacement conseillé à Marie, qui fronça d’abord les sourcils avant d’approuver.
Ma : Eh bien, je dois reconnaître que vous avez raison. Je crois que je commence à saisir l’esprit de votre art floral, même si je ne renonce pas à vous convaincre que mes volumineux bouquets sont tout aussi beaux que les vôtres !
A : Ils sont très beaux en effet. Je n’ai pas l’intention de vous prouver la supériorité de l’ikebana, ce sont deux styles différents et incomparables.
Mar : L’ikebana n’est pas qu’une façon d’arranger un bouquet, si je puis me permettre. Le but n’est pas de faire simplement quelque chose de joli.
Ma : Oui, je pense avoir très bien compris cela, Mariko. Excusez-moi toutes deux pour ma façon de parler un peu cavalière, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise en vantant mes bouquets, c’est juste que…mon caractère a du mal à se plier au langage policé de la cour, qu’elle soit en Europe ou ici.
A : Vous êtes encore jeune…
Ma : Vous êtes trop indulgente. Vous avez dû supporter mes maladresses si longtemps que je vous admire pour votre patience, et vous remercie infiniment de vous être si gentiment occupée de moi et de mes compagnes.
A : J’ai accompli ce devoir avec grand plaisir.
Ma : Tout de même, ne trouvez-vous pas qu’il serait temps que votre seigneur revienne ? Je souffre de vous voir cacher votre inquiétude pour me complaire, quand moi-même je n’y tiens plus. Le soleil va bientôt décliner : si je dois passer une nuit de plus sans nouvelles de mes amis, je ne suis pas sûre de pouvoir garder toute ma dignité de princesse. Et regardez cette pauvre Indali ! Elle s’est déjà employée à me distraire lorsque nous étions enfermées dans le Condor, et j’ai tant de peine à la voir ainsi ! Cessons donc de nous comporter comme si tout allait bien !
Indali ne réagit même pas en entendant son nom. Elle était occupée à terminer son arrangement et choisissait avec soin les fleurs et les branches, enchaînant les essais de combinaisons avec une grande concentration. Embarrassée par les propos de Marie, Mariko baissa la tête. La franchise de la jeune princesse était gênante, car elle brisait l’harmonie que leur hôtesse s’efforçait de maintenir dans cette situation délicate. Et ce n’était pas à Mariko, une femme de pêcheur, qui n’aurait jamais dû côtoyer des dames de cette condition, d’intervenir.
A : Si tel est votre désir, je ne peux m’y opposer. Vous sentirez-vous mieux ainsi ?
Ma : Assurément ! Et je suis sûre que vous aussi !
Atsuko sourit. Les étrangers étaient-ils tous ainsi ? Elle repensa à la franchise d’Esteban. Il lui avait livré les secrets de son cœur et conté une nuit entière l’histoire d’un amour pur et sincère sans se soucier de ce qu’elle pouvait éprouver en entendant cela, simplement pour la dédommager d’un refus de céder à ses avances, et pour lui faire comprendre les raisons de son refus. Elle avait été charmée et lui en était infiniment reconnaissante. Lorsqu’il s’était endormi près d’elle, elle avait eu l’impression de partager avec lui bien plus que ce qu’elle avait jamais partagé avec aucun homme, même si c’était comme savourer un fruit à la douce amertume. Et puis, elle avait failli mourir à ses côtés, et à présent il était parti. Atsuko se retrouvait seule avec ces étrangères dont elle ne connaissait rien, mais qui étaient bien plus rassurantes que cette femme incroyable qu’elle avait imaginée une nuit entière par la magie des mots d’Esteban, avant de constater que ce qu’elle avait pu imaginer était si loin de la réalité. Il était avec elle, et elle ne savait si cela devait la rassurer. Elle avait changé le cours des événements. Elle les avait sauvés. Elle avait changé Yoshihisa. Mais à présent, aucun de ceux qui étaient partis avec elle n’étaient encore revenus. Atsuko savait qu’elle ne dormirait plus jamais auprès d’Esteban, mais aurait-elle encore le bonheur de s’endormir dans les bras de Yoshihisa ?
A : Pensez-vous qu’ils puissent avoir rencontré des difficultés ?
Marie ne s’attendait pas à ce qu’Atsuko soit si directe. Prise de court, elle hésita avant de répondre.
Ma : Sans doute une telle entreprise n’est-elle pas sans risques, mais j’ai toute confiance en Esteban et Zia.
A : Alors pourquoi êtes-vous si nerveuse ?
Ma : Ne l’êtes-vous pas vous-même ? Ne pensiez-vous pas vous aussi que ce serait réglé avant le coucher du soleil ?
A : Je ne sais pas…je me suis efforcée de ne pas y penser.
Mar : J’ai confiance moi aussi. Ils seront bientôt là . Et si ce n’est pas le cas, ce sera demain.
Ma : Oui, sans doute. Ils ne peuvent pas m’abandonner trop longtemps ici, ils s’inquiétaient déjà tant à l’idée que je visite ce pays à ma guise ! Finalement, cette aventure a du bon, j’ai pu découvrir le Japon au-delà de mes espérances !
Elle rit.
Ma : Et si jamais je devais repartir par mes propres moyens, nous ne sommes pas loin de la mer. Je me demande combien de temps prend le voyage en bateau….Père s’inquiéterait un peu tout de même…
In : Et vous ne supporteriez pas le mal de mer. Il parait que c’est bien pire que le mal de l’air.
Tout en continuant à s’affairer, Indali avait pris part à la conversation. Marie se réjouit d’entendre à nouveau le son de sa voix. La jeune Indienne n’avait guère dit que quelques mots de toute la journée. Elle avait poliment fait honneur aux efforts de leur hôtesse pour rendre leur séjour le plus agréable possible, mais il était évident que son esprit et son cœur étaient ailleurs.
Ma : Eh bien, il ne reste plus à Esteban qu’à rentrer rapidement ! Je me réjouis à l’idée de diner en compagnie de votre seigneur, il m’a promis de jouer de la musique pour égayer la soirée. Cela terminerait en beauté cette journée mémorable !
A : Le seigneur Yoshihisa est en effet un musicien accompli.
Ma : N’est-ce pas inhabituel pour un guerrier ?
A : J’ai effectivement été bien plus surprise de le voir revêtu de son armure qu’un luth à la main….
Le silence suivit cette remarque. Au bout de quelques minutes, Atsuko s’excusa et déclara qu’elle devait veiller aux préparatifs du dîner. Mariko demanda la permission de se retirer elle aussi. Elle devait retourner auprès de Sora. Le jeune garçon, encore faible, dormait sous la surveillance de Tadashi, qui avait trouvé ce moyen commode d’échapper à son rôle d’invité au sein d’un monde où il se sentait d’autant moins à l’aise qu’il avait goûté les geôles du château. Il était resté auprès de l’enfant jusqu’à ce que ce dernier tombe de fatigue, se trouvant plus à l’aise de l’accompagner dans sa découverte des lieux. Trop impressionné, Sora n’avait pas souhaité se rendre dans les parties les plus nobles du château, et cela convenait très bien à Tadashi. Azami s’étaient joints à eux, tandis que Teijo avait demandé la permission d’aller rassurer ses proches. On lui avait toutefois interdit d’évoquer les plans du Daimyo. Il était revenu rapidement de peur de manquer le retour de ses amis. Mariko n’avait pas osé refuser l’invitation d’Atsuko, en grande partie pour aider Marie et Indali à faire leurs premiers pas dans cet environnement si étranger à leurs cultures. En l’absence de ses amis, en l’absence du jeune Daimyo, elle se sentait responsable des jeunes femmes. Elle craignait aussi pour leur sécurité. Elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’ils étaient encore tous comme des otages, malgré les promesses et les déclarations. Elle avait accordé sa confiance, mais une partie d’elle regrettait cela. Elle s’efforça de chasser ses craintes. Elle avait besoin de revoir Tadashi, elle devait prendre soin de Sora. Marie lui adressa un sourire encourageant et la rassura : elle pouvait les laisser seules.
Ma : Indali…tu peux cesser de faire semblant de t’intéresser à l’ikebana à présent.
In : Je ne fais pas semblant. Cela m’intéresse vraiment. Et cela m’a été d’un grand secours.
Elle continua à chercher la meilleure combinaison de trois fleurs à disposer dans un petit vase de céramique brune. Marie l’observa un instant, avant de détourner son attention sur le bouquet de cosmos qu’elle-même tenait à la main, et s’apprêtait à placer sans plus de façon dans un vase bleu.
Ma : Je n’en doute pas. Mais moi, je n’en pouvais plus ! Je veux dire, j’ai été émerveillée par cette journée, mais il y avait toujours cette petite voix pour me ramener à la réalité…
In : Il vous faudrait apprendre à maîtriser cette petite voix. Cela vous sera utile. On ne peut pas maîtriser tous les événements, mais on peut s’efforcer de les aborder le plus sereinement possible, surtout quand on est impuissant. Cela évite de trop souffrir.
Indali se recula légèrement pour juger de l’effet de son arrangement. Marie se mit à agiter son bouquet en l’air tout en parlant.
Ma : Je sais, je sais, mais reconnais tout de même que cela fait du bien d’exprimer ses sentiments ! Tu peux me dire que tu t’inquiètes, que tu es triste d’avoir dû quitter Tao dans ces circonstances, après ce qu’il t’a dit ! Et Mariko ! Elle brûlait d’envie d’être auprès de son mari, mais elle s’obligeait à rester avec nous ! Quant à Atsuko, elle s’efforçait de faire bonne figure, mais c’est évident qu’elle a peur pour son Daimyo, et moi je me demande si j’ai bien fait de pousser Esteban à …
In : Le Daimyo allait partir au combat de toute façon, et les amis japonais d’Esteban l’auraient suivi. Vous avez fait ce qu’il y avait de mieux à faire.
Ma : Je t’ai séparée de Tao !
In : Il va revenir.
Ma : Pfff….tu es imperturbable. Je me sens ridicule…
Elle posa les fleurs sur la table basse.
In : Atsuko a sans doute raison, vous êtes encore jeune. Mais je suis heureuse de savoir que vous vous inquiétez pour moi.
Ma : Oui, enfin, Père dirait qu’en fait je m’inquiète surtout pour moi.
In : C’est bien normal. Moi, je connais peu de jeunes filles qui auraient fait face à ce que nous avons vécu avec autant de courage et d’esprit d’initiative. En fait, en dehors de vous, je ne connais que Zia.
Ma : Et moi, en dehors de Zia, je ne connais que toi. Merci, Indali. J’espère que Zia va mieux…j’ai eu si peur, mais c’était si extraordinaire ! Et en même temps, je ne comprends pas comment de telles choses sont possibles…Chez nous, on dirait que c’est de la sorcellerie, mais je ne peux pas imaginer que Zia….
In : Si vous vous interrogez, c’est que cela ne vous effraye pas tant que cela. Et si cela ne vous effraye pas, alors vous pourrez comprendre, un jour, peut-être. L’essentiel, c’est de ne pas rejeter ce qui nous dépasse.
Ma : Comment pourrais-je rejeter Zia ? elle compte tant pour moi !
In : Je n’en doute pas. Et elle vous inspire, comme elle nous inspire tous.
Ma : J’ai peur pour elle…Esteban n’a pas voulu la laisser ici. Quand on est trop puissant, on cherche à vous éliminer. Je me demande quel est le véritable état d’esprit du Daimyo Shimazu après son abdication. Et je me demande comment Père réagirait face aux pouvoirs de Zia.
In : Elle est en sécurité. Cessez de vous tourmenter. Quant au Daimyo….ne nous a-t-il pas donné la preuve de sa grandeur d’âme ?
Ma : Cela est vrai…mais dans mon pays, rares sont les hommes d’une telle qualité. Quant à Zia, même la protection d’un Empereur ne pourrait sans doute pas suffire pour garantir sa sécurité.
In : C’est bien pour cela qu’Esteban et Zia vivent en retrait du monde. Allons, ne pensons plus à tout ça ! Bientôt nous serons chez moi, en Inde, pour leur mariage, et ce que nous avons vécu aujourd’hui nous paraîtra être un rêve !
Marie acquiesça. Sa conversation avec Indali l’avait soulagée. Elle se leva maladroitement, encore peu habituée à porter le kimono brodé qu’elle avait choisi avec Atsuko, quand cette dernière avait aimablement proposé à la jeune princesse d’en revêtir un pareil au sien, qu’elle admirait tout en se demandant comment il était possible que des vêtements féminins soient si différents d’un pays à l’autre. Indali, par curiosité, avait aussi tenté l’expérience. Marie se dirigea à petit pas vers la fenêtre.
Ma : Le soleil décline…
Indali resta silencieuse. Marie scruta le ciel, se tordant le cou pour tenter d’élargir son champ de vision. Elle finit par abandonner en soupirant. C’est à ce moment-là qu’un cri retentit. C’était la voix de Teijo. Il s’était posté sur les remparts, bien décidé à voir le premier l’oiseau d’or arriver. Il devança de quelques secondes le garde posté au sommet du donjon.
+++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++
De ses appartements, le Daimyo Shimazu avait vu arriver le Condor bien avant que l’alerte soit donnée. Depuis qu’il s’était retiré après avoir donné l’ordre de préparer son départ pour le monastère où il comptait passer le reste de sa vie, il n’avait cessé de scruter le ciel tout en composant quelques haikus tracés à coups vifs. Il avait trouvé une forme d’apaisement dans cette activité. Les calligrammes se succédaient, substituant aux souvenirs cinglants de son humiliation la beauté de la nature éternelle, et lui rappelant qu’il devait rester humble face à ses mystères. Il était l’égal de l’insecte et de la fleur, et même s’il souhaitait parfois les écraser et les broyer, il devait accepter leur puissance, reconnaitre que s’il pouvait les éliminer, ils le pouvaient aussi. Accepter la leçon qu’ils lui donnaient, surtout quand elle visait à préserver la vie, et non la détruire. Un volcan pouvait rayer une ville de la carte, mais il favorisait aussi la vie, faisait prospérer la terre. La paix…pourrait-il en jouir longtemps ? Saurait-il en jouir, après tant d’années consacrées à la guerre ? Dès qu’il avait vu apparaître l’oiseau d’or, il avait posé son pinceau et entrepris de descendre dans la cour. Le garde chargé de le prévenir avait trouvé la pièce vide.
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Esteban ne voyait que le Daimyo Shimazu parmi la foule venue assister à l’atterrissage. Il redoutait la réaction de ce dernier quand il apprendrait que le traité signé était resté aux mains du Daimyo Itô et qu’il faudrait accueillir l’ancien ennemi le lendemain. Pour attester de sa bonne foi, le Daimyo avait remis à Esteban une lettre. L’Atlante l’aurait volontiers donnée à un des soldats qui avaient participé à l’expédition pour éviter d’avoir à expliquer pourquoi ni Yoshihisa ni Yoshihiro ne se présentaient devant leur père avec la lettre. Mais son sens du devoir avait pris le dessus. Il devait accomplir sa mission jusqu’au bout.
Ic : Je peux la remettre avec toi.
E : Non, je préfère que tu aides Tao à transporter Yoshihisa. Demande à deux soldats de m’accompagner. Cela lui montrera ma bonne foi, au cas où il en douterait.
Ic : Tu te méfies toujours ?
E : Tu as vu sa tête ? Il a dû remarquer que Yoshihisa n’était pas avec nous, et il se demande où sont passés ses hommes. Allez, dépêche-toi, ça nous évitera un début de conversation tendu.
Quand l’oiseau d’or toucha le sol, il ne restait plus qu’Esteban dans le cockpit. Le Daimyo Shimazu s’approcha, les traits de son visage indéchiffrables. La trappe s’ouvrit, et les hommes valides commencèrent à débarquer leurs camarades moins chanceux. Deux d’entre eux rejoignirent Esteban comme convenu.
E : Eh bien, messieurs, le temps des explications est venu.
Esteban actionna la commande d’ouverture puis tous trois descendirent au pied de l’oiseau, où les attendait le Daimyo. En retrait, Esteban aperçut ses amis. Tous avaient l’air anxieux, et l’arrivée des premiers blessés ne les rassura pas. Les deux soldats qui l’accompagnaient s’inclinèrent profondément devant leur seigneur, et attendirent un signe de ce dernier ou d’Esteban pour parler. A leur grand soulagement, Esteban prit les devants. Le Daimyo fronçait les sourcils en voyant derrière eux ses hommes débarquer.
E : Je suis désolé pour l’attente. J’imagine que cette journée ne s’est pas passée dans la plus grande sérénité. Mais je tiens à vous rassurer : c’est un succès.
Un grognement lui répondit.
E : Cette lettre en atteste. Et ces hommes sont là pour en témoigner.
S : Et ceux là ?
E : Certains ont besoin de soins. D’autres d’une sépulture. Je vous prierais de prendre les mesures nécessaires….
S : Où est mon fils ? C’est à lui désormais de donner les ordres !
Négligeant la lettre que lui tendait Esteban, le seigneur bouscula l’un des soldats. Il venait d’apercevoir Tao et Ichiro et avait reconnu l’homme qu’ils transportaient. En quelques pas il fut près d’eux. Ils s’arrêtèrent. Ichiro entendit le daimyo pousser un petit grognement de satisfaction. Tao le vit sourire en contemplant son fils blessé. Son visage rayonnait de fierté. Puis il repartit vers Esteban. Tao soupira.
T : Je me demande quelle tête il aurait fait si Yoshihisa était revenu en pleine forme. Je parie que l’annonce de la paix ne lui donnera pas plus de joie.
Ic : Tao, moins fort !
T : Oui, bon, en attendant, on le transporte où, notre héros ? Tu sais où sont ses appartements ?
Ic : Regarde, voilà sa favorite. Elle va nous guider.
Atsuko n’avait pas résisté. Elle devait en avoir le cœur net. Le Daimyo Shimazu aurait tout aussi bien pu se réjouir de la mort glorieuse de son fils. Ichiro lui adressa un sourire rassurant et lui demanda humblement de les aider. Atsuko lui rendit son sourire et les pria de la suivre. Quand ils passèrent près de Marie et d’Indali, Tao ne manqua pas de remarquer à quel point le kimono seyait à la jeune Indienne, mais il n’osa croiser son regard. Un peu à l’écart, le petit groupe formé par Mariko, Tadashi, Teijo, Azami et Sora patientait difficilement. Voir le nouveau Daimyo étendu sur une civière ne réjouissait guère les adultes, et les blessés leur semblaient toujours plus nombreux à sortir du Condor. Sora ne disait mot, saisi par ce spectacle qui lui rappelait la dévastation de son village. Il était au château, chez le seigneur, mais la mort régnait là comme ailleurs, c’était même là sa demeure, d’où elle s’élançait pour frapper sans pitié. Il avait eu raison de ne pas vouloir s’aventurer au cœur du donjon ! Il se serra contre Tadashi.
Ta : Tout va bien, mon garçon, enfin, je crois…
Mar : Je vais aller aider à soigner les blessés.
Az : Je viens avec toi.
Mar : Non, Ichiro va revenir…
Elle partit sans attendre. Azami hésita.
Ta : Laisse-la faire, je la connais. Elle ne veut pas vous gêner.
Az : Mais…
Te : Si tu veux qu’on parte aussi, tu n’as qu’à le dire ! Tadashi, si on allait prêter main forte nous aussi ? On en saura plus comme ça que de rester là à attendre ! Esteban n’en finit pas !
Après avoir vu son fils, le Daimyo avait pris la peine de lire la lettre. Puis il avait interrogé ses hommes, qui confirmèrent que la paix avait bien été signée. Ils lui firent le récit des événements dont ils avaient été les témoins. Esteban l’avait entendu de la bouche d’Ichiro, pour ce qui s’était passé en son absence.
S : Ainsi, vous avez laissé mes fils seuls ? Alors que vous auriez pu facilement forcer notre ennemi à se rendre.
E : Comme vos hommes vous l’ont dit, je suis parti sur ordre de Yoshihisa. Si vous voulez des explications, adressez vous à lui. Pour ma part, il est évident qu’il a tout fait pour obtenir une véritable paix. Pas une victoire, pas une reddition. Le Daimyo Itô n’a pas été facile à convaincre. Vous comptiez sur la menace du Condor pour lui imposer la paix. Au fond de vous, vous n’aviez pas renoncé à vaincre votre ennemi. Quand vous avez compris que vous ne pouviez rien face à Zia, que votre pouvoir, que votre plan s’écroulait, vous avez tenté le tout pour le tout avec cette proposition de paix. J’ai failli refuser d’accomplir cette mission. Et je ne l’aurais jamais remplie si je n’avais pas senti que votre fils croyait en une véritable paix. J’ai voulu lui donner sa chance. Je l’ai fait aussi pour Zia, pour mes amis et pour tous ceux dont la vie dépend des décisions du clan Shimazu. Mais je ne l’ai pas fait pour vous. Je rends honneur à votre courage et à votre dignité. Vous avez abdiqué. Vous avez fait ce qui vous semblait nécessaire au vu des circonstances. Votre fils a fait ce qui lui semblait juste, et nécessaire, et moi je lui ai fait confiance. C’est nous offenser que d’estimer que ce qui a été fait aurait pu et dû se passer autrement.
S : Hum ! Et je suppose que je devrai faire bonne figure demain face à ce fieffé Itô qui a l’audace de venir en personne s’assurer que j’ai bien abdiqué et que c’est bien moi qui ai rédigé ce traité de paix !
E : Reconnaissez que c’est de bonne guerre. Il a sacrifié un fils dans l’affaire. Vous n’en avez perdu aucun.
S : S’il voulait juste faire un tour dans votre machine, vous pouviez bien le promener partout ailleurs!
E : Disons qu’il fait d’une pierre deux coups et s’accorde un double plaisir. Vous n’allez pas le lui reprocher, alors que vous revient l’initiative et la gloire de cette paix inespérée. Savourez votre victoire, car c’en est une, et pensez à toute la reconnaissance qui vous est dûe ! La joie que le Daimyo Itô éprouvera demain en venant ici, c’est à vous qu’il la devra !
S : Ah ah ! Je ne suis pas dupe de vos flatteries, mais elles m’apaisent. Vous savez, Esteban-san, on est bien seul quand on tient les rênes du pouvoir. On s’aveugle souvent. Je suis heureux d’avoir abdiqué, et je vous remercie pour tout ce que vous avez fait. J’espère que vous pardonnerez un jour ma conduite envers vous et les vôtres.
Et sans attendre de réponse, il s’inclina et partit. Esteban souffla. Il avait parlé sans réfléchir, en disant ce qu’il avait sur le cœur. Il y a deux jours à peine, il redoublait de prudence pour sauver la tête de ses amis, et là, il s’était permis de tenir des propos risqués, alors que Yoshihisa n’était pas en état d’intervenir, que tous ses amis étaient dans le château, que le Condor, qui abritait Zia toujours endormie, trônait au beau milieu de la cour. Mais il avait obtenu du Daimyo Shimazu des remerciements et des excuses inespérés. Les deux soldats qui l’accompagnaient s’inclinèrent devant lui en souriant et le remercièrent à leur tour. Esteban leur rendit la pareille, puis les libéra. Il se retrouvait seul au pied du Condor, mais n’avait aucune envie de rejoindre les autres. Ichiro soulevait joyeusement de terre Sora. A ses côtés, Azami rayonnait. Tao faisait à Marie et à Atsuko le récit des événements. Indali, un peu en retrait, écoutait attentivement. Mariko, Tadashi et Teijo aidaient de leur mieux tout en s’étonnant des informations qu’ils récoltaient, et qui confirmaient qu’ils avaient eu raison de soutenir le jeune Daimyo. Personne d’autre que Zia n’avait besoin d’Esteban, et lui n’avait besoin que d’elle. Il remonta à bord.
Il crut d’abord s’être trompé de chambre, mais presqu’aussitôt il paniqua. Il n’aurait jamais dû parler ainsi au daimyo. A moins que ce dernier n’ait eu l’intention dès leur retour d’enlever Zia à la protection du Condor ! Non, c’était ridicule, il devait se ressaisir, qui aurait pu faire une chose pareille ? On l’aurait remarqué. Les soldats qui l’accompagnaient ? Sur ordre du daimyo ? Il devait se calmer, il y avait sûrement une explication rationnelle derrière la disparition de Zia. Elle s’était réveillée, évidemment, mais où était-elle ? Pourquoi ne l’avait-elle pas rejoint ? Il referma la porte. Peut-être venait-elle de se lever. Il suffisait de la chercher. De l’appeler. Seul le silence lui répondit. Alors il ouvrit toutes les portes sans plus réfléchir, et la trouva. Il pesta contre Tao. Il aurait pu au moins le prévenir ! Puis il se rendit compte qu’il était injuste, et que tout ce qui comptait, c’était de l’avoir retrouvée. Il eut l’espoir qu’elle se réveille en l’entendant approcher. Elle était bien venue jusqu’ici, elle allait donc mieux. Il fut tenté de l’appeler, se ravisa en constatant qu’elle dormait encore profondément. Il lui avait pris la main, elle n’avait pas réagi. Son pouls était régulier, son souffle léger. Il avait du mal à croire qu’elle avait pu se lever, car elle semblait être dans le même état où il l’avait laissée avant de revenir à Kagoshima.
E : Tu m’as fait une de ces frayeurs…Pourquoi es-tu venue ici ?
T : Ah ! Tu es là….
Tao avait surgi derrière lui sans qu’il s’en aperçoive. Il sursauta et lui répondit sans se retourner.
E : Tu comptais me le dire quand ?
T : Je suis désolé, Ichiro et moi avons complètement oublié. Mais bon, elle a juste changé de chambre. Et c’est plutôt bon signe.
E : J’ai cru que le Daimyo Shimazu l’avait enlevée.
T : Oui, c’est sûr que c’était une hypothèse plausible…Mais si tu veux mon avis, elle s’est inquiétée pour Sora, elle a trouvé Yoshihisa, elle s’est dit qu’elle pouvait faire quelque chose pour lui. Il avait un cataplasme sur le front, tu n’avais pas remarqué ?
E : Non.
T : Ce petit effort a dû l’épuiser. Elle ne nous entend même pas !
E : Elle n’est pas venue nous voir dans le cockpit.
T : Par prudence, sans doute. Ou alors elle a agi par instinct. Elle ne devait pas avoir les idées très claires de toute façon. Tu ne vas quand même pas lui en vouloir ?
Esteban haussa les épaules.
E : Ne sois pas stupide.
T : Mais cela t’ennuie, c’est évident.
E : Depuis ce qui s’est passé, j’ai l’impression de ne plus la reconnaître…enfin, c’est comme si elle m’échappait. Ce qu’elle a fait…bien sûr je connais ses capacités, mais son regard, sa voix…elle était ailleurs, comme si elle ne m’entendait pas, elle n’a prêté aucune attention à mes avertissements…
T : Elle était dans un état second, c’est bien normal, tu devrais être habitué. Et vu les circonstances, sa concentration devait être maximale. Personnellement, même si sa prouesse est inédite, je ne suis pas surpris par ce qu’elle a réussi à faire, ni par son comportement. Ecoute, elle te manque, c’est tout. Elle est là physiquement, et ça ne te suffit pas. Vous avez plein de choses à vous dire. Que tu te sens coupable, que tu as cru la perdre, que tu as cru que tes amis allaient mourir, que tu aurais voulu qu’elle soit là quand tu as dû prendre des décisions difficiles, je sais, je sais, je n’ai pas été à la hauteur comme confident et je ne t’ai pas beaucoup soutenu…
E : Arrête un peu, je déteste quand tu as raison !
T : Bon, bon, eh bien je n’ai plus qu’à récupérer l’armure de Yoshihisa et vous laisser en tête à tête.
Il commença à ramasser quelques pièces de cuir.
E : Tu ne vas pas emporter ça tout seul ?
T : Je vais faire plusieurs voyages.
E : Personne ne pouvait faire ça à ta place ? Je parie que c’est un prétexte pour ne pas rester avec Indali.
T : Oui, bon, j’avais besoin de réfléchir un peu avant de lui parler. Au fait, je suppose que tu vas rester auprès de Zia ce soir. Il faut t’apporter un morceau ?
E : Je ne partirai pas d’ici tant qu’elle ne se sera pas réveillée.
T : Ok, ça veut dire oui. Tu me reverras un peu plus tard alors. Il faudrait vraiment que j’invente un système pour qu’on puisse communiquer à distance. Je sais pas pourquoi je me suis focalisé sur les images…
Il ramassait d’un air concentré les divers éléments de l’armure déposés au pied de la couchette.
E : N’oublie pas de parler à Indali en face à face puisque toi tu as la chance de pouvoir le faire !
T : Compte sur moi !
Il disparut les bras chargés. Esteban sourit.
E : Tu l’as entendu ? Le roi des promesses en l’air…
Il caressa doucement le front de Zia, et y déposa un baiser.
E : J’ai tellement hâte que tu reviennes à toi…tu me manques…
Il la contempla tout en laissant vagabonder ses pensées. Tao avait raison, il se sentait coupable. C’était absurde, il n’était pas responsable de ce qui était arrivé. Mais plus encore qu’avant, il détestait qu’elle prenne des risques, il aurait voulu toujours être là pour la protéger. Il la savait forte, il l’admirait. Mais l’idée qu’elle soit blessée, ou meure en voulant le sauver, comme cela avait failli arriver, lui était insupportable. Dans son costume de ténèbres, accordé à sa chevelure, elle paraissait noyée dans une eau sombre d’où seul son visage à la pâleur mortelle émergeait. Il l’imaginait se faufilant dans les couloirs du donjon telle une ombre. Il revécut son réveil brutal, les cris des gardes, on l’empoignait sans ménagement, il cherchait à comprendre, saisissait quelques mots, Zia était là, tout près, mais elle avait échoué, elle ne l’avait pas trouvé à temps. A moins que…le garde avait dit qu’il avait vu une fille, mais Esteban n’arrivait pas à se souvenir…aux frontières du sommeil, il avait cru comprendre que Zia avait été vue dans le couloir, mais ce garde, comment l’avait-il surprise ? Etait-elle parvenue jusqu’à la chambre malgré tout ? Il se sentit mal à l’aise, et s’efforça de ne plus penser à cette nuit. Mais la culpabilité était toujours là, tenace.
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Ce ne fut pas la soirée qu’avait espérée Marie, mais Atsuko veilla à ce qu’elle soit la plus agréable possible pour ses hôtes. Le daimyo Shimazu s’était complètement reposé sur elle pour s’occuper d’eux. Elle ne savait comment le prendre, un honneur, une récompense, une compensation pour le traitement injuste qu’elle avait subi, ou une façon de se débarrasser d’une corvée ? Il semblait n’avoir aucune intention de paraître devant les étrangers, encore moins devant de simples sujets. Etait-ce du mépris, ou une façon de les mettre à l’aise ? Elle opta pour la seconde solution. Sans lui, il était évident que ses hôtes apprécieraient davantage leur séjour, surtout après avoir été traités comme des prisonniers et retenus dans des conditions indignes, ou avoir dû se battre contre le daimyo et ses hommes. Elle regrettait cependant l’absence d’Esteban et Zia, et espérait pouvoir faire la connaissance de la jeune femme le lendemain. Elle fut ravie que tous les autres acceptent de dîner à la même table. Marie avait insisté auprès de Mariko afin qu’elle convainque son mari et son frère, et demandé à Indali d’appuyer sa demande. Personne n’avait osé refuser, et personne ne le regrettait. Atsuko sut mettre tout le monde à l’aise, même Sora, qui se sentait davantage en confiance après avoir retrouvé Ichiro. Teijo plaisanta en remerciant sa soeur de les avoir tous fait arrêter, et Tao ne lui en voulut pas. Si ceux qui avaient goûté le confort des geôles de Shimazu trouvaient matière à en rire, alors il aurait été mal placé de se plaindre, d’autant qu’il n’était plus seul. Tadashi resservait tout le monde en saké dès que les coupes étaient vides et Mariko dut le sermonner quand elle vit que Teijo s’enhardissait à chanter pour Marie, qui voulait lui montrer des danses de son pays. Quant à Azami, elle reposait un peu trop sa tête sur l’épaule d’Ichiro au goût de Mariko. Cependant, elle devait reconnaitre qu’elle était charmante. Elle n’avait jamais vu son frère aussi heureux. Il n’avait fait que s’assombrir ces dernières années, surtout depuis la mort de leur grand-père. Il remarqua qu’elle le fixait, et lui sourit en levant son verre de saké. Elle lui rendit son sourire. Le cauchemar était fini. Le voir si plein de vie lui gonfla le cœur de gratitude envers son nouveau seigneur, Yoshihisa Shimazu. Grâce à lui, la jeunesse de Kagoshima connaîtrait la paix. L’avenir d’ Ichiro, Azami, Teijo et Sora était plein de promesses. Quant à elle, elle n’aurait plus à trembler pour personne, et pourrait recevoir sans crainte la visite de ses amis du bout du monde. La voix de Tao interrompit ses pensées.
T : Je propose que nous portions un toast à Zia, Esteban, Yoshihisa ! Qu’ils reviennent vite parmi nous !
La proposition fut suivie avec enthousiasme.
T : Et puis, je voulais tous vous remercier et célébrer votre courage, particulièrement toi, Ichiro, qui est resté pour te battre auprès de Yoshihisa, tu m’as donné des sueurs froides, mais chapeau bas ! Et toi , Marie, qui as eu raison de me clouer le bec, quand je voulais partir au plus vite d’ici ! Et…et toi, Indali…
Tous attendaient qu’il continue, mais sa voix flancha. Indali souriait modestement en regardant droit devant elle. Depuis le retour de Tao, elle n’avait rien fait qui aurait pu lui laisser penser qu’elle lui en voulait. Elle ne l’avait pas évité, elle ne s’était pas écartée de lui, mais elle ne lui avait pas non plus adressé spontanément la parole, et il ne lui avait pas parlé. Il ne l’avait pas touchée non plus, pas serrée dans ses bras, ni même effleurée. Il avait trouvé mille excuses pour être occupé, puis il avait fallu se préparer pour la soirée, prendre un bain bien mérité, revêtir le yukata obligeamment prêté par leur hôtesse. A table, il s’était retrouvé à côté d’Indali, et tout lui semblait naturel, si facile, il se contentait de jouir de sa présence tellement désirée, il se sentait rassuré. Mais en face de lui, Marie ne cessait de lui jeter des regards dont il connaissait trop bien la signification. Et justement, elle le fixait encore. Il prit une profonde inspiration.
T : Et toi, Indali, qui as si bien retenu mes leçons et qui supportes un idiot tel que moi, tu es la plus courageuse, la plus intelligente, la plus indulgente, tu vaux mille fois mieux que moi et je ne te mérite pas !
Il leva sa coupe et la vida d’un trait, manquant s’étouffer. Les autres se mirent à rire et burent à leur tour. Marie applaudit avec enthousiasme.
Ma : Indali ! C’est à toi !
Indali avait gardé son calme et souriait toujours, mais son sourire était chargé d’émotion. Elle avança sa main vers celle de Tao et la lui saisit doucement. Alors il osa la regarder et posa à son tour sa main sur la sienne.
Ic : La paix est revenue ! Vive la paix ! vive notre seigneur Yoshihisa ! vive Tao et Indali !
Embarrassés mais heureux, les deux jeunes gens se dévoraient des yeux pour ne pas risquer de rougir en croisant le regard de leurs amis.
Atsuko contemplait l’image du bonheur qu’offrait le jeune couple. Deux êtres si différents, venus de si loin, pourtant si bien accordés. La façon dont Esteban lui avait parlé de Zia la hantait. Elle n’était que la favorite de Yoshihisa. Elle l’aimait profondément, mais elle savait que son statut ne lui conférait pas aux yeux de son seigneur une valeur incomparable comme celle que les étrangers accordaient à leur compagne. Yoshihisa était tendre avec elle, et attentionné, et elle n’avait jamais eu à se plaindre, mais si elle était la favorite, il ne la préférait pas à nulle autre, et la laissait aller vers d’autres. Comment pouvait-il supporter que son père la demande parfois auprès de lui ? Pourquoi avait-il accepté qu’elle soit envoyée vers Esteban ? Elle aurait préféré ne rien savoir de cet amour absolu. Elle se rendit alors compte avec embarras qu’elle n’avait pas prévu que les deux jeunes gens dormiraient ensemble, et se demanda si Tao lui en voudrait de cet impair. Comme Mariko semblait avoir remarqué son trouble, elle décida de lui demander conseil, puisqu’elle côtoyait les étrangers depuis si longtemps, mais comme Mariko était bien en peine de lui répondre, Atsuko prit sur elle d’aborder ouvertement la question avec Tao. Sa réaction lui confirma que la répartition des chambres était bonne, et qu’elle avait manqué de délicatesse en interrogeant Tao. Elle fut toutefois surprise qu’il lui demande à partager la chambre de Teijo et d’Azami, au lieu de dormir seul. Pour rien au monde il ne voulait passer une nuit de plus séparé de ceux qui comptaient pour lui. Il espérait ainsi chasser son cauchemar. Atsuko avait logiquement attribué une chambre par famille, Ichiro et Sora partageant la chambre de Mariko et Tadashi, tandis qu’Azami et Teijo étaient ensemble. Elle avait fait en sorte de libérer des chambres pour que les étranges puissent avoir chacun la leur. Mais à la suite de Tao, Marie demanda à partager la chambre d’Indali. Si elle avait pu dormir sereinement quand elle était dans le Condor, où elle se sentait parfaitement en sécurité, elle redoutait cette première véritable nuit en pays étranger. Elle avait toujours eu du mal à s’habituer aux changements d’environnement, même si elle aimait voyager. Sa curiosité et sa soif de découverte n’effaçaient pas le malaise d’être dans un lieu inconnu, entourée d’inconnus. Depuis l’enfance, elle passait de château en château, sans que ce sentiment ne la quitte, même si elle était accompagnée de servantes familières. La courte période où Zia avait été à ses côtés avait été la seule où elle s’était sentie rassurée et à l’aise partout. La jeune Inca avait la force nécessaire pour affronter l’inconnu, et par sa seule présence, elle apaisait la toute petite fille qu’était Marie à l’époque. Quand son amie l’avait quittée, Marie avait décidé d’être courageuse, car elle avait compris, malgré son jeune âge, que ses petits exils n’étaient rien à côté de celui que vivait Zia. Elle pensait toujours à Zia quand elle changeait de résidence, se demandant où son amie pouvait être, si elle se sentait seule elle aussi. Et c’est dans ces moments là qu’elle ressentait plus vivement la solitude et la crainte de l’inconnu. Le courage ne suffisait pas toujours. Ce soir-là, Zia n’était qu’à quelques dizaines de mètres, à l’abri du Condor, mais Marie la sentait à nouveau loin d’elle, et cela réactivait son malaise. Elle en avait un peu honte, mais elle avait besoin de la présence rassurante d’Indali. Cette dernière accepta sans manifester aucune contrariété. Elle était même heureuse d’échapper ainsi aux mille pensées qui ne manqueraient pas de l’agiter dans la solitude. C’est ainsi que tous purent passer une nuit de repos bien mérité, à part Atsuko et Esteban, qui se firent un devoir de veiller sur l’être aimé.
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Esteban tenta vainement de rester éveillé afin de ne pas manquer le moment où Zia sortirait enfin de sa torpeur. Le sommeil s’empara de lui un peu avant l’aube pour quelques instants avant qu’il ne se réveille en sursaut, saisi par la crainte d’avoir trop dormi et raté sa nouvelle mission. Mais il était encore largement temps de partir chercher le Daimyo Itô. Quand il constata que sa compagne était toujours dans le même état, il lutta pour se raisonner et ne pas paniquer. Jamais elle n’avait mis aussi longtemps pour récupérer. Il commençait à douter qu’elle ne soit pas blessée. Peut-être Tao avait-il posé son diagnostic trop vite, et lui, Esteban, n’avait peut-être pas assez bien vérifié l’état de sa fiancée, surtout depuis son retour à Kagoshima. En se levant, la jeune femme avait peut-être fait un effort préjudiciable à sa santé, provoqué une lésion interne. Non, son pouls était normal, son souffle toujours régulier, il était ridicule de s’inquiéter ainsi. Il l’avait surveillée toute la nuit sans que son état se dégrade. Tao avait dit d’être patient. Mais Esteban n’avait plus de patience. La perspective d’un nouveau vol sans elle, d’une nouvelle journée sans elle, sans sa voix, son regard et ses baisers , lui fut soudain insupportable. Il s’en voulait, et il se mit à lui en vouloir. A cause de lui, elle avait pris de tels risques ! Il n’avait jamais imaginé qu’elle irait si loin. C’était trop pour lui, dès qu’elle se réveillerait, il lui demanderait de ne plus jamais user de son pouvoir de la sorte. Ils avaient déjà convenu qu’elle arrêterait de s’exercer, de le développer, parce que cela l’épuisait à chaque fois. Qu’est-ce qui lui avait fait croire qu’elle pourrait atteindre un tel niveau sans en payer le prix ? Avait-elle calculé le risque qu’elle prenait, ou avait-elle agi par instinct, face à une situation de péril extrême ? Dans ce cas, cela voulait dire qu’elle s’exposait au danger sans rien pouvoir contrôler, et cela, Esteban ne pouvait le tolérer. Quand la couronne avait déclenché ce qui semblait être des capacités de télékinésie à Sundagatt, c’était impressionnant, mais cela n’avait rien à voir avec ce qu’elle avait été capable de faire ensuite, quand elle avait trouvé cette bague d’orichalque sertie de pierres noires qu’elle portait désormais au majeur de la main gauche. Elle avait constaté, sans comprendre pourquoi, que l’anneau semblait avoir des propriétés similaires à celles de la couronne, quoique plus étendues et plus efficaces. Tao avait émis l’hypothèse que les pierres étaient un type particulier de magnétite et que, combinées à l’orichalque, cela créait un dispositif aux propriétés nouvelles. Mais cela n’expliquait pas pourquoi ce dispositif ne fonctionnait qu’avec Zia, ce qui n’était pas le cas de la couronne. Devant l‘inquiétude d’Esteban, elle avait accepté d’être prudente, avait procédé à quelques expériences, de façon progressive. Constatant l’état d’épuisement qui en résultait toujours, Esteban lui avait demandé d’arrêter. Malgré la fierté qu’elle éprouvait, et la curiosité, elle accepta de ne pas pousser plus avant ses expériences. Il n’y avait finalement pas de véritable intérêt à développer davantage ses capacités, qu’elle n’utilisait quasiment jamais. Elle considérait cela comme un héritage, qu’il convenait de préserver. Quand elle mit un terme à ses entraînements, elle eut conscience qu’elle renonçait sans doute à un pouvoir qui pouvait s’avérer essentiel, tout en étant soulagée de ne plus avoir à s’en préoccuper. Dans le monde où elle vivait, ce pouvoir pouvait être un danger pour elle. Esteban la conforta dans sa décision en lui rappelant qu’ils avaient bien d’autres moyens de se défendre en cas de nécessité. Mais elle avait gardé la bague à son doigt. A présent, Esteban la contemplait intensément. Soudain, il prit la main de Zia et voulut lui enlever le bijou. Elle gémit et replia ses doigts avant qu’il ait pu essayer. Il eut honte de son geste. Il n’avait pas le droit…mais sans la bague, elle ne se mettrait plus en danger, il en était certain ! Il voulut faire une nouvelle tentative. Elle serra le poing. Il reposa la main de la jeune femme, le cœur battant, guettant le moindre signe de réveil. Elle détendit sa main, sans ouvrir les yeux. Il renonça. Cela aurait été la trahir. Ils devaient en parler ensemble. C’était une décision qu’il ne pouvait pas lui imposer. Il l’appela, doucement, en vain. Il était temps de partir. Il soupira.
E : Je te demande pardon…je ne sais pas ce qui m’a pris. Je…Tu me manques.
Il quitta la chambre sans se retourner. Dès qu’il fut dans le cockpit, il vit Tao, Indali et Marie qui s’avançaient vers le Condor. Esteban était incapable de se réjouir pour ses amis. Tao et Indali étaient main dans la main. Quand Esteban descendit, ils se lâchèrent aussitôt et leur sourire disparut.
T : Pas d’amélioration ?
Esteban secoua la tête.
E : Il faut lui laisser plus de temps, je suppose.
T : Tu es sur le départ ?
E : Il faut bien.
Ma : Nous t’avons apporté quelque chose à manger. C’est un peu surprenant, mais délicieux. Des boulettes de riz entourées d’algues séchées. J’ai d’abord cru que c’était du papier et qu’il fallait l’enlever, quelle idiote !
E : Ah, des onigiris…merci Marie. Comment se passe ton séjour ?
Ma : Mais…le mieux du monde, assurément ! Je regrette seulement que toi et Zia ne puissiez pas en profiter. Et le seigneur Yoshihisa. Cependant Atsuko nous a annoncé ce matin qu’il avait repris conscience, et qu’il allait plutôt bien au vu des circonstances. Peut-être pourra-t-il se joindre à nous aujourd’hui.
E : Je l’espère. Bien, je vais y aller.
T : Eh, je t’accompagne !
E : Inutile, c’est juste un aller-retour. Reste avec Indali et Marie.
In : Ecoute, si ça peut te rassurer, je peux veiller sur Zia.
E : Et laisser Marie seule ici ? Pas question.
Ma : Ne t’en fais pas pour moi, Esteban. Personne ne craint rien ici.
E : J’ai dit non !
La brutalité du ton mit tout le monde mal à l’aise.
E : Excusez-moi, je préfère être seul, c’est tout.
T : Et tu pars comme ça, sans même une escorte ? Je ne suis pas d’accord.
E : Tu crois que le Daimyo Ito a changé d’avis et qu’il va me forcer à attaquer le château des Shimazu ? Ne sois pas ridicule.
T : On n’est jamais trop prudent avec ces gens-là !
Ic : Esteban ! Attends !
Ichiro accourait. Un peu en retrait, un soldat l’accompagnait. Mariko, Tadashi, Sora, Azami et Teijo les suivaient.
Ic : Le Daimyo Yoshihisa a donné l’ordre que deux hommes t’accompagnent. Je me suis porté volontaire.
T : Ah ! Tu ne vas pas désobéir à un ordre du Daimyo…
E : Mais tu restes ici avec Indali.
T : Comme tu veux…
Esteban remercia Ichiro d’un signe de tête et l’invita ainsi que son camarade à monter à bord. Mariko s’approcha de son ami.
Mar : Zia ne va pas mieux…
Il secoua la tête en grimaçant un sourire, puis s’efforça de rassurer tout le monde.
Mar : Laisse-moi veiller sur elle. Je veux vous aider. Nous restons là, à profiter de l’hospitalité du Daimyo, alors que vous avez déjà tant fait pour nous. Je suis tellement désolée pour tout ce qui est arrivé. Vous étiez venus pour nous rendre visite, et nous ne vous offrons que malheur et tristesse. Tu es triste, Esteban, je le vois. Je peux au moins faire ça pour toi, et pour Zia. Depuis le début, vous tous, et Ichiro, Tadashi, Azami, vous me laissez en dehors de tout ça, vous voulez me protéger…Permets-moi de vous accompagner. Tu auras l’esprit plus serein.
In : Tu prends tout sur toi, Esteban, mais tu n’es pas obligé. Accepte.
Ta : Je me débrouillerai avec Sora sans problème. Si Mariko veut faire un tour…je te fais confiance pour la ramener.
Mar : Tadashi ! Arrête de te moquer ou je ne te pardonnerai jamais de m’avoir caché qu’Ichiro était vivant ! Tu pourras faire une croix sur mes mochis aux haricots sucrés !
Ta : Esteban, je t’en prie, je crois qu’elle est sérieuse…
Esteban soupira et baissa la tête. Quand il la releva, il affichait un semblant de sourire.
E : D’accord. Je suis désolé de vous causer tous ces soucis…Nous serons vite de retour.
T : Je me charge du comité d’accueil pour le Daimyo Itô !
E : Tu serais capable de tout faire capoter…
Tao se mit à rire.
T : T’inquiète, Marie va m’apprendre les bonnes manières !
Quelques instants plus tard, le Condor prenait son envol. Le Daimyo Shimazu avait observé son départ. Averti que son fils allait mieux, il décida de lui rendre visite. Yoshihisa le reçut, assis sur son futon, le dos calé. Malgré les réticences du médecin, il avait tenu à ne pas rester alité face à son père. Ce dernier ne se décida à parler qu’après de longues minutes, mains sur les genoux, tête baissée. Yoshihisa était décidé à ne pas briser le silence le premier.
S : As-tu prévu que je te représente tout à l’heure face à Itô ?
Ya : Non. Je le recevrai moi-même. Mais j’aimerais que vous soyez là aussi. Ainsi que Yoshihiro. J’espère qu’il acceptera de laisser le reste de nos troupes rentrer sous le commandement de Matsumoto. Au besoin, nous patienterons.
S : Combien de temps comptes-tu retenir le Daimyo ici ?
Ya : Aussi longtemps qu’il faudra pour que nous scellions dignement notre alliance.
S : Sache que je m’apprête à partir pour le Kagoshima-jingu.
Ya : Vous avez toujours aimé vous retirer dans ce temple.
S : C’est vrai…mais cette fois ce sera définitif. Yoshihisa…Il y a un mois, la dernière fois que j’ai dormi là-bas, j’ai rêvé que j’étais devenu la déesse Batô Kannon, coiffée d’une tête de cheval. Dans mon rêve, j’attendais en vain, pendant des années, qu’on vienne me prier, personne ne venait pour me rendre un culte. Alors je décidais d’offrir ma protection à toute la région, si les gens en retour venaient me rendre hommage et déposer des offrandes. Quand je me suis réveillé, j’en ai parlé au grand prêtre, il avait fait le même rêve. Pour lui, cela signifiait que nous devions instaurer une nouvelle fête, afin d’inciter les gens à venir honorer la divinité, afin d’apporter la paix à la région. Je lui ai ri au nez. J’avais autre chose à faire que d’organiser un nouveau rituel. La guerre…la guerre ne se gagne pas en organisant des fêtes ! Il m’a mis en garde. Un signe divin ne se néglige pas. Je lui ai répondu que j’instaurerais le rituel après ma victoire. Que ce rêve m’encourageait à persévérer, car la victoire était proche, à condition que mon peuple fasse un effort supplémentaire. Ils devaient se ranger derrière moi, consentir à tous les sacrifices, et moi, en retour, je leur offrirais la paix, en me dévouant corps et âme à notre terre. Ce rêve…ce rêve m’est revenu à l’esprit face à l’étrangère. Elle m’a semblé être l’incarnation de Kannon. Sa fureur, légitime, me rappelait que je n’offrais de protection à personne, que je n’avais fait qu’opprimer mon peuple. Et la victoire s’éloignait. Kannon…Kannon est prête à se sacrifier pour les êtres humains, elle est toute compassion et comprend la souffrance du monde. C’est celle qui entend les cris du monde. Dotée de mille bras et de mille yeux, elle voit tout, agit sur tout…Elle prend toutes les formes….Cette fille…c’était Kannon. Elle était puissance et compassion à la fois. Tout ce qu’elle faisait, c’était pour aider…pour arrêter la souffrance…Tu connais le Kannon Gyo, le soutra du Lotus : « Si vous êtes cernés par des animaux féroces, que leurs crocs aiguisés et leurs griffes acérées vous terrorisent, à ce moment-là, si vous vous concentrez sur le pouvoir de Kannon, ces démons s’enfuiront au loin….Si vous êtes cernés par des voleurs, des assassins et des brigands, et que chacun d’eux brandit une épée et vous menace…
Ya : A ce moment-là, si vous vous concentrez sur le pouvoir de Kannon, chacun d’eux sera animé de l’esprit de compassion ».
Le Daimyo Shimazu acquiesça.
S : Je n’en ai pas eu conscience sur le moment, mais je suis sûr que le pouvoir de Kannon a frappé mon esprit, m’a fait abandonner mon ego…et quand l’égoïsme disparaît, aucune difficulté ne persiste. Tout est devenu clair, j’ai compris ce que je devais faire.
Ya : Soyez-en remercié.
Le pouls du jeune Daimyo s’accélérait. Jamais son père ne s’était ainsi ouvert à lui. D’ailleurs, depuis quand s’étaient-ils réellement parlé ?
S : Tu sembles avoir eu moins de peine que moi à te concentrer sur le pouvoir de Kannon. Dès le début, tu as compris qu’il fallait écouter l’étrangère, et tu as suivi son exemple au péril de ta vie. Sans toi, jamais mon erreur n’aurait pu être réparée.
Il avait lâché ces mots d’une traite, comme s’il craignait de ne pas pouvoir les prononcer. Les tempes de Yoshihisa battaient. Il n’aurait jamais cru son père capable d’un tel aveu. Mais il ne se sentait pas encore capable de le remercier pour cela. Le souvenir de ses humiliations était trop vivace. Sa poitrine gardait la trace douloureuse du sabre de son père. Combien de fois avait-il dû se maîtriser pour ne pas donner à son père le plaisir de voir qu’il le faisait souffrir ? Il s’efforça de répondre de la façon la plus neutre possible.
Ya : C’est pour cela que vous voulez vous retirer dans ce temple.
S : Oui, j’y méditerai sur mes erreurs, et m’efforcerai de mieux suivre les enseignements de Kannon, qui semblent ne plus avoir de secrets pour toi. Et j’instaurerai ce nouveau rituel. Nous l’appellerons le Hatsu Uma matsuri. Un cheval mènera la procession jusqu’au temple. Je veux que ce rituel soit dédié à la protection de tous les êtres vivants, et célèbre l’harmonie des hommes et de la nature. Qu’il rappelle le message de Kannon, et rende hommage à la paix, ainsi qu’à ceux qui oeuvrent pour la maintenir, qu’ils soient seigneurs ou paysans.
Ya : Je vous aiderai dans votre tâche.
Le père s’inclina devant son fils et prit congé. Yoshihisa ferma les yeux. Si la douleur n’avait pas été si vivace, il aurait cru que cet entretien n’avait été qu’un rêve. Il se rappela avoir insisté pour suivre Zia et jouer le rôle de son otage afin de savoir comment réagirait son père face à une telle situation. Yoshihisa avait conscience que son père venait de faire un pas immense vers lui. Malgré sa rancœur, il espérait être capable de faire de même. Il n’avait pas dit à la jeune fille qu’il souhaitait aussi la protéger, même si sa détermination laissait entendre qu’elle n’en avait pas besoin. En repensant aux paroles de son père, il se demanda si dès le moment où elle était apparue dans sa chambre, il n’avait pas été touché par le pouvoir de Kannon. Son père avait l’air de croire que l’étrangère incarnait ce pouvoir. Une chose était sûre. Elle n’était pas de ceux qui se contentent d’apprendre les préceptes qu’on veut leur inculquer sans les laisser pénétrer dans leur esprit, leur cœur et leur âme, et sans y croire vraiment. Jusqu’à sa rencontre avec elle, il avait été de ceux là. Impuissant à changer la situation qui le vouait à être un guerrier au service de l’ambition de son père, il avait résisté à sa façon sans vouloir céder à aucune illusion. L’art le comblait, égoïstement, lui laissant croire que la beauté et l’harmonie qu’il prodiguait suffisaient à justifier son inaction. Il croyait n’être capable de rien d’autre. Le mépris de son père et de son frère le confortait dans cette idée. A quoi bon agir, si personne autour de vous ne croit en votre action ? Zia avait bousculé ses certitudes, et il avait décidé d’agir, enfin. Esteban lui avait fait confiance. Son père lui avait fait confiance. Son frère lui avait fait confiance. Tout à l’heure, le Daimyo Itô serait là. Et il voulait que son père assiste à l’entretien, se confronte à son ennemi de la veille. Il savait que cela lui pesait, qu’il luttait encore contre sa rancune et sa haine, et craignait qu’elle se ravive en la présence de son rival. Mais cela l’aiderait à trouver le repos, Yoshihisa en était persuadé. Avant de se retirer au temple, son père avait besoin du pardon et de la reconnaissance de tous, de la sienne y compris. Il fallait aussi que l’étrangère soit là. Atsuko lui avait appris qu’elle était toujours inconsciente, sans doute épuisée, et que cela inquiétait beaucoup ses amis. Comment elle avait pu faire ce qu’elle avait fait, il n’en savait rien, pas plus qu’il ne savait comment l’aider à présent. Etait-elle vraiment une incarnation de Kannon comme son père semblait le croire ? Avait-elle suivi l’enseignement d’un bouddha, quelque part au-delà des mers et était-elle sur la voie du véritable éveil? Sa quasi invulnérabilité laissait même penser qu’elle avait atteint, sous leurs yeux, l’éveil. Sa capacité à inspirer les autres semblait le confirmer. Il n’avait jamais sérieusement envisagé que l’éveil puisse être une réalité atteignable, et se traduise par ces sortes de miracles auxquels ils avaient assisté, mais il commençait à le croire. Pour lui, c’était plutôt une forme de sagesse, à laquelle il avait renoncé pour se consacrer au plaisir sans nuire à personne. C’était autrefois bien suffisant à ses yeux. Ce qui s’était passé la veille l’avait assurément changé. Cela avait changé également son père. Ce changement serait-il durable ? En se retirant au temple, le Daimyo Shimazu montrait en tout cas qu’il avait l’intention de tout faire pour se libérer de ses anciennes passions. Yoshihisa chassa les souvenirs qui revenaient l’assaillir, les souvenirs des confrontations avec ce père autant aimé que détesté. Il songea à nouveau à Zia. Les autres s’inquiétaient pour la jeune femme, mais peut-être son long sommeil était-il une étape nécessaire pour que son corps s’adapte à sa nouvelle qualité de boudha. Cette pensée le réconfortait. Il ne pouvait oublier les larmes de Zia, et son étreinte farouche. Elle lui avait paru si fragile alors, mais elle s’était révélée si forte. Il se persuada que la faiblesse qui causait tant d’inquiétude à ses proches n’était qu’une nouvelle manifestation de cette force, qu’elle leur prodiguerait à tous à son réveil.
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Yoshihiro avait quitté le château d’Agata au lever du jour. Il mettait un point d’honneur à rentrer à Kagoshima avec les hommes valides. L’oiseau d’or rapatrierait les blessés qui n’avaient pu être transportés la veille, mais il n’était pas question qu’il bénéficie du même avantage. Il avait médité toute la nuit sur sa conduite. Il avait pris de mauvaises décisions, compromis la mission de son frère. Ce dernier ne lui avait adressé aucun reproche, mais en représentant le clan Shimazu à sa demande, lors de la cérémonie de seppuku, Yoshihiro n’avait pu s’empêcher de penser qu’il aurait pu lui aussi faire preuve du même courage que le fils du Daimyo Ito, et expier sa faute. Puis il comprit que Yoshihisa lui donnait là l’occasion de se montrer digne de la mission qu’il lui confiait , en affrontant le spectacle de cette mort consentie sans frémir. Il avait rêvé de se couvrir de gloire, il prenait là une leçon d’humilité. Il se prépara, et quand le sabre s’enfonça dans la chair, il ne broncha pas, et continua de regarder. Une telle mort n’avait de prix que si le suicidé restait digne, et si les spectateurs soutenaient sa dignité en ne détournant pas le regard. Il fit un tel effort sur lui-même qu’il sut qu’il n’aurait pas pu mourir aussi dignement, et se méprisa pour avoir osé croire qu’il en était capable. La confiance que son père lui avait accordée l’avait grisé, mais désormais, il se montrerait plus sage. Le chemin du retour était pour lui une façon de montrer qu’il entendait rester à la place qu’il méritait, sans prétendre à mieux. Yoshihisa était le nouveau Daimyo, et il le servirait fidèlement. En l’apercevant cheminer avec ses troupes, depuis le Condor, Ichiro fut légèrement contrarié de constater qu’il était déjà parti, mais il pouvait aisément comprendre que Yoshihiro avait considéré que c’était la meilleure chose à faire.
E : Nous ne sommes pas pressés. Du moment que je conduis le Daimyo Ito à Kagoshima, ils peuvent bien faire leur entrevue quand ils veulent.
Ic : Et si tu ne peux pas revenir ici avant la nuit ?
E : Eh bien Yoshihisa offrira l’hospitalité à son hôte pour la nuit, où est le problème ? Franchement, ce n’est pas ce qui me préoccupe en ce moment, je t’assure.
Ils arrivèrent bientôt en vue du fief du clan Itô. Dès l’annonce de leur arrivée, le Daimyo Itô sortit pour les accueillir. Esteban ouvrit le cockpit et s’adressa à lui sans descendre, ce qui fit frémir Ichiro.
E : Dès que nous aurons embarqué les derniers blessés, nous pourrons partir, si cela vous convient.
Le Daimyo ne se démonta pas.
I : Je suis prêt. Je souhaite que mon secrétaire m’accompagne. Je vois que vous avez deux hommes avec vous. Voyez-vous un inconvénient à ce que je fasse de même ? L’homme qui vous accompagnait n’est pas venu ?
E : Je ne l’ai pas souhaité. Et je ne m’oppose à aucun de vos désirs. Vous êtes l’hôte du Daimyo Shimazu à partir de ce moment.
I : Eh bien, seuls mon secrétaire et mon fils cadet Hideyoshi m’accompagneront dans ce cas.
E : Parfait.
Ic : Esteban, je vais m’occuper de faire embarquer les blessés. Mais montre-toi un peu plus courtois. Descends au moins les saluer.
Sans conviction, Esteban fit ce que son ami lui suggérait.
Mariko se demandait combien de temps allait durer leur halte. Que ce soit au décollage ou à l’atterrissage, elle n’avait remarqué aucun changement chez Zia. Elle avait été surprise de la voir si paisible. Vu l’inquiétude d’Esteban, elle s’était attendue à remarquer des signes de souffrance. Elle-même s’était angoissée depuis la veille. Elle s’en voulait de ne pas avoir prêté davantage attention à son amie, elle se disait qu’elle aurait peut-être pu l’aider, mais tout était allé si vite, et Esteban avait soustrait Zia à la vue de tous. Il fallait s’occuper de Sora, veiller sur Marie aussi…A présent, Mariko se rendait compte qu’elle avait insisté pour venir davantage pour se rassurer elle-même, sous prétexte de rassurer Esteban. En constatant que sa présence n’était que de peu d’utilité, et que Zia avait tout simplement l’air d’une personne endormie, elle était troublée. Elle aurait dû se réjouir, mais le mystère qui entourait Zia la mettait mal à l’aise. Elle se rendait compte qu’elle savait si peu de choses sur son amie. Aucun être humain ne pouvait faire ce qu’elle avait fait. Elle s’en voulut d’une pareille pensée. Elle n’avait jamais considéré que ses amis devaient être traités différemment, parce qu’ils étaient différents. Ils étaient des gaijins, des étrangers, mais cela ne l’avait jamais gênée. Leur oiseau d’or l’avait émerveillée, elle n’en avait jamais eu peur, elle avait accepté cette nouvelle réalité, tout simplement. Son grand-père avait fait de même. Il était le gardien de l’otsurobune, il savait que le monde recélait des mystères précieux, et il en était curieux et respectueux à la fois. Il leur avait appris, à elle et à son frère, à ne pas avoir peur de l’inconnu. Mariko sourit. Comment pouvait-elle avoir peur de Zia ? Tout cela avait une explication, qu’elle ne connaissait pas encore. Il suffisait de garder envers son amie la même attitude qu’avant. Rien n’avait vraiment changé, à part l’avènement de la paix. Les questionnements n’avaient pas d’importance en regard de la reconnaissance qu’elle devait à Zia. Elle lui caressa doucement le front. La porte s’ouvrit. Ichiro venait la prévenir que le Condor allait bientôt décoller. Esteban ne s’était pas montré. Pendant les minutes qui suivirent, Mariko laissa son esprit vagabonder. Elle avait hâte de rentrer chez elle, avec Tadashi. De reprendre une vie normale. Il y avait Sora. Resterait-il au château ? Il semblait si attaché à Ichiro…et Tadashi avait l’air de l’apprécier aussi. Quant à Azami, il faudrait l’interroger sérieusement sur ses intentions.
Z : Où est-il ?
Mariko sursauta. Elle n’avait pas remarqué que Zia s’était réveillée.
Mar : Zia ! Oh, quel soulagement!
Z: Où est-il ?
La jeune femme regardait la couchette en face d’elle, sans prêter attention à son amie.
Mar : Qui ? Esteban ? Il pilote, il sera si heureux !
Z : Non. Le fils du Daimyo, où est-il ?
Mariko se souvint qu’Ichiro avait trouvé Zia ici avec le jeune Daimyo, qu’elle avait pris la peine de soigner un peu. Elle reconnaissait bien là son amie, toujours à se soucier des autres. Elle se souvint que Zia devait ignorer tout ce qui s’était passé depuis son évanouissement.
Mar : Il va mieux, il est au château. Et à présent, c’est lui le Daimyo.
Zia tourna enfin la tête vers son amie. Mariko lui sourit.
Mar : Tu as été entendue. Le Daimyo Shimazu a abdiqué en faveur de son fils. La paix est signée avec le clan Itô. Cela n’a pas été sans mal, mais c’est arrivé, enfin !
Z : Pourquoi es-tu là ? Où allons-nous ?
Zia semblait toujours préoccupée, comme si les bonnes nouvelles avaient glissé sur elle.
Mar : Esteban est allé chercher le Daimyo Itô. Il va y avoir une petite cérémonie au château de Kagoshima, je suppose. Le Condor ramène aussi les derniers blessés. Et moi je veille sur toi. Ichiro est avec Esteban. Les autres sont à Kagoshima, libres.
Z : Ils se sont battus malgré tout…
Mar : Ce n’est pas ta faute. Et tout est réglé à présent ! Oh, Zia, c’est toi qui as rendu cela possible !
Z : Combien de temps suis-je restée inconsciente ?
Mar : Eh bien, depuis hier matin…à part ton court réveil pour soigner notre Daimyo. Cela fait bien un jour plein et une nuit. Nous nous sommes beaucoup inquiétés, surtout Esteban….
Z : Il m’a gardée ici, dans le Condor, tout ce temps ?
Mar : Oui, il a eu si peur, après ton évanouissement, il t’a transportée ici, il voulait partir, avec nous tous…Le seigneur Yoshihisa a d’abord voulu le convaincre de rester, mais il a vite renoncé. Alors son père a surpris tout le monde en abdiquant. Il voulait sans doute qu’Esteban accepte d’aider le clan Shimazu, mais il savait bien que c’était impossible après ce qu’il avait fait. Il voulait qu’Esteban aille porter avec son fils une proposition de paix au clan Itô. Esteban n’a pas cédé pour autant. Il a fallu que la princesse Marie intervienne. Et…et nous avons plaidé aussi en la faveur de notre nouveau Daimyo, moi, Tadashi, Ichiro, Azami et Teijo. Sans cela…mais je ne blâme pas Esteban il a fait ce que son cœur lui dictait. Et il a fini par accepter. Nous devons tous le remercier, et toi aussi, toi surtout !
Elle se tut. Zia restait silencieuse, assimilant les informations qu’elle venait de recevoir.
Mar : Comment te sens-tu ?
Z : Bien. C’est juste que…tu sais, je n’avais pas l’intention de faire…enfin, je suis désolée de vous avoir causé tant d’inquiétude. Je ne sais pas ce qui m’a pris….
Mar : Oh, Zia, ne t’excuse pas, je t’en prie !
Z : Tu n’as pas peur…de moi ?
Mar : Tu es mon amie, tu le seras toujours, quoiqu’il arrive, quoi que tu fasses, et surtout si tu sauves ceux qui t’aiment, mais aussi une foule d’inconnus qui vont pouvoir enfin vivre en paix grâce à toi ! Nous serions bien ingrats…
Zia se redressa pour s’asseoir, puis serra son amie dans ses bras.
Z : Merci, merci Mariko. Tes paroles me réconfortent.
Mariko l’enlaça à son tour et la serra fort contre elle.
Mar : Merci Zia, du fond du cœur…J’espère que tu accepteras de te montrer au château. Je suis sûre que Sire Yoshihisa t’est infiniment reconnaissant.
Z : J’ai besoin d’un peu de temps…
Mar : Bien sûr…je vais te laisser. Tu voudrais peut-être commencer par quitter ce costume…Je me charge de prévenir Esteban que…
Z : Non ! Pas maintenant ! Je ne suis pas prête, je…il est occupé, il est en plein vol…je ne veux pas le déranger…
Mar : C’est juste. Mais je suis sûr qu’il serait ravi d’être dérangé. Je serai dans le salon si tu as besoin de moi.
Elle sourit et se retira. La réaction de Zia la laissait malgré tout songeuse. Son amie semblait vraiment préoccupée à l’idée de se retrouver face aux témoins de son acte héroïque, et face à Esteban en particulier. Mariko aurait au contraire imaginé qu’elle aurait hâte de revoir son fiancé.
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Au château de Kagoshima, Tao s’impatientait. Esteban aurait dû être de retour depuis longtemps. La présence d’Indali ne parvenait pas à le détourner de ses préoccupations.
In : Je suis sûre que tout va bien. Embarquer tous les blessés, tu as dit toi-même que ça prenait du temps. Et il y a certainement eu d’autres détails à régler. Le Daimyo Itô n’était peut-être tout simplement pas prêt.
T : C’est ça, Esteban a dû assister au suicide rituel du fils aîné par-dessus le marché peut-être !
In : Peut-être…Calme-toi, ils vont arriver !
T : Et si on s’est fait avoir ? Si ça se trouve, le Daimyo Itô a embarqué des troupes ! Il va obliger Esteban à attaquer le château ! Il est peut-être arrivé quelque chose à Esteban, à Ichiro, à Mariko, à Zia !Je n’aurais jamais dû accepter de les laisser partir !
In : Je comprends que tu t’inquiètes du retard, mais il y a mille explications possibles, sans songer à la pire. Pourquoi le Daimyo Itô reviendrait-il sur une décision qui a coûté la vie à son propre fils ?
T : Je ne sais pas moi, je ne suis pas dans sa tête et je ne veux pas y être, je veux être loin d’ici, avec toi, Esteban, Zia…
In : Et Marie…
T : Oui, Marie, bien sûr, en tout cas, loin de ces gens irrationnels qui s’entretuent puis font la paix sur un coup de tête !
In : Tu exagères, et tu es injuste…
T : J’exagère à peine !
In : Tu aurais préféré une autre issue ?
T : Non, bien sûr que non ! Oh, Indali, ce pays me rend fou, si tu savais…j’en fais des cauchemars…
In : Ils seront là bientôt.
Le Daimyo Shimazu avait donné ses instructions. On n’était jamais trop prudent. Son fils était trop vulnérable. Il faudrait rester sur ses gardes jusqu’au départ du Daimyo Itô. Qui savait ce que ce dernier avait derrière la tête en venant à Kagoshima ? Un ou deux hommes pouvaient suffire. Yoshihiro était resté là-bas. N’avoir aucune nouvelle de lui contrariait son père. Yoshihisa lui avait demandé d’assister au suicide rituel du fils Itô, l’occasion était trop belle ! Le Daimyo Shimazu luttait contre ses soupçons, contre sa défiance. Une partie de lui voulait croire à l’issue idéale, l’autre partie connaissait trop la routine des trahisons pour laisser son esprit tranquille. Il ne parvenait plus à écrire aucun haïku. Il avait hâte de partir pour le temple. Avant cela, il faudrait encore sonder le cœur et l’âme de son ennemi afin de croire en sa sincérité. Ou l’éliminer avant qu’il ne soit trop tard.
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E : La visite vous a plu ?
Esteban posait la question par pure politesse. Il n’éprouvait qu’indifférence envers son hôte, et la curiosité de ce dernier l’indisposait. Il faisait de gros efforts pour lui répondre aimablement. Il se félicita de ne pas avoir emmené Tao. Ce dernier aurait pu certes le dispenser de répondre aux questions, mais Esteban pariait qu’il aurait rapidement été exaspéré. Tao avait toujours soupçonné les gens puissants d’avoir des arrière-pensées. Et Esteban ne pouvait s’empêcher de se demander si le Daimyo Itô n’était pas un peu trop curieux. S’il avait pu jeter un œil dans chaque pièce du Condor, il l’aurait fait. Quand ils étaient passés devant la chambre où reposait Zia, Esteban avait eu des sueurs froides, et s’était imaginé en train de se jeter sur son hôte s’il avait voulu y pénétrer. Il allait falloir à présent supporter ses questions concernant les commandes, et tout le reste. Il décida d’être le plus bref possible pour décourager le Daimyo. Quand ils seraient dans les airs, il espérait que le spectacle suffirait à lui clouer le bec. C’est ce qui arriva dès le décollage. Au fur et à mesure qu’ils prenaient de la hauteur, Esteban se détendit. Il était encadré par le Daimyo Itô et son fils cadet. Derrière eux se tenaient les hommes qui les accompagnaient. Bientôt des murmures s’élevèrent. Esteban ne put s’empêcher d’éprouver de la fierté. Il était le maître de cette machine extraordinaire. Lui seul avec Zia pouvait procurer aux autres ces émotions. Il s’était bien gardé de parler de Zia, mais il avait mis les choses au clair avec le Daimyo : le Condor n’avait qu’un seul pilote. Le Condor était unique. Et personne à l’heure actuelle sur terre ne possédait la capacité de reproduire une telle technologie. Alors qu’il avait prévu d’aller directement à Kagoshima, il éprouva soudain l’envie d’en mettre plein la vue à ses passagers, et de leur faire la démonstration de toutes les capacités de la machine, à l’exception de sa puissance de feu. C’était une façon de devancer les questions, et de s’amuser un peu. Il s’attendait à déclencher quelques frayeurs, mais ce furent plutôt des exclamations admiratives, qui le gonflèrent d’orgueil.
I : C’est véritablement incroyable ! Vous me comblez…Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que nous vivons….notre vie est suspendue à vos mains expertes ! Quant à cette beauté…c’est un éblouissement !
E : Et vous n’en voyez qu’une partie ! Le monde est si vaste…
I : Je ne doute pas que vous avez vu plus de merveilles que je n’en verrai jamais….je vous remercie de me permettre de partager votre bonheur un court moment…
E : Nous pouvons prolonger un peu le voyage si vous le désirez.
I : Sommes-nous encore loin ?
E : Nous pourrions être bientôt arrivés. Mais j’ai fait un petit détour.
I : Voir toutes ces terres que j’ai longtemps convoitées, toutes à la fois, toutes ensemble réunies dans mon seul regard, et pourtant impossibles à tenir dans ma main…
E : Il est toujours appréciable de parcourir librement des territoires. Je le fais dans les airs sans problème, mais c’est un privilège. Si je peux aider les autres à le faire sur la terre ferme, c’est sans hésitation !
I : Vous avez raison…nous voulons tous cette liberté….mais trop souvent au détriment des autres…au moins, désormais, les fiefs des Itô et des Shimazu seront-ils une terre de liberté. J’ai peur toutefois qu’il ne nous faille la défendre bientôt…Notre alliance pourrait inquiéter les seigneurs du Nord.
E : Il suffit de déclarer clairement que vous n’avez pas d’intention d’expansion.
I : Ce n’est pas si simple…Peut-être qu’en ce moment même des espions sont en route…Unifier la péninsule sous une seule bannière est un vieux rêve, que certains ne sont pas prêts à abandonner. Tant que les Shimazu et les Itô s’affrontaient, cela les arrangeait. Maintenant qu’ils s’allient….
E : Ils représentent un danger potentiel. Une concurrence.
I : Exactement. Quant à savoir si quelqu’un aura l’audace de nous attaquer…
E : Une alliance est tout aussi possible. Je vais vous montrer ce que ça donnerait, d’en haut !
Esteban n’avait aucune envie d’être amené par le Daimyo sur le sujet d’un éventuel appui du Condor lors de tractations diplomatiques ou de confrontation militaire. Il prit résolument le parti d’étourdir son invité par le spectacle de nouvelles splendeurs.
E : Peut-être arrivera-t-il un jour où toutes ces îles connaîtront la paix sous un commandement unique ? Et savez-vous combien de volcans compte le Japon ?
Le soleil avait effectué la majeure partie de sa course quand ils arrivèrent en vue de Kagoshima. Le Daimyo Itô et ses compagnons étaient comblés, et Ichiro n’avait même pas songé à rappeler à Esteban leur mission. Ce qu’ils avaient vu, ils étaient presque les seuls au monde à l’avoir vu, et cela leur faisait oublier tout le reste.
E : J’espère que vous ne m’en voulez pas. Il vous faudra probablement accepter l’hospitalité du Daimyo Shimazu pour la nuit.
I : Comment pourrais-je vous en vouloir ? Esteban-san, merci.
Il ne put rien ajouter. Il était bouleversé. Il regrettait de ne pas avoir offert cette expérience à son benjamin. Mais il n’avait pu se résoudre à prendre le risque de laisser ses deux fils à Agata, ou des les emmener les deux avec lui. D’un côté ou de l’autre, une trahison était toujours possible, même si elle était peu probable.
Entouré d’une dizaine d’hommes armés, le Daimyo Shimazu assista à l’atterrissage du Condor. En retrait, ses hôtes étrangers observaient la scène. Il leur avait enjoint de rester à bonne distance. Tao n’avait pas protesté. Marie affichait une mine contrariée. Sora se cachait derrière Tadashi, mi apeuré, mi fasciné. Il guettait Ichiro.
E : Ichiro, que penses-tu du comité d’accueil ?
Ic : Qu’il était temps que nous arrivions. Mais je te remercie quand même pour le voyage. Je n’avais jusque là pas pleinement apprécié ma chance.
E : On descend tous ensemble. Je serai en tête, si vous le permettez.
I : Je n’ai rien à craindre, n’est-ce pas ? Alors je passerai le premier. J’ai tellement hâte !
H: Père !
I : Faisons honneur à ce comité d’accueil.
Le ton ne souffrait pas de réplique.
E : Préparez-vous….
Quelques instants plus tard, les deux ennemis d’hier se faisaient face. Le Daimyo Shimazu s’inclina le premier.
S : Soyez les bienvenus.
I : Merci. Voici mon fils cadet, Hideyoshi. Et mon secrétaire, Sugita Norinaga. Il vous rapporte les documents.
Il fit un signe à son secrétaire, qui s’avança.
I : Voici d’abord le traité de paix que vous avez rédigé vous-même, et que j’ai signé avec votre successeur.
Le secrétaire tendit un premier rouleau.
I : Et voici ensuite la copie que mon secrétaire a préparée afin qu’elle soit signée aujourd’hui. Vous pouvez vérifier la conformité avec l’original.
Le Daimyo Shimazu ne fit pas un geste pour prendre les documents.
S : Vous verrez cela avec mon fils. Je constate toutefois que son cadet ne vous accompagne pas. Yoshihisa avait espéré qu’il assiste à votre entretien.
I : Il a tenu à rentrer avec ses troupes. Il s’est mis en route très tôt. Il arrivera avant la nuit.
S : Alors je suppose que nous devrons l’attendre. Si vous voulez bien me suivre…
I : Je vous remercie de me recevoir dans votre demeure…
S : Ce n’est plus la mienne.
Quand ils furent à l’intérieur du donjon, Tao rejoignit Esteban en hâte.
T : Qu’est-ce qui s’est passé ? J’étais mort d’inquiétude !
Esteban haussa les épaules.
E : Disons que nous avons pris notre temps. J’ai voulu que le Daimyo Itô comprenne bien qu’il vivait une expérience unique.
T : Tu vas devoir le ramener demain ! Je veux partir moi ! On dirait que ça t’amuse d’être à leur service !
In : Excuse-le, Esteban, il s’est vraiment beaucoup inquiété…
E : Je suis désolé. Ecoute, Tao, on le déposera demain en partant, d’accord ?
T : On aurait pu partir là, maintenant, tout de suite !
In : Et comment va Zia ?
Esteban la regarda d’un air embarrassé.
E : Je ne sais pas…elle est toujours dans le même état, je suppose…
Ma : Ne faudrait-il pas la faire examiner par un médecin ?
E : Non…je ne sais pas…je vais aller la voir. Mariko doit trouver le temps long.
Ma : Regardez ! C’est Zia !
Esteban resta comme paralysé quelques secondes, puis se retourna. Elle était bien là, au pied du Condor. Elle s’était changée. Il la retrouvait, telle qu’elle était, telle qu’elle devait être, à jamais. Sa chevelure de jais tombait sur ses épaules, comme à son ordinaire. Elle avait perdu son allure guerrière. Elle était magnifique. Il fit un pas, s’arrêta. Elle ne bougeait pas, elle le regardait. Il n’y tint plus, et courut vers elle. Il ne s’arrêta pas avant de la tenir serrée dans ses bras. Bientôt il s’aperçut qu’elle pleurait, silencieusement. Il la serra encore plus fort contre lui et murmura « c’est fini, le cauchemar est fini, je suis là, avec toi ». Elle le repoussa doucement, et sécha ses larmes.
E : Nous pouvons rester dans le Condor. Rien ne t’oblige à sortir.
Elle secoua la tête, puis se dirigea vers ses amis. Esteban la rattrapa et lui prit la main. Elle le laissa faire. Elle savait qu’elle était observée. Elle entendait murmurer autour d’elle. Mais elle ne sentait aucune hostilité. Elle vit certains de ces mêmes hommes, qui avaient obéi aux ordres de leur seigneur et tiré sur elle, s’incliner sur son passage. Elle fut bientôt entourée de visages familiers. Chacun de ses amis exprima son soulagement de la revoir saine et sauve. Mariko les avait rejoints. Elle était heureuse de constater que Zia semblait avoir surmonté sa crainte des réactions qu’elle pouvait susciter après son affrontement extraordinaire contre le Daimyo. Mais elle n’avait pas encore dit un mot. Esteban la dévorait des yeux, sans avoir complètement perdu son air préoccupé. N’y tenant plus, il interrompit Tadashi qui exprimait avec émotion sa gratitude envers Zia en lui tenant les mains et en s’inclinant à de multiples reprises.
E : Et à présent, que faisons-nous ? Tao avait hâte de quitter le château tout à l’heure. Et vous aussi, vous devez avoir envie de retrouver votre foyer. Je peux poser le Condor près de la maison de Yoshi et nous repasserons par ici demain matin pour récupérer le Daimyo Itô.
Mar : Nous ne pouvons pas partir sans avertir notre hôte…
Ma : Oui, c’est inconcevable. Et Atsuko-san a été si prévenante !
E : Bien sûr. Zia, qu’en dis-tu ? Toi aussi, tu dois avoir hâte de quitter cet endroit. Nous n’avons pas de raison de rester plus longtemps. Nous avons fait ce que nous avions à faire, toi plus que quiconque. Nous ne leur devons rien, nous sommes libres.
Elle allait répondre, quand elle remarqua qu’une femme s’avançait vers eux. Elle reconnut la silhouette agenouillée près d’Esteban, les mains liées, la silhouette entraperçue dans la pénombre de la chambre, la femme près de laquelle il s’était endormi, en compagnie de laquelle il avait failli mourir. Esteban perdait patience. Zia ne lui avait pas encore adressé la parole. Il décida d’annoncer à Atsuko leur départ, même si personne n’avait réellement donné son accord. Il était certain que Zia se sentait mal à l’aise au château. Plus vite ils partiraient, mieux cela vaudrait pour elle. Loin d’ici, elle redeviendrait pleinement elle-même. Il chercha confirmation de ses pensées sur le visage de sa bien-aimée, et fut frappé par la dureté de ses traits. Elle semblait s’être fermée à la vue d’Atsuko. Il reconnut ce visage : c’était celui de Zia seule au milieu de la cour, au mépris du danger. Il fut troublé : pourquoi la présence d’Atsuko provoquait-elle pareille réaction ? Il reprit la main de Zia, et la serra, comme pour lui rappeler sa présence et la rassurer. Le regard que lui jeta Zia en retour était immensément triste. Il n’eut pas le temps de se demander pourquoi. Atsuko était là.
A : Esteban-san ! Quel plaisir de vous voir de retour, en compagnie de votre fiancée ! Comme vous devez être heureux tous les deux !
Elle s’adressa à Zia.
A : Je suis enchantée de faire votre connaissance. Esteban-san m’a tant vanté vos mérites ! Soyez la bienvenue, et soyez infiniment remerciée pour tout ce que vous avez fait pour le clan Shimazu.
Elle s’inclina devant la jeune femme. Quand elle se redressa, elle croisa son regard qui la fixait intensément, comme pour sonder son âme. Quelque peu déstabilisée, elle se tourna vers Esteban.
A : Le seigneur Yoshihisa a hâte de pouvoir vous remercier tous comme vous le méritez, et plus spécialement mademoiselle votre fiancée, si elle est pleinement rétablie. Il vous prie humblement de bien vouloir accepter son hospitalité pour cette nuit. Il souhaite honorer toutes les personnes qui l’ont aidé à établir la paix. Son frère sire Yoshihiro n’étant pas encore revenu, cela signifie qu’il vous faudra patienter jusqu’au soir. J’espère que cela ne vous ennuie pas.
Elle se tourna vers Mariko, Azami et Teijo.
A : J’espère que ce contretemps ne vous chagrine pas. Vous devez avoir hâte de retrouver votre foyer.
Mariko s’inclina à son tour.
Mar : Vous nous faites trop d’honneur. Notre place n’est pas ici. Nous ne voulons pas offenser notre seigneur, mais notre présence n’est sans doute pas indispensable.
A : Je vous comprends, mais le seigneur Yoshihisa a bien insisté. Il vous est reconnaissant de lui avoir apporté votre soutien. Et votre frère a été d’une aide précieuse. Du reste, où est-il ?
Esteban réalisa qu’Ichiro n’était plus près de lui depuis que les deux Daimyos s’étaient rendus dans le donjon.
So : Je l’ai vu partir là-bas, derrière l’oiseau, tout à l’heure !
Mar : Il va bientôt revenir, il s’occupait du débarquement des blessés. Atsuko-san, êtes-vous vraiment sûre que notre présence ne dérangera personne ? Sire Yoshihisa reçoit un hôte bien plus important que nous, et qui pourrait s’offenser…
A : C’est aimable à vous de vous inquiéter de cela. Sire Yoshihisa vous demande de l’excuser de vous mettre dans cette situation embarrassante, et espère de tout cœur que vous accepterez d’accéder à sa requête.
Mar : Eh bien…je ne peux accepter au nom de tous. Ichiro n’est pas là…
Consciente qu’un refus était difficilement envisageable, elle ne voulait cependant pas imposer cette décision à ses amis. Pour eux, qui étaient étrangers, il serait sans doute plus facile de refuser, et leur refus serait plus facilement accepté. Pour elle, qui était Japonaise, et qui devait obéissance au Daimyo, c’était plus délicat. Elle chercha à sonder du regard ses amis. Elle savait que Marie se ferait une joie d’accepter, mais cette dernière ne disait mot, ne souhaitant en aucune manière imposer son désir aux autres. Elle avait bien senti que Tao était sur les nerfs, qu’Esteban s’inquiétait encore pour Zia, et voulait l’éloigner.
E : Le Daimyo Shimazu, je veux dire, le père de Yoshishisa, assistera-t-il à cette soirée ?
Atsuko eut un sourire gêné.
A : Il a d’abord décliné l’invitation, mais Sire Yoshihisa a vivement souhaité sa présence…Bien entendu, il comprendrait si cela devait vous gêner…Néanmoins, il vous prie de considérer que c’est lui le nouveau Daimyo, et qu’en conséquence, toute crainte est inutile.
Esteban sentait sa colère monter de manière irrépressible. Tao leva les yeux au ciel. Atsuko affichait le même sourire figé et attendait patiemment une réponse.
Z : Allez dire à Sire Yoshihisa que nous acceptons l’honneur qu’il nous fait.
E : Zia !
La surprise passée, Esteban ne sut quoi ajouter. Entendre cette réponse dans la bouche de celle qu’il désirait plus que tout protéger contre le Daimyo Shimazu était un choc. Zia était d’accord. Zia ne souhaitait pas partir loin d’ici. Zia ne désirait pas être avec lui. Elle préférait passer la soirée en compagnie de ceux qui avaient mis sa vie en danger. C’était incompréhensible, et pourtant…elle n’avait pas peur. La colère d’Esteban retomba. Il se sentit puéril d’avoir voulu décider à la place de Zia, parce qu’il avait peur pour elle, alors qu’elle, elle était si forte ! Il n’avait pas le droit de s’opposer à sa décision. Une fois de plus, elle se comportait si dignement ! Personne ne protesta à la suite d’Esteban pas même Tao, qui semblait pétrifié. Mariko fit signe qu’elle était d’accord elle aussi. Atsuko s’inclina en souriant, et Zia cette fois lui rendit son sourire.
A : Je vous remercie, et vais avertir mon seigneur. On va vous conduire au jardin pour une collation, avant qu’il ne fasse trop frais pour apprécier la beauté du lieu. Je vous y rejoindrai.
Quand elle fut partie, les langues se délièrent.
T : Eh bien, je crois que je vais encore pouvoir me régaler ce soir après tout…Prenons la vie comme elle vient…j’espère simplement que j’arriverai à digérer ce repas pris en compagnie de ce cher Daimyo…
Ta : Oui, Mariko et Zia ne nous ont pas laissé le choix, ah ah ah !
Tei : Je crois que je vais me faire tout petit…je ne vois pas pourquoi le seigneur Yoshihisa tient à m’honorer, moi…tu comprends, toi, Sora ?
So : C’est malpoli de ne pas inviter tout le monde !
Az : Ah ah, oui, sans doute, mais Ichiro mérite certainement plus que mon frère sa place !
Tei : Evidemment ! Et toi, fais la maligne, qui nous as tous fait arrêter !
Az : Justement ! Sans moi, rien n’aurait pu être possible !
Tei : Peuh ! Sans Ichiro tu veux dire !
Az : Allez, je reconnais que si tu n’avais pas été aussi maladroit au point de conduire les soldats jusqu’à la maison de Mariko et de faire arrêter Esteban et Tao par-dessus le marché, la paix n’aurait pas pu être signée. C’est toi le vrai héros.
Ta : Quels gamins ! Vous n’avez pas un peu fini ? Moi, je dis que la personne qui devrait être la plus honorée, c’est Sora. Nous n’avons rien perdu dans cette affaire, à part un peu de dignité quand nous étions prisonniers, et un peu de poids, bien rattrapé depuis. Lui a tant perdu…et il nous a tant donné ! La paix, c’est à lui que nous la devons ! C’est ce que je dirai à notre nouveau Daimyo !
Z : Je suis sûre qu’il en est parfaitement conscient. C’est un être plein de compassion.
Esteban ne fit aucune remarque, mais il se demanda comment Zia pouvait affirmer cela. Avoir observé le comportement de Yoshihisa lors de l’affrontement avec son père était-il suffisant ? En tout cas, elle avait certainement raison, et il devait reconnaitre que Zia avait un don pour saisir la nature de chacun. En même temps, il se sentait contrarié qu’elle n’ouvre la bouche que pour parler de Yoshihisa. C’est aussi lui qui avait retenu son attention lors de son premier et bref réveil. Elle avait pris la peine de le soigner, malgré son épuisement. A cause de cela, elle avait certainement mis plus de temps à se remettre. Il haussa les épaules. Non seulement il éprouvait des craintes puériles, mais la jalousie le gagnait. L’atmosphère du château ne lui réussissait pas ! C’était lui qui avait besoin de s’en éloigner. Bientôt il allait en vouloir à Yoshihisa de les inviter, alors que cet homme ne méritait que sa reconnaissance et son admiration.
Ma : Pour ma part, je n’en doute pas ! C’est une âme si noble ! C’est ce qui m’a convaincue d’appuyer sa requête auprès d’Esteban ! Oh, Zia, si tu l’avais entendu ! Il faut qu’on te raconte tout ça !
Et tandis qu’une servante les conduisait au jardin, Marie accapara Zia pour lui faire le récit de ce qui s’était passé. Esteban prit son mal en patience, n’écoutant que d’une oreille. Les images du dîner en compagnie du Daimyo, quand ils étaient encore prisonniers, lui revenaient en mémoire. Bientôt, il se revit dans la chambre, avec Atsuko. Soudain, la voix de Marie le tira de sa rêverie. Elle lui demanda de leur faire à tous le récit de ce qui s’était passé au château d’Agata, la veille, et du vol avec le Daimyo Itô.
Ma : On a déjà eu la version de Tao et d’Ichiro, mais Zia n’était pas là, quant au vol, tu nous dois bien ça, après toute cette attente !
Ils étaient à présent confortablement installés sur une petite terrasse en bois au bord d’un bassin où nageaient des carpes multicolores. Sora était déjà occupé à les compter, en s’extasiant sur les variations des coloris, la forme des taches, cherchant à trouver quel était le plus gros poisson. Les adultes s’amusaient de le voir si passionné. Esteban ne voulait pas gâcher cette ambiance. Chacun semblait content d’être là. Il s’exécuta. Il parlait surtout pour Zia, guettant ses réactions, heureux de répondre à ses questions, impatient toutefois de ne pouvoir parler qu’à elle, qu’à propos d’elle. Il se détendait. Son vol avec le Daimyo Itô fut abondamment commenté sur le mode de la plaisanterie. Les angoisses récentes s’estompaient, on ne lui tenait pas rancune pour la longue attente. Puis vint le moment où Zia s’intéressa au sort des autres, encouragea Marie, Sora ou Azami à parler. En la voyant si attentive à ce qu’ils avaient pu vivre et ressentir, Esteban eut presque honte de ne songer qu’à elle, parce qu’il comprenait qu’il ne songeait ainsi qu’à lui. Ichiro les avait rejoints.
Az : Ichiro ! Fais entendre raison à Zia ! Elle me félicite pour mon courage, alors que tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour toi, c’était normal, tout simplement. Le courage n’a rien à voir là-dedans.
Tei : Oui, tu as foncé tête baissée dans les ennuis par amour, c’est bien toi, ça !
Az : Teijo ! Vivement que je sois débarrassée de toi !
Tei : En te mariant avec Ichiro ? Il faudrait peut-être lui demander son avis avant…
Az : Tu es impossible !
Tous se mirent à rire.
Tei : Alors, Ichiro, qu’en dis-tu ?
Ic : Que tu es bien impertinent !
Tei : Attention, Azami, la traitresse qui t’a dénoncée a peut-être encore ses chances !Ne te laisse pas faire !
Ic : Non, Azami n’a rien à craindre…Toutes les femmes qui sont ici méritent mon respect et mon admiration. Et Azami mérite…un peu plus que cela.
Tei : J’espère bien ! C’est ma sœur ! Tu entends ça, Esteban ? Je vous invite tous au mariage !
Ic : Nous sommes déjà invités à un autre mariage, chaque chose en son temps…
Tei : Un autre mariage ? Oh, je vois ! Tao, Indali, félicitations !
T : Mais…non !
Mariko pouffa de rire.
Mar : Esteban et Zia sont venus nous rendre visite pour nous annoncer leur mariage qui aura lieu prochainement.
E : Nous n’avons pas eu l’occasion de te mettre au courant, Teijo, désolé.
Tei : Eh bien….je suis très heureux pour vous ! Mais je pensais que vous étiez déjà mariés !Vous êtes si proches…Tu tiens tant à elle…
Ta : Je ne blâme pas Teijo, je pensais la même chose ! Mariko, tu aurais pu me mettre au courant !
Mar : Avec tous ces événements, j’avoue que…
Ta : Ne t’excuse pas, et réjouissons-nous plutôt ! Dommage qu’il n’y ait que du thé, j’aurais bien levé un verre de saké à votre santé !
Ic : Et moi, je remercie les dieux qui ont veillé sur toi, Zia, et sur nous tous. Je suis sûr que Bishamonten et Fukurokuju t’ont accompagnée dans ta mission !
Ma : Qui sont ces dieux ? Je croyais que la religion du Japon était le bouddhisme, nous en avons parlé hier avec Mariko et Atsuko.
Ic : Elles ont sûrement voulu éviter de t’embrouiller trop ! Nous avons aussi une quantité de dieux locaux avec la religion Shinto, dont les sept divinités du bonheur. Ces deux là en font partie. Bishamonten, la divinité guerrière, a dû prêter sa force à Zia, et Fukurokuju, la divinité de la prospérité et de la sagesse, l’a guidée dans ses décisions, afin que la paix advienne !
Ma : Je vois…mais tout cela me dépasse un peu.
Mar : Tu n’avais pas l’air si confiant dans les dieux quand tu as dû laisser Zia partir seule vers le donjon.
Ic : Et ils m’ont donné tort. Mais j’avoue que cela m’a beaucoup coûté de te laisser seule, Zia. Quand l’alerte a été donnée, je ne pensais plus qu’à la façon dont je pourrais vous venir en aide, à toi, Esteban et Tao. Evidemment, je ne m’attendais pas à ce que tu as fait…
T : Je crois que personne ne s’y attendait, même pas ceux qui savaient de quoi était capable Zia.
Ic : Ah ? Pourtant tu m’as dit que…
T : Oui, qu’elle avait un petit talent caché. Mais qui ne s’était jamais manifesté de cette façon.
Mar : Peu importe, ce qui compte c’est que nous soyons tous réunis, sains et saufs. Et n’oublions pas ce que nous devons à Sire Yoshihisa.
Ma : Oui, je remercie Dieu de l’avoir mis sur ton chemin, Zia. D’ailleurs, tu ne nous as pas dit comment cela s’était passé. Tu as surgi avec lui dans la cour, comme otage, mais il a aussitôt pris ta défense. C’est un homme extraordinaire.
Marie s’était tournée vers son amie, dans l’attente d’une réponse. Face au regard insistant de la jeune princesse, Zia comprit qu’elle ne pouvait se dérober.
Z : Quand l’alerte a été donnée, j’ai cherché à me cacher. Les gardes surgissaient de partout, je ne pouvais faire face, j’avais presque épuisé mes munitions. Je suis entrée au hasard dans une pièce plongée dans l’obscurité. C’était la chambre de Yoshihisa. Il a immédiatement compris qui j’étais, et m’a aidée, contre toute attente, alors que j’étais prête à le neutraliser.
Ma : Et tu l’as pris en otage ?
Z : J’étais un peu perdue…j’ai eu cette intention, oui, puis j’ai renoncé, mais il a insisté pour que nous fassions ainsi, il voulait voir la réaction de son père, je crois, c’est ce qu’il a dit en tout cas.
Ma : Ou il ne voulait pas te laisser foncer seule tête baissée vers le danger, j’aurais fait pareil à sa place. Mais quelle idée vous avez eue tous les deux !
Z : Je n’ai pas réfléchi, il fallait agir, et vite. Je suis désolée pour l’inquiétude que je vous ai causée.
Esteban fut touché au cœur par cette sincérité. Loin d’être fière de son exploit, Zia paraissait accablée. Cela le conforta dans l’idée qu’ils devaient discuter sérieusement, et qu’elle ne ferait pas de difficulté à renoncer à explorer davantage les capacités que lui donnaient la bague.
Ma : Loin de moi l’idée de te blâmer ! Tiens, si Père était là, il t’affublerait d’une de ces décorations si encombrantes dont on récompense les guerriers héroïques. J’espère que vous n’avez pas ici de telles choses ! Mais même si c’est le cas, je suis sûre que le seigneur Yoshihisa te récompensera avec meilleur goût !
Z : Tu peux poser la question à Atsuko, elle est peut-être dans le secret….
La franchise de Marie avait redonné le sourire à Zia. Atsuko s’approchait, libérée des préparatifs de la soirée. Elle resta un peu avec eux, et leur apprit que l’entrevue avec le Daimyo Itô s’était bien passée. Les deux hommes avaient signé la copie. Le Daimyo Shimazu avait assisté à la signature, sans faire aucun commentaire. Puis il avait remis au Daimyo Itô un nouveau document attestant de son abdication, l’original devant rester dans les archives du clan Shimazu. A présent, chacun se reposait et se préparait en vue de la soirée. Elle les invita à rentrer pour faire de même.
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Dans la soirée, alors que la nuit était déjà tombée et qu’ils attendaient dans un salon , revêtus des tenues qu’Atsuko avait préparées à leur intention, on vint les prévenir que le dîner était servi dans la salle de réception. Esteban avait demandé à pouvoir se reposer dans une chambre pour récupérer de sa courte nuit de la veille. Il avait espéré que Zia vienne avec lui, mais elle avait décliné son invitation, prétextant qu’il se reposerait mieux seul. Vaincu par la fatigue, il s’était endormi, déçu et quelque peu meurtri. Il avait toujours l’impression que Zia gardait ses distances. Lorsqu’ils étaient au jardin, entourés de leurs amis, il pouvait comprendre et mettait cela sur le compte de la pudeur. Quand il avait insisté pour qu’elle l’accompagne au moins, et reste quelques instants avec lui, elle avait répété qu’elle préférait rester avec Marie, et qu’il avait besoin de repos. Elle ne voulait pas le déranger. Elle avait même ajouté : « Je sais que tu veux me parler. Nous le ferons, plus tard, je te le promets. Laisse-moi encore un peu de temps ». Il voulut lui demander ce qu’elle entendait par-là, mais elle s’esquiva et le laissa seul. A présent, quelqu’un l’appelait doucement. La voix féminine finit par le tirer de son sommeil. Il tendit la main vers le visage de la femme en murmurant « Zia », mais se rendit compte de son erreur en touchant sa peau. Atsuko retira doucement la main d’Esteban en souriant.
A : Nous n’allons pas reprendre là où nous nous étions arrêtés l’autre nuit…
Le jeune homme se redressa tant bien que mal, encore ensommeillé, l’air confus.
E : Je suis désolé…j’ai dormi un peu trop longtemps…
A : Vous en aviez besoin. Mais vous espériez une autre compagnie à votre réveil.
Esteban ne chercha pas à la détromper et explosa soudain.
E : Je ne sais pas ce qui se passe ! Zia garde ses distances, et moi, je n’ai qu’une envie : me retrouver enfin seul avec elle. On dirait qu’elle craint quelque chose, je ne comprends pas ! Cela me rend fou ! J’ai tant de choses à lui dire, elle m’a tellement manqué ! Oh…pardonnez-moi, je m’emporte bêtement…
Atsuko secoua la tête avec indulgence.
A : Je vous comprends…Mais c’est peut-être cela qui lui fait peur. Elle redoute ses propres émotions, en réaction aux vôtres.
E : Mais pourquoi ? Je veux dire, nous sommes si proches, nous avons déjà tant partagé !Etre ensemble, c’est ce qui nous rend heureux ! Cela ne peut pas nous faire de mal, qu’est-ce qu’elle peut donc redouter ?
A : Il faut accepter que l’autre ne partage pas toujours nos propres sentiments. Vous attendez ces retrouvailles avec impatience, mais elle a besoin de temps. Quelque chose la retient, et elle ne voudrait pas vous décevoir en n’étant pas au diapason de vos propres émotions.
E : Me décevoir ? Mais je suis déçu, elle me déçoit déjà ! Quel que soit le problème, si nous en parlons ensemble, je suis sûr que cela s’arrangera !
A : Un cœur de femme est un mystère insondable pour bien des hommes…
E : Son cœur n’a pas de mystères pour moi ! J’aime Zia, et elle m’aime, c’est aussi simple que cela !
A : J’ai parlé avec Sire Yoshihisa tout à l’heure.
E : De quoi ? De Zia ?
Elle acquiesça. Le cœur d’Esteban s’accéléra.
A : J’ai remarqué moi aussi que votre fiancée ne se comportait pas comme vous l’attendiez. Je n’ai cessé de penser à ce que vous m’avez confié cette nuit-là, quand nous étions ensemble, et j’ai constaté que la réalité ne correspond pas à ce que j’avais imaginé. J’espère que vous ne m’en voudrez pas, mais j’ai confié mes impressions à Yoshihisa. Il me demandait des nouvelles de Zia. Et…et je me suis dit, je ne sais pas, que…qu’il pouvait peut-être confirmer une idée que j’avais, et qui pourrait expliquer en partie…
E : Quoi ? Quelle idée ?
A : Eh bien, Esteban-san, je vous prie de m’excuser encore, mais n’avez-vous pas envisagé l’hypothèse que votre fiancée ait pu pénétrer dans la chambre où nous nous trouvions ?
Esteban se figea. Il n’avait pas voulu retenir cette idée, il l’avait chassée de son esprit. Il répondit à contre-coeur.
E : Si…
A : Nous n’avons pas pu la voir, mais…Je me souviens avoir été réveillée par le bruit du shoji brutalement refermé. Et Sire Yoshihisa a pu constater qu’elle était troublée, bien autrement que si elle avait été simplement surprise par les gardes. Au début, il n’y a pas fait attention, mais quand elle a été allongée auprès de lui, sous les couvertures….ne m’en veuillez pas, mais je dois vous dire des choses qui ne vous plairont sans doute pas. C’est le moyen qu’il a trouvé pour la cacher, faire croire aux gardes qu’il était occupé avec une femme, vous comprenez, ils sont entrés, ils ont cherché partout, dans les placards, mais ils ne pouvaient déranger le fils du Daimyo.
Esteban encaissa.
A : Elle a apparemment cherché à se débattre, l’a frappé. On pourrait penser que c’est une réaction normale dans pareille situation, mais elle savait qu’elle devait jouer le jeu, au risque de tout faire rater. Puis elle l’a serré dans ses bras et …il m’a dit qu’elle pleurait, et que cela l’avait bouleversé. A présent, il pense que cela était dû à la crainte qu’elle devait éprouver de vous perdre. Elle avait été surprise par les gardes, vous étiez en danger. Mais de là à perdre ainsi son sang-froid, alors qu’il était plus que jamais primordial de le conserver…
E : Les émotions ne se commandent pas…Et si elle nous a vus…
A : Ce n’est pas le simple fait d’être découverte qui a causé ces réactions peu rationnelles. Vous comprenez, Esteban-san, elle doit lutter encore contre ces émotions violentes.
E : Vous croyez que…
A : Je crois qu’elle s’en veut de nourrir des soupçons. Votre amour est si fort, mais il n’y rien de pire que ce poison-là.
E : Il suffit que je dise la vérité !
A : Croyez-vous que cela soit facile d’aborder le sujet ? De montrer qu’elle a pu douter, ne serait-ce qu’un instant ? Car elle a douté, elle nous a vus, et elle s’est enfuie, plutôt que d’affronter le garde. Et elle vous a laissé…elle a dû s’en vouloir terriblement ensuite.
E : Et c’est Yoshihisa qui a d’abord été témoin de la violence de ses sentiments…puis nous tous, dans la cour…c’est pour cela qu’elle semblait si changée…et maintenant, elle veut garder ces sentiments à distance, elle veut s’en protéger…
A : Et vous protéger. Pour que vous continuiez à croire que votre amour est si beau, pour ne pas vous décevoir, ou vous faire du mal. Pour cela, elle a besoin de temps.
Malgré lui, tandis qu’elle parlait, il imaginait Zia auprès de Yoshihisa, il la voyait le serrer dans ses bras. Il aurait voulu ne jamais savoir ce qui s’était réellement passé, mais en même temps, il devait se confronter à cette vérité, et ne pas laisser Zia seule avec ce poids. Il rejeta brusquement la couverture.
E : Je vais aller la voir tout de suite ! Ce n’est pas la première épreuve que nous traversons, ce ne sera pas la dernière, je veux que nous la traversions à deux !
Il se levait déjà. Elle le retint par le bras.
A : Attendez ! Vous n’avez plus le temps, il faut vous préparer, j’étais venue pour vous prévenir.
E : Alors il ne fallait pas me parler de ça !
A : Vous êtes troublé par ce que je vous ai révélé…
E : Je comprends d’autant mieux ce qu’elle peut éprouver !
Les images du passé ressurgissaient. La violence montait en lui, cherchant un responsable.
A : Calmez-vous, Esteban-san…vous vous faites du mal.
E : Vous ne savez pas…j’ai déjà tué un homme pour elle !
Atsuko ne dit rien pendant quelques instants, et dans ce silence, Esteban revécut les douleurs passées, réactivées par le présent, l’angoisse intolérable…mais la main d’Atsuko ne le lâchait pas. Il finit par se laisser retomber sur le futon.
A : Je suis désolée pour ce que j’ai dit tout à l’heure. Mais j’ai pensé que vous deviez savoir. A présent, il vous faut un peu de temps. Je peux parler, à votre fiancée, moi, d’abord. Pendant que nous vous attendons. Ce sera plus facile pour elle, croyez-moi. Vous serez tous deux délivrés de ce poids, et quand vous vous retrouverez, cette nuit, il n’y aura plus de malentendu pour gâcher votre plaisir.
Elle lui sourit d’un air encourageant.
A : Vous n’allez pas refuser comme Tao-san de partager votre chambre avec celle que vous aimez ?
Sa voix douce, un brin moqueuse, chassait les démons. Esteban revenait peu à peu à la réalité.
E : Non, bien sûr que non ! Mais je vous ai déjà expliqué…
A : Je sais. Allons, laissez-moi faire, ce sera ma façon de vous remercier, tous les deux. Vous vous souvenez comment mettre votre kimono ? Je vais appeler une servante pour vous aider.
Elle se leva et quitta la pièce sans prêter attention à ses protestations. Il se mit debout au moment où la servante entra. Il soupira, et renonça à rejoindre Zia. Atsuko avait sans doute raison. S’il parlait à Zia maintenant, il n’était pas sûr de ne pas être maladroit, et de ne pas la blesser, involontairement. Ce qu’il venait d’apprendre, ce dont il venait de prendre conscience, il lui fallait aussi un peu de temps pour le digérer, comme Zia.
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Quand Esteban pénétra dans la salle de réception, tous étaient déjà présents. La servante qui l’accompagnait le pria de la suivre et le conduisit à côté de Zia. Des tables basses avaient été disposées pour former un rectangle ouvert. Au fond de la salle avaient pris place autour du nouveau maître des lieux son père et son frère à sa gauche, le Daimyo Itô et son fils cadet à sa droite. Sur les côtés avaient été placés les autres invités, les sujets du Daimyo Itô à gauche, les gaijins ainsi que Sugita Norinaga, le secrétaire, à droite. Ce dernier était en bout de table, Esteban et Zia à l’autre bout, près de Hideyoshi Itô. Puis se succédaient Marie, Indali et Tao. Sora avait été placé entre Azami et Mariko et faisait ainsi face à Marie. Ichiro n’en revenait pas d’être assis aussi près de Yoshihiro et de son père. La présence d’Azami lui était précieuse. Tadashi, à côté de son épouse, était heureux d’être en bout de table avec Teijo. Etre dans cette salle de réception du château était assez impressionnant pour qu’il ne soit pas obligé en plus de faire la conversation avec les seigneurs. Il veillerait ainsi à ce que Teijo se tienne bien. Pour l’instant, l’adolescent espiègle avait perdu toute envie de plaisanter et ne pensait qu’à ne pas se faire remarquer. Il était déjà assez soulagé de ne pas avoir à se tenir assis sur le zabuton, le coussin de sol, à la manière traditionnelle, genoux repliés. Il s’était imaginé que tous les seigneurs respectaient cette étiquette, même pour manger, mais tous les hommes étaient assis en tailleur, et les femmes avaient reçu l’autorisation de s’asseoir en amazone. Sans doute le seigneur Yoshihisa voulait-il ainsi mettre ses hôtes à l’aise. Lui-même n’aurait pas pu tenir assis sur les talons dans son état, pas plus que le Daimyo Itô en raison de sa blessure à la jambe. Yoshihisa avait toutefois le dos calé grâce à une chaise basse, un confort que son invité avait refusé. Esteban s’excusa de son retard et s’assit, plus anxieux de connaître l’état d’esprit de Zia que d’avoir été impoli. Atsuko, se tenait en retrait de son seigneur, affichant un aimable sourire de façade qui rendait son expression indéchiffrable. Esteban fit de son mieux pour s’asseoir en tailleur sans heurter la table basse ni déplacer le zabuton. Il ne savait pas ce qui était le pire, être au centre de l’attention de tous, ou être à côté d’une Zia froide et indifférente. Quand une main se posa sur sa cuisse, il sut qu’Atsuko avait eu raison. Il tourna la tête vers Zia et lut sur son visage la sérénité retrouvée. Il se retint pour ne pas l’embrasser passionnément. A la place, il posa sa main sur la sienne et la serra doucement. Elle lui sourit, et son cœur chavira. Il ne remarqua pas que Yoshihisa les observait, amusé, et sursauta quand il entendit sa voix, qui brisait le silence poli qui régnait dans la salle.
Ya : A présent qu’Esteban-san est parmi nous, nous allons pouvoir commencer cette soirée de réjouissances. Je tiens tout d’abord à vous dire à tous que c’est un immense plaisir de vous avoir à mes côtés, en ce jour historique pour le clan Itô et le clan Shimazu. Chacun, à votre manière, vous avez contribué à l’avènement de la paix. Au nom du clan Shimazu, recevez toute ma gratitude.
Il s’inclina, et chacun s’inclina en retour.
Ya : Dès que je serai rétabli complètement, je ne manquerai pas d’associer nos valeureux guerriers à cette célébration de la paix, et de rendre hommage à nos morts. La population aura l’occasion de fêter dignement la venue de cette nouvelle ère. Ce soir, je tenais à rendre hommage à ceux qui nous quitteront bientôt, et qui ont été retenus trop longtemps ici. J’avais aussi une promesse à honorer. Princesse Marie, veuillez m’excuser de ne pas avoir pu tenir cette promesse plus tôt.
Ma : Vous êtes tout excusé, Sire !
Ya : Et je fais devant vous une nouvelle promesse, celle de représenter dignement le clan Shimazu, et d’assurer le bonheur et la prospérité de mes sujets. Jusque-là, je ne me suis guère montré utile. Je remercie mon père de m’avoir accordé sa confiance malgré tout. Mais il ne l’aurait jamais fait, si une personne ne lui avait pas ouvert les yeux, et ne m’avait pas aidé, moi, à sortir de mon indifférence. Si nous sommes ensemble, ici, ce soir, c’est grâce à cette personne extraordinaire, qui a non seulement réussi à sauver les siens, mais a aussi réconcilié un père et son fils, deux clans, et des seigneurs avec leurs sujets. Que ce miracle reste un mystère, pourvu que nous puissions honorer celle qui l’a accompli. Nous serons, éternellement, ses obligés.
Il s’inclina alors profondément en direction de Zia. Pour cette dernière, cette reconnaissance donnait enfin sens et réalité à ses actes, accomplis comme dans un rêve, et dont elle n’avait su les conséquences que par la bouche d’autrui. Elle avait devant elle les personnes qui avaient subi ces conséquences, dans leur chair et dans leur esprit, et qui étaient sortis transformés de cette expérience, pour leur bien et le bien de tous. Cela effaçait tout, la souffrance, la colère et l’angoisse.
Z : Sire Yoshihisa, soyez assuré que vos paroles me touchent profondément. Mais je n’oublie pas qu’un homme m’a aidée quand j’étais en danger, et s’est mis en danger pour moi et mes amis, et cet homme, c’est vous. Vous n’êtes en rien mon obligé. Je suis soulagée que mon intrusion dans ce château ait eu d’heureuses conséquences. Je tiens aussi à rendre hommage à votre père pour les décisions cruciales qu’il s’est résolu à prendre, et je m’excuse profondément pour toutes mes offenses à son égard. Quant à vous, Daimyo Itô, vous avez eu la sagesse d’accepter cette paix que je n’ai fait qu’appeler de mes voeux, et pour laquelle j’avais si peu d’espoir. Je sais ce que cette décision vous a coûté, et vous n’en êtes que plus respectable. Vous êtes, tous les trois, les véritables responsables de cette réussite. Mes amis et moi n’avons fait que vous prêter appui.
Elle s’inclina à l’intention des trois hommes, et tous l’imitèrent.
Ya : Tant de modestie vous rend encore plus remarquable…
Il avait dit cela avec une telle admiration que le cœur d’Atsuko se serra malgré elle. Elle était entièrement d’accord avec Yoshihisa, et pourtant, elle supportait difficilement de le voir complimenter ainsi une autre femme. Ce n’était pourtant pas la première fois. Auparavant, elle parvenait à se maîtriser. Elle eut honte d’elle. Esteban serra encore plus fort la main de Zia.
I : Je n’ai pas eu la chance d’assister à vos exploits, dont la nature reste pour moi confuse, mais je comprends à vos paroles pourquoi mon vieil ennemi et son fils se sont engagés dans une telle folie, et je vous remercie d’avoir une pensée pour moi. On ne peut rester indifférent à tant de charme allié à tant de délicatesse.
S : J’accepte vos excuses. Mais je ne peux pas laisser mon vieil ennemi croire que c’est votre charme et votre délicatesse qui m’ont convaincu d’envisager la paix. Ce n’est pas non plus votre force. Ni la honte pour l’humiliation que vous m’avez fait subir. La honte d’être battu par une femme, la honte de soupçonner mon fils aîné de trahison, la honte de vouloir le tuer, la honte de le voir me tenir tête.
En entendant ces mots, le cœur d’Esteban se mit à battre violemment. Le jeune homme se raidit. D’une pression de la main, Zia lui enjoignit de garder son calme.
S : Ce n’est pas non plus la rage de le voir prendre parti pour des étrangers, des gens qui ne lui sont rien, et de ne pouvoir rien faire contre cela. Ce n’est pas non plus l’intérêt du clan, ou la crainte d’envoyer mon fils cadet à la mort. C’est l’oubli de vous-même, jusqu’au sacrifice. Vous avez été une adversaire remarquable, à bien des égards. Vous m’avez donné la plus grande leçon de ma vie. Une leçon d’humilité, de sagesse et de compassion. Je vous dois des excuses, et des remerciements, et vous prie humblement de les accepter. Je me retirerai dès demain dans un temple pour méditer sur ma conduite, et honorer le bodhisattva de la compassion Kannon, qui j’en suis sûr vous accompagne dans chacun de vos actes.
Personne ne s’attendait à de telles paroles. Esteban était stupéfait. Tao cessa de repenser en boucle à sa confrontation avec le Daimyo. Il oublia les insultes échangées.
S : Je me dois également de demander le pardon à tous ceux qui ont été victimes de mon aveuglement et de mon orgueil. Dans ma retraite, je prierai pour vous tous.
Il s’inclina devant l’assemblée entière. Zia fut la première à réagir.
Z : J’accepte vos excuses, et vous accorde mon pardon.
Le silence se fit. Personne n’osait prendre la parole. Chacun à sa manière avait souffert. Certains redoutaient de s’adresser au seigneur. D’autres se sentaient moins concernés et ne voulaient pas s’exprimer avant leurs amis. D’autres enfin ne parvenaient pas à mettre complètement leur rancune de côté. Alors une petite voix s’éleva, prenant de court tout le monde.
So : A cause de vous, j’ai perdu ma famille, ma maison. Mais la paix est là. Je vous accorde mon pardon.
Sa voix n’avait pas tremblé. Il baissa aussitôt la tête, conscient d’avoir parlé sans qu’on l’autorise explicitement à le faire. Le Daimyo Shimazu se redressa et le regarda, impassible. Alors Ichiro prit la parole pour accorder lui aussi son pardon, et à sa suite, tous les autres, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’Esteban. Zia retira sa main. Tous attendaient qu’il parle.
E : J’ai dit que je n’avais accepté de vous aider que par respect pour votre fils. Je retire ce que j’ai dit, et je vous accorde mon pardon.
S : Je vous suis reconnaissant, à tous. Yoshihisa, Yoshihiro, j’espère ne pas avoir été un trop mauvais exemple pour vous. A présent, permettez que je me retire.
Ya : N’en faites rien, je vous prie. C’est moi qui vais me retirer, mon médecin a été formel. Si je veux revenir après le repas…En attendant, Atsuko va prendre ma place afin de rendre votre dîner le plus agréable possible. Profitez encore un peu de sa compagnie, Père. Quant à vous, Daimyo Itô, j’espère qu’elle saura vous charmer.
On vint l’aider à se lever, et à quitter la pièce. Atsuko s’assit à sa place. Le Daimyo Shimazu n’avait pas bougé. Son fils lui offrait cette dernière occasion de se croire le maître du château, pour une soirée dédiée au plaisir de ses hôtes. Il en fut ému, mais ne le montra pas. Atsuko fit signe de commencer le service, et demanda à chacun de ne pas se préoccuper outre mesure de respecter les manières. Elle s’excusa auprès des seigneurs pour cette demande inhabituelle, qu’ils acceptèrent de bonne grâce. Sora la remercia d’un grand sourire. Peu après, sous l’effet de la nourriture et de la boisson, les corps se détendirent et les cœurs s’apaisèrent. Esteban était radieux d’avoir retrouvé la complicité qui l’unissait à Zia. Les conversations s’engagèrent entre voisins, et Ichiro sympathisa avec Yoshihiro, Esteban avec Hideyoshi Itô, et Tao avec le secrétaire, Sugita Norinaga. Indali et Marie s’efforçaient de répondre de leur mieux aux questions des uns et des autres. Le Daimyo Itô ne manqua pas de se montrer curieux de la cour de l’Empereur, mais voulut aussi connaître les impressions des étrangères sur son pays. La bonne humeur régnait. Quand les estomacs furent bien remplis, vint l’heure des divertissements. A la grande surprise de Marie et d’Indali, un vieil homme vêtu de noir, le crâne rasé, fit son entrée et se mit à raconter quelques histoires drôles destinées surtout au Daimyo Itô et à ses compagnons, et dont la subtilité échappa parfois aux autres invités. Teijo apprécia également beaucoup, et Sugita Norinaga s’efforça d’éclairer Tao et ses voisines. Marie eut du mal à croire que l’homme était un prêtre. Deux des femmes qui avaient assuré le service s’avancèrent ensuite pour réciter des poèmes qui surent toucher chacun par leur beauté et leur simplicité. De discrètes notes de musique à la flûte, ponctuées de percussions, les accompagnaient. Le Daimyo Shimazu s’excusa de ne pouvoir proposer d’artistes de meilleure qualité. Marie se récria, déclarant qu’elle était ravie, quoique surprise que des servantes aient la délicatesse de véritables dames de compagnie. Atsuko lui répondit qu’elles étaient autrefois des dames de compagnie de la défunte femme du seigneur, qu’il avait eu la bonté de garder à son service malgré les sacrifices qu’il devait consentir en temps de guerre. Elle rejoignit elle-même les artistes pour jouer quelques morceaux de luth. Calant l’instrument sur son épaule gauche, elle fit voler son plectre sur les cordes tantôt avec énergie tantôt avec douceur, tout en chantant. Marie n’avait jamais entendu pareilles mélodies et fut captivée. Mariko et Ichiro se souvenaient avec nostalgie des leçons de luth que leur prodiguait leur grand-père. Ichiro n’avait cependant gère montré d’intérêt pour la musique, et Mariko avait délaissé sa pratique après son mariage. Sora, Teijo, Azami et Tadashi n’avaient jamais eu l’occasion d’assister à un tel concert et écoutaient respectueusement. Quand Atsuko eut terminé, Marie ne put s’empêcher d’applaudir, bien qu’elle ait remarqué que cela ne semblait pas être la coutume, ce qui parut beaucoup amuser le Daimyo Itô. La musicienne remercia Marie et expliqua qu’elle maîtrisait cet instrument, le biwa, moins bien que le seigneur Yoshihisa, qui malheureusement ne pouvait pas en jouer ce soir en raison de sa blessure, la main et l’épaule gauche étant trop sollicitées. Le petit cercle s’écarta alors tandis qu’on apportait un nouvel instrument. C’était une sorte de harpe horizontale, qu’Atsuko présenta à ses hôtes étrangers comme étant un koto.
Ma : Oh, mais cela ressemble à cet instrument auquel vous avez essayé si gentiment de nous initier pour nous distraire, et qui était plus petit !
A : Oui, le yamatogoto.
Ma : Vous avez raconté une légende à ce propos, avec la déesse Amaterasu, la déesse du soleil qui s’était cachée dans une grotte après une fâcherie avec son frère. Une autre déesse est venue lui jouer un air avec cet instrument, elle en était si charmée qu’elle est sortie et le monde a été sauvé de l’obscurité !
A : C’est à peu près cela, oui.
Ma : Mais ce…koto a l’air d’avoir plus de cordes. Indali pourrait peut-être en tirer quelques sons, elle était plus douée que moi.
Ya : Ne soyez pas si modeste, princesse Marie. Atsuko m’a dit que votre initiation a été un vrai succès. Et pour ce qui est du koto, on peut ne jouer aussi qu’avec quelques cordes. Je vais faire de mon mieux ce soir, mais j’ai bien peur de ne pouvoir vous faire la démonstration de toute la richesse de cet instrument.
Tous saluèrent le retour du jeune Daimyo. Afin de pouvoir jouer, il ne portait plus le bras gauche en écharpe. Atsuko se leva pour l’aider à s’installer, assis sur les talons, devant l’instrument. Il l’accorda et ajusta aux doigts de sa main droite les trois onglets qui permettaient de pincer les cordes.
Ya : Vous avez rappelé la légende d’Amaterasu…il est vrai qu’elle est inspirante.
Ma : Des philosophes anciens ont dit que la musique adoucit les mœurs. Nous avons une légende, en Europe, qui raconte que le premier poète et musicien, Orphée, charmait de son instrument, la lyre, même les bêtes les plus sauvages. Et que sa musique a charmé le dieu des Enfers en personne !
Ya : L’Europe et le Japon ont donc cela au moins en commun ! La musique est un langage universel, propice à rapprocher les êtres humains, quel que soit leur pays, leur origine. Je suis certain que vous pourriez jouer cet air, princesse Marie.
La mélodie, simple et mélancolique, s’éleva et envoûta l’assemblée. Yoshihisa n’utilisait que peu sa main gauche, qui plaquait ou faisait vibrer les cordes. Chacun semblait plongé dans une profonde rêverie. L’harmonie entre l’interprète et son instrument était parfaite, et cette harmonie se communiquait à tous les convives. Marie, émue, se garda d’applaudir, consciente d’assister à un moment rare, où la beauté éveille les sens, touche les cœurs et élève les âmes. Pour le deuxième morceau, les musiciennes accompagnèrent Yoshihisa au luth et à la flûte dans une mélodie langoureuse. Marie fut troublée par la sensualité qui émanait de ce groupe, comme si elle respirait un bouquet au parfum capiteux et aux couleurs chaudes. Elle ne pouvait détacher ses yeux du jeune Daimyo, qui égalait en grâce et en élégance ses compagnes. Son kimono sombre contrastait avec les pastels estompés des femmes, ses gestes, lents et précis, tiraient de son instrument des sons qui faisaient vibrer le cœur de la jeune princesse. Puis vint un air plus léger, et Atsuko chanta à nouveau, avant de s’écarter avec ses compagnes pour laisser Yoshihisa interpréter seul le dernier morceau. Dès les premières notes, le Daimyo Shimazu tressaillit, et Yoshihiro fronça les sourcils, avant que son visage ne se détende totalement, gagné par l’émotion. Seule Atsuko remarqua leur réaction. Yoshihisa était totalement absorbé par la musique. Ses mains volaient au-dessus du koto avec dextérité. L’intensité de son jeu était remarquable. Quand il entonna son chant d’une voix douce et pure, il fut difficile pour chacun de contenir son émotion, mais plus encore pour le Daimyo Shimazu. Un profond silence suivit la fin de sa prestation. Le jeune homme restait immobile, comme plongé en lui-même, les mains en suspens au-dessus de l’instrument qui résonnait encore des derniers accords. Puis il bascula légèrement sur sa droite, prenant appui sur son bras valide. Atsuko s’empressa de venir le soutenir, et enlever les onglets, tandis qu’on apportait un siège bas et des coussins, et déposait le koto dans un coin de la salle, avec les autres instruments. Le charme se dissipait peu à peu et chacun reprenait ses esprits. Alors que Yoshihisa se remettait de sa performance, le Daimyo Itô fut le premier à manifester son admiration d’une manière qui surprit tout le monde, en applaudissant maladroitement. Marie l’imita tout en lui adressant un signe de tête et un sourire gracieux, et les autres suivirent bientôt son exemple, à l’exception du père et du frère de Yoshihisa, qui demandèrent discrètement qu’on serve une tasse de saké chaud à toutes les personnes présentes. Les applaudissements cessèrent peu à peu , et le Daimyo Itô, trouvant la tasse devant lui, s’empressa de porter un toast.
I : Je ne pensais pas en venant ici vivre une journée si riche en découvertes. Je ne saurais dire laquelle fut la plus surprenante, la plus impressionnante ou la plus charmante, mais ce soir ce fut sans conteste la plus belle. J’ai découvert une nouvelle facette de mon nouvel allié, dont les qualités et les talents me confortent dans mon choix, et je tenais à le saluer d’une manière nouvelle, à la mesure de mon contentement. Mais à présent, princesse Marie, et vous tous, mes amis, levons notre verre en l’honneur du seigneur Yoshihisa !
Les verres furent vidés avec enthousiasme, et Yoshihisa apprécia le réconfort de l’alcool chaud tout autant que les paroles de son hôte.
Ya : Je ne mérite pas de telles louanges, mais je vous en remercie vivement. Je suis heureux d’avoir pu contribuer à rendre cette soirée agréable. Je tenais aussi à offrir à mon père, avant qu’il ne quitte le château, un souvenir qu’on ne peut emporter que dans son cœur…
Il se tut, et chercha d’un air grave sur le visage de son père le signe d’une approbation. Les deux hommes se regardèrent un long moment avant que le Daimyo ne se décide à parler.
S : Je n’avais pas entendu cet air si admirablement interprété depuis bien longtemps il est vrai. Ma défunte épouse l’affectionnait tant…Elle le jouait elle aussi avec tant de grâce…Je chérirai ce souvenir…Merci, Yoshihisa. Un guerrier au cœur de poète est un être précieux.
Yo : J’ai moi aussi reconnu cet air. Merci, Grand Frère. Et pardonne la froideur que j’ai pu montrer à ton égard toutes ces années.
Yoshihisa inclina la tête avec un doux sourire.
Ya : Faisons de notre mieux désormais pour faire honneur au nom de notre père, chacun selon nos qualités.
Yoshihiro approuva. Il se jura de servir loyalement son frère. Il lui savait gré de ne pas lui tenir rigueur de ses erreurs. Quant à son père, il avait simplement salué son retour et l’avait félicité pour son courage, sans lui reprocher d’avoir lancé témérairement l’attaque contre le château d’Agata. Une telle indulgence était exceptionnelle, il le savait, et sa jeunesse ne devait pas lui servir d’excuse trop longtemps.
Ya : Je vais devoir vous quitter pour ce soir, mais je ne manquerai pas de saluer chacun de vous demain avant votre départ. Je vous laisse avec Atsuko…elle m’a demandé la permission de faire quelques présents, que nous avons choisis ensemble. Sachez, Princesse Marie, qu’il convient au Japon de ne pas ouvrir le cadeau devant la personne qui vous l’offre. Cela épargne parfois d’embarrassantes situations !
Les servantes s’affairaient pour apporter divers paquets soigneusement emballés dans des carrés de tissu aux motifs variés.
Ma : La présentation est si jolie que je n’ai aucune envie d’ouvrir mon cadeau ! Et je crois deviner à la forme que vous désirez que je me souvienne des leçons de musique dont j’ai eu le bonheur de bénéficier ici….
Ya : Vous êtes d’une grande sagacité…J’espère que ce yamatogoto inspirera d’autres musiciens dans votre lointaine Europe.
Ma : Si c’est là l’instrument de la paix, cela est fort souhaitable en effet….Bien des esprits appellent aussi à une paix durable sur tout notre continent.
Ya : Puissent-ils être entendus…sur tout le continent dites-vous ? S’ils sont si nombreux, alors c’est peut-être possible. Pour ma part, je vais essayer d’œuvrer à l’échelle de notre petite province, mais j’ai besoin d’aide.
Il se tourna vers le côté où étaient attablées les familles d’Ichiro et d’Azami.
Ya : J’espère que mes loyaux sujets accepteront de me prêter main-forte. J’aimerais beaucoup qu’ils me conseillent. Ichiro-san, vous avez agi en toutes circonstances avec courage, selon ce qui vous paraissait juste. Vous avez toute votre place dans notre armée, au meilleur rang, si vous souhaitez rester au service du clan Shimazu de cette façon. Mais vous êtes libre d’en décider autrement. Je m’engage également à assurer l’avenir de Sora, et à reconstruire son village. Si Sora souhaite demeurer près de vous, sachez que vous ne manquerez de rien. Qu’il sache toutefois que les portes du château lui seront toujours ouvertes, ainsi qu’à vous.
Ic : Rien ne nous tient plus à cœur que de vous aider, et nous acceptons l’immense honneur que vous nous faites. Quant au sort de Sora, eh bien…je crois que nous avons besoin d’un peu de temps pour en discuter avec lui.
Ya : Rien ne presse…je suis un peu las, et lui aussi sans doute.
Le jeune garçon semblait en effet dormir debout.
Ya : Un peu trop de saké peut-être…Que quelqu’un l’emmène…
Ichiro se leva.
Ic : Je vais m’en charger.
Il toucha l’épaule du garçon, qui piqua du nez. Il eut tout juste le temps de le retenir, puis le tira en arrière avec l’aide d’Azami et le prit dans ses bras. Chacun jugea que c’était un bon moment pour prendre congé. Les servantes avaient terminé de distribuer les cadeaux. Yoshihisa semblait épuisé et avait de plus en plus de mal à dissimuler sa douleur.
Ya : Attendez…il me reste…pour Zia…
Il se mit à réciter le soutra de la déesse Kannon, que son père avait récité avec lui quand ils avaient évoqué ensemble la jeune femme et ses pouvoirs, et s’arrêta à la moitié.
Ya : Père…
Le Daimyo Shimazu acheva, et expliqua de quoi il s’agissait. Yoshihisa avait fermé les yeux. Atsuko fit signe à Ichiro et Azami qu’ils pouvaient emmener Sora, et appela des serviteurs pour qu’ils accompagnent Yoshihisa . Mariko consulta Tadashi afin qu’ils se retirent eux aussi, de même que Teijo et Azami. Il convenait toutefois d’attendre que le Daimyo ait terminé ses explications. Quand ce fut fait, Atsuko déposa devant Zia un nouveau paquet.
A : Sire Yoshihisa souhaite vous remettre un exemplaire de ce texte, calligraphié par son père.
S : Je n’ai accepté de le faire que pour lui éviter cette peine ! Son écriture est bien plus élégante que la mienne !
Zia s’apprêtait à remercier le Daimyo , quand des exclamations étouffées attirèrent l’attention sur deux serviteurs qui peinaient à soutenir Yoshihisa et se confondaient en excuses auprès de leur seigneur. Ce dernier ne réussissait pas à tenir debout. Il aurait fallu le soutenir aussi du côté gauche, au risque de provoquer une douleur insoutenable. Ils finirent par l’allonger, en lui demandant de patienter le temps qu’on apporte un brancard. Tadashi s’approcha et demanda la permission de parler à Yoshihisa.
Ta : Sire, laissez-moi vous porter…vous n’aurez pas à attendre.
Il voulait lui éviter d’offrir plus longtemps à la vue de tous ce corps vidé de toute l’énergie déployée pour tenir la promesse faite à Marie, et qu’il avait su maîtriser si dignement jusque là. Yoshihisa acquiesça. Il n’aspirait plus qu’à quitter la salle, et la voix de Tadashi, lui inspira une confiance immédiate. Atsuko voulut protester, mais le pêcheur avait déjà soulevé le seigneur et l’emportait dans ses bras, suivi par des serviteurs médusés par la force de cet homme habitué à ramener seul du fond de la mer ses filets alourdis de poissons. Mariko s’excusa pour la conduite de son mari et demanda la permission de se retirer avec Azami et Teijo. Le Daimyo Shimazu bredouilla quelques mots pour donner son accord. Il savait que cette soirée ne serait pas de tout repos, et il avait eu son compte d’émotions. En abdiquant, il avait conscience qu’il bouleversait l’ordre des choses, mais il n’aurait jamais imaginé que tout aille si vite.
Z : Avec votre permission, Sire, je vais aller voir si je peux être utile auprès de votre fils. Je ne sais si je mérite d’être comparée à la déesse Kannon, mais je connais l’art de soigner.
A : Ne vous donnez pas cette peine !
Z : J’y tiens.
Elle adressa un petit signe de tête à Esteban et se leva. Il la regarda s’éloigner, gracieuse silhouette aux cheveux lâchés sur son kimono brodé. Mais son cœur était léger. Quand elle eut quitté la pièce, la surprise laissa place à la gêne. Le charme était dissipé, et une certaine tristesse s’empara de ceux qui restaient. Ainsi se finissait cette soirée en tous points inoubliable. Esteban ne se voyait pas continuer à trinquer avec les seigneurs, mais il ne pouvait laisser Marie, Indali et Tao seuls. Sentant son embarras, la princesse eut la présence d’esprit de parler au nom de tous pour remercier leurs hôtes et annoncer qu’ils allaient se retirer également. Elle était fort curieuse de rester encore un peu et de questionner ses hôtes au sujet de mille choses qui l’avaient marquée lors de la soirée, mais elle se réfréna. Indali et Tao la remercièrent d’un sourire, et Esteban s’étonna une fois de plus de la maturité de la jeune fille, qui ne donnait pourtant pas cette impression au premier abord. Le secrétaire du Daimyo Itô profita de l’occasion, n’ayant plus personne avec qui converser si Tao partait. Bientôt, seuls les seigneurs et leurs fils cadets demeurèrent en compagnie d’Atsuko.
I : Eh bien, Shimazu-san, cette soirée fut une réussite.
S : En doutiez-vous ?
I : Quand chacun accepte de déposer son sabre, plus rien n’est à craindre.
S : On peut toujours cacher des armes, ou des hommes…
I : Ce n’était l’intérêt de personne ce soir….personnellement, je ne me suis jamais senti autant en confiance.
S : J’avoue n’avoir ressenti aucune autre appréhension que celle que l’un de nous ne commette quelque maladresse qui aurait pu gâcher l’harmonie. Cela a d’ailleurs presqu’été le cas à cause de mon fils. Il a été trop loin. J’espère que vous n’avez pas été gêné par nos règlements de compte.
I : Rien de ce dont j’ai été témoin ce soir ne m’a gêné, et je suis heureux pour vous.
S : Puissent nos fils continuer à nous donner satisfaction…
Il demanda du saké pour tous, et ils trinquèrent.
S : Je suis désolé pour votre fils aîné.
I : Vous savez que vous n’avez pas à l’être. C’était son destin, comme c’est le nôtre de nous retrouver assis ici à la même table. Et maintenant, nous sommes à égalité : deux fils chacun pour nous succéder !
S : Buvons à sa mémoire.
I : Oui, il est mort dignement, n’est-ce pas, Yoshihiro-san ?
Yoshihiro acquiesça, malgré sa gêne. L’alcool ne l’aidait pas à oublier la scène.
H : Père, il se fait tard…
I : Très juste, Hideyoshi, mais on n’a pas tous les jours l’occasion de trinquer avec son vieil ennemi. Yoshihiro-san et toi, vous pouvez partir et nous laisser si vous voulez.
H : Soyez raisonnable…
S : Un Itô, raisonnable ? Hum !
Yo : Père ! Il est temps que nous laissions nos hôtes se reposer, ils sont venus de loin…
S : Peut-être, mais avec l’oiseau d’or ! Et ce luxe, c’est grâce à moi ! Dire que le clan Itô m’a toujours reproché d’avoir utilisé les machines des étrangers !
I : Et j’avais raison ! Cet oiseau d’or aurait pu détruire mon château lâchement !
H : Mais il n’en a rien fait. Père, voyons, prenons congé.
Les deux fils échangèrent un regard. Yoshihiro imaginait déjà ce qui pourrait se passer s’ils laissaient leurs pères seuls. Officiellement, aucun d’eux n’était armé, et les serviteurs veillaient. Mais l’alcool pouvait se révéler être un véritable poison en libérant leurs rancoeurs en apparence surmontées. Alors Hideyoshi éloigna la tasse de son père, et Yoshihiro fit de même.
Yo : Ne gâchons pas l’harmonie instaurée par Yoshihisa.
Aucun des deux seigneurs n’osa protester, aucun n’opposa de résistance quand son fils l’aida à se lever. Une fois debout, tous se saluèrent en s’excusant, avant de gagner leurs appartements. Une fois seule, Atsuko poussa un soupir de soulagement, et se mit à rire doucement, avant de vider un dernier verre. Plus rien ne serait comme avant pour les clans Shimazu et Itô, c’était une certitude. Mais pour elle ? Quand elle avait choisi les cadeaux avec Yoshihisa, elle s’était prise à rêver. Elle lui avait appris le mariage prochain d’Esteban et Zia, que le jeune homme lui avait révélé et ils avaient réfléchi à un cadeau de mariage digne de ce couple exceptionnel. Atsuko avait puisé dans ses effets personnels pour trouver des présents appropriés pour les jeunes femmes, simples mais d’un goût certain, et Yoshihisa avait mis à contribution sa collection de netsuke, ces attaches finement sculptées qui permettaient d’accrocher à la ceinture des effets personnels. Il en avait même trouvé un représentant un pêcheur tenant un poisson géant. C’était parfait pour Tadashi. Puis il avait ouvert un grand coffre, qui contenait la plupart des objets provenant du trousseau de sa mère. Il en utilisait certains, comme son écritoire ; les autres avaient été rangés là. Le Daimyo Shimazu avait ordonné que les appartements de la défunte soient vidés de toute trace de sa présence. Yoshihisa demanda à Atsuko de déplacer quelques boîtes, afin de dégager un coffret en bois laqué. La jeune femme poussa une exclamation de surprise en découvrant les motifs qui l’ornaient.
A : Ici c’est un phénix, n’est-ce pas ? Il est doré !
Ya : Oui, et sur le côté, ce sont des grues et des rossignols.
A : Le travail est remarquable. Quelle finesse !
Ya : Je passais des heures à le contempler étant petit. Emballe-le avec soin.
En repensant à cette scène, la jeune femme eut un pincement au cœur, mais se reprit vite. A la cour, les seigneurs préféraient des concubines. Certes, en province on prenait encore épouse, mais elle savait que son rang lui interdisait tout espoir. N’était-elle déjà pas comblée d’avoir été choisie par Yoshihisa, avec qui elle partageait tant, sans doute plus que ne pouvait le faire une épouse ? Elle se dirigea vers la chambre de son seigneur. Zia assistait le médecin pour refaire les bandages. Yoshihisa était inconscient. Atsuko s’assit près de lui et lui caressa le front.
Z : Il est à nouveau fiévreux, mais cela passera, à condition de ne plus solliciter son bras gauche.
A : J’y veillerai. Il est têtu parfois, mais il m’écoute.
Z : Il ne peut pas être plus têtu qu’Esteban. Je dirais plutôt qu’il est déterminé, malgré sa nonchalance apparente. Nonchalance….ou douceur.
A : C’est de là qu’il puise sa force…tout comme vous. Esteban-san avait raison. En l’écoutant, j’avais du mal à vous imaginer si douce et si forte à la fois. Puis vous m’avez tellement impressionnée, que j’ai presque eu peur de vous. Depuis, j’ai pu constater que vous êtes bien telle qu’il vous dépeignait.
Z : Le seigneur Yoshihisa a de la chance de vous avoir auprès de lui. J’ai pu moi aussi me rendre compte à quel point vous êtes une femme remarquable.
A : Vous me flattez…je ne fais que mon devoir…
Z : Ne vous sous-estimez pas, Atsuko-san.
Atsuko ne répondit pas, de peur de se laisser submerger par l’émotion. Elle se laissa aller à la contemplation du visage de Yoshihisa. Il ne lui avait jamais paru aussi beau, comme s’il était enfin débarrassé du masque d’amertume et d’indifférence qui ne le quittait guère que lorsqu’il se laissait emporter par la musique. Elle se rendait compte que même lorsqu’il était seul avec elle, il ne s’était jamais montré tel qu’il avait été ce soir-là, si serein, si sincère, comme réconcilié avec lui-même. Son chant l’avait bouleversée. Il n’avait jamais chanté ainsi en sa présence auparavant. Elle remarqua à peine que les soins avaient pris fin, et se ressaisit quand le médecin prit congé après ses dernières recommandations. Elle s’adressa alors à Zia.
A : Je ne vous ai pas remerciée pour ce que vous avez fait pour lui…Votre ami Ichiro m’en avait pourtant parlé…
Z : La conversation que nous avons eue cet après-midi vaut tous les remerciements…
A : Permettez à présent que je vous conduise jusqu’à votre chambre, ne laissez pas Esteban-san vous attendre davantage.
Z : Grâce à vous, il m’attend l’esprit serein.
Quand Zia entra, elle perçut immédiatement le souffle léger d’Esteban. Une lampe à huile éclairait faiblement la chambre. La jeune femme hésita, mais n’osa pas réveiller son compagnon afin qu’il l’aide à se déshabiller. Elle saurait bien défaire seule les multiples nœuds qui maintenaient les différents éléments du kimono.
E : Tu veux que je t’aide ?
Z : Oh …tu ne dors donc pas…
E : Je n’allais pas rater une nouvelle fois une nuit avec toi…
Il se leva et entreprit de l’aider, en silence. Il avait tant désiré lui parler, seul à seul, mais il la retrouvait, enfin, pleinement, et les mots n’étaient pas nécessaires. Quand il ne resta plus que le léger yukata de coton, Esteban enlaça Zia et l’entraîna doucement vers les futons. Les deux jeunes gens se couvrirent de baisers jusqu’à manquer de souffle, puis restèrent allongés sur le dos, main dans la main, goûtant le simple bonheur de la présence de l’autre. Esteban finit pourtant par soupirer.
Z : Ne te tourmente plus…
E : J’ai cru t’avoir perdue…et pas seulement physiquement….
Z : J’ai manqué de courage cette fois…je ne pensais pas que j’aurais si mal…je ne savais pas comment t’en parler…je voulais oublier, mais c’était impossible, et pourtant, je savais que je ne pouvais pas douter de toi…
E : Je sais, Atsuko m’a fait comprendre ce que tu pouvais ressentir…je suis désolé…
Z : Tu n’y es pour rien…
E : Et toi, tu n’as pas à te sentir coupable…personne n’est mort…je voudrais juste que…ce que tu as fait…cela ne doit plus arriver….
Z : Je comprends tes craintes…mais comment arrêter cela ? Je ne sais pas moi-même comment j’ai pu…
E : Ta bague…il faut l’enlever. Tu vois bien que tu ne maîtrises pas tout. On était d’accord pour arrêter les entraînements, et là, ça t’a dépassé, sans que tu le veuilles.
Z : Alors, vas-y…
Elle dégagea sa main, et la lui tendit. L’anneau brillait légèrement dans la faible clarté de la lampe. Esteban entreprit de tirer doucement sur l’objet. La bague ne vint pas. Il réessaya, en vain, et la détresse le gagna. Zia avait compris elle aussi, et se serra contre lui.
Z : Il va falloir vivre avec ça…il va falloir être forts…j’ai besoin de toi, Esteban, j’ai tant besoin de toi !
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Le Daimyo Shimazu était parti à l’aube. Pour assister au départ de son ancien ennemi ne se trouvaient dans la cour que ses fils et les invités de la veille, ainsi qu’Atsuko. Elle veillait à ce que Yoshihisa ne se lève pas de son siège. Chacun prit congé du jeune Daimyo, et renouvela ses remerciements pour ses bienfaits. Le Daimyo Itô souhaita avoir le plaisir d’assister encore à pareille soirée, et son secrétaire, toujours sous le charme de son hôte, promit de consigner cette mémorable soirée dans les annales du clan Itô. Son maître dut interrompre ses louanges. Confus, il alla saluer Tao et Indali dont il avait tant apprécié la compagnie. Il s’était rarement senti à l’aise dans un dîner officiel, et tenait à les remercier pour leur stimulante conversation. Hideyoshi exprima le vœu de pouvoir faire plus ample connaissance avec Yoshihiro. Les deux jeunes gens s’étaient découvert des affinités lorsqu’ils avaient un peu prolongé la soirée après avoir raccompagné leurs pères respectifs, à l’initiative de Yoshihiro, qui avait éprouvé le besoin de parler à son hôte de tout ce qu’il avait vécu en si peu de temps. Hideyoshi, qui s’était lui aussi senti un peu dépassé par les événements, avait accepté avec reconnaissance. Le fantôme de Yoshisuke Itô avait plané un temps au-dessus d’eux, pour finir par les quitter. Sora s’avança timidement vers Yoshihisa. Il avait décidé de rester auprès de Mariko et Tadashi pour le moment, mais n’osait pas le lui annoncer. Le jeune Daimyo devina sans peine sa décision, et souhaita avec bonté le revoir bien vite afin de discuter de la reconstruction du village. Sora s’inclina le plus respectueusement qu’il put, plus impressionné par cet homme que par son père. Marie souhaita pouvoir revenir un jour, afin de montrer ses progrès dans la maîtrise du yamatogoto, ajoutant que cela ne dépendait hélas pas d’elle, mais qu’elle espérait que, dans le cas où elle ne pourrait revenir, Yoshihisa pourrait venir en Europe, si ses nouveaux devoirs ne l’en empêchaient pas. On ne manquerait pas d’être ravi de le recevoir. Elle allait chanter ses louanges auprès de son père. Le jeune Daimyo souhaita lui aussi vivement pouvoir la revoir un jour et la remercia de sa proposition. Avant d’entreprendre un tel voyage, il risquait toutefois de s’écouler de nombreuses années. Tao prit une profonde inspiration avant de saluer Yoshihisa, et de s’excuser d’avoir tardé à lui accorder sa confiance. Il ajouta que c’était dans son caractère, et qu’il avait eu aussi quelques mauvaises expériences, mais qu’une fois qu’il appréciait quelqu’un, sa fidélité était sans failles, à condition que la personne soit vraiment sincère. Indali, à ses côtés, prit bonne note de cet aveu. Esteban et Zia s’approchèrent en dernier, après avoir dit au revoir à leurs amis, qu’ils viendraient rechercher bientôt, en vue du mariage.
Z : Nous avons déposé la calligraphie dans le coffre. Il est magnifique.
Ya : Il appartenait à ma mère. Je suis heureux qu’il vous plaise.
E : Ainsi, nous repartons cette fois encore avec un objet précieux, important aux yeux du Daimyo Shimazu…
Z : Mais cette fois, ce n’est pas le symbole de la puissance du clan Shimazu que nous emportons. Ce texte, enserré dans ce coffret, représente l’esprit et le cœur du clan. Nous ne vous oublierons jamais, Yoshihisa Shimazu.
Le jeune Daimyo sourit.
Ya : Vous serez désormais toujours les bienvenus.
E : Et le Condor peut aussi vous amener en Europe, si l’occasion se présente…Oh ! mais j’y pense, il faudrait qu’on vous montre un jour l’usage que nous avons fait de la garde du sabre de votre père ! Vous serez surpris !
T : Ah ça, avec nous vous n’êtes pas au bout de vos surprises ! Mais dis, Esteban, tu me préviendras quand même avant de montrer le thalios à tout le monde !
E : Ah, excusez-moi, Sire, j’avais oublié que je ne suis pas tout seul à décider dans notre petit groupe…
Ya : Rappel salutaire ! Vous avez aiguisé ma curiosité, mais il est des décisions qu’il vaut mieux prendre à plusieurs en effet. Je vais m’efforcer de respecter ce principe en consultant la population le plus souvent possible. Vos amis m’y aideront.
Z : Nous ne manquerons pas de venir vous rendre visite pour constater les changements que cela produit.
Ya : Cela prendra du temps. J’espère que la paix durera…
Z : Vous et le Daimyo Itô saurez la faire durer, j’en suis persuadée. Au revoir, Sire Yoshihisa. Au revoir, Atsuko-san.
Bientôt, le condor s’éleva au-dessus de la cour du château de Kagoshima, laissant un grand vide dans les cœurs.
A : Rentrons, Sire…
Ya : Contemplons encore un peu le ciel…il est d’une si grande pureté…
A : Qu’il en soit selon vos désirs…
Ya : Dis-moi…n’en as-tu pas assez d’être à mes côtés ? Ne désires-tu pas être libérée de ta condition ?
A : Comment pourrais-je désirer une chose pareille ? Ma vie auprès de vous…est tout pour moi ! Sire ! Je vous en prie ! Ne me chassez pas !
Elle se jeta à ses genoux, désemparée.
Ya : Atsuko ! Mais, qu’est ce qui te prend ? Je n’ai jamais eu une telle pensée !
A : Pardonnez-moi, je ne sais pas ce que je dis, je vous ai offensé !
Elle parlait tête baissée, au bord des larmes.
Ya : Non….tu me confortes dans ma décision. Tu ne seras plus ma concubine. Tu seras mon épouse, et bien plus encore. Tu seras ma confidente, ma muse, mon amante….et mon amour…en fait, tu l’as toujours été…
Elle sentit la main de Yoshihisa sur sa joue, et frissonna de plaisir.
A : C’est impossible, vous le savez bien…votre rang…
Ya : T’aimer ? Impossible ? Dis plutôt que j’ai été trop lâche pour reconnaître que je t’aimais…
Elle retira la main du jeune seigneur, et eut le courage de le regarder. Son aveu, pouvait-elle vraiment y croire ? Elle avait toujours fait en sorte d’accepter humblement sa condition, et si les étrangers n’étaient pas venus, elle aurait continué à se contenter de son sort, car elle ne pouvait espérer davantage. Elle ne voulait pas souffrir.
A : Comment pourrais-je dire une chose pareille ? Vous êtes trop dur avec vous-même. Je sais ce que vous avez enduré en vous attachant à moi.
Ya : Je n’aurais pas dû permettre…
A : Taisez-vous, je vous en prie…je veux oublier…
Ya : Alors, pardonne-moi, au moins.
A : Il n’y a rien à pardonner. Vous m’aimiez assez comme cela…j’étais votre favorite…je ne désire rien de plus que de continuer à l’être.
Ya : Tu parles contre ton cœur…que crains-tu ?
A : J’ai été heureuse, je le suis toujours, et plus encore à présent. Mais vous n’avez pas besoin de faire de moi votre épouse. Vos sentiments me suffisent.
Ya : Laisse-moi seul juger de cela. Le regard des autres, la coutume et les codes qui ont régi notre vie jusque là n’ont plus d’importance. Ne désires-tu pas commencer une vie nouvelle, auprès du nouveau Daimyo Shimazu ? J’ai besoin de toi, Atsuko, plus que jamais. J’ai besoin de ton amour.
A : Et moi, je ne saurais vivre sans le vôtre. Je serai à jamais votre fidèle épouse, si tel est votre désir.
Elle posa sa tête sur les genoux du jeune homme.
Ya : Tu as toujours eu l’art de combler mes désirs…
A : Et vous, en plus de combler les miens comme vous savez si bien le faire, il faudra désormais que vous manifestiez véritablement votre amour. Un cœur d’épouse n’est pas un cœur de concubine…
Ya : Un cœur d’épouse a sans cesse besoin d’être rassuré, je ne le sais que trop bien. Je me suis juré de ne jamais ressembler à mon père. Crois-tu que je parviendrai à tenir mon serment ?
A : Il y a si longtemps que vous suivez votre propre chemin, que vous n’en pourrez jamais dévier.
Ya : Avec toi à mes côtés, c’est une certitude.
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Akaroizis »

J'ai énormément aimé cette conclusion de ce long, mais excellent chapitre. Rien à rajouter ; à part de ne pas vous presser, mais vous savez déjà très bien le faire... 8) ;)
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

Saison 1 : 18.5/20
Saison 2 : 09/20
Saison 3 : 13.5/20


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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par yupanqui »

Vraiment magnifique.
Bravo et merci.
Un véritable feu d’artifices.
Tout en finesse. Entremêlant jeu politique, traditions, sentiments artistiques, amoureux, pudeur, tendresse...
Un régal.
Bravo Nonoko pour cette partie et cette finale.
« On sera jamais séparés » :Zia: :-@ :Esteban:
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par nonoko »

Merci à vous deux, Yupanqui, tu as très bien perçu ce que j'ai voulu faire, je suis contente que ça vous ait plu!
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par TEEGER59 »

Comme je l'ai dit à Seb, je réserve cette fin de chapitre pour mes prochaines vacances. Je la lirai donc dans une dizaine de jours.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Raang »

Raang a écrit : 10 août 2018, 23:15 Maman...pourquoi ai-je autant de retard ? ;^; je vais devoir passer des nuits blanches...
Heureux de voir que le projet tient toujours la route ! Vous êtes une équipe de choc ! ^^
Bon, ceci est le dernier message posté de ma part sur ce topic...un an plus tard je n'ai toujours pas avancé :lol:
Il est vraiment temps que je m'y remette, d'autant plus qu'on a pas l'air de voir la fin de sitôt, alors mieux vaut s'y mettre tout de suite !
Néanmoins, je pense recommencer la fiction dès le début. Ma folle mémoire en activité xS
Du coup, il se peut que quelques "résumés" à ma sauce (inspiré des résumés de Vivi :p) apparaissent de temps en temps :D

On se retrouve quand j'aurai terminé
Aussi, je relis le Tome 1...le potentiel parodique sur certaines scènes est intense...surtout sur mes passages ;)
"Notre monde a été bâti dans l'or et dans le sang"-Raang alias Rayan, 2017
Mes fanfictions (hors MCO)https://www.fanfiction.net/u/7150764/Raang
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