Re: Une vie au-delà des codes
Posté : 10 févr. 2024, 22:16
Voilà enfin le moment temps attendu du mariage Mendoguerra !
Bonne lecture
~~~~~~
Le grand jour
13 octobre 1534, Vilanova i la Geltrú
La lune éclairait déjà le ciel depuis deux bonnes heures quand Isabella se força à rejoindre son lit. Bien qu'elle sache que la journée à venir serait éreintante, la catalane ne parvenait pas à trouver le sommeil tant elle angoissait... La boule au ventre, Isabella se recroquevilla sous sa couverture : Depuis que Juan l'avait quitté en début de soirée, cette sensation de malaise ne faisait que s'accroître. La bretteuse avait d'abord supposé qu'il ne s'agissait que de stress mêlé à l'excitation et s'était allongée en regardant cette longue robe blanche qui attendait son heure.
Malheureusement, dès qu'elle eut fermé les yeux, de vieilles images la frappèrent. Incapable de calmer ces assauts de souvenirs, Isabella avait quitté son lit pour s'installer à la fenêtre. Assise sur cette banquette où son défunt père lui avait conté mille et une histoires lorsqu'elle n'était qu'une enfant, la catalane observa le ciel parsemé d'étoiles comme si elle cherchait un remède à ses maux.
La nuit était incroyablement calme, seul le vent engendrait un léger sifflement lorsqu'il se faufilait entre les maisons. Aucune lumière n'apparaissait à travers les fenêtres contrairement aux nuits précédentes, chaque villageois semblait dormir du sommeil du juste, des heures de repos bien méritées. Tout ce calme aurait pu faire croire à un village fantôme.
Isabella se savait épuisée par la semaine qui venait de passer pourtant ses vieux souvenirs prenaient un malin plaisir à la tourmenter. Elle resserra son petit châle sur ses épaules et fixa le ciel.
« Vas-tu donc me laisser tranquille, Adrian de Aguilar ? »
Ce nom vint nouer la gorge de la catalane tout autant qu'il asséna de violents coups dans la poitrine. La douleur eut raison d'elle et déclencha une crise de larmes silencieuse incontrôlable.
Sous sa couverture, la jeune femme avait cessé de pleurer non pas parce qu'elle ne souffrait plus mais parce qu'elle ne pouvait se permettre d'avoir des yeux rouges et bouffis.
Isabella tenta de chasser le vicomte de son esprit du mieux qu'elle le put en s'imaginant dans les bras de Mendoza ; Il n'était pas présent dans la pièce pourtant, la jeune femme se sentit envahie par une légère vague de chaleur. Elle put alors se détendre et rejoindre Morphée...
L'adolescente parcourait les couloirs du manoir à la recherche de son fiancé. Bien qu'elle ait accepté les faits depuis de longs mois, Isabella peinait à s'habituer à cette nouvelle vie en ville. Ce n'était pas tant l'apprentissage de l'étiquette qui la dérangeait mais plutôt le fait de devoir porter de longues robes comme toute fille de bonne famille : L'adolescente ne sentait vraiment pas à l'aise de ces vêtements toujours trop serrés et lourd. Le plus insupportable était, évidemment, le corset que son habilleuse laçait bien trop fort : Impossible pour la fille de la campagne qu'elle était de comprendre comment les femmes parvenaient à supporter une telle entrave.
Isabella s'arrêta devant un miroir : Elle avait du mal à se reconnaître. Tout cela était tellement superficiel : Pourquoi prêter autant d'attention au paraître ? C'était ahurissant.
Le seul avantage qu'elle tirait de cette nouvelle vie venait du puits de culture dont elle pouvait jouir grâce à la bibliothèque du Vicomte. L'adolescente s'était juré de devenir une érudite à l'instar de son père et de faire ses preuves lors de sa prochaine visite même si elle était consciente que cela ne changerait en rien son futur. Non, désormais son destin se trouvait entre ses murs : Elle avait fait la promesse à son père de se tenir tranquille et deviendrait une épouse modèle. Bien que cette idée lui déplaise fortement...
Isabella pinça une mèche rebelle et la fixa le long de son crâne à l'aide d'une petite pince lorsqu'elle aperçut, du coin de l'œil, une silhouette s'approcher : C'était lui, son futur époux, Adrian de Aguilar.
Adrian était plutôt grand et fin pour autant, il n'en restait pas moins quelqu'un de redoutable au combat. Le châtain de ses cheveux faisait ressortir le clair de sa peau. Sa carnation était si claire qu'on aurait pu croire à un vampire. Cette teinte n'était que le premier élément qui le faisait paraître comme tel. C'était un homme froid et arrogant ; Depuis que leurs fiançailles avaient été officialisées, le jeune vicomte ne montrait aucune sympathie envers l'adolescente. Pire, il la méprisait. Comment son père avait-il pu avoir cette idée saugrenue de le marier à une vulgaire roturière ? Adrian enrageait, d'accord cette gamine était plutôt mignonne néanmoins elle ne méritait pas un homme de sa classe.
Cela avait pris du temps mais le jeune maître avait élaboré un plan solide pour se débarrasser de cette demoiselle indésirable. Chaque détail étant désormais réglé à la seconde prêt, Adrian n'avait plus qu'à mettre tout ça en application. Facile, se dit-il : Cette gamine acceptait tout ce qu'il pouvait lui proposer avec un sourire.
Le jeune vicomte s'approcha d'Isabella et la salua avant de lui proposer une balade à cheval. Cette dernière fut hésitante au début mais accepta volontiers : C'était une occasion inespérée de quitter le manoir et de découvrir les alentours.
Quelque temps plus tard, les futurs époux avançaient dans la campagne : Adrian devançait la campagnarde, se moquant intérieurement d'elle et de sa façon de monter. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et fut surpris de la voir si proche de lui, souriant sincèrement comme elle ne l'avait jamais fait depuis son entrée au domaine.
La fille du docteur appréciait plus que tout cette sortie bien que son fiancé soit à ses côtés. Depuis que le duo avait quitté la ville, l'adolescente avait l'impression d'être rentrée à Vilanova. Rien n'aurait pu la rendre plus heureuse puisque sa véritable maison lui manquait : Que devenaient Miguel et Ana ? Ce dernier tenait-il sa promesse ? Elle chassa très vite une larme sur sa joue, il n'était pas question que le futur vicomte la voit pleurer.
« Est-ce que tu aimes cette balade ? »
La catalane sursauta presque : Adrian ne lui avait pas adressé la parole depuis cette fameuse proposition et maintenant il lui demandait si elle appréciait cette promenade.
Elle bafouilla presque en lui répondant.
« Moi ? Oui bien sûr. Cela me rappelle celles que je faisais avec Miguel, le disciple de mon père.
- Je vois. Maintenant, que dirais-tu de mettre à l'épreuve tes talents de cavalière ? Que nous voyons si tu as un niveau décent pour ma famille. »
Il avait dit ça avec un tel sarcasme. Isabella se sentit plus qu'offensée néanmoins elle accepta sans sourciller bien que ce ne soit pas des plus raisonnables. Cependant, l'adolescente se devait de prouver à ce malappris que les meilleurs cavaliers n'étaient pas forcément issus des familles nobles.
Les deux jeunes stoppèrent leurs montures et Aguilar proposa une course de leur positionnement actuel jusqu'à l'entrée du domaine familial. Isabella acquiesça sans hésiter.
Au top du vicomte : Ils s'élancèrent, amenant les chevaux au galop sans aucune restriction. Isabella parvint à prendre la tête très rapidement et jeta brièvement un regard derrière elle : Adrian traînait la patte. Cela la fit sourire et intensifia sa joie. Loin de tous les regards, la fille du docteur pouvait être elle-même sans avoir à se soucier du regard de qui que ce soit. Combien même elle gagnerait cette course cela ne resterait qu'entre elle et son fiancé. Après tout, il ne fallait pas froisser l'ego du jeune noble.
Arrivant au petit bois, Isabella préféra ralentir passant du galop au trot. Un étrange pressentiment l'assaillit, elle ne se sentait plus en sécurité. Et en un instant, elle vit le piège qui lui était tendu mais ne put rien faire ! Sa monture trébucha, propulsant la cavalière plusieurs mètres en avant. Cette dernière eut tout juste le temps de protéger sa tête avant de heurter le sol.
Isabella mit à peine quelques secondes avant de réaliser ce qu'il venait de lui arriver, elle tenta de se relever cependant une vive douleur à la jambe l'en empêcha. L'adolescente y dirigea lentement ses yeux et étouffa un cri lorsqu'elle vit le sang émanant de la plaie béante qui trônait juste au-dessous de son genou. Des larmes commencèrent à brouiller sa vision, Isabella releva la tête et chercha Aguilar : Elle devait le prévenir, à la fois pour sa jambe mais également qu'on leur avait tendu une embuscade.
La catalane eut tout juste le temps de l'apercevoir, pied à terre à une dizaine de mètres d'elle, quand elle entendit deux voix s'approcher. Deux hommes sortirent des fougères : Ils étaient crasseux, vêtus de vêtements simples et possédaient des lames passablement émoussées. L'un d'eux avait le crâne rasé et une dent en or, sans doute le chef du duo. L'autre arborait des cheveux bouclés dont le gras luisait, il était plus grand et plus fin. Les deux hommes se rapprochèrent de l'adolescente qui se mit à hurler. Elle espérait qu'Adrian viendrait la sauver seulement, il n'en fit rien. Isabella n'en crut pas ses yeux lorsqu'elle vit le futur vicomte remonter à cheval et se détourner du chemin.
Pourquoi ne venait-il pas l'aider ? Bien sûr, elle savait qu'il ne l'aimait pas mais elle ne pensait pas qu'il resterait indifférent dans ce genre de situation.
« Adrian !! Je vous en supplie ! Ne m'abandonnez pas ici ! »
Il était déjà trop tard, Aguilar fuyait ! Elle n'avait déjà pas beaucoup d'estime pour lui avant ça, désormais elle n'en avait plus aucune. Ce jeune freluquet n'était pas un homme mais un lâche.
Isabella se mit à pleurer de plus belle. Dans une tentative désespérée d'échapper à ses ravisseurs, la jeune fille recula sur ses avant-bras tout en luttant contre la douleur. Elle sentait son cœur battre si fort qu'elle crut qu'il allait sortir de sa poitrine.
L'homme au crâne rasé s'approcha et lui assena un coup à la tête. Isabella s'écroula au sol, son regard se perdit dans le vide ; La dernière chose qu'elle vit fut sa pauvre monture agonisante elle aussi.
Puis elle ferma les yeux. La catalane sentit son corps se soulever et une nouvelle décharge la frappa. Finalement, l'adolescente ne se marierait pas, s'en était presque un soulagement... Elle n'aurait plus besoin de faire semblant, de se mentir à elle-même.
Soudain, le visage de son père lui apparut, elle ne le verrait plus jamais... Isabella pria silencieusement pour survivre, elle ne voulait pas mourir... Pas maintenant, pas avant d'avoir pu faire payer ce lâche d'Adrian de Aguilar.
Isabella ouvrit les yeux... Le ciel s'éclaircissait à peine, elle était presque soulagée de se réveiller. Certes, la jeune femme était encore fatiguée de cette semaine de préparatifs malgré tout ce cauchemar était terminé.
Elle se redressa. Assise dans son lit, elle passa sa main sur sa jambe, plus particulièrement sur cette longue cicatrice qui lui rappelait sa décision de ne plus jamais attendre quoi que ce soit d'un homme ni même de tomber amoureuse.
Isabella esquissa un sourire léger : Depuis sa rencontre avec son marin, elle avait été incapable de respecter sa propre parole. La catalane s'était retrouvée encore une fois piégée pourtant, cette fois-ci, elle appréciait cette situation.
La fille du docteur s'approcha de sa robe, le grand jour était enfin arrivé. Dans quelques heures, elle serait face à un homme qui la comprend et qui ne l'a jamais abandonnée depuis leur rencontre. Un homme droit, ne faisant preuve d'aucune lâcheté, comme elle avait pu le prétendre.
Isabella se vêtit rapidement et se couvrit de sa cape. Comme lorsqu'elle était enfant, elle se faufila hors de la demeure sans un bruit.
A l'aide d'une lampe élaborée par les disciples de Léonard de Vinci, la future mariée s'éclipsa du village.
Le soleil était maintenant levé, Zia et Indali se tenait devant l'entrée de la bâtisse. L'inca frappa et la porte s'ouvrit presque immédiatement sur une grande femme aux cheveux blonds.
« Bonjour Ana, comment allez-vous ?
- Fort bien merci. Et vous deux mesdemoiselles ? Êtes-vous prêtes ?
- Autant que l'on puisse l'être ! »
Ana fit entrer les adolescentes et leur proposa de patienter encore un peu avant de se rendre à l'étage pour réveiller la mariée.
Indali, qui ne connaissait pas toutes ces coutumes, posa encore une fois de nombreuses questions sur le déroulement de la journée. La propriétaire des lieux fut ravie de lui répondre : Cela commencerait par aider la mariée à se préparer, à enfiler sa robe, la coiffer. Bien sûr, Ana précisa que l'apparence comptait beaucoup en ce jour spécial, mais chacune d'entre elles devrait s'assurer de calmer le stress ressenti par Isabella bien que cette dernière affirmerait le contraire. Ensuite, il y aurait la cérémonie à l'église, chose qui pourrait, sans aucun doute, paraître très long pour l'indienne.
Zia écoutait d'une oreille distraite : Ayant séjourné contre son gré au palais de Barcelone, elle connaissait par cœur chaque us et coutumes des chrétiens lorsqu'il s'agissait d'unir deux âmes. L'inca profita du moment pour observer la maison qui avait vu naître et grandir la bretteuse : L'endroit semblait d'abord très froid puis se réchauffait dès lors que l'on prêtait attention à de petits détails, tout cela en prenant en compte que la maison appartenait désormais aux Perez.
L'horloge murale annonça alors huit heures, le coucou se mit à chanter et Ana, sourire aux lèvres, se leva de table et s'adressa à Zia et Indali.
« Bien. Jeunes filles, il est temps de se mettre au travail. Nous avons deux heures avant le début de la messe pour exceller dans la tâche qui nous a été confiée. »
Ana prenait son rôle de témoin très à cœur. Elle ferait tout pour que ce jour soit le plus merveilleux possible dans la vie de cette enfant qu'elle a vu naître. L'espagnole confia un plateau garni de fruits secs, de petits gâteaux et d'un grand verre de jus de pomme à Zia et les invita à la suivre.
Les trois demoiselles montèrent les escaliers qui grincèrent sous leurs pieds. A l'étage, elles se dirigèrent vers la porte la plus reculée sur leur gauche.
Ana donna trois petits coups sur la porte et l'ouvrit tout doucement au début puis termina son action avec un grand geste.
Intriguées, les adolescentes à sa suite échangèrent un regard. Zia posa le plateau au sol et entra dans la chambre. Elle comprit aussitôt la réaction de la blonde et fut tout autant confuse.
Le lit était vide et Isabella n'était pas dans la pièce.
« Ça... Ça, c'est une première dans ce village. La mariée qui disparaît.
- Et ça ne vous inquiète pas plus que ça ?
- Pas du tout. Je connais suffisamment Isabella : Elle a toujours la fâcheuse tendance à s'éclipser au mauvais moment.
- Mais... Et s'il lui était arrivé quelque chose ? Pourquoi serait-elle partie un jour aussi important pour elle ? Ça n'a pas de sens... »
Ana, mains sur les hanches, effaça son sourire en voyant l'inquiétude sur le visage des filles. Bien sûr qu'elle s'inquiétait pour son amie mais les petites face à elle semblaient déjà imaginer le pire des scénarios. L'imagination enfantine...
La sage-femme s'approcha d'elles et se mit à leur niveau. La fille du docteur lui avait parlé des mésaventures vécues depuis plusieurs mois par conséquent Ana savait ce qui pouvait bien passer par la tête des deux enfants. Elle sut utiliser les bons mots pour les rassurer.
En se redressant, l'espagnole remarqua le porte-manteau et comprit une partie de l'histoire. D'un petit geste, elle le montra à Zia et Indali et expliqua simplement que la mariée avait dû s'absenter avant le lever du soleil pour s'aérer l'esprit. Une façon simple de lutter contre le stress du grand jour.
« Comment être sûr qu'il ne lui est rien arrivé pendant cette balade ?
- Voyons Zia, penses-tu vraiment qu'Isabella est du genre à se laisser faire ?
- Non mais...
- Il y a un souci Ana ?
- Ah Miguel ! Non aucun si ce n'est que nous avons perdu la mariée. »
Ces derniers mots firent rire l'homme qui venait d'arriver sur le palier. Il caressa les cheveux de Zia, la rassurant à son tour.
Miguel écouta sa femme lui décrire les faits bien qu'il sache déjà ce qui avait poussé la mariée à s'enfuir et donc l'endroit où elle s'était réfugiée.
« Ana, toi et les filles, commencez à tout préparer. Je vais chercher Isabella, je suis certain de savoir où la trouver. Je vous la ramène au plus vite.
- Merci Miguel. Mesdemoiselles, vous avez entendu le chef : Au travail ! »
Les gamines restèrent déconcertées quelques instants puis suivirent les instructions d'Ana, acceptant de laisser l'espagnol ramené l'une des personnes les plus importantes de la journée.
Miguel descendit les escaliers, enfila son manteau et quitta son domicile. Il emprunta le même chemin qu'Isabella et se dirigea entre les ruelles. Le médecin salua quelques connaissances qu'il croisa jusqu'à sa destination.
Le cimetière, oui, elle ne pouvait être qu'ici. Miguel passa le portail et déambula entre les sépultures ; Il s'arrêta pendant quelques secondes devant l'une d'entre elles et se signa.
L'espagnol se dirigea ensuite à l'autre bout du champ de repos.
Elle était bien là, à genoux devant deux pierres tombales. Isabella semblait avoir complètement apaisé son esprit. Ses cheveux retombaient sur ses épaules, une mèche était logée derrière son oreille. La catalane apparaissait, aux yeux de Miguel, comme totalement détachée de la réalité. Pourtant, au moment où il fit un pas, l'espionne en elle ressurgit et Isabella l'entendit s'approcher.
Sans même bouger, l'ancienne espionne s'adressa à l'homme derrière elle.
« Miguel... Crois-tu qu'ils seraient heureux ?
- Évidemment. Tu es leur unique fille, Fernando t'appelait même ''Sa petite princesse''. Quant à Elena, lorsqu'elle était enceinte, elle imaginait déjà ce que pourrait être ta vie. Elle doit être plus que ravie de te voir ainsi. »
Miguel se tenait désormais aux côtés de sa petite-sœur et lui souriait. Il la connaissait bien et se doutait que l'absence de ses parents lui pesait plus que de raison.
Une légère brise vint soulever les cheveux bruns de la catalane, laissant apparaître des yeux larmoyants. L'homme le vit avant qu'elle ne puisse le dissimuler. C'est à ce moment-là qu'Isabella lâcha que jamais Fernando Laguerra n'accepterait ce mariage. La catalane avait donc l'impression de trahir son père pourtant elle ne pouvait fuir cet amour qu'elle partageait avec Juan-Carlos. Elle se sentit soudainement tiraillée mentalement.
Miguel posa ses mains sur le visage presque paniqué d'Isabella et la rassura autant qu'il put. En tant qu'homme, le défunt docteur aurait pu désapprouver Mendoza cependant, en tant que père aimant, il savait accepter les choix de son enfant si cela faisait son bonheur. D'autant plus que l'espagnol se remémora les déboires de son mentor face à la famille d'Elena : Prêt à tout afin de rester avec celle qu'il aimait. Miguel ajouta alors que peu importait les rapports houleux entretenus par les deux hommes dans le passé, Fernando finirait par accepter le mari choisit par sa fille.
Isabella afficha un léger sourire et remercia son cher grand-frère. Elle se reposa sur son épaule et fixa les sépulcres de ses parents.
Miguel coupa court à cet instant de repos :
« Ce n'est pas que je veuille t'éloigner de tes parents mais... Si tu veux être prête à temps pour la cérémonie, je dois te ramener à la maison.
- Tu as raison. Et je suis persuadée que les petites sont en pleine panique d'avoir trouvé une chambre vide.
- Tu ne crois pas si bien dire. »
Les deux catalans laissèrent échapper un rire avant de se relever.
Isabella se sentit plus légère : Avoir pu voir ses parents et parler avec Miguel à cœur ouvert lui avait réellement été bénéfique pour attaquer cette longue journée de bonheur.
De retour chez les Perez, Zia fonça sur Isabella et l'enlaça aussi fort qu'elle le put. La catalane sourit et s'excusa auprès des jeunes filles pour s'être absentée de cette manière. Isabella expliqua simplement qu'elle avait souhaité prendre l'air, omettant de mentionner sa destination.
Ana intervint que toutes discussions seraient les bienvenues à condition qu'elles commencent à habiller la mariée. Isabella acquiesça.
Miguel embrassa sa femme et salua les autres avant de s'éclipser afin de se rendre à l'église et de convenir des derniers détails avec le prêtre.
Indali indiqua alors que le bain qu'on lui avait demandé de préparer était prêt et invita donc la catalane à s'y rendre. Cette dernière remercia l'indienne et se dirigea vers le cabinet de toilette.
La pièce était éclairée par de nombreuses bougies, créant une ambiance chaleureuse et apaisante dont on ne pourrait se lasser. Isabella huma le délicat parfum des fleurs séchées, appréciant chaque note de rose, de souci et de jasmin. Indali avait un talent certain avec les fleurs, ces connaissances devaient être le fruit de son apprentissage auprès de Nala, leur guérisseuse. En tant que fille de docteur, Isabella ne manquait pas de lui apprendre tout ce dont elle parvenait à se rappeler.
Pour l'heure, la catalane se déshabilla laissant tomber au sol sa cape et ses vêtements. Après avoir relevé sa chevelure en un chignon primaire, elle s'abandonna dans l'eau claire de son bain.
L'onde lui fit le plus grand bien, Isabella savonna son corps avec un savon apporté par Ingrid. La veille, la vieille femme lui avait également fourni une lotion afin que ses cheveux soient brillants et faciles à coiffer.
Trente minutes plus tard, la catalane sortit de son bain et s'enroula dans un drap. Elle aurait bien aimé prolonger ce bain fort plaisant mais il lui fallait désormais rejoindre ses trois amies.
Celles-ci attendaient dans la pièce de vie, toutes trois étaient déjà parées pour la cérémonie : Ana avait cependant offert une tenue plus chaude et convenable à Indali pour l'église. L'indienne fut un peu réticente au début mais accepta lorsque Zia lui expliqua le besoin de décence des catholiques lors des célébrations divines. Chose que l'inca avait apprise après son enlèvement. L'élue ajouta que cela ne serait que pour le temps de la messe, après cela elle pourrait se changer et porter les vêtements qu'elle avait emporté.
Isabella monta dans son ancienne chambre suivie par ses demoiselles d'honneur. Ces dernières laissèrent un instant à la catalane pour qu'elle puisse enfiler des dessous.
Chose faite, toutes trois entrèrent dans la chambre. Ana attrapa le corset qui reposait sur la banquette et vint le lacer autour du torse d'Isabella ; D'une main ferme, elle tira sur les liens en prenant garde à ne pas trop serrer pour que la mariée puisse se sentir à l'aise durant cette longue journée. L'aventurière sourit à ce petit geste notamment en repensant à ce qu'elle avait vécu pendant les deux dernières années.
Zia détacha la robe de son support et aida Isabella à la revêtir. C'était une robe arborant un unique jupon finement brodé, quelques perles brodées ornaient le buste et des manches amples se terminaient en un petit volant décoré. Les couturières avaient fait un travail remarquable en si peu de temps.
Isabella s'installa sur la chaise au milieu de la pièce afin qu'Indali puisse la coiffer et Ana la maquiller. Cette dernière eut très vite terminé sa tâche, elle savait que la mariée ne souhaitait que magnifier ses traits du visage. L'indienne, quant à elle, prit le temps de réaliser la coiffure : Elle prenait cette tâche très à cœur car Isabella lui faisait une grande confiance. Indali avait commencé réaliser une simple attache avec la majorité des cheveux à l'arrière et avait retourner la queue de cheval sur elle-même. La coiffeuse passa les mèches avant dans l'espace crée et réitéra l'étape jusqu'à avoir enroulé toute la longueur puis elle ajouta de petites pinces afin que le chignon se maintienne toute la journée. Indali acheva sa coiffure en y fixant la pince qu'Ana prêtait avec grand plaisir à la mariée du jour.
Afin de parachever l'habillage, Zia apporta un écrin contenant les derniers accessoires : Un bracelet arborant trois petites pierres d'agate bleue que lui avait offert, à sa grande surprise, les parents de Juan-Carlos et une paire de boucles d'oreilles en argent, un cadeau venant d'Ingrid. Que cela soit pour l'un ou l'autre des bijoux, Isabella s'était sentit gênée d'accepter de tels présents néanmoins elle ne put que gratifier mille fois ces trois personnes dont la générosité la toucha au plus profond d'elle-même.
La catalane ferma les yeux un instant, permettant aux deux adolescentes de retourner le miroir. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Isabella resta muette : Elle n'aurait jamais cru se voir ainsi un jour.
« Il ne manque plus qu'un petit détail.
- De quoi parles-tu, Ana ?
- De ceci. »
Ana présenta un petit coffret à Isabella et l'ouvrit pour y découvrir un collier fait d'argent et d'agate bleue. L'espagnole posa la boîte sur le lit et attrapa chaque extrémité de la chaîne avant de le passer autour du cou de la mariée.
« Où as-tu trouvé une telle merveille ?
- Dans la commode de tes parents. Je l'ai trouvé lorsque nous nous sommes installés. J'imagine qu'il a dû appartenir à ta mère. Je l'ai donc conservé précieusement pour pouvoir te le transmettre un jour.
- A... A ma mère ?
- Oui. Et je pense qu'elle serait plus que ravie de te le voir porter aujourd'hui. »
Isabella n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Elle eut comme un voile devant les yeux mais retint ses larmes et afficha un immense sourire en touchant le pendentif du bout de ses doigts.
De l'autre côté de la porte, elles entendirent Miguel. Avec l'accord d'Isabella, Ana ouvrit la porte à son mari. Ce dernier entra et fut surpris lorsque ses yeux se posèrent sur la jeune femme. L'homme la complimenta sincèrement et elle le remercia en retour.
C'est alors qu'il annonça que l'heure était venue pour eux de se rendre à l'église. Tout le village était déjà devant le bâtiment, il ne manquait plus qu'eux.
Les quatre femmes acquiescèrent et toutes descendirent. Les adolescentes et Ana devancèrent les deux autres sur le chemin de l'église.
Miguel attrapa le bas de la robe d'Isabella afin que celle-ci ne traîne pas au sol. La jeune femme le remercia mais préféra porter le drapé elle-même.
La messe commença. A l'entrée du bâtiment, Isabella attendait avec Miguel. Elle sentit son cœur se serrer comme si tous ses efforts pour se calmer avaient été vains.
Miguel lui sourit et cela la calma presque immédiatement. L'homme se tourna vers elle et replaça quelques mèches volontairement laissées libres par Indali.
« Cela va être à toi de faire ton entrée. Es-tu prête ?
- Je crois oui. »
Isabella laissa échapper un rire discret, sous le regard interrogateur de son frère.
« J'ai sauté de toit en toit, espionné et volé un ancien ami, foncé tête baissée dans un incendie par deux fois et combattu nombre d'adversaires sans jamais douter de quoi de ce soit pourtant, là, je ne cesse de m'inquiéter... »
Miguel ne sut quoi répondre alors il se contenta de sourire et de présenter son bras à la jeune femme. Les musiciens entamèrent la mélodie prévue dès le premier jour des préparatifs : C'était d'une douceur tout à fait remarquable et, à cet instant précis, l'écho de l'église la magnifiait davantage.
Frère et sœur remontèrent le long de la Nef sous les regards attendris et heureux des villageois.
Sur le premier banc gauche se trouvaient les quatre adolescents : Les deux élus étaient les plus calmes. Ayant grandit au rythme des messes, Esteban se crut revenu quelques années en arrière, auprès du Père Rodriguez. A côté de lui, Athanaos se sentit aussi intrus que Tao et Indali : Eux n'avaient jamais mis les pieds chez les Chrétiens, quant à lui cela faisait bien trop longtemps. C'était même pour cette raison qu'il avait refusé d'être le témoin de Juan-Carlos.
De l'autre côté de l'allée, les deux seconds du capitaine : Aucun d'eux n'aurait voulu manquer cet événement. La famille du marin était également présente : Ses parents, Dolores et Fabricio, ainsi que son petit frère. Cristobal était un jeune garçon du même âge que Tao et ressemblait déjà énormément à son aîné.
Isabella et Miguel atteignirent les marches de l'autel. La catalane sentit son cœur s'affoler lorsqu'elle se plaça aux côtés de son fiancé. Ce dernier ne l'avait pas quitté des yeux depuis son entrée dans l'église et elle non plus. Désormais, le couple s'observait du coin de l'œil. Un sourire sincère apparaissait sur chacun de leurs visages.
Le prêtre débuta alors le sacrement qui allait unir ces deux âmes. L'homme d'église était ravi d'orchestrer un nouveau sacrement aussi précieux que le mariage. D'autant plus qu'il avait suivi l'instruction religieuse de la jeune femme face à lui.
Les cheveux poivre et sel, le religieux gardait une santé d'acier malgré les années défilantes. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, Isabella avait toujours connu cet homme si doux et ne pensant qu'au bien-être de son village. Il était un de ses rares hommes d'église qui ne souhaite que partager dans le bonheur. Pendant les trois ans où Fernando était parti en voyage, elle n'avait su trouver du réconfort qu'à ses côtés.
Le Père Noël récita d'une voix grave et sécurisante les textes qu'il avait soigneusement sélectionné. Au moment précis où son regard s'arrêta sur le visage d'Isabella, il reconnut Elena. Il en marqua une légère pause de surprise. Puis le prêtre reprit.
Il interrogea l'âme et le cœur de ce couple et, à chacune de ses questions, reçu la réponse la plus simple mais tout aussi sincère.
Dans ce flot continue de paroles et de bénédictions, Juan déplaça sa main vers Isabella. Ayant vu ce mouvement, la jeune femme copia le geste. Le dos de leurs mains se frôlèrent puis, la catalane vint glisser ses doigts entre ceux du navigateur.
Ce geste ne passa pas inaperçu pourtant personne n'y trouva quelque chose à dire tant ils trouvaient ça démonstratif de leur amour.
Vint alors le moment pour les deux époux d'échanger leurs vœux.
Isabella fut la première. Elle se tourna vers son époux et leva la tête afin de plonger son regard dans le sien.
« Juan-Carlos Mendoza. En ce jour bénit, je t'offre mon cœur et mon âme. Pendant très longtemps, j'ai pensé que le savoir et les voyages me suffirait pour apprécier la vie qui m'a été offerte. J'en avais même fait une croix sur l'amour. Seulement, j'avais tort, lorsque je t'ai rencontré, beaucoup de choses ont changé en moi, notamment cette croix qui s'est doucement effacée. Grâce à toi, j'ai commencé à rêver d'un avenir sans armes pour moi. Grâce à toi, j'ai réfléchi à ce que pourrait être ma vie auprès d'un homme qui éprouverait peut-être quelque chose pour moi. Grâce à toi, j'ai découvert que cela pourrait être possible. Grâce à toi, j'ai trouvé une échappatoire à la vie que je menais, l'espoir de connaître une existence aussi paisible que possible. Je te promets fidélité et passion, dans la santé comme dans la maladie, dans la richesse comme dans la pauvreté. Tu m'as sauvé des abîmes. Mon amour n'appartient qu'à toi. Je suis désormais tienne. »
La catalane offrit alors un doux sourire à l'homme qu'elle aimait plus que de raison. Ce dernier était bouche bée par ce qui venait d'être prononcé.
En retour, Juan-Carlos se saisit des mains de son épouse : C'était désormais à lui d'exprimer ses vœux.
« Isabella Laguerra. En ce jour bénit, je m'offre à toi corps et âme. Jusqu'à il y a deux ans, mes seuls amours étaient l'or et les océans mais il a fallu que je rencontre trois gamins, tous plus têtus et surprenants les uns que les autres, pour que ma vision du monde change : J'ai appris à aimer, à devenir un homme meilleur. Puis je t'ai rencontré, une femme resplendissante dotée d'un esprit remarquable et d'une force peu commune. J'ai un peu honte de l'avouer mais tu m'as immédiatement charmé. A chaque fois que nous étions séparés, tu occupais mon esprit. Je ne cessais de penser à toi, j'avais toujours besoin de savoir comment tu allais, ce qui t'arrivait. Aujourd'hui, et devant Dieu, je serais enfin à même de le savoir. Dans la santé comme dans la maladie, dans la richesse comme dans la pauvreté, je te jure fidélité et dévouement. Chaque jour, je te chérirais un peu plus jusqu'à ma mort. »
Les yeux embués, Isabella restait incrédule malgré une immense vague d'émotions qui la submergeait intérieurement. Elle avait conscience des sentiments de son amant à son égard mais entendre Juan les affirmer devant sa famille, leurs amis et un village entier ne faisait que renforcer son propre attachement.
Le Père Noël prit alors la suite. Il fit avancer la plus jeune enfant du village : La porteuse d'alliances approcha du couple et leur présenta le petit coussin où reposaient deux anneaux d'argent.
« Mes enfants. Recevez ces anneaux, symbole matériel de votre union. »
Mendoza s'empara du premier et le passa à l'annulaire de son épouse. L'homme caressa sa main, souriant sincèrement.
Enfin, Isabella se saisit du second anneau et le fit glisser autour du doigt de son mari. Elle agrippa sa senestre.
Le prêtre récita une nouvelle prière afin de bénir une nouvelle fois le couple et les alliances. Suite à cela, le Père Noël invita les nouveaux époux à sceller leur union grâce à un baiser.
Juan-Carlos saisit avec douceur la main de sa nouvelle épouse, glissa sa dextre dans le dos d'Isabella et l'attira vers lui avec une grande douceur. Les amants étaient si proches qu'ils pouvaient sentir les battements l'un de l'autre. Leurs lèvres se touchèrent : Chacun sentit la chaleur de l'autre. Mari et femme n'avaient pu partager un tel instant depuis trop longtemps : Ce baiser était pour eux un éclat de bonheur à l'état pur.
A ce moment-là, Mendoza ne pouvait se douter de ce qu'il venait d'achever : Il venait d'éradiquer la souffrance engendrée par le Vicomte. Isabella ne l'aimait que davantage : Il la sauvait encore une fois.
~~~~~~
Pour ceux que ça intéresse voici la musique qui m'a permit de visionner la cérémonie :
Bonne lecture
~~~~~~
Le grand jour
13 octobre 1534, Vilanova i la Geltrú
La lune éclairait déjà le ciel depuis deux bonnes heures quand Isabella se força à rejoindre son lit. Bien qu'elle sache que la journée à venir serait éreintante, la catalane ne parvenait pas à trouver le sommeil tant elle angoissait... La boule au ventre, Isabella se recroquevilla sous sa couverture : Depuis que Juan l'avait quitté en début de soirée, cette sensation de malaise ne faisait que s'accroître. La bretteuse avait d'abord supposé qu'il ne s'agissait que de stress mêlé à l'excitation et s'était allongée en regardant cette longue robe blanche qui attendait son heure.
Malheureusement, dès qu'elle eut fermé les yeux, de vieilles images la frappèrent. Incapable de calmer ces assauts de souvenirs, Isabella avait quitté son lit pour s'installer à la fenêtre. Assise sur cette banquette où son défunt père lui avait conté mille et une histoires lorsqu'elle n'était qu'une enfant, la catalane observa le ciel parsemé d'étoiles comme si elle cherchait un remède à ses maux.
La nuit était incroyablement calme, seul le vent engendrait un léger sifflement lorsqu'il se faufilait entre les maisons. Aucune lumière n'apparaissait à travers les fenêtres contrairement aux nuits précédentes, chaque villageois semblait dormir du sommeil du juste, des heures de repos bien méritées. Tout ce calme aurait pu faire croire à un village fantôme.
Isabella se savait épuisée par la semaine qui venait de passer pourtant ses vieux souvenirs prenaient un malin plaisir à la tourmenter. Elle resserra son petit châle sur ses épaules et fixa le ciel.
« Vas-tu donc me laisser tranquille, Adrian de Aguilar ? »
Ce nom vint nouer la gorge de la catalane tout autant qu'il asséna de violents coups dans la poitrine. La douleur eut raison d'elle et déclencha une crise de larmes silencieuse incontrôlable.
Sous sa couverture, la jeune femme avait cessé de pleurer non pas parce qu'elle ne souffrait plus mais parce qu'elle ne pouvait se permettre d'avoir des yeux rouges et bouffis.
Isabella tenta de chasser le vicomte de son esprit du mieux qu'elle le put en s'imaginant dans les bras de Mendoza ; Il n'était pas présent dans la pièce pourtant, la jeune femme se sentit envahie par une légère vague de chaleur. Elle put alors se détendre et rejoindre Morphée...
L'adolescente parcourait les couloirs du manoir à la recherche de son fiancé. Bien qu'elle ait accepté les faits depuis de longs mois, Isabella peinait à s'habituer à cette nouvelle vie en ville. Ce n'était pas tant l'apprentissage de l'étiquette qui la dérangeait mais plutôt le fait de devoir porter de longues robes comme toute fille de bonne famille : L'adolescente ne sentait vraiment pas à l'aise de ces vêtements toujours trop serrés et lourd. Le plus insupportable était, évidemment, le corset que son habilleuse laçait bien trop fort : Impossible pour la fille de la campagne qu'elle était de comprendre comment les femmes parvenaient à supporter une telle entrave.
Isabella s'arrêta devant un miroir : Elle avait du mal à se reconnaître. Tout cela était tellement superficiel : Pourquoi prêter autant d'attention au paraître ? C'était ahurissant.
Le seul avantage qu'elle tirait de cette nouvelle vie venait du puits de culture dont elle pouvait jouir grâce à la bibliothèque du Vicomte. L'adolescente s'était juré de devenir une érudite à l'instar de son père et de faire ses preuves lors de sa prochaine visite même si elle était consciente que cela ne changerait en rien son futur. Non, désormais son destin se trouvait entre ses murs : Elle avait fait la promesse à son père de se tenir tranquille et deviendrait une épouse modèle. Bien que cette idée lui déplaise fortement...
Isabella pinça une mèche rebelle et la fixa le long de son crâne à l'aide d'une petite pince lorsqu'elle aperçut, du coin de l'œil, une silhouette s'approcher : C'était lui, son futur époux, Adrian de Aguilar.
Adrian était plutôt grand et fin pour autant, il n'en restait pas moins quelqu'un de redoutable au combat. Le châtain de ses cheveux faisait ressortir le clair de sa peau. Sa carnation était si claire qu'on aurait pu croire à un vampire. Cette teinte n'était que le premier élément qui le faisait paraître comme tel. C'était un homme froid et arrogant ; Depuis que leurs fiançailles avaient été officialisées, le jeune vicomte ne montrait aucune sympathie envers l'adolescente. Pire, il la méprisait. Comment son père avait-il pu avoir cette idée saugrenue de le marier à une vulgaire roturière ? Adrian enrageait, d'accord cette gamine était plutôt mignonne néanmoins elle ne méritait pas un homme de sa classe.
Cela avait pris du temps mais le jeune maître avait élaboré un plan solide pour se débarrasser de cette demoiselle indésirable. Chaque détail étant désormais réglé à la seconde prêt, Adrian n'avait plus qu'à mettre tout ça en application. Facile, se dit-il : Cette gamine acceptait tout ce qu'il pouvait lui proposer avec un sourire.
Le jeune vicomte s'approcha d'Isabella et la salua avant de lui proposer une balade à cheval. Cette dernière fut hésitante au début mais accepta volontiers : C'était une occasion inespérée de quitter le manoir et de découvrir les alentours.
Quelque temps plus tard, les futurs époux avançaient dans la campagne : Adrian devançait la campagnarde, se moquant intérieurement d'elle et de sa façon de monter. Il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule et fut surpris de la voir si proche de lui, souriant sincèrement comme elle ne l'avait jamais fait depuis son entrée au domaine.
La fille du docteur appréciait plus que tout cette sortie bien que son fiancé soit à ses côtés. Depuis que le duo avait quitté la ville, l'adolescente avait l'impression d'être rentrée à Vilanova. Rien n'aurait pu la rendre plus heureuse puisque sa véritable maison lui manquait : Que devenaient Miguel et Ana ? Ce dernier tenait-il sa promesse ? Elle chassa très vite une larme sur sa joue, il n'était pas question que le futur vicomte la voit pleurer.
« Est-ce que tu aimes cette balade ? »
La catalane sursauta presque : Adrian ne lui avait pas adressé la parole depuis cette fameuse proposition et maintenant il lui demandait si elle appréciait cette promenade.
Elle bafouilla presque en lui répondant.
« Moi ? Oui bien sûr. Cela me rappelle celles que je faisais avec Miguel, le disciple de mon père.
- Je vois. Maintenant, que dirais-tu de mettre à l'épreuve tes talents de cavalière ? Que nous voyons si tu as un niveau décent pour ma famille. »
Il avait dit ça avec un tel sarcasme. Isabella se sentit plus qu'offensée néanmoins elle accepta sans sourciller bien que ce ne soit pas des plus raisonnables. Cependant, l'adolescente se devait de prouver à ce malappris que les meilleurs cavaliers n'étaient pas forcément issus des familles nobles.
Les deux jeunes stoppèrent leurs montures et Aguilar proposa une course de leur positionnement actuel jusqu'à l'entrée du domaine familial. Isabella acquiesça sans hésiter.
Au top du vicomte : Ils s'élancèrent, amenant les chevaux au galop sans aucune restriction. Isabella parvint à prendre la tête très rapidement et jeta brièvement un regard derrière elle : Adrian traînait la patte. Cela la fit sourire et intensifia sa joie. Loin de tous les regards, la fille du docteur pouvait être elle-même sans avoir à se soucier du regard de qui que ce soit. Combien même elle gagnerait cette course cela ne resterait qu'entre elle et son fiancé. Après tout, il ne fallait pas froisser l'ego du jeune noble.
Arrivant au petit bois, Isabella préféra ralentir passant du galop au trot. Un étrange pressentiment l'assaillit, elle ne se sentait plus en sécurité. Et en un instant, elle vit le piège qui lui était tendu mais ne put rien faire ! Sa monture trébucha, propulsant la cavalière plusieurs mètres en avant. Cette dernière eut tout juste le temps de protéger sa tête avant de heurter le sol.
Isabella mit à peine quelques secondes avant de réaliser ce qu'il venait de lui arriver, elle tenta de se relever cependant une vive douleur à la jambe l'en empêcha. L'adolescente y dirigea lentement ses yeux et étouffa un cri lorsqu'elle vit le sang émanant de la plaie béante qui trônait juste au-dessous de son genou. Des larmes commencèrent à brouiller sa vision, Isabella releva la tête et chercha Aguilar : Elle devait le prévenir, à la fois pour sa jambe mais également qu'on leur avait tendu une embuscade.
La catalane eut tout juste le temps de l'apercevoir, pied à terre à une dizaine de mètres d'elle, quand elle entendit deux voix s'approcher. Deux hommes sortirent des fougères : Ils étaient crasseux, vêtus de vêtements simples et possédaient des lames passablement émoussées. L'un d'eux avait le crâne rasé et une dent en or, sans doute le chef du duo. L'autre arborait des cheveux bouclés dont le gras luisait, il était plus grand et plus fin. Les deux hommes se rapprochèrent de l'adolescente qui se mit à hurler. Elle espérait qu'Adrian viendrait la sauver seulement, il n'en fit rien. Isabella n'en crut pas ses yeux lorsqu'elle vit le futur vicomte remonter à cheval et se détourner du chemin.
Pourquoi ne venait-il pas l'aider ? Bien sûr, elle savait qu'il ne l'aimait pas mais elle ne pensait pas qu'il resterait indifférent dans ce genre de situation.
« Adrian !! Je vous en supplie ! Ne m'abandonnez pas ici ! »
Il était déjà trop tard, Aguilar fuyait ! Elle n'avait déjà pas beaucoup d'estime pour lui avant ça, désormais elle n'en avait plus aucune. Ce jeune freluquet n'était pas un homme mais un lâche.
Isabella se mit à pleurer de plus belle. Dans une tentative désespérée d'échapper à ses ravisseurs, la jeune fille recula sur ses avant-bras tout en luttant contre la douleur. Elle sentait son cœur battre si fort qu'elle crut qu'il allait sortir de sa poitrine.
L'homme au crâne rasé s'approcha et lui assena un coup à la tête. Isabella s'écroula au sol, son regard se perdit dans le vide ; La dernière chose qu'elle vit fut sa pauvre monture agonisante elle aussi.
Puis elle ferma les yeux. La catalane sentit son corps se soulever et une nouvelle décharge la frappa. Finalement, l'adolescente ne se marierait pas, s'en était presque un soulagement... Elle n'aurait plus besoin de faire semblant, de se mentir à elle-même.
Soudain, le visage de son père lui apparut, elle ne le verrait plus jamais... Isabella pria silencieusement pour survivre, elle ne voulait pas mourir... Pas maintenant, pas avant d'avoir pu faire payer ce lâche d'Adrian de Aguilar.
Isabella ouvrit les yeux... Le ciel s'éclaircissait à peine, elle était presque soulagée de se réveiller. Certes, la jeune femme était encore fatiguée de cette semaine de préparatifs malgré tout ce cauchemar était terminé.
Elle se redressa. Assise dans son lit, elle passa sa main sur sa jambe, plus particulièrement sur cette longue cicatrice qui lui rappelait sa décision de ne plus jamais attendre quoi que ce soit d'un homme ni même de tomber amoureuse.
Isabella esquissa un sourire léger : Depuis sa rencontre avec son marin, elle avait été incapable de respecter sa propre parole. La catalane s'était retrouvée encore une fois piégée pourtant, cette fois-ci, elle appréciait cette situation.
La fille du docteur s'approcha de sa robe, le grand jour était enfin arrivé. Dans quelques heures, elle serait face à un homme qui la comprend et qui ne l'a jamais abandonnée depuis leur rencontre. Un homme droit, ne faisant preuve d'aucune lâcheté, comme elle avait pu le prétendre.
Isabella se vêtit rapidement et se couvrit de sa cape. Comme lorsqu'elle était enfant, elle se faufila hors de la demeure sans un bruit.
A l'aide d'une lampe élaborée par les disciples de Léonard de Vinci, la future mariée s'éclipsa du village.
Le soleil était maintenant levé, Zia et Indali se tenait devant l'entrée de la bâtisse. L'inca frappa et la porte s'ouvrit presque immédiatement sur une grande femme aux cheveux blonds.
« Bonjour Ana, comment allez-vous ?
- Fort bien merci. Et vous deux mesdemoiselles ? Êtes-vous prêtes ?
- Autant que l'on puisse l'être ! »
Ana fit entrer les adolescentes et leur proposa de patienter encore un peu avant de se rendre à l'étage pour réveiller la mariée.
Indali, qui ne connaissait pas toutes ces coutumes, posa encore une fois de nombreuses questions sur le déroulement de la journée. La propriétaire des lieux fut ravie de lui répondre : Cela commencerait par aider la mariée à se préparer, à enfiler sa robe, la coiffer. Bien sûr, Ana précisa que l'apparence comptait beaucoup en ce jour spécial, mais chacune d'entre elles devrait s'assurer de calmer le stress ressenti par Isabella bien que cette dernière affirmerait le contraire. Ensuite, il y aurait la cérémonie à l'église, chose qui pourrait, sans aucun doute, paraître très long pour l'indienne.
Zia écoutait d'une oreille distraite : Ayant séjourné contre son gré au palais de Barcelone, elle connaissait par cœur chaque us et coutumes des chrétiens lorsqu'il s'agissait d'unir deux âmes. L'inca profita du moment pour observer la maison qui avait vu naître et grandir la bretteuse : L'endroit semblait d'abord très froid puis se réchauffait dès lors que l'on prêtait attention à de petits détails, tout cela en prenant en compte que la maison appartenait désormais aux Perez.
L'horloge murale annonça alors huit heures, le coucou se mit à chanter et Ana, sourire aux lèvres, se leva de table et s'adressa à Zia et Indali.
« Bien. Jeunes filles, il est temps de se mettre au travail. Nous avons deux heures avant le début de la messe pour exceller dans la tâche qui nous a été confiée. »
Ana prenait son rôle de témoin très à cœur. Elle ferait tout pour que ce jour soit le plus merveilleux possible dans la vie de cette enfant qu'elle a vu naître. L'espagnole confia un plateau garni de fruits secs, de petits gâteaux et d'un grand verre de jus de pomme à Zia et les invita à la suivre.
Les trois demoiselles montèrent les escaliers qui grincèrent sous leurs pieds. A l'étage, elles se dirigèrent vers la porte la plus reculée sur leur gauche.
Ana donna trois petits coups sur la porte et l'ouvrit tout doucement au début puis termina son action avec un grand geste.
Intriguées, les adolescentes à sa suite échangèrent un regard. Zia posa le plateau au sol et entra dans la chambre. Elle comprit aussitôt la réaction de la blonde et fut tout autant confuse.
Le lit était vide et Isabella n'était pas dans la pièce.
« Ça... Ça, c'est une première dans ce village. La mariée qui disparaît.
- Et ça ne vous inquiète pas plus que ça ?
- Pas du tout. Je connais suffisamment Isabella : Elle a toujours la fâcheuse tendance à s'éclipser au mauvais moment.
- Mais... Et s'il lui était arrivé quelque chose ? Pourquoi serait-elle partie un jour aussi important pour elle ? Ça n'a pas de sens... »
Ana, mains sur les hanches, effaça son sourire en voyant l'inquiétude sur le visage des filles. Bien sûr qu'elle s'inquiétait pour son amie mais les petites face à elle semblaient déjà imaginer le pire des scénarios. L'imagination enfantine...
La sage-femme s'approcha d'elles et se mit à leur niveau. La fille du docteur lui avait parlé des mésaventures vécues depuis plusieurs mois par conséquent Ana savait ce qui pouvait bien passer par la tête des deux enfants. Elle sut utiliser les bons mots pour les rassurer.
En se redressant, l'espagnole remarqua le porte-manteau et comprit une partie de l'histoire. D'un petit geste, elle le montra à Zia et Indali et expliqua simplement que la mariée avait dû s'absenter avant le lever du soleil pour s'aérer l'esprit. Une façon simple de lutter contre le stress du grand jour.
« Comment être sûr qu'il ne lui est rien arrivé pendant cette balade ?
- Voyons Zia, penses-tu vraiment qu'Isabella est du genre à se laisser faire ?
- Non mais...
- Il y a un souci Ana ?
- Ah Miguel ! Non aucun si ce n'est que nous avons perdu la mariée. »
Ces derniers mots firent rire l'homme qui venait d'arriver sur le palier. Il caressa les cheveux de Zia, la rassurant à son tour.
Miguel écouta sa femme lui décrire les faits bien qu'il sache déjà ce qui avait poussé la mariée à s'enfuir et donc l'endroit où elle s'était réfugiée.
« Ana, toi et les filles, commencez à tout préparer. Je vais chercher Isabella, je suis certain de savoir où la trouver. Je vous la ramène au plus vite.
- Merci Miguel. Mesdemoiselles, vous avez entendu le chef : Au travail ! »
Les gamines restèrent déconcertées quelques instants puis suivirent les instructions d'Ana, acceptant de laisser l'espagnol ramené l'une des personnes les plus importantes de la journée.
Miguel descendit les escaliers, enfila son manteau et quitta son domicile. Il emprunta le même chemin qu'Isabella et se dirigea entre les ruelles. Le médecin salua quelques connaissances qu'il croisa jusqu'à sa destination.
Le cimetière, oui, elle ne pouvait être qu'ici. Miguel passa le portail et déambula entre les sépultures ; Il s'arrêta pendant quelques secondes devant l'une d'entre elles et se signa.
L'espagnol se dirigea ensuite à l'autre bout du champ de repos.
Elle était bien là, à genoux devant deux pierres tombales. Isabella semblait avoir complètement apaisé son esprit. Ses cheveux retombaient sur ses épaules, une mèche était logée derrière son oreille. La catalane apparaissait, aux yeux de Miguel, comme totalement détachée de la réalité. Pourtant, au moment où il fit un pas, l'espionne en elle ressurgit et Isabella l'entendit s'approcher.
Sans même bouger, l'ancienne espionne s'adressa à l'homme derrière elle.
« Miguel... Crois-tu qu'ils seraient heureux ?
- Évidemment. Tu es leur unique fille, Fernando t'appelait même ''Sa petite princesse''. Quant à Elena, lorsqu'elle était enceinte, elle imaginait déjà ce que pourrait être ta vie. Elle doit être plus que ravie de te voir ainsi. »
Miguel se tenait désormais aux côtés de sa petite-sœur et lui souriait. Il la connaissait bien et se doutait que l'absence de ses parents lui pesait plus que de raison.
Une légère brise vint soulever les cheveux bruns de la catalane, laissant apparaître des yeux larmoyants. L'homme le vit avant qu'elle ne puisse le dissimuler. C'est à ce moment-là qu'Isabella lâcha que jamais Fernando Laguerra n'accepterait ce mariage. La catalane avait donc l'impression de trahir son père pourtant elle ne pouvait fuir cet amour qu'elle partageait avec Juan-Carlos. Elle se sentit soudainement tiraillée mentalement.
Miguel posa ses mains sur le visage presque paniqué d'Isabella et la rassura autant qu'il put. En tant qu'homme, le défunt docteur aurait pu désapprouver Mendoza cependant, en tant que père aimant, il savait accepter les choix de son enfant si cela faisait son bonheur. D'autant plus que l'espagnol se remémora les déboires de son mentor face à la famille d'Elena : Prêt à tout afin de rester avec celle qu'il aimait. Miguel ajouta alors que peu importait les rapports houleux entretenus par les deux hommes dans le passé, Fernando finirait par accepter le mari choisit par sa fille.
Isabella afficha un léger sourire et remercia son cher grand-frère. Elle se reposa sur son épaule et fixa les sépulcres de ses parents.
Miguel coupa court à cet instant de repos :
« Ce n'est pas que je veuille t'éloigner de tes parents mais... Si tu veux être prête à temps pour la cérémonie, je dois te ramener à la maison.
- Tu as raison. Et je suis persuadée que les petites sont en pleine panique d'avoir trouvé une chambre vide.
- Tu ne crois pas si bien dire. »
Les deux catalans laissèrent échapper un rire avant de se relever.
Isabella se sentit plus légère : Avoir pu voir ses parents et parler avec Miguel à cœur ouvert lui avait réellement été bénéfique pour attaquer cette longue journée de bonheur.
De retour chez les Perez, Zia fonça sur Isabella et l'enlaça aussi fort qu'elle le put. La catalane sourit et s'excusa auprès des jeunes filles pour s'être absentée de cette manière. Isabella expliqua simplement qu'elle avait souhaité prendre l'air, omettant de mentionner sa destination.
Ana intervint que toutes discussions seraient les bienvenues à condition qu'elles commencent à habiller la mariée. Isabella acquiesça.
Miguel embrassa sa femme et salua les autres avant de s'éclipser afin de se rendre à l'église et de convenir des derniers détails avec le prêtre.
Indali indiqua alors que le bain qu'on lui avait demandé de préparer était prêt et invita donc la catalane à s'y rendre. Cette dernière remercia l'indienne et se dirigea vers le cabinet de toilette.
La pièce était éclairée par de nombreuses bougies, créant une ambiance chaleureuse et apaisante dont on ne pourrait se lasser. Isabella huma le délicat parfum des fleurs séchées, appréciant chaque note de rose, de souci et de jasmin. Indali avait un talent certain avec les fleurs, ces connaissances devaient être le fruit de son apprentissage auprès de Nala, leur guérisseuse. En tant que fille de docteur, Isabella ne manquait pas de lui apprendre tout ce dont elle parvenait à se rappeler.
Pour l'heure, la catalane se déshabilla laissant tomber au sol sa cape et ses vêtements. Après avoir relevé sa chevelure en un chignon primaire, elle s'abandonna dans l'eau claire de son bain.
L'onde lui fit le plus grand bien, Isabella savonna son corps avec un savon apporté par Ingrid. La veille, la vieille femme lui avait également fourni une lotion afin que ses cheveux soient brillants et faciles à coiffer.
Trente minutes plus tard, la catalane sortit de son bain et s'enroula dans un drap. Elle aurait bien aimé prolonger ce bain fort plaisant mais il lui fallait désormais rejoindre ses trois amies.
Celles-ci attendaient dans la pièce de vie, toutes trois étaient déjà parées pour la cérémonie : Ana avait cependant offert une tenue plus chaude et convenable à Indali pour l'église. L'indienne fut un peu réticente au début mais accepta lorsque Zia lui expliqua le besoin de décence des catholiques lors des célébrations divines. Chose que l'inca avait apprise après son enlèvement. L'élue ajouta que cela ne serait que pour le temps de la messe, après cela elle pourrait se changer et porter les vêtements qu'elle avait emporté.
Isabella monta dans son ancienne chambre suivie par ses demoiselles d'honneur. Ces dernières laissèrent un instant à la catalane pour qu'elle puisse enfiler des dessous.
Chose faite, toutes trois entrèrent dans la chambre. Ana attrapa le corset qui reposait sur la banquette et vint le lacer autour du torse d'Isabella ; D'une main ferme, elle tira sur les liens en prenant garde à ne pas trop serrer pour que la mariée puisse se sentir à l'aise durant cette longue journée. L'aventurière sourit à ce petit geste notamment en repensant à ce qu'elle avait vécu pendant les deux dernières années.
Zia détacha la robe de son support et aida Isabella à la revêtir. C'était une robe arborant un unique jupon finement brodé, quelques perles brodées ornaient le buste et des manches amples se terminaient en un petit volant décoré. Les couturières avaient fait un travail remarquable en si peu de temps.
Isabella s'installa sur la chaise au milieu de la pièce afin qu'Indali puisse la coiffer et Ana la maquiller. Cette dernière eut très vite terminé sa tâche, elle savait que la mariée ne souhaitait que magnifier ses traits du visage. L'indienne, quant à elle, prit le temps de réaliser la coiffure : Elle prenait cette tâche très à cœur car Isabella lui faisait une grande confiance. Indali avait commencé réaliser une simple attache avec la majorité des cheveux à l'arrière et avait retourner la queue de cheval sur elle-même. La coiffeuse passa les mèches avant dans l'espace crée et réitéra l'étape jusqu'à avoir enroulé toute la longueur puis elle ajouta de petites pinces afin que le chignon se maintienne toute la journée. Indali acheva sa coiffure en y fixant la pince qu'Ana prêtait avec grand plaisir à la mariée du jour.
Afin de parachever l'habillage, Zia apporta un écrin contenant les derniers accessoires : Un bracelet arborant trois petites pierres d'agate bleue que lui avait offert, à sa grande surprise, les parents de Juan-Carlos et une paire de boucles d'oreilles en argent, un cadeau venant d'Ingrid. Que cela soit pour l'un ou l'autre des bijoux, Isabella s'était sentit gênée d'accepter de tels présents néanmoins elle ne put que gratifier mille fois ces trois personnes dont la générosité la toucha au plus profond d'elle-même.
La catalane ferma les yeux un instant, permettant aux deux adolescentes de retourner le miroir. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Isabella resta muette : Elle n'aurait jamais cru se voir ainsi un jour.
« Il ne manque plus qu'un petit détail.
- De quoi parles-tu, Ana ?
- De ceci. »
Ana présenta un petit coffret à Isabella et l'ouvrit pour y découvrir un collier fait d'argent et d'agate bleue. L'espagnole posa la boîte sur le lit et attrapa chaque extrémité de la chaîne avant de le passer autour du cou de la mariée.
« Où as-tu trouvé une telle merveille ?
- Dans la commode de tes parents. Je l'ai trouvé lorsque nous nous sommes installés. J'imagine qu'il a dû appartenir à ta mère. Je l'ai donc conservé précieusement pour pouvoir te le transmettre un jour.
- A... A ma mère ?
- Oui. Et je pense qu'elle serait plus que ravie de te le voir porter aujourd'hui. »
Isabella n'en croyait ni ses yeux ni ses oreilles. Elle eut comme un voile devant les yeux mais retint ses larmes et afficha un immense sourire en touchant le pendentif du bout de ses doigts.
De l'autre côté de la porte, elles entendirent Miguel. Avec l'accord d'Isabella, Ana ouvrit la porte à son mari. Ce dernier entra et fut surpris lorsque ses yeux se posèrent sur la jeune femme. L'homme la complimenta sincèrement et elle le remercia en retour.
C'est alors qu'il annonça que l'heure était venue pour eux de se rendre à l'église. Tout le village était déjà devant le bâtiment, il ne manquait plus qu'eux.
Les quatre femmes acquiescèrent et toutes descendirent. Les adolescentes et Ana devancèrent les deux autres sur le chemin de l'église.
Miguel attrapa le bas de la robe d'Isabella afin que celle-ci ne traîne pas au sol. La jeune femme le remercia mais préféra porter le drapé elle-même.
La messe commença. A l'entrée du bâtiment, Isabella attendait avec Miguel. Elle sentit son cœur se serrer comme si tous ses efforts pour se calmer avaient été vains.
Miguel lui sourit et cela la calma presque immédiatement. L'homme se tourna vers elle et replaça quelques mèches volontairement laissées libres par Indali.
« Cela va être à toi de faire ton entrée. Es-tu prête ?
- Je crois oui. »
Isabella laissa échapper un rire discret, sous le regard interrogateur de son frère.
« J'ai sauté de toit en toit, espionné et volé un ancien ami, foncé tête baissée dans un incendie par deux fois et combattu nombre d'adversaires sans jamais douter de quoi de ce soit pourtant, là, je ne cesse de m'inquiéter... »
Miguel ne sut quoi répondre alors il se contenta de sourire et de présenter son bras à la jeune femme. Les musiciens entamèrent la mélodie prévue dès le premier jour des préparatifs : C'était d'une douceur tout à fait remarquable et, à cet instant précis, l'écho de l'église la magnifiait davantage.
Frère et sœur remontèrent le long de la Nef sous les regards attendris et heureux des villageois.
Sur le premier banc gauche se trouvaient les quatre adolescents : Les deux élus étaient les plus calmes. Ayant grandit au rythme des messes, Esteban se crut revenu quelques années en arrière, auprès du Père Rodriguez. A côté de lui, Athanaos se sentit aussi intrus que Tao et Indali : Eux n'avaient jamais mis les pieds chez les Chrétiens, quant à lui cela faisait bien trop longtemps. C'était même pour cette raison qu'il avait refusé d'être le témoin de Juan-Carlos.
De l'autre côté de l'allée, les deux seconds du capitaine : Aucun d'eux n'aurait voulu manquer cet événement. La famille du marin était également présente : Ses parents, Dolores et Fabricio, ainsi que son petit frère. Cristobal était un jeune garçon du même âge que Tao et ressemblait déjà énormément à son aîné.
Isabella et Miguel atteignirent les marches de l'autel. La catalane sentit son cœur s'affoler lorsqu'elle se plaça aux côtés de son fiancé. Ce dernier ne l'avait pas quitté des yeux depuis son entrée dans l'église et elle non plus. Désormais, le couple s'observait du coin de l'œil. Un sourire sincère apparaissait sur chacun de leurs visages.
Le prêtre débuta alors le sacrement qui allait unir ces deux âmes. L'homme d'église était ravi d'orchestrer un nouveau sacrement aussi précieux que le mariage. D'autant plus qu'il avait suivi l'instruction religieuse de la jeune femme face à lui.
Les cheveux poivre et sel, le religieux gardait une santé d'acier malgré les années défilantes. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, Isabella avait toujours connu cet homme si doux et ne pensant qu'au bien-être de son village. Il était un de ses rares hommes d'église qui ne souhaite que partager dans le bonheur. Pendant les trois ans où Fernando était parti en voyage, elle n'avait su trouver du réconfort qu'à ses côtés.
Le Père Noël récita d'une voix grave et sécurisante les textes qu'il avait soigneusement sélectionné. Au moment précis où son regard s'arrêta sur le visage d'Isabella, il reconnut Elena. Il en marqua une légère pause de surprise. Puis le prêtre reprit.
Il interrogea l'âme et le cœur de ce couple et, à chacune de ses questions, reçu la réponse la plus simple mais tout aussi sincère.
Dans ce flot continue de paroles et de bénédictions, Juan déplaça sa main vers Isabella. Ayant vu ce mouvement, la jeune femme copia le geste. Le dos de leurs mains se frôlèrent puis, la catalane vint glisser ses doigts entre ceux du navigateur.
Ce geste ne passa pas inaperçu pourtant personne n'y trouva quelque chose à dire tant ils trouvaient ça démonstratif de leur amour.
Vint alors le moment pour les deux époux d'échanger leurs vœux.
Isabella fut la première. Elle se tourna vers son époux et leva la tête afin de plonger son regard dans le sien.
« Juan-Carlos Mendoza. En ce jour bénit, je t'offre mon cœur et mon âme. Pendant très longtemps, j'ai pensé que le savoir et les voyages me suffirait pour apprécier la vie qui m'a été offerte. J'en avais même fait une croix sur l'amour. Seulement, j'avais tort, lorsque je t'ai rencontré, beaucoup de choses ont changé en moi, notamment cette croix qui s'est doucement effacée. Grâce à toi, j'ai commencé à rêver d'un avenir sans armes pour moi. Grâce à toi, j'ai réfléchi à ce que pourrait être ma vie auprès d'un homme qui éprouverait peut-être quelque chose pour moi. Grâce à toi, j'ai découvert que cela pourrait être possible. Grâce à toi, j'ai trouvé une échappatoire à la vie que je menais, l'espoir de connaître une existence aussi paisible que possible. Je te promets fidélité et passion, dans la santé comme dans la maladie, dans la richesse comme dans la pauvreté. Tu m'as sauvé des abîmes. Mon amour n'appartient qu'à toi. Je suis désormais tienne. »
La catalane offrit alors un doux sourire à l'homme qu'elle aimait plus que de raison. Ce dernier était bouche bée par ce qui venait d'être prononcé.
En retour, Juan-Carlos se saisit des mains de son épouse : C'était désormais à lui d'exprimer ses vœux.
« Isabella Laguerra. En ce jour bénit, je m'offre à toi corps et âme. Jusqu'à il y a deux ans, mes seuls amours étaient l'or et les océans mais il a fallu que je rencontre trois gamins, tous plus têtus et surprenants les uns que les autres, pour que ma vision du monde change : J'ai appris à aimer, à devenir un homme meilleur. Puis je t'ai rencontré, une femme resplendissante dotée d'un esprit remarquable et d'une force peu commune. J'ai un peu honte de l'avouer mais tu m'as immédiatement charmé. A chaque fois que nous étions séparés, tu occupais mon esprit. Je ne cessais de penser à toi, j'avais toujours besoin de savoir comment tu allais, ce qui t'arrivait. Aujourd'hui, et devant Dieu, je serais enfin à même de le savoir. Dans la santé comme dans la maladie, dans la richesse comme dans la pauvreté, je te jure fidélité et dévouement. Chaque jour, je te chérirais un peu plus jusqu'à ma mort. »
Les yeux embués, Isabella restait incrédule malgré une immense vague d'émotions qui la submergeait intérieurement. Elle avait conscience des sentiments de son amant à son égard mais entendre Juan les affirmer devant sa famille, leurs amis et un village entier ne faisait que renforcer son propre attachement.
Le Père Noël prit alors la suite. Il fit avancer la plus jeune enfant du village : La porteuse d'alliances approcha du couple et leur présenta le petit coussin où reposaient deux anneaux d'argent.
« Mes enfants. Recevez ces anneaux, symbole matériel de votre union. »
Mendoza s'empara du premier et le passa à l'annulaire de son épouse. L'homme caressa sa main, souriant sincèrement.
Enfin, Isabella se saisit du second anneau et le fit glisser autour du doigt de son mari. Elle agrippa sa senestre.
Le prêtre récita une nouvelle prière afin de bénir une nouvelle fois le couple et les alliances. Suite à cela, le Père Noël invita les nouveaux époux à sceller leur union grâce à un baiser.
Juan-Carlos saisit avec douceur la main de sa nouvelle épouse, glissa sa dextre dans le dos d'Isabella et l'attira vers lui avec une grande douceur. Les amants étaient si proches qu'ils pouvaient sentir les battements l'un de l'autre. Leurs lèvres se touchèrent : Chacun sentit la chaleur de l'autre. Mari et femme n'avaient pu partager un tel instant depuis trop longtemps : Ce baiser était pour eux un éclat de bonheur à l'état pur.
A ce moment-là, Mendoza ne pouvait se douter de ce qu'il venait d'achever : Il venait d'éradiquer la souffrance engendrée par le Vicomte. Isabella ne l'aimait que davantage : Il la sauvait encore une fois.
~~~~~~
Pour ceux que ça intéresse voici la musique qui m'a permit de visionner la cérémonie :