Le clou du voyage.

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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Marcowinch
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Re: Le clou du voyage.

Message par Marcowinch »

Un très bon chapitre :)
Je ne crois toutefois pas qu'Athanaos n'ait pas nommé Esteban, ni qu'il n'ait pas révélé le prénom de son fils à Mendoza quand celui-ci l'a sauvé. Il en avait largement le temps, vu que dans le D.A. on voit les deux hommes se regarder un court instant avant que Mendoza ne prenne le bébé. ;)
*** :Tao: :Zia: :Esteban: Ma fanfic MCO : La Huitième Cité :) :Esteban: :Zia: :Tao: ***
J'espère qu'elle vous plaira :D

:Esteban: Bah voyons, Pattala ! C'est pas dans ce coin-là que vit la jolie Indali ? :tongue:
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TEEGER59
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Re: Le clou du voyage.

Message par TEEGER59 »

Je crois qu'on en a suffisamment parlé hors forum pour connaître le point de vue de chacun.
C'était inutile de me relancer ici.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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TEEGER59
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Re: Le clou du voyage.

Message par TEEGER59 »

Suite.

L'aventurière ne jugea pas nécessaire de lui demander davantage de précision sur la tragédie à laquelle il faisait allusion. Elle-même savait déjà qu'Athanaos était tombé sous le charme d'une aclla-cuna*, une jeune fille d'une beauté singulière qui aurait dû consacrer son existence au culte solaire, dans la plus rigoureuse chasteté et dans le plus complet isolement. Mais la venue du Prophète Voyageur avait chamboulé sa destinée toute tracée.
Inutile de s'attarder sur le sujet. Alors que Laguerra secouait la tête avec amertume sur la triste fin de la mère d'Estéban, Mendoza sentit sa nuque se raidir, sa gorge se nouer, car dans le même temps, il pensait à quelqu'un en particulier. Un fugace vertige l'obligea à poser ses cervicales sur un coussin. Il ferma les yeux, parfaitement immobile. Cinq secondes s'écoulèrent, puis dix. Avisant le visage terne de son amant, Isabella demanda:
:Laguerra: : Juan? Tu vas bien?
Pour un Catalan à la peau tannée comme l'était le capitaine, la pâleur était chose rare. Surtout après ces quelques verres de vin. Il se décida à reprendre la parole, paupières serrées.
:Mendoza: : Très bien.
:Laguerra: : Mais que t'arrive-t-il? Tu as pris un coup de soleil en pleine nuit ou quoi?
Le mercenaire se redressa et resta quelques secondes prostré, tête baissée. La bretteuse faillit sursauter en voyant son compagnon la relever d'un mouvement brusque.
:Mendoza: : Je songeai seulement à Pablo.
:Laguerra: : Pablo?
:Mendoza: : Le second Indien de Patagonie capturé pendant notre hivernage six mois plus tôt. Il ne supportait pas l'éloignement de sa terre natale et se laissa mourir pendant les premiers jours de la traversée. Alors, pour seul réconfort, un autre baptême fut organisé.

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:Mendoza: : C'est le deuxième point marquant. Au crépuscule de sa vie, bien que faisant preuve de réserve vis-à-vis des pratiques chrétiennes qui entraient en contradiction avec ses propres croyances, il demanda lui-même à recevoir le sacrement d'initiation. Il se fit appeler Pablo. Pablo l'Indien. Pablo, le géant Patagon... Durant le rite, ses genoux se dérobèrent. Dans l'incapacité à rester debout, il fut soutenu par quelques hommes de l'équipage, mais bientôt il perdit connaissance, et il fallut l'allonger sur le pont. Lorsqu'il rouvrit les yeux, lorsqu'il eut porté la main à sa bouche, après l'avoir péniblement relevée vers le ciel, lorsqu'il eut poussé un léger souffle, comme pour demander si son âme allait s'envoler, Pedro de Valderrama détourna tristement la tête. Les paupières de l'indigène s'étaient refermées et il n'avait pas vu ce mouvement trop significatif. Pablo ne bougeait plus et semblait dormir. Ses traits étaient bien blafards. Les cernes qui creusaient ses orbites passèrent du violacé au jaunâtre.
:Laguerra: : Le malheureux respirait-il encore?
:Mendoza: : On pouvait en douter à voir l'effrayante pâleur de son visage. Il était livide, malgré la coloration foncée du front et des joues. Pablo émergea de nouveau lorsqu'il sentit une main s'appuyer sur son épaule. En apercevant l'homme qui le touchait, son regard s'éclaira d’une faible lueur et ses lèvres décolorées s'étirèrent d'un sourire, bien maigre, mais sincère. Un nom s'échappa de sa bouche: "Antonio".
:Laguerra: : Pigafetta, bien sûr!
:Mendoza: : Oui, Pigafetta... Pigafetta avec qui il avait tant échangé. L'Italien se rendit compte qu'il éprouvait une immense tendresse à l'égard du géant. Jamais le grand homme n'avait paru aussi fragile et une boule se forma dans la gorge du supplétif à ce constat. Il lui prit la main, tentant de lui insuffler sa force. À cet instant, Juan de Morales, "el bachiller"* comme on l'appelait, arriva. Enrique, l'esclave de Magellan, était allé le quérir à la demande de l'aumônier. L'homme de science demanda au chroniqueur de s'écarter et s'agenouilla près du mourant. Nul doute que le Patagon se sentît un peu rassuré par sa présence. Il savait qu'il n'était pas entre les mains de l'un de ces sorciers, de ces faiseurs de sortilèges, de ces vendeurs de charmes, sortes de masseurs qui se transportaient de tribu en tribu, et ne méritaient que trop les mauvais traitements dont ils faisaient parfois l’objet. Le médecin de bord se pencha sur sa poitrine afin d'écouter son cœur. Celui-ci battait, une palpitation presque imperceptible, mais il battait. Et, tirant un des flacons de son carnier, Morales versa quelques gouttes d'un cordial à l'Indien dont les joues refroidies reprirent un peu de chaleur. Ensuite, il demanda d'attendre. Sans en avoir conscience, Antonio serrait les poings aussi fort qu'il le pouvait.
Isabella inclina la tête, comme pour écouter un écho au fond de son cœur.
:Laguerra: : Quelle impuissance il devait ressentir!
:Mendoza: : Plus encore que tu ne peux l'imaginer. Peinant à contenir sa frustration, il murmura: "On ne peut rien faire de plus?" Pablo survivrait-il, même avec les soins qui lui étaient donnés, le docteur ne le pensait sans doute pas. Moi-même, je songeais que si mon spécialiste ès-engelures avait été présent, il n'aurait pas pu faire mieux. Aucun remède n'aurait pu le sauver. Dans tous les cas, il n'abandonna point cet homme, tant qu'il lui restait un souffle de vie. Enrique regarda le Patagon, et, sans doute, l'interprète Malais crut que celle-ci l'avait effectivement abandonné, car il fit exactement le même geste. Sa main se porta à sa bouche, puis se dirigea vers le ciel, et on entendit le susurrement d'une légère expiration qui se glissait entre ses lèvres. Pourtant, une respiration irrégulière, soulevait la poitrine de Pablo. Elle était si faible qu'il fallût s'approcher de sa bouche pour s'assurer qu'il n'avait pas encore abandonné la partie. Très préoccupé, "el bachiller" jeta à peine un regard à Enrique. Il ausculta une fois de plus la poitrine de l'Indien que soulevaient à peine les derniers souffles de la vie. Il essayait de le ranimer en humectant une nouvelle fois ses lèvres pâles de quelques gouttes de cordial. Puis, il se releva et ne prononça pas une seule parole. Le Patagon ne devait pas revenir. Deux minutes auparavant, son dernier soupir s'était exhalé, malgré les soins dont il avait été l'objet. Sur son visage éteint, contracté par un dernier spasme, s'étendait la lividité de la mort. Pigafetta se jeta sur lui. Accablé par le chagrin, il s'abandonna à une vive douleur, qui se trahissait par des cris et des pleurs tandis qu'Estéban, apeuré, se mit lui aussi à l'imiter.
Laguerra écouta sans mot dire et ne s'en montra pas autrement émue. Elle éleva sa main fine et caressa d'un doigt la pommette de son compagnon qui ne put retenir ses larmes.
:Laguerra: : Je suis navrée, mon ange...
Elle ne pouvait rien lui dire de plus réconfortant. Evanescente à cause du regard embué de l'Espagnol, elle se pencha sur sa joue pour y déposer un chaste baiser. Les bras ballants, Mendoza contempla le sol avec une telle expression d'impuissance, de défaite, que la jeune femme fut prise de l'envie de le bercer, comme un enfant souffrant, entre ses bras.
Peu après, il s'essuya le visage du revers de la main, comme pour chasser tout signe de faiblesse. Il se leva et, comme ébranlé par le ressac des souvenirs qu'il repassait dans son esprit, il s'éloigna d'un pas chancelant, d'un pas qui témoignait de la vivacité de son ancienne vie. Durant un moment, Juan se renferma dans un silence qu'il semblait ne plus vouloir quitter. Puis, brutalement, il congédia ses tristes réflexions, se libéra de sa morosité et renoua le dialogue:
:Mendoza: : Pablo ne fut pas la seule victime durant cette période. Entre le franchissement du détroit et la découverte de Zarpana*, neuf hommes succombèrent à la peste de mer*. Les journées de navigation s'accumulaient lentement, et Magellan découvrit avec amertume que l'océan qu'il avait nommé Pacifique était bien vide.
:Laguerra: : En vérité, il aurait mieux valu le baptiser "océan désertique".
:Mendoza: : Ce n'est pas faux! Nous ne trouvâmes aucune terre pour nous ravitailler. Pourtant, les meilleurs guetteurs se relayaient à la vigie. Ayant un sens aigu de l'observation, ils fouillaient l'horizon du regard en portant une grande attention à leur environnement: les bancs de poissons et la présence d'algues leur signalaient des eaux peu profondes. La direction des vents et la forme des nuages nourrissaient également leur intuition. Mais ce qui les accaparait le plus, c'était la surveillance du ciel. Les sentinelles en poste scrutaient les oiseaux de mer en espérant voir certains spécimens.

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L'Ange gardien des Élus se gratta la nuque et vint se rasseoir.
:Mendoza: : Il est avéré que ces méthodes d'orientation ancestrales furent employées par les marins du monde entier depuis la plus haute Antiquité. Malheureusement, on n'entendait que des cris d'albatros qui s'abandonnaient aux caprices du vent. Pas la moindre mouette ou goéland en vue.
:Laguerra: : Est-ce si important?
:Mendoza: : C'était capital. Ces espèces étaient... elles sont presque toutes côtières ou insulaires, et s'aventurent rarement en haute mer. Si l'on en voyait, on savait que la terre n'était pas très loin, car elles s'y dirigent pour se nourrir, se reproduire et alimenter leurs petits. Chaque espèce d'oiseaux a même son propre rayon de vol: on estime que les plus rapides partis au large sont visibles deux à trois heures avant d'atterrir, soit entre quatre et douze lieues de la terre, vu la vitesse des navires. En dépit de leur absence, mon mentor ne céda pas au désespoir pour autant. Il fut persuadé que les îles aux épices n'étaient plus très loin. Or, les jours s'allongeaient comme des semaines et les équipages commençaient à être décimé par la faim et la soif. L'état des bateaux était préoccupant, lui aussi. Tels des cercueils flottants, ceux-ci se dégradaient car des coquillages se formaient sous la carène, ralentissant une traversée déjà interminable. À nouveau, le doute et le découragement nous assaillirent...
Les sourcils froncés, Isabella réfléchissait. La situation s'aggravait. Elle n'avait rien dit, mais Juan avait dû suivre le cheminement de sa pensée car il posa sur son bras une main qui se voulait rassurante et elle l'en remercia d'un regard.
:Mendoza: : L'espoir renaquit lorsque, deux mois après être sortie du détroit, l'armada aperçut enfin sa première terre. Elle nous apparut à la tombée du jour, dans une brume de chaleur qui donnait à la lumière des reflets irisés rappelant ceux de l'opale. Sur le pont de la Trinidad retentit alors un grand bruit de pas précipités. Tous les hommes gagnèrent la proue et s'appuyèrent près du bossoir de bâbord. Oubliant aussitôt leur mauvaise fortune, ils poussèrent des cris de joie. Ces acclamations firent s'envoler une nuée d'oiseaux criards au-dessus de l'île. Magellan apaisa les vivats d'un geste et reprit son adresse en ordonnant que les voiles soient bordées à bloc pour se rapprocher de l'axe du vent. Quelques instants plus tard, les volatiles se posèrent et tout redevint silencieux.
Essoufflé, le conteur s'arrêta un instant. L'espionne en profita pour lui demander de décrire les lieux.
:Mendoza: : Figure-toi une rêverie d'où émergeait une végétation luxuriante: une foule de cocotiers inclinés par les alizés, des colonies de palétuviers qui, toutes racines dehors, se mouvaient au loin dans une danse végétale sur les rivages sablonneux. Les gris du ciel flottaient non loin de l'océan. Des perspectives sans fin de nuages blancs glissaient dans l'air humide, vers la nuit tropicale qui s'empressait de manger l'horizon. Les couleurs conservaient encore un peu de la violence du soleil qui les giflait chaque jour.

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:Mendoza: : La grande beauté de cet îlot du Pacifique Sud était là, déroutante, exagérée, presque inquiétante à nos yeux accoutumés à ce jardin bien élevé qu'est la nature civilisée d'Europe. Notre approche fit à nouveau décoller une colonie de sternes bruyantes qui se mirent à tournoyer en criant au-dessus de la mâture. Mais pour notre plus grand malheur, ce confetti* perdu en plein Pacifique était entouré de récifs et ceux-ci nous empêchèrent d’accoster, comme si la nature l'avait armé pour se défendre contre la mer. Selon Antonio Pigafetta et Francisco Albo, l'île n'était habitée que par ces oiseaux marins et ces arbres, et quelques requins semblaient nager dans ses eaux. Les matelots tentèrent de sonder mais ne trouvèrent aucun fond.
:Laguerra: : Je suppose que vous cherchiez à ancrer les navires en amont des récifs pour ensuite vous y rendre en chaloupe.
:Mendoza: : Peine perdue... Même son petit lagon n'avait de réelle passe permettant la communication avec l'océan. Dépitée, la flotte fut contrainte de reprendre la route le lendemain sans avoir pu avitailler sur Isla San Pablo. Tel était le nom qu'on lui avait donné afin de rendre hommage au Patagon. De tous les éléments sinistres de cette sinistre journée, l'anxiété manifeste de l'équipage était ce qu'il y avait de pire.

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:Mendoza: : Un peu moins de deux semaines après, la flotte découvrit une seconde île sur laquelle nous ne pûmes accoster non plus.
:Laguerra: : Décidément, le sort s'acharnait sur vous!
:Mendoza: : C'est peu dire... Elle aussi était inabordable, tant ce territoire austral était protégé par des vents contraires et de puissants courants marins. Là aussi, nous constatâmes une grande concentration de chiens de mer et le chroniqueur la nomma en conséquence Isla de Los Tiburones, l'île des requins. L'armada marqua une halte de deux jours pour se reposer le corps et l'esprit, ainsi que pour pêcher ces poissons redoutables.
La jeune femme fit la grimace.
:Mendoza: : Je sais, ceci peut paraître étonnant dans la mesure où nous en avions déjà capturé le long de la côte Africaine et constaté que leur chair n’était guère comestible. Mais la faim dont nous souffrions nous contraignit à réviser notre jugement.
Tout en écoutant son interlocuteur, Isabella survolait toujours le récit de Pigafetta. Elle l'imaginait écrivant sa chronique.

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"Pendant trois mois et vingt jours, nous avons traversé quatre mille lieues par cette mer Pacifique, (en vérité, elle est bien pacifique, parce qu'en ce temps nous n'aurions pas eu fortune) sans jamais voir de terre, sinon deux petites îles inhabitées, sur lesquelles nous ne trouvâmes rien d'autre qu'oiseaux et arbres. Nous les appelâmes les îles Infortunées. Elles sont éloignées l'une l'autre de deux cents lieues. Impossible de trouver de fond à côté d'elles. La première, l'île San Pablo, aperçue le 24 janvier 1521, est à quinze degrés de latitude dans l'hémisphère sud. L'autre, que j'appelle en Italien "isola de tiburoni", l'île des requins, découverte le 04 février, est à neuf degrés. Chaque jour, nous faisions soixante à soixante-dix lieues en avant".
L'expression qu'eut l'aventurière à ce moment-là n'échappa pas au bretteur.
:Mendoza: : Oui. Nous demeurâmes durant tout ce temps sans prendre de vivre et autre rafraîchissement. Nous ne mangions que du vieux biscuit tourné en poudre, tout plein de vers et puant l'urine que les rats avaient faite dessus. Nous dévorions les cuirs en peau de bœuf qui étaient sur le grand mât et qui étaient très durs à cause du soleil, de la pluie et du vent. Nous en vînmes même à faire de la soupe aux copeaux de bois trempée dans de l'eau de mer afin d'apaiser nos estomacs qui criaient famine. Mais il y avait pire: nous en étions réduits à attraper les rongeurs afin de consommer un peu de viande.
"Un rat s'achetait un demi-écu car on ne pouvait en trouver assez pour tout le monde. Nous buvions une eau jaune et infecte. Nous étions touché par un mal pire encore. Les gencives de la plus grande partie de nos hommes, enflaient en haut comme en bas. Elles enflaient à tel point qu'ils ne pouvaient plus se nourrir et ainsi, ils mouraient de faim".

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"Un jour, je surpris quelqu'un qui fixait avec envie un cadavre encore chaud. On voyait qu'il l'aurait très vite dévoré s'il avait pu le faire. L'expression de son visage le trahissait car elle montrait son intention de découper ce corps en tranche et puis de le déguster à la petite cuillère".
Les cheveux sur la nuque de l'aventurière se hérissèrent. Elle se mordit la lèvre.
:Mendoza: : Tu vois l'effet que font ces trois phrases?
Isabella posa une main sur sa bouche. Avec ce qu'elle venait de lire, elle ne se sentait pas très bien. Elle déglutit, ferma les yeux et essaya de penser à autre chose. Mais son compagnon rebondit sur le sujet.
:Mendoza: : Afin d'éviter tout acte de cannibalisme, Magellan fit jeter sans délai les cadavres à la mer. Je t'ai dit que neuf hommes avaient péri lors de la traversée du Pacifique.
Elle acquiesça.
:Mendoza: : Étrangement, tous les décès eurent lieu à bord de la Victoria. Je n'ai jamais compris pourquoi. Et toi, tu as une idée?
:Laguerra: : Peut-être... Laisse-moi réfléchir un peu.
C'est tout juste s'il ne vit pas tourner les rouages dans la tête de sa compagne. Un sourire rusé éclaira soudain son beau visage.
:Laguerra: : Je crois en connaître la raison.
:Mendoza: : Vraiment?
:Laguerra: : N'oublie pas que mon père était docteur. Il m'avait appris quelques rudiments sur sa profession. La Victoria est bien le navire qui a cherché le San Antonio dans le détroit de Magellan durant une semaine?
:Mendoza: : C'est ça.
:Laguerra: : Alors l'explication est fort simple: les hommes à bord ont eu moins de temps pour manger du céleri par rapport aux équipages de la Trinidad et de la Concepción. Papa avait déjà noté que l'état des malades s'améliorait rapidement lors des escales, lorsque les produits frais étaient disponibles, en particulier les fruits du genre Citrus. Il n'y a rien de meilleur pour se préserver de cette maladie que de prendre souvent du jus de citron, de pamplemousse ou d'orange, ou bien faire provision de ces agrumes, qui semblent porter en eux le vrai antidote, et en user souvent.
:Mendoza: : C'est bon à savoir. Mais avec le grand condor pour se rendre d'un point à un autre aussi rapidement, je ne suis pas prêt de reprendre la mer. Et je comprends à présent pourquoi tu aimes tant boire de ce lassi... Bref, presque chaque semaine, nous devions faire basculer un corps sur une planche graissée ou du moins, tant que les marins n'avaient pas eu l'idée de lécher le suif dessus. Entre le 23 décembre 1520 et le 28 février 1521, Alonso de Mora, Domingo de Coimbra, Diego de Peralta, Gonzalo Rodríguez de Triana, Rodrigo Hernández Rodríguez, Miguel Veneciano, Nicolás Genovés, Juan Flamenco et Vasco Gallego trouvèrent la mort, avec l'océan pour dernière demeure. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, cette longue traversée fut moins mortifère que prévu.
L'aventurière releva le nez du compte rendu.
:Laguerra: : Pas un seul mousse parmi les victimes?
:Mendoza: : Non, car nombre d'entre eux se trouvaient à bord avec leurs pères. Tu penses bien que ces derniers avaient partagé leurs rations.
:Laguerra: : Et Estéban?
:Mendoza: : En raison de son jeune âge et de la difficulté à couvrir convenablement ses besoins nutritionnels, lui aussi était mal en point. Ses yeux, éteints, semblaient vides. Il pesait moins lourd que l'un de ces drôles d'oiseaux rencontrés en Patagonie! Ses petits bras et ses petites jambes... J'en eus l'estomac retourné et un nœud se forma dans ma gorge. Les larmes commencèrent à jaillir. Si je pouvais supporter l'idée de mourir, j'étais cependant incapable de regarder ce petit être se diriger vers une fin aussi funeste.
L'espace d'un instant, Mendoza changea de visage. Mais il reprit aussitôt son sang-froid.
:Mendoza: : Je me fis la réflexion que ce n'était pas le moment de s'apitoyer sur mon sort. Je m'écartai des hommes malades pour me réfugier dans un coin.

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:Mendoza: : Je m'agenouillai et soulevai Estéban. Il était inerte, sa petite tête inclinée. Je murmurai son nom en le secouant doucement, à plusieurs reprises. Ses paupières bougèrent. Le visage plein de larmes, je me rendis compte qu'il n'avait même plus la force de pleurer. Je l'allongeai sur un de mes bras puis, à l'abri des regards, j'émiettai le peu de biscuit non contaminé par les rongeurs, celui que j'avais retrouvé dans les poches de ma livrée depuis mon escapade sur la péninsule. Je le mouillai de salive et l'approchai de ses lèvres. Le petit ne réagit pas mais j'insistai jusqu'à ce qu'il ouvre la bouche. J'attendis en le suppliant qu'il avale. Quand je vis sa gorge se contracter, j'en tremblai d'émotion. J'en émiettai encore un peu et répétai l'opération avec anxiété. Estéban avala six bouchées supplémentaires. Je lui promis alors que nous nous en sortirions, lui et moi. Nous dûmes rester ainsi pendant plusieurs heures, continuellement secoués par la houle, attendant la mort. La nuit s'étira lentement. Peu à peu, la fatigue s'empara de moi. Un engourdissement étrange envahit mon esprit en dépit de mes terreurs. Finalement, Estéban et moi cédâmes au sommeil au milieu des quintes de toux et des chuchotements des hommes. Au fond de notre abri ballotté par les flots, je rêvai du pays et de ma chère maman...
Ce jour lui semblait si loin, à présent. Le Catalan fronça les sourcils, car ce souvenir s'était depuis longtemps enfui vers des horizons plus oublieux, plus confortables aussi. Tout en l'écoutant, Laguerra repensa elle aussi à l'enfer de ses récents voyages, l'esprit sans cesse aux aguets, noyant les pistes pour officier dans les ténèbres. Elle ramena ses jambes vers elle et se blottit sur le sofa. Elle était revenue en Inde pour entamer un nouveau chapitre de son existence, tout en caressant l'idée de tenir ses engagements auprès de son roi. Elle mit sa tête dans ses mains et voulut se mettre à pleurer, brusquement, parce que c'était comme ça. Mais rien ne vint, car elle savait que son cœur était froid comme la glace, que le vide tournait en elle comme une crécelle émotionnelle qui la tirait toujours plus vers l'avant. Alors, elle ferma les paupières et étira les bras pour apprécier ce moment avec un épicurisme dont elle ne se croyait pas capable.
Un reniflement la sortit de ses pensées. Son amant reprit:
:Mendoza: : Le lendemain, les cris d'oiseaux flottaient dans le silence de l'aube. Je m'enveloppai alors avec Estéban dans le vent tiède de l'été austral. Des raies géantes vinrent planer devant l'étrave de la nef-amirale, comme pour nous saluer. En venant frapper la surface de ces eaux limoneuses, ces diables de mer faisaient de grands splashs, ce qui amusa le fils du soleil. Ces larges sourires se muèrent bientôt en éclats de rire, plus ou moins bruyants.
:Laguerra: : À force de remonter comme ça vers le nord-ouest, vous finiriez tôt ou tard par apercevoir le continent Asiatique sur tribord.
:Mendoza: : Euh, à ce stade, nous venions à peine de franchir l'équateur, ma belle... De toute façon, nous n'eûmes point besoin de naviguer jusque-là. Un mois après avoir quitté l'île des requins, par un matin brumeux du 6 mars 1521, alors que le cambusier Cristóbal Rodríguez versait à chacun sa ration d'eau croupie, il osa dire ce qui fermentait dans la cervelle de tout le monde, depuis des jours: "Amiral, sauf votre respect, je crains que votre goût pour les chimères ne nous devienne fatal... Cette route vers l'ouest pour atteindre les Moluques n'existe que dans vos songes. Bon sang, ouvrez les yeux!" Ce à quoi mon mentor rétorqua: "Mais je les ouvre!" On entendit tout à coup le matelot de vigie de la Victoria qui s'écria: "Terre!"

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:Mendoza: : Sur la Trinidad, le mousse Antón de Goa, dit "Loro"* répéta ce mot trois fois de suite. Les yeux au ras du bastingage et l'auriculaire dans une narine, il venait d'apercevoir à son tour leur salut dans une trouée de brume tropicale, cet archipel du bout du monde situé au sud-sud-est du Japon, où Magellan s'efforcerait de découvrir un maximum d'îles pour en exploiter ensuite les richesses. L'épais rideau de nuages se dissipa sous l'effet des brises ordinaires à ces latitudes qui rendaient la chaleur acceptable. Si par l'entremise du fils du soleil, notre Seigneur ne nous avait pas aidé en nous donnant du bon vent et du beau temps, nous serions tous morts sur cette très grande mer. Et je crois que jamais aucun homme n'entreprendra plus de faire un tel voyage...

À suivre...

*
*Aclla-cuna: Du quechua akllasqa (choisie), et cuna (femme), donc littéralement femmes choisies, autrement dit les Vierges du Soleil ou Vestales. Elles, étaient dans l'Empire Inca, des jeunes filles qui, enlevées dès l'enfance à leur famille, vivaient enfermées dans des couvents, le plus célèbre étant celui de Cuzco, qui abritait près de quinze cents femmes.
*El bachiller: Dans le document relatif aux décès des marins de la Trinidad, Juan de Morales est présenté comme "el bachiller", soit "le diplômé" (ou plus généralement quelqu'un de qualifié dans un domaine). Comme Pigafetta, il embarqua comme supplétif à bord de la nef-amirale et y exerça la fonction de chirurgien de l’armada (et plus généralement de médecin).
*Zarpana: Île la plus méridionale de l'archipel des Mariannes du Nord. Dans les premiers enregistrements Espagnols, elle s'appelait ainsi. Son nom actuel, Rota, peut provenir des Ibères qui l'ont peut-être nommé d'après la municipalité de Rota, en Espagne.
*Peste de mer: Scorbut. La maladie était connue, mais elle n'avait pas de nom "officiel" au XVIème siècle. On l'appelait aussi le mal de Luanda ou le mal de terre.
*Confetti: Mot Italien attesté depuis le XIIIème siècle au sens de bonbon. Confetti di gesso, petites boules de plâtre qu'on se lançait pendant les fêtes de Carnaval.
*Loro: Les textes d’époque précisent que ce mousse portait le surnom de "Loro" (Perroquet), sans que l'on ne sache pourquoi. Peut-être répétait-il tout ce qu'on lui disait, sans réfléchir?
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Le clou du voyage.

Message par TEEGER59 »

Suite.

Laguerra médita sur cette dernière phrase, puis haussa les sourcils au-dessus de sa boisson exotique. Voyant sa réaction, Mendoza prit le temps de réfléchir à ce qu'il venait de dire avant d'ajouter:
:Mendoza: : Tout du moins, c'est ce que j'imaginai à l'époque au vu des difficultés rencontrées. Depuis, nous savons que nombre de navigateurs ont retenté l'expérience en suivant les traces de l'illustre explorateur qu'était Magellan. Voilà la conclusion qu'il importait de préciser.
La jeune femme opina puis enchaîna:
:Laguerra: : Donc, à ce stade de l'aventure, on peut dire ceci: ton mentor a traversé l'Atlantique, a déjoué une mutinerie et a découvert le moyen de contourner l'Amérique. Il a traversé l'immensité du Pacifique pendant cent-cinq jours sans presque jamais s'arrêter. Il a perdu vingt-sept hommes, cinquante-cinq autres ont désertés. Il n'a plus que trois bateaux sur les cinq au départ et il est le premier a tenter de rejoindre les Indes orientales par l'ouest.
:Mendoza: : Ton résumé est concis mais précis. Voici la suite: Comme je l'ai dit il y a quelques minutes, la première terre aperçue par Lope Navarro, le guetteur de la Victoria, fut Zarpana. Plus tard, on le récompensera en lui donnant des bijoux d'une valeur de cent ducats. De loin, le gabier distingua aussi un nombre incalculable de petites toiles triangulaires, dont la couleur presque noire contrastait violemment avec la lumière éclatante. Ceci indiquait la présence de bateaux et donc d'habitants. Les marins furent fous de joie. Il y avait tellement de navires allant et venant sur cette étendue d'eau que Magellan nomma le site "Islas de las Velas", les îles aux voiles. Malheureusement pour nous, l'appareillage s'avéra impossible.
:Laguerra: : Laisse-moi deviner! Toujours ces récifs infranchissables?
L'Espagnol lui décocha un sourire pâlichon avant de répondre:
:Mendoza: : C'est exactement ça. De plus, les fonds situés à proximité immédiate de cette oasis de verdure et la houle puissante rendaient son approche très ardue.
:Laguerra: : Ça, c'est le pire de tout: une soudaine bouffée d'espoir qui se dissipe sur une déception.
:Mendoza: : Oui, mais celle-ci fut de courte durée. Trente-six heures plus tard, nous pûmes enfin jeter l'ancre ailleurs. Au sud-sud-ouest de Zarpana, nous découvrîmes une autre île. Celle-ci était bien plus grande et semblait être la plus méridionale de l'archipel. En s'en approchant, chacun cessa toute activité et la contempla. Elle élevait au-dessus de la mer une terre monstrueuse en forme de haricot géant*. De loin, elle semblait inhabitée et, quoique escarpée sur son flanc exposé aux alizés, ses pâturages paraissaient fertiles. Elle présentait une répartition montagneuse variée. Au centre, plusieurs vallées moyennes arrosées par de petits cours d'eau formaient ici et là des cascades blanches qui venaient mourir dans l'océan. Au nord, l'étroite plaine côtière était boisée d'espèces exubérantes ne poussant que dans cette partie du globe. Il y avait là d'étonnantes variétés de petits palmiers dont les feuilles en spirales croissaient autour du tronc, d'indigotiers, de bananiers et, surtout, d'une foule d'arbres à pains élancés. La majeure partie de la côte ouest, constituée de récifs et de haut-fonds, se terminait par des falaises abruptes de roches rouge sang qui faisaient ressortir les bleus éclatants et tous les verts translucides des fonds du Pacifique. À l'instar des îles infortunées et de Zarpana, celle-ci était ceinturée d'un anneau de corail, cette barrière qui affleurait à mer basse et sur laquelle s'élançaient pour se briser les grandes lames du large. Entre cette digue naturelle, interrompue par quelques passes, et la grève s'étirait une rade paisible et lumineuse que le chroniqueur Italien appelait dans sa langue maternelle un lagon*. Au loin se disséminait l'archipel, un chapelet d'îles s'étendant du nord au sud, chargé de végétation, de bancs de sable éphémères peuplés de tortues. On eût dit qu'un soleil sous-marin éclairait ces eaux limpides où vibraient toutes les teintes bleutées. Faramineuse beauté! Les fonds, tapissés de sable presque blanc, renvoyaient chaque rayon, soutenaient la violence de cet incendie de lumière, renforçaient les couleurs chatoyantes, soûlantes, blessantes pour les yeux. En suivant les navires locaux, des espèces de pirogues à balancier, nous contournâmes la pointe sud et remontâmes en direction d'une baie que les autochtones nommaient Umatac*. Magellan et Pigafetta échangèrent un regard soudain craintif, né d'un pressentiment fugitif et tragique qui les traversa dans le même instant. Dans quoi s'engageaient-ils? L'Amiral serra convulsivement l'épaule du chroniqueur, quand, aussitôt, ils furent distraits de leurs sensations par un bruit constant et sourd qui pénétra d'effroi leurs compagnons.
:Laguerra: : C'est impressionnant de voir combien la panique peut gagner une foule en si peu de temps! C'était quoi ce bruit?
:Mendoza: : On approchait de la ligne de corail sur laquelle la houle du grand large se brisait en écume. Toujours en tête, la Trinidad glissa entre les parois bouillonnantes d'une passe et laissa, derrière son sillage, la dangereuse digue. Pendant tout le temps que dura la manœuvre, Enrique, debout près du timonier, gouverna le navire. C'était comme s'il connaissait l'endroit comme sa poche, et, bien que le sondeur trouvât partout plus de fond que nécessaire, le Malais n'hésita pas une seule fois. Les visages se décontractèrent. Les deux autres navires n'avaient plus qu'à suivre. Bien que la navigation dans les eaux du lagon était plus sûre, chacun se taisait. La ceinture des bancs de coraux marquait la frontière au-delà de laquelle nous entrâmes dans un monde de malandrins.
:Laguerra: : De malandrins?
Mendoza se rembrunit et fit claquer sa langue. Pensif, il la passa sur ses lèvres.
:Mendoza: : De malandrins, oui. Crois-moi, l'escale ne fut pas de tout repos. Si tu le permets, j'aimerais te replacer dans le contexte: à peine nous fûmes arrivés dans la baie qu'une foule d'autochtones se massa près des trois navires. Nous rencontrâmes ce peuple dans leurs drôles d'embarcations. Plus tard, nous apprîmes qu'ils s'appelaient les Chamorros et naviguaient dans des praos. Sans aucune appréhension, mais intrigués, ils montèrent à bord. Alors que nous souhaitâmes nous ravitailler en eau et en nourriture le plus vite possible, nous tentâmes le troc avec des excités ne partageant pas la même notion de propriété privée. Ils commencèrent à prendre tout ce qui les intéressait avant de s'en retourner. Les navires furent littéralement pillés: tout ce qui n'était pas attaché fut pris par ces coquins. Ils emportèrent diverses choses, dont du cuir et des couteaux. Ils allèrent même jusqu'à prendre les langes d'Estéban! Cette manie était si agaçante que Magellan, désireux de commercer, rebaptisa l'endroit en conséquence. Il changea "Islas de las Velas" pour "Isla de los Ladrones", l'île des Voleurs.
:Laguerra: : J'en conclus que la première impression des matelots à la vue de ces hommes n'avait point été bonne...
:Mendoza: : Tout juste! Il y eu même un moment une confrontation entre l'équipage et les sauvages, et au moins l'un d'entre eux fut tué.
:Laguerra: : Comment est-ce arrivé?
:Mendoza: : Bêtement. Dans la cohue, et sans que l'on en connaisse la raison exacte, Francisco Albo en gifla un qui répliqua immédiatement. Furieux, le maître d'équipage de la Trinidad dégaina alors la machette qu'il portait à la hanche et attaqua son adversaire dans le dos. Les Chamorros prirent peur et refluèrent vers leurs embarcations. De là, ils frappèrent la coque de nos navires avec des bâtons durcis au feu, car ils ne disposaient que de cela pour se défendre. Les plus téméraires remontèrent même à bord pour en découdre. Nous commençâmes alors à leur tirer dessus avec des flèches. Celles-ci en blessèrent un grand nombre. Antonio Pigafetta nota que les autochtones n'en avaient probablement jamais vu. Ainsi, lorsqu’ils se firent transpercer, ils tentaient de déloger le trait en tirant d'un côté ou de l'autre, puis l'observaient avec étonnement tandis qu'ils succombaient. L'Italien en conclut qu'ils ne savaient pas ce que c'était et, face à ce triste spectacle, il éprouva une certaine pitié à leur égard.
L'aventurière avait, sans impatience, écouté le marin égrener ses souvenirs, sans s'émouvoir non plus de ce qu'elle entendait: elle avait vu des conflits d'assez près pour en connaître les horreurs.
:Mendoza: : Alors que les Européens repoussèrent avec tant de mal ces indigènes robustes, mon mentor fit tirer du canon afin de les disperser une nouvelle fois. Durant cet affrontement, leur comportement nous interloqua: certains arrivaient avec des offrandes, passaient entre les rangs des pirogues et venaient nous donner des noix de coco et des bananes. Ceci fait, ils prenaient alors les armes et se joignirent à leurs congénères afin de lutter contre nous. Face à leur nombre grandissant, Magellan demanda à ses hommes de cesser de tirer. Immédiatement, les sauvages se calmèrent et le dialogue put se faire par l'entremise de l'interprète. Bien que le Malais ne saisit pas un traître mot, il réussit néanmoins à se faire comprendre par geste. C'était la partie innocente et cruelle de la communication. Le recours aux mains semblait curieusement le meilleur des palliatifs quand on ne maîtrisait pas la langue de l'autre. Finalement, Enrique parvint à obtenir ce dont nous avions grand besoin, principalement de l'eau fraîche et du poisson, mais aussi du lait et de la présure afin de le faire cailler pour nourrir Estéban convenablement. Tout ceci contre des billes de verre, un produit presque magique pour une population locale dont la technologie se limitait à celle de l'antique Lydie, la Bithynie, la Thrace, et la Macédoine, ces contrées historiques dont les racines plongeaient dans notre Préhistoire.
:Laguerra: : Parti sur un mauvais pied, cet échange s'est bien déroulé en fin de compte.
Le Catalan regarda dans le vague en s'épongeant le front. Le silence s'épaissit, on entendait seulement la rumeur de la jungle. Elle résonnait comme l'écho d'un rêve qui se dissipe. Il se remit enfin à parler:
:Mendoza: : Tout semblait aller pour le mieux, oui. Mais à la fin de la journée, alors que les marins prenaient du repos, des indigènes s'approchèrent de la Trinidad, coupèrent l'amarre qui retenait la Bergantina et s'enfuirent avec.

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:Mendoza: : Un peu plus tard, découvrant la perte de l'annexe, Magellan ordonna de mettre les voiles afin de s'éloigner du rivage pour le restant de la nuit. Le jour suivant, au petit matin, la nef amirale revint s'ancrer au même endroit que la veille, et mon mentor organisa des représailles. Ne pouvant pas leur laisser le canot -il allait en avoir besoin pour la suite du voyage- il en fit mettre deux autres à l'eau, chargés d'une cinquantaine d'hommes parmi lesquels se trouvait Antonio Pigafetta. À terre, les membres de l'expédition punitive brûlèrent quelques praos ainsi qu'une quarantaine d'habitations et embrochèrent sept villageois...
Gagnée par un malaise insidieux, l'aventurière plongea dans le compte-rendu. Puis, avec une lenteur insolente, elle releva la tête et glissa une mèche de cheveux derrière son oreille.
:Laguerra: : À ce propos, dans son journal, le chroniqueur mentionne une chose étrange: au moment où les matelots se préparaient pour aller récupérer la chaloupe, les malades leur auraient demandé de leur ramener les intestins des gens qu'ils pourraient être amenés à tuer. Les hommes souffrants étaient persuadés que cela pourrait les guérir rapidement.
Le navigateur l'écoutait en savourant son vin. Il remarqua qu'elle l'observait du coin de l'œil.
:Laguerra: : Dis-moi, ils comptaient en faire quoi de ces entrailles? Les manger?
Mendoza, qui porta son verre une nouvelle fois à ses lèvres, suspendit son geste.
:Laguerra: : Oui, tu m'as bien entendue. Je te pose cette question car il n'est pas précisé si leur requête a été suivie d'effet.
Abaissant son bras, il lui répondit:
:Mendoza: : Je peux te rassurer sur ce point: personne n'a fait ripaille avec de la tripaille humaine, je m'en serais souvenu! Non, nous n'en sommes pas venu à une telle extrémité car une razzia fut opérée, principalement des denrées alimentaires dont un cochon vivant. Après cette descente fructueuse, les explorateurs retournèrent aux navires avec la Bergantina. La flotte reprit ensuite la mer en direction de l'ouest le samedi 09 mars 1521, soit le lendemain de l'assaut. Si l'équipage put se reposer, les vivres récupérées sur l'île des Voleurs avaient surtout permis aux malades de se remettre un peu. À l'exception de Maestre Andrés, qui mourut d'épuisement le jour du départ.
:Laguerra: : Le pilote en chef de la flotte? Andrés de San...
Isabella s'arrêta. Dans la pénombre, elle sentit soudain la dextre de Juan trouver sa senestre. Il la serra doucement.
:Mendoza: : Non, ma douce. Je ne te parle pas du cosmographe Andrés de San Martín mais de Maestre Andrés, le connétable de la Trinidad.
Tandis qu'il parlait à voix basse, la prise sur ses doigts s'affermissait encore. La force de cette poigne avait quelque chose d'extraordinaire.
:Mendoza: : Cependant je comprends ta méprise. S'il est difficile de mettre un nom sur un visage inconnu, le contraire l'est tout autant.
Leurs mains toujours jointes, la bretteuse le regarda sans ciller. Le mercenaire eut l'impression qu'elle avait fait un petit signe de tête pour l'encourager à poursuivre, mais dans le clair-obscur de la suite, il n'en était pas sûr. Il ménagea un silence, histoire de laisser un minimum de gravité emplir la pièce. Puis il se racla la gorge.

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:Mendoza: : Lors des obsèques, l'aumônier Pedro de Valderrama mena le deuil suivi de tout l'équipage, dont chacun des membres jeta de l'eau bénite sur le corps avant d'assister à la messe des morts. Au terme de l'office, nous fîmes le tour du pont en chantant le Libera, avant de se réunir autour de la dépouille de l'Anglais. Enroulé dans une toile lestée, il fut confié aux ténèbres des profondeurs tandis que les bombardiers tirèrent trois salves en hommage à leur chef.
La jeune femme ferma les yeux, murmura une brève prière et se signa dans le secret de l'obscurité.
:Mendoza: : Après les funérailles, voyant que nous repartions, les Chamorros affluèrent de nouveau autour de l'armada. Le comportement indigène nous dérouta une nouvelle fois: ils s'approchèrent et nous montrèrent des poissons, comme s'ils désiraient nous les vendre. Mais lorsqu'ils se trouvaient suffisamment proches, ils jetèrent des pierres avant de s'enfuir. Les trois navires mirent pleines voiles et foncèrent à travers la nuée de pirogues. En habiles marins, les "bons sauvages" -c'était de cette façon que le chroniqueur Italien les appelait- esquivèrent la tentative d'éperonnage. Les Chamorros se trouvaient suffisamment proches pour que nous vîmes dans certaines embarcations des femmes en pleurs, sans doute suite à la mort de leurs époux, tués la veille...
Isabella le regarda longuement, une drôle de lueur dans les yeux. Juan y vit de la compréhension mais aussi autre chose. Une irritation. L'alchimiste comprit qu'il venait de lire en elle, comme il l'avait fait si souvent lors de leurs précédentes discussions. Sans se départir de son calme, elle demanda:
:Laguerra: : Comment le vol d'une simple chaloupe a-t-il pu dégénérer à ce point-là?
Forte de sa question, la bretteuse s'enfonça dans la banquette en croisant les bras. Son compagnon ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais il y renonça. Avec lui, rien de surprenant en somme. Il se contenta d'ouvrir les mains en signe d'impuissance. La jeune femme insista:
:Laguerra: : Comment expliquer un tel déchaînement de violence? Après avoir passé trois mois en mer, trois mois d'une navigation éprouvante, des équipages épuisés découvrirent enfin une île peuplée, où les habitants furent certes envahissants mais vous apportèrent aussi des denrées dont vous aviez cruellement besoin pour vaincre les maladies qui vous rongeaient. Des gens qui, d'après les descriptions de Pigafetta, apparaissaient tout sauf belliqueux et semblaient plus émerveillés qu'autre chose par la vue d'hommes au teint pâle, arrivés dans d'immenses navires. Ces Chamorros n'avaient aucune volonté de vous nuire et n'étaient pas "peu dignes de confiance" comme le clamait Giovanni Battista da Ponzoroni, le pilote Génois de la Trinidad.
Mendoza sentit la tension monter d'un cran. Il se tint coi tout en regardant sa compagne d'un air interrogateur.
:Laguerra: : Oui, j'ai pu lire ça là-dedans.
Le ton de l'aventurière s'était animé au cours de cet échange et ses joues s'étaient empourprées. Malgré son courroux, la jeune femme ordonna ses arguments de manière sensée. Elle proposa même un parallèle fort judicieux:
:Laguerra: : Il leur était tout aussi naturel -ceux qui allaient nus n'avaient pas de poches- d'emporter quelques objets brillants dans leur chevelure qu'aux Espagnols, au pape de l'époque, Léon X, et à l'Empereur de proclamer toutes ces îles inconnues, avec leurs habitants, hommes et bêtes, propriété légale du roi très-chrétien... Tu ne crois pas?
Elle se pencha dans sa direction et, lentement, posa les paumes sur la couverture du livre. Dans le côté méthodique de ses gestes et dans la noirceur de ses yeux, il y avait quelque chose de si menaçant que le capitaine, malgré lui, se rejeta au fond de son siège. Isabella avait beau être menue, elle dégageait une autorité impressionnante. Inconsciemment, il retint sa respiration avant de laisser échapper un soupir.
:Mendoza: : Tu prêches un convaincu, Bagheera. Je suis entièrement d'accord avec toi. Mais pour ma défense, je n'ai pas pris part à cette excursion, moi. Ni les armes. J'avais trop à faire avec le fils du soleil.
Il avait l'air si affligé que Laguerra sentit la colère la quitter.
Le marin posa les yeux sur l'horloge de table hexagonale en forme de tour, placée devant lui. Ses paupières clignèrent pour la énième fois, signe que la fatigue commençait à se faire ressentir. Il but une nouvelle gorgée en grimaçant, le vin n'étant pas le meilleur remède pour en contrer les effets. Il se dit aussi que s'il ne reprenait pas tout de suite les rênes de la conversation, il n'en finirait jamais avec son récit. Il n'en était même pas à la moitié. La nuit promettait d'être longue.
:Mendoza: : Après avoir quitté Isla de los Ladrones, les alizés nous entraînèrent pendant sept jours en direction du sud-ouest, vers des îles encore situées au-delà de la géographie connue. La nuit, Francisco Albo vérifiait la bonne tenue de notre cap en calculant notre position par rapport aux étoiles. Toutes les deux heures, il relevait la vitesse de la brise qui nous poussait et, avec frénésie, consultait la bible des marins, l'atlas de Lopo Homem*, dans une version mise à jour qu'il s'était procurée auprès de la Casa de Contratación, afin de comparer ses mesures avec celles qui figuraient dans cet excellent ouvrage. Il s'appuya également sur le manuscrit de Ferrande, le Grant Routtier*. Navigateur émérite, il déchiffrait les nuages, scrutait le ciel sans relâche afin d'évaluer la distance qui nous séparait encore des Moluques. Bien entendu, celui-ci en ignorait la position exacte puisqu'il n'y avait jamais mis les pieds.
Mendoza s'arrêtait de temps en temps pour que Laguerra puisse consulter le journal de Pigafetta. À la lueur vacillante du bougeoir le plus proche, il ne voyait du visage de sa belle que le front, les oreilles délicates et l'attache si pure des mâchoires avec l'imperceptible creux d'ombre où il eût voulu poser ses lèvres.
Il secoua la tête pour chasser son trouble et reprit là où il s'était arrêté:
:Mendoza: : Grâce à la roue pôle-homme, sa science des grands courants d'air qui agitaient notre planète tenait de l'érudition. Il n'était pas une brise qu'il ne sût nommer, pas une bourrasque dont il ne connût le degré de hargne. Un moment, face au ciel bas et chargé qui menaçait souvent en cette saison, le Grec s'inquiéta des périls de cette traversée. Magellan lui répliqua qu'il y avait beaucoup plus de danger à vivre par les armes.
Du coin de l'œil, l'épéiste perçut un mouvement imperceptible sur le côté. La jeune alchimiste s'éclaircit la voix avant de parler:
:Laguerra: : Juan?
:Mendoza: : Oui?
:Laguerra: ; Pardonne-moi cette question, mais j'aimerais savoir si ton mentor a vraiment tenu ce langage?
:Mendoza: : Je t'assure que oui. Or, je te l'accorde, ce propos est assez consternant lorsque l'on sait ce qu'il va décider par la suite à Cebu... Dès le lendemain, le 16 mars 1521, la flotte arriva en vue d'une très grande île, et approcha au niveau de sa pointe sud. Sur place, nous nous rendîmes compte qu'elle était la vitrine d'un immense archipel. Encore échaudé par sa récente aventure avec les Chamorros, mon mentor choisit de ne pas l'aborder tout de suite. Il prit cette décision en dépit d'un équipage usé par dix-huit mois d'exploration dans un monde inconnu. Nous étions tous épuisés, rongés par la faim, la soif et la peste de mer. Cherchant un coin tranquille pour appareiller, la flotte remonta d'abord la côte en direction du nord-ouest, mais ne rencontra que des hauts-fonds. À ce stade, mon maître ne savait pas encore qu'il avait fait une erreur et que tout ses efforts furent vains. Lorsque nous atteignîmes cette partie du globe, Francisco Albo put enfin déterminer avec certitude que nous fûmes à cent-quatre-vingt-neuf degrés à l'occident de la ligne de démarcation.

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:Mendoza: : D'après ses calculs, il fut très clair que nous étions déjà au-delà de l'antiméridien de Tordesillas, donc dans la zone Portugaise. Ce fut le coup fatal pour Magellan lorsque le pilote Grec l'en informa. Il s'interrogea donc sur l'inanité de son projet, parce que son objectif ne fut pas de trouver le passage, ce ne fut pas de naviguer dans le Pacifique non plus. Non, le grand but du voyage fut de démontrer que les Moluques étaient du côté Castillan. Or, ce n'était pas le cas.
:Laguerra: : Eh oui! La nature humaine se persuade aisément de ce qui flatte ou favorise ses désirs!
Juan ferma les yeux et prit une profonde inspiration.
:Mendoza: : Lorsque l'équipage apprit la nouvelle à son tour, chaque homme comprit que la détresse mentale de l'Amiral était absolue. Néanmoins, ce dernier assuma son erreur. Francisco Albo ne pouvait pas se tromper, il ne pouvait pas mentir car il avait des données si rigoureuses. Le pilote savait déterminer des longitudes grâce aux observations astronomiques, aux mesures des distances parcourues. J'ai beaucoup appris avec lui. Quelques jours plus tard, l'éclipse* de lune du 23 mars ne fit que confirmer ses estimations. Le capitaine-général se posa la question de savoir ce qu'il devait faire maintenant. Il n'avait pas envie d'arriver aux Moluques avec un équipage et des bateaux en mauvais état. En conséquence, nous rebroussâmes chemin et longeâmes le littoral vers le sud, en direction d'îles pas trop fréquentées où les marins allaient pouvoir se ragaillardir et retaper la flotte pour ensuite se rendre à destination. En contournant la pointe sud-est de cette grande île -son nom fut approximé plus tard comme Zamal par Pigafetta- nous en découvrîmes une autre, bien plus petite. Le choix de mon maître de mouiller sur celle-ci était destiné à servir de mesure de sécurité car elle paraissait alors inhabitée. Aussitôt, il fit mettre à l'eau une annexe pour aller reconnaître les lieux. Mais à peine les volontaires avaient-ils touché terre que surgirent deux praos qui contournèrent la péninsule. Les marins restés à bord de la Trinidad rappelèrent les leurs. Ces derniers s'empressèrent alors de rallier le navire amiral. Voyant cela, les autochtones firent demi-tour. La flotte se remit en route vers l'ouest et, en fin de journée, arriva aux abords d'une troisième terre. Elle ressemblait grossièrement à un croissant. De prime abord, elle semblait déserte. C'est pourquoi l'Amiral choisit d'y faire escale. Mais, toujours prudent, il préfèra attendre le lendemain pour mettre pied à terre.
Mendoza fit une pause et se carra dans son fauteuil, appréciant son verre, ne demandant pas mieux que de laisser le silence prendre possession de la pièce. Laguerra le regarda d'un œil amusé.
:Laguerra: : Alors, et la suite?
Le Catalan se leva et, s'approchant de la fenêtre, contempla le territoire couvert de végétation impénétrable plongé dans la nuit.
:Mendoza: : Au matin du dimanche 17 mars 1521, deux tentes furent dressées sur la côte afin d'y installer les malades. Pour eux, ce fut une véritable délivrance après l'enfer de la traversée du Pacifique. Sur cet îlot isolé, Magellan se sentait suffisamment à l'abri pour s'y reposer durant un certain temps. En ce premier jour, nous n'eûmes aucun contact avec les locaux et ne cherchâmes pas à en avoir. Pas dans l'immédiat, en tout cas. Le coin était bel et bien inoccupé. Personne pour nous chercher querelle. De ce fait, l'Amiral décida de célébrer sa première messe en hommage au repos que nous trouvâmes ici. Il baptisa ces terres l'archipel Saint-Lazare* car ce jour fut celui de la commémoration de la résurrection du Saint patron des lépreux. Quant au chroniqueur, il nomma l'endroit "Aiguada degli Buoni Segnali", l'Aiguade des bons signes*, parce qu'une source nous apporta une excellente eau potable. Le nourrain, capturé sur l'île des Larrons, fut saigné après l'office pour fournir de la viande fraîche. Bien que providentiel, le repas fut frugal car nous étions encore nombreux: imagine, cent-cinquante marins à se partager un seul petit cochon!
:Laguerra: : En effet, pour nourrir autant de bouches, cela semble peu!
:Mendoza: : Il est vrai qu'avec ce menu, nous ne prîmes pas une once de graisse!
Il retomba dans le silence puis poussa un soupir las, comme pour se forcer à continuer:
:Mendoza: : Les matelots les plus en forme furent donc chargés de trouver de quoi manger. Il convient de dire que Magellan avait essayé de donner ses soins aux hommes. En vain...
Isabella se tourna vers lui et contempla sa silhouette se découpant à contre-jour sur l'encadrement de bois sculpté. Elle demanda tout à trac:
:Laguerra: : Pourquoi en vain?
L'alchimiste sentit Juan se crisper. La lassitude traversa fugacement son visage. Avant même qu'il ne réponde, elle l'invita d'un geste à venir se rasseoir. La mine sombre, le marin acquiesça puis s'exécuta.
Jusqu'ici, il avait relaté en détail les événements du voyage et de son insignifiante existence: aux quinze premières années de sa vie, il avait accordé un nombre presque égal de chapitres*. Cependant, cette histoire n'était pas un mémoire sur lui-même mais l'évocation, le souvenir durable du plus grand explorateur de tous les temps. Reportant son attention sur l'objet de ses désirs, il s'expliqua enfin:
:Mendoza: : Parce que deux jeunes garçons passèrent de vie à trépas à quelques jours d'intervalle lors de cette escale. Ils avaient à peu près mon âge. Le premier, Gutierre González, mourut d'épuisement dès notre arrivée. Ce page aimable et serviable se trouvait avec moi sur la Trinidad. Après tout ce temps passé ensemble, des liens s'étaient naturellement créés...
Un instant, il eut l'air peiné. Il prit un ton grave et annonça:
:Mendoza: : Si tu racontes à Gaspard ou aux enfants ce que je m'apprête à te dire, je démentirai farouchement.
Après une brève pause, comme pour mesurer l'effet produit, il continua sur un ton affligé:
:Mendoza: : Profondément affecté par sa mort, je m'étais réfugié dans un silence complet. Les mots étaient insuffisants pour dépeindre ma souffrance, atroce. Je ne communiquai plus qu'avec Estéban, par gestes et mimiques. À compter de ce jour, je ne fus plus le même. Avec lui avait disparu tous les sentiments enracinés, tous les souvenirs qui avaient fait de la Trinidad, dans une certaine mesure, un foyer pour moi. À son contact, j'avais acquis un peu de son naturel et beaucoup de ses habitudes: des pensées plus harmonieuses et des sentiments apparemment plus modérés étaient devenus les familiers de mon esprit. J'avais fait ma soumission au devoir et à l'ordre. J'étais devenu calme, je me croyais satisfait. Aux yeux d'autrui et même aux miens, j'apparaissais comme une personne disciplinée et apaisée. Mais le destin, sous les traits de la Grande Faucheuse, s'interposa entre le page et moi. Je le vis disparaître sous terre, puis, après l'inhumation, je me retirai dans un coin où je passai la plus grande partie de la journée dans la solitude. J'arpentai l'île presque sans arrêt. Je m'imaginais que je déplorais simplement la perte subie et que je réfléchissais aux moyens de la réparer, mais quand mes réflexions s'achevèrent, et que je levai les yeux pour m'apercevoir que l'après-midi avait pris fin et que la soirée était déjà très avancée, une autre découverte se fit jour en moi, à savoir qu'en ce laps de temps, j'avais subi une métamorphose: mon esprit avait rejeté tout ce qu'il avait emprunté à Gutierre, ou plutôt, que Gutierre avait emporté dans la tombe l'atmosphère sereine que j'avais respirée à proximité de lui... À présent, je me retrouvais dans mon élément naturel et commençais à ressentir le trouble des émotions de jadis. Avec l'impression qu'un appui m'avait été retiré, une incitation avait également disparu: ce n'était pas la faculté de garder mon calme qui m'échappait, mais une raison de rester calme qui s'était enfuie.
L'aventurière ne fit pas de commentaires. Elle le considéra d'un air ébahi. Le capitaine reconnaissant un de ses moments de faiblesse, ça c'était une première!
:Mendoza: : Mon univers s'était depuis quelques mois borné à la superficie du pont de la nef amirale. Mon expérience avait été faite de ses règles et de ses systèmes. À présent, je me rappelai que le monde réel était vaste, et qu'un domaine varié d'espérances et de craintes, de sensations et d'agitations, attendait ceux qui avait le courage de s'aventurer dans son étendue, de chercher au milieu de ses périls une connaissance authentique de la vie.
L'expression chagrine du mercenaire se dissipa, et il lui sourit.
:Mendoza: : C'est un évènement inattendu qui me fera sortir de mon mutisme, mais j'y reviendrai plus tard...


À suivre...

*
*Haricot géant: Il s'agit de Guam. Malgré la découverte de cette île par Magellan, l'Espagne ne la revendiquera qu'à partir de 1565. Philippe II (le fils de Charles Quint) ordonnera à Miguel Lopez de Legazpi de prendre possession de toutes les terres et îles découvertes.
*Lagon: Terme emprunté à l'Italien "lagone", attesté depuis le début du XIVème siècle. Comme toujours, je vérifie l'étymologie des mots avant de les intégrer au texte.
*Umatac: On pense que ce nom est dérivé du mot chamorro "Umatalaf" qui signifie pêcher le guatifi, un type de poisson.
*Atlas de Lopo Homem: Portant aujourd'hui le nom d'Atlas Miller (l'ouvrage a été acquis en 1897 par la Bibliothèque nationale de France par le bibliothécaire Bénigne Emmanuel Clément Miller, et porte depuis son nom), il est l'œuvre conjointe des cartographes Pedro et Jorge Reinel, ainsi que Lopo Homem et du miniaturiste António de Holanda. C'est un ensemble de cartes manuscrites finement enluminées réalisées au Portugal vers 1519. Les zones géographiques représentées sont: l'océan Atlantique Nord, l'Europe du Nord, l'Archipel des Açores, Madagascar, l'océan Indien, l'Indonésie, la mer de Chine méridionale, les Moluques, le Brésil et la mer Méditerranée. Deux pages presque vierges, ne contenant qu'un réseau de lignes de relèvement sur la moitié gauche, l'existence de zones de texte laissées vides et d'autres indications montrent qu'il n'a jamais été achevé.
*Le Grant Routtier: Manuscrit de Pierre Garcie dit Ferrande (1441-1502), édité en 1502 et 1520. Il contient 200 pages imprimées, 59 dessins, la figure de la roue pôle-homme et son utilisation. Ce marin Français a reçu de son père Espagnol, Jean Ferrande, la science de la navigation hauturière naissante. Il est le premier en France à avoir rendu publique la méthode du calcul de l'heure nocturne et celle de la latitude d'un lieu.
*Éclipses: Christophe Colomb fut le premier à utiliser une éclipse de lune pour déterminer la longitude. Ces éclipses sont visibles au même moment dans tout un hémisphère, mais l'heure solaire où elles se produisent dépend de la longitude du lieu d'observation, une heure d'écart correspondant à 15 degrés de longitude.
https://eclipsewise.com/lunar/LEprime/1 ... prime.html
*Archipel Saint-Lazare: Les îles furent renommées les Philippines quelques années plus tard par Lopez de Villalobos en l'honneur de l'Infant d'Espagne, le futur Philippe II.
*Aiguade des bons signes: Une aiguade désigne la cargaison d'eau douce d'un navire et, par extension, faire aiguade désigne l'endroit où l'on se ravitaille en eau potable.
*Chapitres: Ndlr: Celui-ci est effectivement le quinzième! :tongue:
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
pedro3
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Re: Le clou du voyage.

Message par pedro3 »

elle est tres bien cette histoire.
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TEEGER59
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Re: Le clou du voyage.

Message par TEEGER59 »

Suite.

Mendoza retourna se poster à la fenêtre et porta son regard au-dehors. Alors qu'il jetait un coup d'œil sur le paysage lointain, une brise légère lui soufflait au visage, fraîche et revigorante, bienvenue après l'orage. En tendant suffisamment l'oreille, il pouvait entendre l'eau du réservoir qui se déversait dans le petit lac, à l'autre bout du fort. Ce soir-là, pâle sous la lune à son périgée*, la jungle paraissait tourmentée et pleine de fantômes.
:Mendoza: : C'est étonnant de voir à quel point la végétation de Patala ressemble à celle de l'île où nous avions accosté. Mais lorsqu'on y réfléchit, l'archipel Saint-Lazare n'est pas si loin de l'Inde, surtout avec le grand condor.

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:Mendoza: : Là-bas, le sol était couvert d'une profonde couche de mousse, elle-même dissimulée par d'épais fourrés composés de conifères aux formes étranges. Il y avait également de belles fougères ressemblant à s'y méprendre à celles se trouvant au-delà de ces murailles.
Il se tourna vers Isabella qui, toujours assise à la même place, le regardait d'un air dubitatif. Avec un brin d'impatience, elle lui demanda:
:Laguerra: : Où est-ce que tu veux en venir?
:Mendoza: : Nulle part. Je réfléchissais seulement à haute voix. Oublie ça, tu n'es pas là pour m'écouter parler phytologie*.
Comme un enfant qui boude, il lui tourna le dos et contempla la voûte céleste. Ses précieuses étoiles étaient toutes là, perchées dans la multitude, plus nombreuses que jamais. Il tendit un bras pour les toucher, pour en attraper une poignée et les offrir à sa belle. Combien de fois avait-il voulu lever une grande échelle en prenant appui sur les nuages si proches, monter dessus et, d'un coup d'épée, couper les fils qui empêchaient ces petits diamants de tomber sur le monde?
:Laguerra: : Je donnerais un sou pour lire dans tes pensées, capitaine.
:Mendoza: : Je me délectais simplement du clair-obscur que les rayons lunaires projettent sur les jardins du Radjah.
Il frissonna et replongea dans ses souvenirs.
:Mendoza: : Au lendemain de notre arrivée, n'ayant plus grand-chose à se mettre sous la dent, le cambusier Cristóbal Rodríguez ordonna aux pages et serviteurs d'aller chercher des fruits pour étoffer le maigre repas du soir. Je fus également mis à contribution. Je dois avouer qu'à cet instant, je me sentis l'âme d'un explorateur sur le point de partir pour des contrées inexplorées peuplées de tribus inconnues. Durant l'après-midi, alors que j'errai toujours comme une âme en peine sur cette île vallonnée, mes pas me conduisirent vers l'une de ses plages très étroites. Foulant la grève à pieds nus, mes yeux se posèrent sur l'horizon. C'était lui que j'aspirai à dépasser. Ce coin perdu à l'autre bout monde me faisait l'effet d'une geôle à ciel ouvert.
Il marqua un léger temps d'arrêt.
:Mendoza: : La Trinidad aussi d'ailleurs: les règles à bord, les habitudes, les corvées, les voix, les visages, les affinités et les aversions: voilà les seules choses que je connaissais de l'existence. Je compris que ce n'était pas suffisant. En une seule journée, je m'étais lassé d'une routine acceptée pendant dix-huit mois. Tandis que je grimpai sur un palmier, il me prit un désir de liberté, une soif haletante d'indépendance. Pour elle, je fis une prière. Mais elle parut s'éparpiller au souffle léger de la brise du moment. Je l'abandonnai et voulus formuler une demande plus humble mais je n'en eus pas le temps. La cloche annonçant l'heure du couvre-feu m'obligea à rassembler ma cueillette et à regagner le camp. Sur place, je ne fus pas libre de reprendre le cours de ma méditation car diverses tâches m'attendaient. Il me fallait ramasser du bois pour le feu, veiller à l'alimenter pour qu'il ne s'éteigne pas. Puis ce fut l'heure de m'occuper de nourrir Estéban. Je l'eus regardé engloutir une pleine écuelle de lait avant de le coucher. Ensuite, je soupai avec les autres et même quand je finis par me retirer pour la nuit, ma pensée à demi effacée ne put reprendre vie car nous vîmes arriver une embarcation avec à son bord un petit groupe de neuf autochtones. Bien que méfiant, Magellan nous ordonna de ne rien tenter et de ne pas s'adresser à eux sans son autorisation. Dans l'état d'affliction dans lequel je me trouvai encore, cette injonction ne me gêna aucunement. Bref, assisté de son esclave Enrique, je vis mon mentor accueillir celui qui semblait être le chef des indigènes. Il paraissait être le plus vieux aussi. Malheureusement, comme sur l'île des Voleurs, l'interprète ne comprit pas le dialecte local. Il parlait uniquement le malais, la langue du commerce et des échanges. Ainsi, ce fut par geste que les meneurs des deux parties communiquèrent. Les locaux semblaient honorés de notre présence. Mon maître, les voyant tout à fait pacifiques, les invita à se restaurer avec nous. Ce faisant, il apprit que la petite île où nous avions choisi de mouiller en premier lieu avant de nous sauver comme des lapins se nommait Suluan et que celle sur laquelle nous étions à présent s'appelait Homonhon. Mais aussi et surtout, il découvrit que les autochtones avaient déjà rencontré des hommes comme nous, très certainement des Portugais, ceux-ci contrôlant les routes commerciales de toute l'Asie du sud-est.
Le silence retomba un moment, seulement rompu par le murmure de la cascade. Pendant quelques secondes, Mendoza eut envie de rejoindre sa compagne, de l'entraîner dans la chambre et de plonger avec elle sous les draps. Ne plus penser à cette histoire et dormir... Dormir jusqu'au lendemain matin.
Il secoua soudain la tête avec une telle force que ses mèches volèrent. D'une voix hésitante, il reprit:
:Mendoza: : Tandis... tandis que les hommes discutaient, cinq des indigènes repartirent en bateau pour aller chercher leurs camarades qui étaient en train de pêcher. Ils les invitèrent à venir nous rejoindre. Le troc se mit alors vite en place: les nouveaux venus offrirent poissons et fruits frais, dont deux noix de coco et un vase contenant de l'alcool de palmier, appelé "tubâ"*.
Isabella tourna frénétiquement les pages du journal dans un sens, puis dans l'autre, à la recherche de cette anecdote. Comme souvent, la chronologie des évènements chez Pigafetta prêtait à caution. Elle finit par trouver ce qu'elle cherchait et, ayant toujours un peu de mal à déchiffrer l'écriture de l'Italien, commença la lecture lentement. Juan s'était arrêté pour l'écouter. La plupart des notes étaient rédigées très brièvement. Il s'agissait de précisions hâtives qui fournissaient quelques détails sur l'extraction du tubâ.
"Les noix de coco sont le fruit du palmier. De même que nous avons du pain, du vin, de l'huile et du lait, ainsi ces gens tirent tout de cet arbre. Ils obtiennent du vin de la manière suivante. Ils ont percé un trou dans le cœur dudit palmier, au sommet appelé palmito, d'où distille une liqueur qui ressemble à un moût blanc. Cette liqueur est douce mais un peu acidulée, et est recueillie dans des cannes de bambou aussi épaisses que la jambe mais plus longues. On attache le bambou à l'arbre le soir pour le matin et le matin pour le soir".
C'était la dernière phrase du chapitre "Homonhon". La señorita se mit à pester:
:Laguerra: : C'est incroyable, il n'y a rien là-dedans que tu ne saches déjà. Quand je pense que je t'ai interrompu... pour ça!
Le mercenaire jeta sur elle un regard bienveillant et enchaîna:
:Mendoza: : De notre côté, nous leur proposâmes verroterie, miroirs, grelots, couteaux de Bohême, peignes, bijoux et draps que nous avions embarqué à cette fin. Toujours avide d'en amasser le plus possible bien qu'il bénéficiait déjà d'une solde supérieure à celles de ses homologues Espagnols, le pilote Portugais João Lopes Carvalho voulut absolument acquérir le médaillon qu'il voyait briller autour du cou de l'un des indigènes. Mais babioles sur babioles ne parvinrent pas à le faire fléchir. De guerre lasse, le Suluan finit par capituler et se dessaisit de l'objet de tant de convoitise... Mais, ô malheur, il s'agissait simplement d'un bouton en cuivre! De dépit, Carvalho l'offrit à son fils, Juanillo. Le petit Brésilien fut ravi.
L'aventurière se mordit la lèvre inférieure, réprimant difficilement un gloussement.
:Laguerra: : Tout ce qui brille n'est pas or! C'est quand même dommage pour un conquistador de ne pas savoir faire la différence entre ces deux métaux.
:Mendoza: : Oui, mais lorsqu'on est bien aviné, l'erreur est pardonnable. À voir l'état de certains de mes compagnons durant le "tagayan"*, j'en avais conclu que le tubâ tapait fort.
Elle s'esclaffa de plus belle. Mendoza eut un fin sourire. Sans la quitter des yeux, il poursuivit:
:Mendoza: : Pour ce qui me concerne, en échange d'un mouchoir rouge, j'obtins un poignard en os. Le troc se passa sans la moindre difficulté et Antonio Pigafetta releva que les autochtones étaient polis et honnêtes.
:Laguerra: : Il se permit sans doute cette remarque pour bien les différencier des habitants de l’île des Larrons, qui eux se servaient sans rien demander.
Revenant un peu en arrière, Laguerra pointa un extrait du livre.
:Laguerra: : Tiens, ici il dit également à leur sujet qu'ils étaient "cafres", c'est-à-dire gentils. Il ne précise pas d'où il tenait ce terme.
:Mendoza: : C'est une déformation du mot arabe "kâfir", qui signifie en réalité "infidèle" et désigne en général les non-musulmans, ce qu'étaient visiblement les Suluans.
:Laguerra: : L'Italien les décrivit comme allant presque nus, leur seul vêtement se composant juste d'une pièce d'étoffe pour cacher leur sexe. Les visages étaient peints. Ils portaient des bracelets en or, ainsi que des boucles d'oreilles. Comme ses compagnons, et toi aussi j'imagine, Pigafetta s'enflammait devant leurs immenses lobes d'oreilles, si grands qu'on pouvait y passer le bras.
Tandis qu'elle reposa la chronique sur la table, Mendoza haussa les épaules et vint se rasseoir.
:Mendoza: : Nous ne fûmes pas les seuls à être surpris. L'étonnement allait dans les deux sens. J'y reviendrai dans un instant car avant tout, Magellan fut invité à bord de leurs canots où ils stockaient leurs marchandises. On y trouvait notamment des clous de girofle, de la cannelle, du poivre, de la noix de muscade… Ce qui prouvait que ces gens étaient en contact avec d'autres peuples environnants et qu'un important commerce existait dans l'archipel, et même au-delà. Les Suluans ne parlaient pas le malais, ce qui indiquait qu'ils commerçaient localement et avec d'autres peuples, qui eux allaient chercher des marchandises plus loin et avaient nécessité de parler cette langue. Les Suluans étaient vraisemblablement une petite tribu vivant un peu à l'écart de la civilisation, mais qui avait tout de même eu des contacts avec des Européens.
Les yeux de l'aventurière naviguèrent du journal refermé à son compagnon. Celui-ci prit la bouteille d'alcool et la fit tourner lentement entre ses doigts.
:Mendoza: : En retour, le navigateur Portugais convia les autochtones à bord de la Trinidad. C'est là que nous assistâmes à une scène amusante lorsque l'un de nous se mit à l'épinette*. Le plus jeune du groupe voulut se rendre compte d'où provenaient ces sons et il commença par tâter les épaules, les bras, les mains du claveciniste. Lorsqu'il arriva enfin aux touches mêmes de l'instrument, une véritable joie s'empara de lui car il avait compris. Les indigènes, ayant bientôt échangé tout ce qu'ils pouvaient, promirent de revenir dans quatre jours avec de nouvelles vivres, et notamment du riz.
:Laguerra: : Denrée dont vous aviez si cruellement besoin...
La remarque était évidente mais le capitaine se garda bien de le dire pour ne pas froisser sa compagne. Il se contenta d'approuver et, tout en reposant la bouteille, continua sur sa lancée:
:Mendoza: : Pour célébrer la rencontre, le capitaine-général fit tirer au canon. Les Suluans furent épouvantés, et certains tentèrent de se jeter par-dessus bord. On parvint néanmoins à les raisonner et les convaincre qu'ils ne couraient aucun danger. Rassurés, ils renouvelèrent leur promesse de revenir et, comme convenu, ils reparurent quatre jours plus tard avec deux canots remplis d'oranges, de noix de coco, ainsi que du vin de palmier. Ils avaient également amené un coq pour montrer qu'ils possédaient de la volaille. Au total, l'armada séjourna huit jours à Homonhon, pour repartir le lundi 25 mars. Durant ce temps, les marins profitèrent du repos et des victuailles pour recouvrer leurs forces. Les malades, que Magellan visita chaque jour, allèrent mieux, notamment si l'on en croit Antonio Pigafetta. Selon lui, les noix de coco furent une formidable source d'alimentation grâce à leur jus et à leur très bonne chair.
Isabella reprit le carnet et chercha la page concernant ce passage. L'ayant trouvé, elle lut:
"Nous sommes restés là pendant huit jours et le capitaine allait chaque matin voir les malades qu'il avait mis sur cette île pour les rafraîchir... Lors de chaque visite, de ses mains, il leur donnait de l'eau du fruit de coco qui les réconfortaient fort".

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:Laguerra: : Quelle ânerie! Les agrumes apportés par les Suluans y étaient sans doute pour beaucoup plus.
Ils se turent pendant un moment, puis Isabella poussa un profond soupir.
:Laguerra: : Tout à l'heure, tu as parlé de deux décès. Qui était l'autre garçon?
Juan se raidit puis se ressaisit très vite. Raconter ce périple ravivait ses mauvais souvenirs. C'est la raison pour laquelle il s'était montré si réticent à l'évoquer dès la fin du repas. Il ferma les yeux mais les rouvrit bien vite devant la sensation d'épuisement qui l'envahit. Il n'avait dormi que deux heures, harassé par la nuit passée à crapahuter dans la jungle pour former les recrues de son futur escadron.
:Laguerra: : Tu rêves éveillé, capitaine?
Il sursauta et se tourna vers sa compagne.
:Laguerra: : Je t'ai posé une question: qui était ce garçon?
:Mendoza: : Ochote. Un mousse de la Victoria.
:Laguerra: : Ochote?
:Mendoza: : Otxoa de Erandio. Il partit les pieds devant le jeudi 21 mars 1521, soit la veille du retour des indigènes. Le malheureux n'avait pas pu profiter de leurs oranges.

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:Mendoza: : Allongé à même le sable avec les autres égrotants, les yeux ouverts et vitreux, mon maître s'était aperçu en arrivant qu'il venait juste de rejoindre le royaume des ombres.
L'atmosphère, qui s'était allégée pendant l'épisode du tubâ, s'appesantit de nouveau. Jugeant inutile de s'attarder sur ce sujet morbide, Mendoza reporta son attention sur la carte fixée sur le mur et reprit:
:Mendoza: : Même s'il se savait en territoire Portugais, Magellan fut attiré par le potentiel de l'archipel qu'il venait de découvrir. Il décida de quitter Homonhon pour s'enfoncer plus loin encore, à la recherche des richesses que ces îles pouvaient lui offrir. Comme il y en avait beaucoup et qu'aucun compatriote ne semblait avoir établi de comptoir sur ces terres, il était en mesure de pouvoir les dominer. Certaines appartiendraient à l'Empereur tandis que d'autres lui reviendraient.
Il se leva et se dirigea vers le mur. De l'index, il pointa le portulan.
:Mendoza: : Toute cette partie du globe, si elle était christianisée, pourrait être un atout à faire valoir auprès de Charles Quint s'il devait revenir. Il était évident que mon maître allait prêter une attention toute particulière au fait de signer des traités ou de nouer des ententes politiques et diplomatiques avec les souverains locaux. Le 25 mars donc, nous étions sur le départ. Un soleil d'un jaune sale filtrait péniblement à travers la brume qui recouvrait l'horizon en direction du levant, et les premières lueurs de l'aube baignaient les trois vaisseaux dans un cocon doré. Cela faisait maintenant neuf jours que je n'avais pas ouvert la bouche. Souviens-toi, je te disais tout à l'heure que ce fut un évènement inattendu qui me fit sortir de ma réserve.
L'Espagnol fit volte-face et regarda l'aventurière, qui hocha la tête. Il se mit en demeure de s'expliquer.
:Mendoza: : Presque deux heures après le lever du jour, alors que l'on mettait les voiles, Pigafetta eut l'envie soudaine de pêcher. En mer, il recherchait avant tout le divertissement pour une raison simple qui restait le mieux gardé de tous ses secrets intimes: ne sachant pas nager, il avait une peur bleue de l'océan. C'était donc un Pigafetta à la fois exultant et fébrile qui s'installa ce matin-là à la proue du bateau. Pour se mettre à son aise, il posa le pied sur une caisse de bois se trouvant devant lui. Mais comme celle-ci était encore humide en raison des fortes pluies de la veille, il glissa et perdit l'équilibre.
Une lueur d'amusement brilla dans le regard de la jeune femme mais son amant ne la vit pas.
:Mendoza: : Et oui, il n'est pas besoin d'une tempête pour faire du navire un endroit dangereux. Lui-même peut constituer un danger potentiel, une machine piégée pour qui n'en est pas familier ou par trop inattentif l'espace d'un instant.
À mesure qu'il parlait, les événements de cette matinée lui revenaient en mémoire, et il se revit courir en tous sens sur le pont de la nef amirale, beuglant à qui voulait l'entendre qu'un homme était tombé à la mer.
:Mendoza: : Poussant un cri étouffé, le chroniqueur bascula par-dessus le bastingage et tomba la tête la première. Ce fut pour lui une longue bouffée d'air et puis, terriblement brutal, le contact atroce de l'eau salée. En remontant à la surface, il eut sous les yeux une scène des plus terrifiantes.
:Laguerra: : Des plus terrifiantes! Dis donc, tu ne crois pas que tu en fais un peu trop? C'était juste un petit plongeon de quelques toises.
Mendoza cligna des yeux et sa vue se focalisa sur sa compagne. Surprenant cette fois l'expression rieuse qu'elle ne sut masquer, le marin se massa les tempes et fit:
:Mendoza: : Oui, cette anecdote peut prêter à sourire, mais je te rappelle que tout homme se retrouvant à la baille est en danger de mort immédiat et ce, même si le vaisseau se trouve à quelques encablures du rivage. Fort heureusement pour lui, tandis qu'il se contorsionnait et grimaçait, effectuant ainsi une sorte de danse de Saint-Guy, un cordage se présenta à portée de main et il put s'en saisir. Accroché comme une moule à son rocher, il se mit alors à crier pour appeler à l'aide en espérant que quelqu'un l'entende.
:Laguerra: : Mais pourquoi n'a-t-il pas tenté de se hisser sur ce câble pour remonter?
Juan s'approcha, posa une fesse sur le coin de la banquette et pointa le doigt sur son charmant petit nez.
:Mendoza: : As-tu déjà essayé de te cramponner à une corde traînant dans l'eau alors que le navire avance à la vitesse de cinq ou six nœuds? Non? Eh bien, je ne te le souhaite pas. Les muscles de tes bras sont vivement sollicités et ils se tétanisent vite, crois-moi! Il faut également prendre en compte le mouvement de la houle, dont la hauteur entre crêtes et creux, qui par temps calme peut atteindre une toise, ne permet aucun répit si l'on est déjà en difficulté. Et je ne te parle même pas de la charge de poids supplémentaire due aux vêtements trempés. Ceux-ci t'empêchent de te mouvoir aisément. Pour résumer, à moins d'être doté d'une force herculéenne, je t'assure qu'il est impossible de remonter par ses propres moyens, même avec la meilleure volonté du monde.
:Laguerra: : Tu y es bien arriver toi, en sauvant Estéban!
:Mendoza: : Oui, mais je n'ai pas grimpé, on m'a hissé à bord.
:Laguerra: : La peur donne des ailes...
:Mendoza: :Ou peut être un obstacle, ce qui était le cas pour Pigafetta. Elle lui collait au ventre.
Bien que parfaitement incrédule, Isabella approuva de la tête. Les lèvres du capitaine s'étirèrent en un sourire amusé.
:Mendoza: : Tu es dubitative. Mais revenons-en au chroniqueur. Tandis qu'il braillait comme un nouveau-né ballotté au bout de son cordon ombilical, la Trinidad glissait majestueusement en laissant dans son sillage une traînée d'écume au milieu des vagues. Les embruns, soulevés par le vent, l'enveloppaient dans un nuage humide et salé. Huit heures approchaient. La cloche du quart allait bientôt retentir et mettre fin à mon service. J'allais enfin pouvoir quitter mon poste pour prendre un peu de repos. Soudain, je m'immobilisai, tous les sens en éveil. À demi couvert par le tintement de la sonnaille, j'avais cru entendre un hurlement.
Mendoza s'accorda un léger répit, le temps de reprendre sa respiration. Cette pause ne semblait pas être au goût de la bretteuse qui continuait d'appliquer à son homme la technique du presse-citron.
:Laguerra: : Et ensuite? Que s'est-il passé? Qu'as-tu fait? Comment Pigafetta s'en est-il sorti?
:Mendoza: : Que de questions, dis-moi! Ayant entendu quelque chose, je dressai l'oreille mais ne perçus plus rien. Le bruit des vagues et le cri strident des mouettes au-dessus de la mâture étouffaient tous les autres. Tout à coup, j'ouïs un faible éclat de voix, puis un autre. C'était comme un appel lointain qui aurait lieu sous nos pieds. J'écoutai un moment, intrigué, puis, posant mon index sur la bouche, j'intimai aux hommes sur le pont le silence. Laissant errer mon regard sur l'assistance, je remarquai qu'il manquait quelqu'un. Pigafetta. D'instinct, je levai les yeux vers la dunette, là où il avait l'habitude de s'installer pour écrire sa chronique. Personne. Je m'écriai alors: "Où est l'Italien?" Non sans ironie, Giovanni Battista da Ponzoroni s'exclama: "Tiens! Notre nourrice vient de retrouver sa langue". Sa remarque provoqua quelques rires gras dans l'assemblée. Puis le maître de bord ajouta: "Lequel, mon gars? Nous sommes cinq Italiens sur ce navire!" Après lui avoir répondu, le Génois m'indiqua qu'il avait vu le Lombard s'installer à la proue pour y pêcher. Je m'y dirigeai de suite. Sur place, avisant son matériel à l'abandon, j'en conclus qu'il avait dû se passer quelque chose. Je fis alors le rapprochement. Et si les cris qui venaient du dessous étaient les siens? Je gagnai rapidement le bastingage sur tribord avant et me penchai au-dessus du vide. Rien de ce côté. J'entrepris de faire le tour du rafiot. À l'arrière, les braillements prirent une ampleur nouvelle. C'est là que je le vis, luttant comme un beau diable pour ne pas lâcher prise, maintenant la tête hors de l'eau pour ne pas boire le bouillon. Il m'aperçut à son tour. Après un temps qui avait dû lui paraître interminable, son calvaire allait prendre fin. Bref, après avoir ameuter tout le monde, l'ordre de stopper fut donné, et la Trinidad ne courait plus que sur son erre. Peu après, quelques marins sautèrent dans la Bergantina. Il fallut que trois hommes unissent leur force pour repêcher le pauvre pêcheur. Ils le hissèrent sans ménagement et l'enveloppèrent dans une couverture. Pris d'une quinte de toux, le malheureux avait les traits d'une pâleur extrême, semblables à ceux d'un convalescent à peine tiré des griffes de la mort. Fermant les yeux, il se laissa bercer par le tangage de l'annexe. Quelques minutes plus tard, tout le monde remonta à bord de la nef.
:Laguerra: : Eh bien! Les erreurs ne pardonnent guère! Si tu n'avais pas été là et si cette écoute n'avait traîné dans l'eau par hasard, les navires auraient poursuivi leur route, le laissant derrière eux à s'égosiller. Il fut d'ailleurs bien conscient que c'était avant tout la chance qui l'avait sauvé. Écoute ce qu'il disait à propos de cet incident:
"Ce qu'il ne faut pas attribuer à mon propre mérite, mais à la protection miséricordieuse de la très-sainte Vierge et à l'ouïe fine du mousse Juan-Carlos Mendoza".
Le navigateur se rengorgea:
:Mendoza: : Oui, sans mon intervention salvatrice, l'expédition aurait pu perdre son chroniqueur, et l'humanité aurait été privée du récit le plus complet sur le premier tour du monde...
Isabella sentit une pointe d'orgueil dans la voix de son amant.

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:Mendoza: : Suite à cette petite mésaventure, la flotte mit le cap vers l'ouest-sud-ouest et finit par arriver en vue de l'île de Tandaya*, dont elle commença à longer la côte. Mais une tempête nous envoya vers le sud, dans un détroit certes profond mais ayant un fort courant. En agressant les bâtiments, la mer les rendait fous, ingouvernables, transformant les hommes en jouets pantelants. Nous décidâmes dès lors de ne voguer que de jour pour plus de sécurité. Dans la nuit du mercredi au jeudi, après deux jours de navigation, nous arrivâmes au sud de cette grande île.

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:Mendoza: : Dépassant sa pointe, nous aperçûmes des feux provenant d'une autre terre située plus à l'ouest. Au matin, le soleil levant effleurait la surface de l'eau, embrassant du bout de ses rayons les côtes sablonneuses de Mazaua*, caressant les criques, les villages, recouvrant de sueur l'embarcation qui venait d'apparaître devant nous...

À suivre...
*Périgée: Point de l'orbite, réelle ou apparente, de la lune ou de tout autre astre, quand ce corps céleste se trouve le plus près de la Terre.
*Phytologie: Ancien nom de la botanique.
*Tubâ: Ce terme a été enregistré pour la première fois dans les archives européennes par Antonio Pigafetta durant l'expédition de Magellan, qui l'appelait uraca et supposait à tort que cet alcool était distillé.
*Tagayan: Coutume particulière et universelle des îles où l'on partage un seul récipient à boire. Un insulaire, généralement le propriétaire de la boisson, devient le tangero. Il remplit une tasse (un tagay) avec une mesure d'alcool. Son voisin boit le contenu puis rend la tasse pour que le tangero la remplisse à nouveau. Il la donne à la personne suivante, et ainsi de suite. Une autre pratique consiste à boire dans le même récipient en même temps en utilisant des pailles fabriquées à partir de roseaux creux ou de bambou. Le tagayan est généralement accompagné d'une portion partagée de nourriture connue sous le nom de pulutan.
*Épinette: Instrument de musique à cordes pincées, de la famille des clavecins, ancêtre du piano.
*Tandaya: C'est sous ce nom que l'île de Leyte était connue des explorateurs Espagnols du XVIème siècle, avant la période précoloniale. Ensuite, durant la période coloniale, elle fut nommée Ceylan.
*Mazaua: Il s'agit de l'île de Limasawa. Elle était connue sous le nom de Mazaua mentionnée par Antonio Pigafetta.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 19 oct. 2023, 14:27, modifié 1 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
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pedro3
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Re: Le clou du voyage.

Message par pedro3 »

bravo.
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Re: Le clou du voyage.

Message par TEEGER59 »

Suite.

Bâillant à s'en décrocher la mâchoire, Mendoza ferma les paupières l'espace d'une minute.
Ne t'endors pas Juan. Raconte-moi.
Le capitaine fronça les sourcils. Était-ce un songe, ou bien Laguerra lui avait vraiment murmuré ces mots? Même si le sommeil se faisait rare, il avait du mal à faire le tri entre ses expériences vécues et ses rêves, de plus en plus étranges. Des images improbables, des gens qui pleurent, des enfants qui rient en lui montrant des papillons d'or dans le ciel. N'importe quoi! Un ramassis de clichés poétiques. Les yeux papillotant, il reprit:
:Mendoza: : Sur ce bateau se trouvaient huit hommes. Enrique, las de ses échecs répétés, leur adressa pourtant la parole. À son grand étonnement, il se fit comprendre parfaitement cette fois. Ce fut la preuve que nous étions arrivés dans une région où l'on parlait malais. Cependant, les indigènes refusèrent de monter sur la nef et demeurèrent à distance respectable. Afin de les attirer, Magellan ordonna qu'on leur lance de la marchandise à troquer en insistant sur une chose: que les breloques soient attachées à une planche pour qu'elles puissent flotter à la surface de l'eau si par malheur elles n'atteignaient pas leur cible. Les autochtones s'emparèrent des présents avec une satisfaction évidente avant de repartir prévenir le souverain de l'île. Deux heures plus tard arrivèrent deux balangays*, dont le plus grand était surmonté d'une sorte de dais fait de nattes et dressé à la proue, sous lequel se trouvait le Radjah local. L'autre appartenait à un dirigeant de Mindanao* en visite à Mazaua. Enrique entama la conversation en invitant le roi à bord. Kolambu -c'était son nom- ordonna à quelques-uns de ses hommes de monter sur la caraque mais demeura lui-même sur son embarcation. Magellan leur offrit moult cadeaux avant qu'ils ne s'en retournent. Voyant cela, le Radjah voulut donner à son tour un lingot d'or et une corbeille de gingembre, que le Portugais déclina poliment.
L'espionne semblait déroutée.
:Laguerra: : Pourquoi avait-il refusé?
:Mendoza: : Afin de ne pas se montrer trop intéressé par ce métal précieux.
:Laguerra: : D'accord, mais pourquoi dédaigner le panier d'épice?
:Mendoza: : Nous étions en pleine Semaine Sainte. Comme je te l'ai déjà signalé, Magellan était un homme pieux, attaché aux croyances, aux devoirs et aux pratiques de la religion. Malgré les nombreuses privations durant le voyage, il respecta le Carême. Et puis, il avait autre chose en tête à cet instant. Antonio de Coca ayant été emporté par la fièvre dès notre arrivée, une autre inhumation en mer devait être organisée promptement. Alors que Kolambu et sa suite regagnèrent la terre ferme, le comptable de la flotte fut jeté dans les eaux de l'archipel Saint-Lazare.

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:Mendoza: : Les heures passèrent et, en cette soirée du Jeudi Saint, les trois navires mouillèrent près de la demeure royale. Après le souper -précédé du pedilavium*- le silence se fit. À bord de la Trinidad, les marins restèrent en contemplation devant les rochers noirs qui brillaient sur la côte. Affleurant les eaux de la mer de Bohol, ils avaient au clair de lune quelque chose de fantastique. On aurait dit d'énormes monstres à demi-engloutis. Une brise légère se leva tout à coup puis retomba de manière aussi soudaine. On éprouvait une sensation de calme... d'expectative. Je revins au navire et à son personnel. Était-ce une illusion de ma part où régnait-il sur le pont le même calme fait d'attente? Comme au théâtre lorsque l'on guette l'entrée en scène du comédien principal. Mais le premier acte ne débuta que le lendemain matin... À peine le soleil levé, Magellan envoya à terre Enrique et Sancho de Heredia, son notaire. Il voulut à la fois assurer au souverain qu'il n'avait aucune intention hostile à son égard et qu'il souhaitait lui acheter toutes les vivres qu'il pouvait lui fournir. Un peu plus tard, vers la fin de la matinée, accompagné d'une petite dizaine de ses sujets, Kolambu consentit à embarquer dans la chaloupe des visiteurs pour se rendre à bord de la nef amirale. Après une accolade, il offrit à mon maître trois vases de porcelaine remplis de riz cru, deux grosses daurades et divers objets. Le capitaine-général lui donna en retour une tunique de soie jaune et rouge, confectionnée à la mode turque, et un bonnet fin d'écarlate. À ses hommes, on remit des miroirs et des couteaux. Puis un repas léger fut servi au cours duquel mon mentor se livra à un exercice complexe: tenter d'éviter à ses moustaches tout contact avec son potage. Pleinement satisfait de sa réussite sur ce point, il examina les convives en attendant la suite. Toujours dans le souci de ne pas laisser son invité à quia*, il chargea Enrique de renouveler ses vœux d'amitié et de lui montrer des draps et tissus, ainsi que du corail et d'autres babioles. Le riche et puissant Kolambu voyait bien que Magellan voulait faire affaire. Il lui indiqua que les meilleurs endroits pour engager des échanges commerciaux dans ce groupe d'îles étaient Ceylan*, Calaghan et Cebu. Cette dernière était la plus grande et la plus fréquentée. Là-bas régnait un monarque encore plus important: son cousin, le Radjah Humabon, qui entretenait un actif négoce avec les Chinois pour l'or, les esclaves, la porcelaine et le coton. N'ayant trouvé aucune terre dans le Pacifique, il était capital que mon mentor s'y rende le plus tôt possible. Pour lui, nouer des alliances avec des rois puissants était indispensable afin de faire fructifier sa fortune personnelle. Dans son esprit, je suis sûr qu'il devait échafauder de mirifiques plans d'avenir: redorer son blason auprès de notre roi, évangéliser les peuples rencontrés sur sa route. Mais pour l'heure, il avait bien l'intention de demeurer en ce lieu durant quelques jours.
Pensive, Isabella se rappela que, dans la capitulación signée par Charles Quint le 18 mars 1518, il était stipulé qu'au-delà de six îles découvertes, Magellan pouvait en choisir deux dont il toucherait des revenus. Il était donc important pour lui d'en trouver autant que possible, mais qui possédaient aussi un réel potentiel d'exploitation. Mazaua et Cebu semblaient à ce titre particulièrement intéressantes. Flottant dans sa rêverie comme dans un nuage, elle médita quelques instants. Les phrases, en une langue admirablement châtiée, se succédaient sur les lèvres de son amant. Ce dernier était presque certain qu'elle ne l'écoutait que d'une oreille distraite. Un "Je continue, Princesse?" la fit réagir.
:Laguerra: : Mais je t'écoute, Juan. Je t'écoute!
:Mendoza: : Je disais que lorsque le déjeuner prit fin, un tour complet du navire permit au souverain local d'admirer les armes à feu et les canons, que l'on fit tirer, à la grande épouvante des autochtones. La pâleur de l'effroi marquant encore leurs traits, mon maître fit ensuite revêtir une armure complète à l'un de ses hommes, qui fut subséquemment attaqué par trois autres. Kolambu, étonné, fit dire qu'un soldat équipé de telle manière pouvait combattre cent adversaires. Magellan ajouta qu'il avait sur ses navires deux-cents marins pouvant être équipés de cette façon.
Une expression étrange se posa comme un masque sur le visage de la bretteuse. Elle fronça les sourcils tandis que sa bouche écarlate forma une courbe tombante.
:Laguerra: : Je me demande si Magellan voulait simplement impressionner son invité, ou bien lui montrer que sa puissance était bien supérieure à la sienne et qu'un éventuel conflit entre eux n'aurait qu'une issue possible. Ainsi pouvait-il s'assurer l'amitié de Kolambu. Dans tout les cas, c'était bien là une curieuse façon de confirmer ses intentions pacifiques!
Mendoza, sourire sardonique, songea que sa donzelle avait oublié d'être sotte. Décidément, elle en avait sous le chignon. Il remua un peu sur son siège.
:Mendoza: : À la fin de la visite, les commensaux furent conduits au château arrière où on leur montra des cartes et des boussoles. On leur expliqua comment et par où nous étions arrivés, et combien nous avions passés de lunes sans voir la terre. Le souverain en resta coi avant de demander à son hôte si deux de ses hommes pouvaient le suivre à terre afin de leur montrer son royaume.
La jeune femme regarda son interlocuteur en clignant des yeux comme avec une mine de hibou.
:Laguerra: : Pourquoi seulement deux? Et pourquoi n'avait-il pas invité directement Magellan?
:Mendoza: : Peut-être Kolambu craignait-il de voir débarquer trop d'hommes en armes.
:Laguerra: : Je suppose que l'interprète fut l'un des deux à s'y rendre.
:Mendoza: : Perdu! D'après Ginés de Mafra, Enrique ne fut d'aucune utilité durant le séjour à Mazaua car il le passa à manger et s'enivrer avec les autochtones. Ce fut Pigafetta et un marin qui furent désignés.
La voix du Catalan restait sur une prudente réserve. L'espionne eut l'impression qu'il ne se livrait pas entièrement.
:Laguerra: : Lequel?
Dans son effort pour rassembler ses souvenirs, le mercenaire plissa le front. Restant silencieux un instant, il finit par avouer:
:Mendoza: : C'est bien difficile. Tu comprends, c'était il y a plus de dix ans. Et sans mon journal...
Il réfléchit encore, puis secoua la tête:
:Mendoza: : Non, je ne m'en souviens pas! Mais soit, ce n'est pas le plus important. En tout cas, ce sont bien deux membres de la nef amirale qui eurent le privilège de suivre Kolambu qui, d'après l'Italien, était un très bel homme. Le chroniqueur raconta qu'il avait le corps tatoué, bien huilé, qu'il portait beaucoup de bijoux. À la cour du Radjah, Pigafetta passa surtout du temps à festoyer et apprendre du vocabulaire local. Il nous donna une curieuse description de l'habitation royale, des banquets auxquels il assista, des mets qui entraient dans leur composition, des cérémonies auxquelles on procédait toutes les fois qu'on vidait une tasse de vin. D'ailleurs, son acolyte avait surtout bu sans retenue jusqu'à s'enivrer.
Avisant la bouteille bien entamée sur la table, Isabella contempla le conteur avec le genre d'attention méditative qu'elle aurait accordée à une espèce inconnue de coléoptère. Son ton se fit insinuant et demanda avec un sourire en coin:
:Laguerra: : Ce marin, ce n'était pas toi, par le plus grand des hasards?
Mendoza jeta un coup d'œil de son côté. Une ride vint lui barrer le front, puis, d'une voix de rogomme, il fit preuve d'une vive indignation:
:Mendoza: : Ah non, pas du tout!
:Laguerra: : Vraiment? C'est tout de même étrange que tu ne te souviennes plus de l'homme qui avait accompagné le chroniqueur à ce moment-là!
Le Catalan se redressa soudain sur son siège. Les mots lui jaillirent des lèvres en un long flot chuinté:
:Mendoza: : Pigafetta a omis de le mentionner. Moi aussi j'ai oublié, voilà tout! Tu vas ergoter comme ça pour si peu?
Laguerra était la proie d'émotions contradictoires. Elle se sentait profondément gênée mais en même temps très agréablement émoustillée. Elle aussi aimait le mettre sur le gril et le faire enrager pour des riens. Lui tapotant la cuisse, elle lui fit remarquer sur le ton de la plaisanterie:
:Laguerra: : Voilà un phénomène que j'ai rarement eu l'occasion d'observer: le capitaine Mendoza se fâcher pour des vétilles. Allez, je me moque bien de savoir si c'était toi ou un autre. Quoi qu'il en soit, en voilà trois pour qui s'abstenir de toutes espèces de plaisirs et jouissances durant le Carême devait être au-dessus de leurs forces!
Voyant une lueur d'amusement passer dans le regard de sa compagne, l'Espagnol parut perdre de sa pétulance. Il en vint même à sourire avec bonne humeur et ne marquait plus aucune contrariété. Il reprit:
:Mendoza: : Détrompe-toi, Antonio en fut fort contrit. Il en parle même dans son journal.
Laguerra jeta un coup d'œil au manuscrit.
"Quand j'eus débarqué, le roi leva les bras au ciel et se tourna vers nous deux, et nous fîmes la même chose que lui. Après cela il me prit par la main, et un de ses principaux gens prit celle mon compagnon, et nous conduisit sous un endroit couvert de cannes, où il y avait un balangay, c'est-à-dire un bateau de quatre-vingts pieds de long environ. Nous étions assis avec le roi à la poupe, conversant toujours avec lui par signes, et son peuple se tenait autour de nous, avec ses épées, ses lances et ses boucliers. Je lui donnai quelques objets sans valeur que j'avais sur moi. Là, je notai plusieurs choses comme ils les nomment dans leur langue, et quand le roi et les autres me virent écrire, et que je leur dis leur façon de parler, ils furent tous étonnés. La collation à bord de la nef ayant été chiche, le roi ordonna qu'on lui apporte de la viande et du vin. On lui servit deux grands plats de porcelaine, dont l'un était plein de riz, et l'autre de chair de porc, avec son bouillon et sa sauce. Leur façon de boire est la suivante: ils lèvent d'abord les bras vers le ciel, puis prennent le récipient à boire dans leur main droite et étendent la gauche fermée vers le peuple. C'est ce que fit le roi, de sorte que je crus qu'il voulait me frapper. J'ai fait la même chose avec lui, ainsi, avec cette cérémonie et d'autres signes d'amitié, nous fîmes un banquet ensemble. Je mangeais de la chair le Vendredi Saint, ne pouvant faire autrement. À chaque bouchée, nous buvions une coupe de vin, et avec ce qui restait dedans, bien que cela arrive rarement, était mis dans un autre vase. Mon compagnon a tellement apprécié la nourriture et les boissons qu'il s'est saoulé. Puis nous nous rendîmes chez le Radjah."
:Mendoza: : En cette fin d'après-midi, tandis que Pigafetta et son compère firent de formidables bombances, Magellan décida de se rendre à terre pour voir Kolambu. Étant dans une politique de conquête, il avait une idée derrière la tête. Quelques instants plus tard, il fut introduit par un serviteur qui l'annonça avec l'intonation sépulcrale de rigueur. Mon maître fut accueilli avec déférence et empressement par le Radjah en personne. L'attitude de ce dernier fut parfaite. Il le reçut avec une affectueuse attention, le guidant à travers son palais. Celui-ci était semblable à une grange à foin, couvert de feuilles de figuier et de palmier. Il était construit sur de grandes poutres au-dessus du sol, et il fallait y monter des marches et des échelles. Alors le roi le fit asseoir sur une natte de rotin, les jambes croisées comme c'était l'usage. Mon mentor avisa l'état d'ébriété du marin et fit la moue. Le supplétif avait semblé être bien plus raisonnable. Au cours de cette entrevue, Magellan avait dans l'idée de fraterniser avec Kolambu, de sceller leur amitié naissante par un pacte de sang. C'est mon mentor qui avait initié la cérémonie car il avait entendu parler de cette coutume répandue en Asie du sud-est, connue sous le nom de casi casi. Il souhaitait sympathiser avec les locaux en partageant leurs us tout en revendiquant la propriété des îles pour le roi Charles Quint. En ce vendredi de la croix, les deux hommes exécutèrent le rituel en s'entaillant la poitrine.

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:Mendoza: : Tout en noircissant les pages de son compte-rendu, les yeux du chroniqueur allèrent de l'un à l'autre. Leur sang fut récupéré dans une coupe, on y mêla du vin et, avec les mêmes signes enseignés aux deux Européens quelques heures auparavant, ils en burent chacun la moitié.

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:Mendoza: : Les nouveaux amis, après avoir dûment célébré l'amitié indéfectible qui les unissait, s'étaient étreints avec chaleur. Des cadeaux furent échangés entre les deux parties à la fin de la célébration. L'heure du souper approchait. Bientôt, le lieu se trouvait rempli de monde. Non pas qu'il fût le seul endroit pour se restaurer mais il demeurait le plus prisé pour se trouver au plus près du monarque. Au bout d'une demi-heure, des serveurs au pied léger et à la main adroite s'activèrent en apportant plusieurs plats de poisson rôti en morceaux, du gingembre frais cueilli à ce moment-là et du vin. Sur ces entrefaites, le fils aîné du roi fit son entrée. Son père l'invita à s'asseoir près de mon maître, ce qu'il fit. Le Portugais répondit aux présentations par une inclinaison de la tête. Il détailla le jeune homme tout à son aise durant un moment et convint qu'il était ce qu'on pouvait appeler un beau garçon. La soirée s'étira. Le repas, succulent, se passa très agréablement et Magellan exprima sa satisfaction au roi qui esquissa un sourire. Mais bientôt, la fatigue s'empara du monarque. Éreinté, Kolambu fit signe qu'il voulait aller se reposer et laissa son hôte avec le prince. L'Amiral était lui aussi impatient de s'éclipser, mais pour ne pas paraître rustaud, il resta encore un peu. Habituellement, il se couchait vers dix heures. Une prolongation jusqu'à onze heures fut pour lui un devoir. Cependant, il sentit poindre les prémices de l'épuisement: nuque raide, paupières lourdes, bâillements discrets mais répétitifs. Voyant ces signes, l'héritier lui fit comprendre qu'il pouvait rester ici pour la nuit mais Magellan était comme moi, il ne dormait jamais aussi bien qu'à bord d'un navire. Fortifié par le souper, il remercia chaleureusement le prince et prit congé, laissant Pigafetta et l'outre à vinasse sur une natte de rotin...
La tête du Catalan s'abaissa jusqu'à ce que son menton vînt toucher sa poitrine. Il garda le silence durant une bonne minute, ne bougeant pas d'un pouce si bien que l'aventurière pensa qu'il s'était endormi pour de bon. Et, tout d'un coup, après être resté aussi figé qu'une statue de cire, elle le vit plisser le front, se redresser sur son siège et prendre l'attitude d'un orateur prononçant une conférence:
:Mendoza: : Sur la Trinidad, les marins avaient choisi de demeurer à bord pour pleurer l'un des leurs: le Portugais Fernando Rodrigues Martins, emporté par la maladie. Rester ensemble paraissait le meilleur moyen de lui rendre hommage. À peine rentré, l'Amiral profita de cet instant pour fixer le départ au lundi suivant.
Une inflexion particulière dans la voix du capitaine retint l'attention de l'aventurière. Elle le scruta intensément sans parvenir à comprendre pourquoi il avait eu ce changement d'intonnation en fin de phrase. La jeune femme se recentra sur la suite du séjour à Mazaua.
:Mendoza: : Le lendemain, un coq lança son premier chant matinal. Cependant, ce n'était pas le cocorico du volatile qui me réveilla, mais Estéban. Ses pleurs signifiaient qu'il réclamait à manger. Je rassemblai mes facultés éparses, ouvris les yeux et les leva vers le ciel en constatant que la matinée était belle. Dès qu'il entendait ma voix, le fils du soleil arrêtait toujours de pleurer. Il grandissait de jour en jour, sain et robuste. Il ne parlait pas encore, même s'il lançait des gazouillis qui me donnaient la chair de poule.
Isabella éprouva des difficultés à contenir son impatience:
:Laguerra: : C'est attendrissant mais tu peux revenir à l'essentiel? Tu as laissé Pigafetta et son comparse chez le Radjah. J'aimerais connaître la suite.
Le mercenaire s'arracha de ses réflexions avec un sursaut. Ses yeux brillèrent en croisant ceux de sa compagne.
:Mendoza: ! Ah, Princesse! Je crois qu'avec l'âge, je deviens affectif. Ce matin-là, saisissant la main de l'Italien, Kolambu lui proposa ainsi qu'à son acolyte de prendre un déjeuner. Mais comme une chaloupe était venue les chercher, ils déclinèrent l'invitation. Le dirigeant de Mindanao, Siagu, manifestant le désir de visiter la Trinidad, vint avec eux à bord, accompagné de trois de ses hommes. Magellan le reçut et l'invita à sa table. Siagu avança sur le pont d'une démarche souple et féline. Pigafetta le décrivit ainsi: son visage impressionnait. Avec ses traits typiquement Visayans, il avait l'air d'un pruneau hâlé. Ses cheveux très noirs descendaient jusqu'aux épaules, avec un drap de soie sur la tête. D'après Enrique, Siagu parlait un vieux malais plein d'aisance, à peine marqué d'une pointe d'accent. Il se révéla être le frère de Kolambu, mais également Radjah de Caraga et de Butuan. Il disait que son pays regorgeait d'or, qu'on y trouvait des pépites aussi grosses que des noix rien qu'en retournant le sable. Elles étaient si nombreuses qu'il se vantait de posséder des vases et du mobilier de maison ornés de ce métal précieux. Cet homme paraissait effectivement très riche, en témoignaient ses anneaux d'oreilles en or, le manche de son épée du même métal, ses vêtements de soie l'enveloppant de la taille jusqu'aux genoux. Même ses dents étaient partiellement recouvertes d'or, ce qui effrayait Estéban lorsqu'il lui souriait.

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:Mendoza: : Il était également parfumé car des senteurs de storax et de benjoin flottaient agréablement autour de lui. Pigafetta le peignit comme le plus élégamment et luxueusement vêtu de tous les insulaires. L'île de Mazaua semblait, d'après les dires de Siagu, être l'endroit où Kolambu et lui se rendaient lorsqu'ils avaient besoin de se rencontrer. En fait, les deux frères étaient des pirates très habiles qui contrôlaient les mers des Visayas. Ils imposaient respect et crainte. Grâce au concours de l'interprète Malais, un discours volubile s'ensuivit. Quand il fut achevé, ce que Magellan aurait pu encore ignorer des activités de Siagu, de ce qu'il possédait, de ses opinions sur le continent Asiatique et la plupart des îles de l'archipel, avoisinait le néant. Avec un homme comme lui, il n'y avait aucun effort à fournir pour obtenir des renseignements. Ils jaillissaient comme d'une fontaine. Son visage souriant, un peu puéril, éclatait de contentement de soi quand, sur un dernier geste plein d'éloquence, le Radjah de Caraga et de Butuan marqua une pause pour s'essuyer le front du revers de sa main. À la fin du repas, Siagu se leva et, escorté de ses hommes, retourna sur Mazaua rejoindre son frère. Suite à son départ, les heures passèrent sans fait notable. En revanche, la soirée fut consacrée au rituel de la Veillée pascale.
:Laguerra: : Fais-moi grâce des détails, je sais comment ça se déroule.
Le capitaine lui lança un coup d'œil et acquiesça.
:Mendoza: : Le service s'acheva vers trois heures du matin. Le prêtre Pedro de Valderrama n'eut guère le loisir de se reposer beaucoup. En ce dimanche de Pâques, Magellan décida d'organiser une grande messe en plein air. Tôt le matin, il l'envoya à terre avec quelques hommes pour s'atteler aux préparatifs. Dans le même temps, Enrique se rendit chez le Radjah pour lui demander l'autorisation d'organiser une cérémonie religieuse sur son sol, à laquelle seraient convoqués les matelots disponibles.
L'espionne se pencha en avant, comme une chatte qui s'apprête à sauter sur une souris:
:Laguerra: : Pour un homme jugé inutile car passant tout son temps à ripailler, je trouve que l'interprète fut souvent sollicité!
:Mendoza: : Ce n'était que l'opinion personnelle de Ginés de Mafra. Enrique était dévoué corps et âme à son maître. Il aurait fait n'importe quoi pour lui.
:Laguerra: : Et le dévouement, ça n'a pas de prix! C'est dans le don de soi, dans l'abnégation qu'on trouve la vraie récompense, la santé physique et morale, le véritable bien-être.
L'Espagnole s'inclina davantage et effleura son front de sa bouche.
:Mendoza: : En quel honneur, ce baiser?
:Laguerra: : Béni soit le jour où, au plus beau comme au plus digne des capitaines, le glorieux bonheur m'est consenti d'offrir le tribut de mes lèvres, avant que je lui partage la grandeur de ma situation et les tendresses de la famille...
Après avoir embrassé son âme, elle prit une large inspiration.
:Laguerra: : Donc, le Malais fut en charge de prévenir que des hommes allaient débarquer...
:Mendoza: : C'est cela. En précisant bien que ce n'était pas pour attaquer mais pour célébrer la Résurrection du Christ. Après qu'Enrique ait expliqué en quoi consistait ce rituel, le Radjah montra son consentement en fournissant deux porcs, en vue sans doute d'un sacrifice. Un peu plus tard, alors que Magellan et une cinquantaine d'hommes habillés proprement et armés d'une seule épée approchaient, une salve de six canons fut tirée en signe de paix. Radjah Kolambu et son frère Siagu se présentèrent pour accueillir mon maître et l'encadrèrent pour l'accompagner jusqu'au lieu où devait se dérouler la messe, non loin du rivage. Imitant les Européens, tantôt à genoux, tantôt debout, les deux frères embrassèrent la croix et participèrent à l'eucharistie, faisant d'eux les premiers sauvages à rencontrer le christianisme. D'autres îliens se joignirent à leur souverain pour cette commémoration, sans que l'on sache si l'initiative venait d’eux-mêmes ou à la demande de leur Radjah.
:Laguerra: : Oui, je me le demande aussi. Ils avaient face à eux des gens armés, en nombre, et qui avaient tendance à faire tonner les canons pour un oui pour un non. S'étaient-ils pliés au rituel de la messe par curiosité, par amitié pour vous, ou tout simplement parce qu'ils avaient peur de ce qui pourrait advenir s'ils ne se montraient pas conciliants?
:Mendoza: : Le mystère demeure, même pour moi.
:Laguerra: : Seul le journal de Pigafetta, forcément partial, décrit les évènements. Vous ignoriez ce que pensaient les deux Radjahs. Le texte du chroniqueur est une fois encore trop candide pour être complètement crédible. On le savait dévot, et pour lui, il était évident que la magie chrétienne opérait sur ces peuples peu civilisés...
Le capitaine dodelina et poursuivit:
:Mendoza: : Pour clore la messe, l'artillerie donna de nouveau de la voix. Certains marins profitèrent de l'occasion pour communier. On fit ensuite amener une croix garnie de clous et d'une couronne d'épines devant laquelle tout le monde s'inclina, y compris les insulaires. Magellan, toujours par le truchement d'Enrique, expliqua aux deux Radjahs qu'elle lui avait été confiée par son propre souverain afin qu'il la plante là où il débarquerait car elle était le glorieux symbole de la religion de tous les marins. Il demanda donc l'autorisation de l'ériger sur l’île de Mazaua, arguant qu'ainsi, tous les vaisseaux Européens qui passeraient dans les parages sauraient qu'ils étaient en territoire ami. Il ajouta que cela les protégerait de tout vol ou toute violence. À l'avenir, les locaux n'auront qu'à montrer ladite croix pour que leurs soient rendus leurs biens ou leur liberté. Pour remplir son office, elle devait être placée sur la plus haute montagne des environs, pour qu'on la vît de la mer, et adorée chaque matin. Elle les protégerait alors en outre de l'orage et de la foudre. Kolambu et Siagu acceptèrent. Étonné que l'Évangélisation se passe sans heurt, Magellan s'enquit de leur croyances. Étaient-ils Maures ou Kâfirs? Ils répondirent qu'ils ne pratiquaient aucune autre adoration, mais qu'ils joignaient seulement leurs mains, levant les yeux vers le ciel, et qu'ils appelaient leur Dieu Aba. En entendant cela, mon maître fut ravi. Afin de se montrer amical, il leur demanda s'ils avaient des ennemis dans la région, auquel cas il se joindra à eux avec ses hommes et ses navires pour les vaincre. Kolambu confirma qu'il était en conflit avec deux îles, mais jugea inopportun de les attaquer maintenant. Il expliqua que son peuple, au courage et à la haine implacable envers ses ennemis, vendait cher sa vie et pouvait la sacrifier avec héroïsme plutôt que de se laisser emporter captif. Le Radjah remercia néanmoins le capitaine-général de sa sollicitude. Mon mentor lui promit que si Dieu lui permettait de revenir ici dans un avenir prochain, il amènerait tant d'hommes qu'il les mettrait de force sous son obéissance...
Le navigateur s'arrêta, hors d'haleine.
:Mendoza: : Dans l'après-midi, nous retournâmes à terre pour planter cette fameuse croix au sommet de la plus haute colline. Le roi de Mazaua et le roi de Butuan étaient encore présents pour l'événement.
:Laguerra: : Eh bien, ce dimanche de Pâques fut plus festif que celui de l'année précédente!
:Mendoza: : Certes, mais le premier avril, il nous arriva encore un drôle de tour... Au matin, alors que l'armada s'apprêtait à lever l'ancre, le Radjah Kolambu informa Magellan qu'il était disposé à servir lui-même de pilote jusqu'à Cebu. Cependant, le souverain se devait de demeurer en son pays quelques jours afin d'assurer les récoltes.
:Laguerra: : C'était donc ça, ce changement de ton...
:Mendoza: : Il invita d'ailleurs mon maître à lui fournir des hommes afin d'accélérer le processus. Le capitaine-général accéda à sa demande et envoya des marins.
:Laguerra: : Mais je lis ici qu'il s'avéra que kolambu et Siagu avaient tellement festoyé qu'ils furent incapables de donner quelque ordre que ce soit: "soit que leur santé en eût été altérée, soit par suite d'ivresse", dixit Pigafetta.
:Mendoza: : Oui, nous nous trouvâmes désœuvrés pour la journée. Les récoltes, notamment de riz, allaient au final se dérouler durant trois jours.
:Laguerra: : Tel que décrit par Antonio Pigafetta, ceci ressemblait fort à un habile stratagème du Radjah. Que kolambu se proposait de vous accompagner était forcément vu avec intérêt par ton mentor: mieux valait arriver dans une nouvelle contrée accompagné d'un souverain local qu'avec ses sous-fifres. Tout ceci présentait un caractère plus officiel, et vous fûtes d'autant mieux reçus présentés par le Radjah de Mazaua. Et ça, nul doute que Kolambu le savait très bien.
La jeune femme frotta son menton d'un air songeur.
:Laguerra: : J'en arrive à penser que lorsqu'il précisa qu'il aimerait venir mais ne le pouvait pas à cause des récoltes, il força la main du Portugais. La demande d'aide se révéla en réalité une obligation pour Magellan s'il désirait que le Radjah l'accompagne. Ainsi, cette anecdote semble montrer que les autochtones n'étaient pas des gens de delà l'eau*, de bons sauvages comme le présentait Pigafetta. kolambu sut ici se montrer fin négociateur et ce fut clairement lui qui contrôlait la situation. Témoin le fait que la récolte prit une journée de plus parce que son frère et lui avaient pris une biture*. Ils n'étaient pas pressés, car le gain qu'ils allaient obtenir grâce à votre aide allait compenser ce retard.
Mendoza leva sur elle un regard perçant.
:Mendoza: : Le lendemain, Magellan réunit ses pilotes et maîtres de bord afin de décider de la suite du voyage. Les officiers l'incitèrent à partir au sud-ouest pour atteindre les Moluques*, mais mon maître décida de continuer à explorer l'archipel.
:Laguerra: : Le fait que le capitaine-général demanda l'avis de ses hommes, pour ensuite décider seul d'agir autrement, ne fut pas nouveau... Durant la traversée de l'Atlantique, il me semble que les trois capitaines mutins n'eurent pas tellement voix au chapitre! Sa volonté d'explorer plus avant ces îles était claire comme de l'eau de roche. Antonio Pigafetta relata deux anecdotes qui démontraient que l'or était présent en abondance dans la région.
:Mendoza: : Peux-tu me rafraîchir la mémoire?
:Laguerra: : Voici la première: "Un jour, un autochtone nous apporta une jatte de riz et des figues, demandant en échange un couteau. Au lieu de cela, Magellan lui offrit des pièces, notamment en or. L'homme refusa et préféra obtenir un couteau."
:Mendoza: : Et la seconde?
:Laguerra: : "Un autre indigène voulut échanger un lingot d'or contre six fils ornés de billes de verre. Cette fois-ci, ce fut Magellan qui refusa: il craignait que les insulaires se rendent compte que pour nous, l'or avait une bien plus grande valeur que tout ce que nous pouvions transporter dans nos cales."
:Mendoza: : En effet! Magellan avait envisagé que la nouvelle pourrait se répandre, et que la balance dans de futurs trocs se modifierait en conséquence. Tous les échanges se firent en sa faveur car les bibelots qu'il offrit ne valaient rien en Europe, au contraire de l'or.
L'alchimiste se frotta le nez.
:Laguerra: : Avec le recul, ton mentor réfléchissait ici avec une logique de marché, et voulait à tout prix prévenir une hausse du cours de l'or en masquant ses intentions.
:Mendoza: : C'est bien cela... Nous restâmes une semaine à Mazaua. Durant les récoltes, nous eûmes à déplorer deux décès supplémentaires: Baldasàrre Pallano, le maître de bord du Santiago qui, après le naufrage du navire fut incorporé à l'équipage de la Victoria comme pilote et Juan Villalón, soldat Andalou officiant également sur la Victoria.

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:Mendoza: : La flotte, guidée par Kolambu, quitta finalement Mazaua le jeudi 4 avril 1521. Naviguant vers l'ouest en direction de Cebu, nous contournâmes l'île de Bohol assez largement pour éviter ses hauts-fonds, longeant plutôt Ceylan. Nous glissâmes doucement sur l'eau le long des gros rochers noirs et une brise légère nous éventait le visage. De son balangay, le Radjah admirait l'adresse avec laquelle nous dirigions les trois navires. Tout était calme lorsque nous passâmes près de l'île de Canighan*.
Comme beaucoup, Mendoza aimait les voyages, ces escapades qui vous faisaient l'offrande d'une parenthèse, voire d'une excursion fugitive hors du monde. Les pensées s'y mouvaient mollement, fuyant les écueils. Les yeux mi-clos, son esprit esquivait encore pour le moment le naufrage douloureux de Magellan et tournait autour de ces lieux enchanteurs.
:Mendoza: : On était quelques heures plus tard. Le jour déclinait. Debout sur le pont, je regardai droit devant. La Trinidad marqua un arrêt à Satighan* où nous pûmes observer d'impressionnantes chauve-souris, grosses comme des rapaces. Nous en capturâmes et en mangeâmes une, lui trouvant un goût de poulet.
:Laguerra: : Ce que tu dis est tout à fait exact. Pigafetta raconte la même chose lors de cette brève escale:
"Dans cette île se trouvent une espèce d'oiseaux appelés Barbastigly*, qui sont aussi grands que des aigles. Parmi eux, nous en avons tué un seul, car il était tard, que nous avons mangé, et il avait le goût d'une volaille. Il y a aussi dans cette île des pigeons, des tourterelles, des perroquets et certains oiseaux noirs gros comme une poule, avec une longue queue. Ils pondent des œufs gros comme ceux d'une oie, qu'ils enterrent à une bonne coudée de profondeur sous le sable, au soleil, et ainsi ils éclosent par la grande chaleur produite par le sable chaud. Et quand ces oiseaux éclosent, ils émergent. Et ces œufs sont bons à manger.
:Mendoza: : De l'île de Mazaua à celle de Satighan, nous avions parcouru vingt lieues. Le lendemain, nous repartîmes vers l'ouest mais dûmes de nouveau nous arrêter car l'embarcation de Kolambu ne parvenait pas à tenir l'allure de nos vaisseaux. Ce n'était certes pas une mince besogne que d'accompagner un étranger de marque. Mais le Radjah s'était proposé de le faire et il tenait sa promesse. Nous fîmes escale près de trois îles appelées Polo, Ticobon et Pozzon* afin d'y passer la nuit.

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:Mendoza: : Lorsque Kolambu nous rejoignit un peu plus tard, Magellan l'invita à monter à bord de la Trinidad avec des personnes de sa suite, ce dont ils furent très contents. Le jour suivant, nous allâmes donc à Cebu, qui se trouvait à quinze lieues de Satighan...

À suivre...

*
*Balangay: C'est l'un des premiers mots autochtones que les Espagnols ont appris aux Philippines. Quand Antonio Pigafetta s'est rendu à terre pour discuter avec le souverain de Mazaua, ils se sont assis ensemble dans un bateau amarré sur le rivage que l'Italien a appelé un balangay. Les premiers dictionnaires Espagnols indiquent clairement qu'il a été prononcé "ba-la-ngay".
*Mindanao: Historiquement, l'île était connue sous le nom de "Grandes Moluques". Pour ne pas faire d'amalgame avec les îles aux épices, but du voyage de Magellan, j'ai utilisé son nom actuel. Pour aller plus loin, le nom Mindanao est une corruption Espagnole du nom du peuple Maguindanao (peuple du lac) pendant la période coloniale qui a eu lieu plus de quarante ans après l'arrivée de l'Amiral Portugais.
*Pedilavium: Acte rituel accompli en mémoire du lavement des pieds des apôtres par Jésus-Christ la veille de sa Passion, avant de se mettre à table pour la cène.
*À quia: Dans l'état d’être réduit au silence.
*Ceylan: Il ne s'agit pas du Sri Lanka actuel, qui se trouve au sud de l'Inde, mais de l'île de Leyte aux Philippines.
https://en.wikipedia.org/wiki/Leyte
*Gens de delà l'eau: Expression du XVIème siècle désignant des personnes crédules, naïves.
*Biture: Expression du XVIème siècle, toujours d'actualité. Elle est née dans l'argot des marins car l'arrivée au port était l'occasion de ripailles et de beuveries.
*Moluques: Les îles aux épices se trouvent en réalité au sud-sud-est de Mazaua. Magellan ignorant leur position exacte (et son équipage avec lui), cela explique cette erreur de cap.
*Canighan: Son nom actuel est Canigao. C'est un îlot inhabité dont les parties ouest et nord sont placées sous protection naturelle en tant que sanctuaire.
*Satighan: Son nom actuel est Gatigan, qui vient du Visayan katigan signifiant un bateau à balancier. L'emplacement de cette escale n'a pas été déterminé de manière concluante par les historiens.
*Barbastigly: Le terme Barbastella vient d'un dialecte transalpin de la région de Bologne dans lequel il tient le rôle de nom générique pour chauves-souris. Morphologiquement, barba.stella signifierait "étoile barbue". C'est une espèce dont la taille du corps est comprise entre quatre et six centimètres, ce qui n'a rien à voir avec celle décrite par Pigafetta. Aux Philippines, ce sont des roussettes géantes (ou renards volants) avec une envergure de près d'un mètre!
*Polo, Ticobon et Pozzon: Il s'agit des îles Camotes: Poro, Talong et Ponson.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 19 oct. 2023, 13:57, modifié 1 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: Le clou du voyage.

Message par pedro3 »

bravo pour ce chapitre.
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Re: Le clou du voyage.

Message par TEEGER59 »

La suite bientôt.
Modifié en dernier par TEEGER59 le 06 janv. 2024, 23:51, modifié 2 fois.
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
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