Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2
Posté : 30 déc. 2018, 21:03
Partie 2
Esteban referma le bec l'oiseau d'orichalque, qui abritait désormais leurs deux précieuses invitées, puis prit la direction du port de Kagoshima avec Zia et Tao en quête de réponses aux nombreuses questions qui se bousculaient dans leurs têtes. Plus ils sentaient qu'ils s'approchaient du port plus chacun d'entre eux sentait une boule grandissante dans son estomac. La peur d'apprendre ce qu'ils redoutaient le plus leur torturait l'esprit. Si cela venait à se réaliser, Esteban taperait sans aucun doute dans le premier objet qui tomberait sous son poing et Zia se blottirait dans les bras de son fiancé pour pleurer. Quant à Tao, il se retiendrait de toutes éventuelles réactions jusqu'à ce que le Condor ait repris son vol et qu'il soit enfermé dans son laboratoire.
Le jeune Muen, qui quelques minutes plus tôt avait osé imaginer le pire, espérait s'être réellement et profondément trompé. Il regrettait amèrement cette pensée, celle qu'il considérait comme sa petite sœur avait bien raison : c'était affreux d’envisager une chose pareille, il le savait bien. Mais au fond de lui, lorsqu'Esteban avait proposé de ne plus venir ici il en avait presque été heureux, pas parce qu'il ne voulait plus voir leurs amis mais parce qu'il n'aimait pas ses pénibles souvenirs… il s'en était vite voulu d'avoir aimé cette décision. Il tenta de penser à autre chose, à Indali désormais seule avec Marie, à l’abri, du moins il l’espérait. Il se dit qu’ils seraient sans doute bientôt fixés, et quoi qu’ils aient appris, bientôt de retour auprès des deux jeunes femmes. Il se rappela le sourire forcé d’Indali. A ses côtés, Marie tentait de faire bonne figure elle aussi : « au moins, je pourrai apprécier d’être à bord sans avoir le mal de l’air » avait-elle lancé gaiement. Mais elle s’était renfrognée quand Esteban leur avait clairement interdit de rester dans le cockpit, par prudence. Si quelqu’un venait à passer et les apercevait, il n’osait penser aux conséquences. Ainsi, elle n’aurait même pas le loisir de contempler le paysage. Adieu le beau coucher de soleil avec lequel elle espérait se distraire ! Indali, s’étant aperçue de sa déception, avait proposé aussitôt de lui apprendre à confectionner un plat de son pays, et si la soirée en solitaire devait se prolonger, elle avait obtenu la permission de Tao de montrer à Marie quelques unes de ses inventions. Esteban avait pris la peine de leur dire d’aller se coucher sans les attendre, et de ne pas s’inquiéter s’ils ne revenaient que le lendemain.
E : Bon, eh bien on y est.
La voix d’Esteban sortit Tao de ses pensées. Ils étaient parvenus sans encombre jusqu’aux abords de la ville.
T : A qui allons- nous nous adresser ?
E : Aucune idée. Aux enfants ? En général, c'est plus facile d'avoir des informations avec eux.
Z : Je ne pense pas, Esteban. Nous sommes étrangers ici, c’est le meilleur moyen de nous faire remarquer : soit ils fuiront, soit ils crieront d’excitation de nous voir. Dans les deux cas, on risque d'alerter des soldats.
T : Oui c'est sûr. Mais si on commençait par chercher les enfants qu'on connait ? Si on les trouve ils pourront nous répondre sans problèmes.
E : Il faut espérer qu’ils n’aient pas trop changé en trois ans…
Z : En tout cas on peut parier qu’ils se souviendront de nous.
E : Avec un peu de chance on tombera sur un villageois bienveillant du premier coup. Allez, on y va !
Quittant l’abri des collines boisées, ils s’engagèrent donc dans les rues qui menaient au port à la recherche d'un habitant qui les connaîtrait et qui serait à même de les renseigner sur le sort de Mariko, Ichiro et Yoshi. Tous trois espéraient que leurs investigations ne seraient pas vaines et surtout que les nouvelles ne seraient pas celles qu’ils craignaient.
Trouver quelqu'un pour leur répondre ne fut pas aisé. Il fallait progresser en se cachant, observer et guetter une silhouette familière. Bientôt, le soleil fut sur le point de disparaître et ils n’avaient encore repéré personne. Le découragement les gagnait : ils allaient devoir renoncer, ou prendre le risque de frapper chez quelqu’un qu’ils avaient connu autrefois, et le mettre en danger par leur présence. Alors qu'ils s’interrogeaient sur la suite des opérations, une voix derrière eux les interpella :
?? : Eh vous là-bas !
Repérés, ils étaient repérés sans avoir pu apprendre quoi que ce soit ! C’était trop bête ! Esteban s’apprêtait à filer quand Zia le retint.
Z : Attends ! Je connais cette voix !
Elle se retourna et ses compagnons l’entendirent s’adresser à la voix. Un frisson de panique les traversa pour disparaître aussitôt.
Z : Teijo ?!
Te : Eh oui, lui-même.
Esteban et Tao reconnurent aisément la silhouette qui émergeait de l’ombre et se dirigeait vers eux.
E : Ça fait plaisir de te revoir !
T : Oh ça oui !
Teijo avait bien grandi et était devenu un beau jeune homme depuis l'incendie qui avait failli lui coûter la vie à lui et sa grande sœur, Azami. Depuis ce jour où trois inconnus, trois étrangers, leur avaient sauvé la vie, Teijo s'était juré, alors qu'il n'avait que cinq ans à l'époque, de ne plus jamais prendre peur à la vue d'un gaijin, quelle que soit son allure, sa taille, la longueur de son nez ou la couleur de ses cheveux. En dix ans il n'avait jamais rompu sa promesse ce qui le rendait extrêmement fier de lui. Qui ne le serait pas ?
Tous les quatre étaient heureux de se retrouver après ces longues années d'absence.
Te : Où étiez vous passés ? Ça fait quoi ? Trois ans qu'on ne vous a pas revus par ici.
Z : Oui. On a eu quelques problèmes la dernière fois.
Te : Comme d'habitude en quelque sorte.
E : C'est ça.
Te : Mais qu’est-ce qui vous amène ?
Z : On venait annoncer quelque chose à Yoshi et ses petits-enfants. Mais leur maison était abandonnée...
Te : Oh....C’est vrai, vous ne pouvez pas être au courant
T : Au courant de quoi ?
Z : Teijo ?
Te : Yoshi est mort il y a plus d’un an.
E/Z/T : Quoi ?!
Comme prévu la nouvelle fut un choc. Bien que secoués, les trois amis gardaient espoir cependant : Teijo n’avait évoqué que Yoshi.
Te : Je suis désolé d'avoir eu à vous l'annoncer comme ça...
E : Comment…que s’est-il passé ? Il était toujours si alerte pour son âge…
Te : Nous avons eu un tremblement de terre assez important. Il était seul à la maison à ce moment là, il s’est trouvé au mauvais endroit. Mariko et Ichiro n’ont rien pu faire, quand ils sont arrivés il était déjà trop tard.
Z : Le toit effondré…
Teijo acquiesça.
T : Et Mariko, Ichiro, que sont-ils devenus?
Te : Je vais vous accompagner chez Mariko, suivez-moi.
Ainsi leur mauvais pressentiment s’était confirmé : Yoshi était mort. Mais ils allaient bientôt revoir leur amie, et son frère, sans aucun doute. Ils étaient partagés entre la tristesse et le soulagement, se demandant pourtant pourquoi les jeunes gens avaient abandonné la maison de leur aïeul. Etait-ce parce que trop de souvenirs y étaient attachés pour les deux orphelins, seuls survivants de leur famille disparue ? Ou parce qu’ils n’avaient pas les moyens de la réparer ? Quel dommage cependant de laisser le jardin dans cet état…La nature reprenait ses droits si vite…Peut-être n’avaient-ils pu faire autrement, trop occupés à gagner leur vie ? Ils traversèrent presque tout Kagoshima, Teijo en tête de file et les trois étrangers à l'affût du moindre garde. Comme autrefois. Ces gardes qui leur causaient tant de problèmes, qui avaient bien failli leur coûter la liberté à plusieurs reprises et même la vie dans les cas les plus dangereux. Il ne fallait surtout pas qu'ils se fassent repérer avant qu'ils n'aient pu revoir leurs amis. Et comment réagir si, dans l'éventualité où ils viendraient à croiser une patrouille, ils se retrouvaient face à face avec Ichiro ? Si Yoshi était malheureusement mort, au moins n’y avait-il plus aucun risque qu’il croupisse au fond d'une cellule miteuse de la forteresse du Daimyo Shimazu pour acte de trahison aggravée à l'encontre du clan, en attendant d’être exécuté. Mais il fallait éviter à tout prix ce sort pour Ichiro et Mariko.
Alors qu'ils arpentaient l'avenue principale, Tao remarqua silencieusement qu'une décennie avait beau s'être écoulée depuis la dernière éruption du Sakurajima, la porte de la ville en gardait encore des séquelles bien visibles... Et Kagoshima avait encore dû subir un tremblement de terre. Il se prit à regretter de ne pouvoir, grâce au savoir de ses ancêtres, aider la population à reconstruire leurs habitations, leur ville, rapidement. Mais le Daimyo avait d’autres priorités… Si ces guerres absurdes cessaient enfin…Il se prit à rêver de revenir pour aider ses amis à réparer la maison de Yoshi.
Te : On y est.
La voix du Japonais fit sortir le naacal de ses pensées.
E : Merci Teijo.
Te : J'aurais aimé rester avec vous mais ma mère va s’inquiéter, il faut que je rentre à présent.
E : Merci de nous avoir guidés, nous t’en sommes infiniment reconnaissants.
Te : Et moi, je suis heureux de vous avoir revus. J’espère ne pas avoir à attendre encore trois ans avant notre prochaine rencontre !
Il les salua avant de s'éloigner, trottant, en direction des quais.
Esteban, Tao et Zia se tournèrent vers la demeure. On voyait bien à sa hauteur qu'elle possédait un étage. L'état des murs extérieurs indiquait que, contrairement à la maison voisine, la construction était relativement récente. Ils s'avancèrent vers elle. Inconsciemment les garçons laissèrent Zia passer devant. Elle avait le cœur battant. Elle posa sa main sur sa poitrine pour y serrer son médaillon, prit une grande inspiration, mais avant même qu'elle n'ait pu y frapper, la porte s'ouvrit laissant apparaître une jeune femme mince aux cheveux sombres qui contrastaient parfaitement avec sa peau très claire. Mariko n’hésita que quelques secondes avant de s’exclamer d’une voix étouffée, pour ne pas alerter les voisins.
Mar : Zia ?! Esteban ?! Tao ?! Mais... Mais qu'est-ce que vous faites là ?! entrez, entrez vite, je vous prie !
Elle tira littéralement Zia à l’intérieur, sans même prendre garde à demander à ses hôtes de retirer leurs chaussures. L’instant d’après, les deux jeunes femmes s’étreignaient en sanglotant, puis Mariko serra les deux jeunes hommes dans ses bras, bien que ce ne fût pas habituel pour elle. L'absence leur avait, à tous les quatre, énormément pesé.
Mar : Vous m'avez tellement manqué.
Elle essuya discrètement quelques larmes, mais affichait à présent un large sourire.
Z : Toi aussi tu nous as manqué.
Mar :J’ai cru que quelque chose vous était arrivé…cela fait trois ans déjà…
E : Nous nous excusons sincèrement, mais nous avons pensé que c’était la meilleure chose à faire, pour vous protéger, vu les circonstances. Pardon si tu as souffert par notre faute, mais nous ne pouvions pas prendre le risque de vous prévenir de notre départ, dans votre intérêt et le nôtre.
Mar : C’est ce que je me suis dit…mais cela ne m’a pas apaisé pour autant…
Son sourire avait disparu ; elle se reprit aussitôt.
Mar : Mais vous êtes là, sains et saufs, et je vous remercie d’avoir pris la peine de venir me voir. Comment avez-vous su où me trouver ? C’était ma plus grande inquiétude, je me disais que jamais je ne vous reverrais, si je déménageais, mais il le fallait bien…et puis, c’était une crainte absurde, puisque vous voilà !
Z : Nous avons eu la chance de tomber sur une connaissance commune, Teijo. Nous étions à ta recherche après être passés à la maison de ton grand-père.
Mar : Alors vous savez. J'imagine que ça a dû vous faire un choc... Il me manque tellement mais je sais que de là où il est il veille sur nous.
Mariko laissa échapper une larme à la pensée de son cher grand père quand une voix, totalement inconnue aux trois voyageurs, retentit derrière eux.
?? : Mariko ? A qui parles tu ?
Mar : A de vieux amis.
Elle fit coulisser la porte et descendit les deux petites marches qui permettaient l'accès à la maison pour accueillir l'homme qui venait d'arriver. Plus grand qu'elle d'une tête, il avait la carrure de quelqu’un à qui peu de gens aimeraient se frotter sous peine de se retrouver au sol en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Se retournant vers l’intérieur de la maison, elle désigna les trois jeunes gens qui se sentirent observés d’un œil méfiant par l’inconnu.
Mar : Tadashi, je te présente Zia, Esteban et Tao. Mes chers amis je vous présente Tadashi, mon époux. Tadashi et moi sommes mariés depuis un peu plus de deux ans.
Après les salutations d’usage, le trio les félicita pour leur union. Ils étaient agréablement surpris. Le jeune couple semblait heureux, très heureux même. Le mari, qui avait changé de visage en entendant les paroles de son épouse, les accueillit cordialement.
Ta : Je suis enchanté de vous rencontrer.
E : Nous de même.
T : Celle-là on ne l'a pas vu venir, ça fait vraiment plaisir ! Je suis très content pour vous.
Mar : Merci Tao.
Ta : Je vous remercie.
Mar : Allons, rentre et installons nous au chaud. La pêche a été bonne ?
Ta : Pas vraiment, je n'ai pas attrapé grand chose... Le poisson semble fuir.
Mar : Ne t'en fais pas, ça ira mieux demain.
E : Surtout si Tao vous enseigne sa nouvelle technique de pêche.
T : Ah mais oui, pourquoi pas ?
Z : Vous verrez, cette technique est impressionnante.
Ta : Vraiment ?
T : Oui et c'est la meilleure de toutes !
Tadashi éclata de rire.
Ta : Eh bien j'ai hâte de savoir de quoi il en retourne. En attendant, pour ce soir je vous invite à partager ces quelques poissons.
Mar : Ce n’est pas grand-chose, je suis désolée…
Z : Cela sera bien suffisant, ne t’inquiète pas. Nous vous remercions infiniment.
Ta : Eh bien, c’est entendu !
Tadashi semblait ravi de les recevoir. Zia pensa que Mariko avait bien choisi son époux : il paraissait lui faire toute confiance, et n’avait pas cherché à demander des comptes sur la présence d’étrangers dans sa demeure, du moins pour le moment.
Comme la coutume le voulait, ils avaient tous ôté à présent leurs chaussures, et s’étaient avancés dans la pièce principale, qui, sans être immense, était plus grande que dans la modeste maison de Yoshi. Petit à petit, ils remarquèrent certains détails, comme un petit autel dédié à l'Otsuro Bune, orné d’une branche décorée de poissons, fruits et légumes de tissu. Mariko expliqua que c’ était elle qui les avait confectionnés, et Zia s’émerveilla de la délicatesse de l’ouvrage. Dans un coin de la pièce une table basse attira l'intention du naacal : tout le matériel nécessaire à l'art de la calligraphie y était posé. Un autre autel était dressé dans un renfoncement du mur : de l’encens brûlait devant une petite statue de bouddha , et la maîtresse de maison avait arrangé quelques chrysanthèmes rouges et mordorés dans un vase de céramique brune. C’était un intérieur modeste, mais chaleureux.
Mariko convia ses invités à s'installer, elle les encouragea à faire plus ample connaissance avec Tadashi le temps qu'elle s'attelle à la préparation d'un repas aussi consistant que possible avec la mince pêche du jour.
Alors que la discussion peinait à s'amorcer entre le trio et le maître de maison, un doux fumet émanait du coin prévu pour la cuisine. Les quatre attablés commencèrent à en avoir l'eau à la bouche tant l'odeur était alléchante. Le doux fumet du saké sucré et de la sauce soja se mariait parfaitement à celui du poisson. Mariko avait toujours eu une sorte de don pour tout ce qui touchait au domaine culinaire et tous ceux qui avait eu la chance de goûter à l'un de ses plats ne pouvaient que le confirmer, Tadashi le premier. Il ne manquait jamais une occasion de vanter les talents de sa femme en la faisant rougir au passage et faisant sourire leurs invités, et cela ne manqua pas d’arriver ce soir-là. Un plat savoureux suffit souvent à faire ouvrir la bouche et délier les langues : le repas traîna en longueur pendant que la discussion entre les cinq attablés prenait des tours et des détours pour évoquer tantôt les visites passées, tantôt le présent. Zia aurait bien aimé demandé des nouvelles d’Ichiro à Mariko, mais la conversation déviait toujours sur autre chose. Elle se dit qu’elle trouverait bien une occasion, et se laissa aller au plaisir d’écouter son amie et son mari.
Mariko conta à ses amis son union avec le pêcheur. Le trio eut un petit pincement au cœur en entendant qu'il s’était agi d'un mariage arrangé entre les deux familles. Mariko expliqua que c’était la coutume , et que ce genre de mariage pouvait être très réussi, la preuve en était leur union. Elle avait fait confiance à son grand-père, qui avait approuvé l’alliance avec la famille Chidobazu, et elle n’avait pas eu à le regretter. Tadashi avoua tout de même que les débuts de leur relation de couple avaient été compliqués car il n’était jamais facile de briser la glace entre deux personnes réservées comme ils l’étaient l’un envers l’autre, cependant, le caractère aimable de Mariko l’avait aidé à se sentir à l’aise et assez rapidement, ils avaient appris à se connaître l'un et l'autre, à partager leur vie et surtout à s'aimer. Désormais ils étaient plus liés que jamais et profitaient de chaque instant qu'ils avaient à vivre ensemble. Mariko hocha la tête à ces paroles de son mari, et chacun remarqua le sourire discret qui s’épanouit sur son visage. Tao s’exclama même qu’elle était rayonnante de bonheur, du moins
c'est ce que le reste de la tablée crut comprendre parmi les sons vaguement articulés qu’ils entendirent alors que le jeune homme tentait de parler tout en avalant une des dernières bouchées de son bol de riz et de millet, ce qui provoqua l’hilarité générale. Zia se rendit toutefois compte que le sourire de Mariko s’était un peu trop vite mué en un éclat de rire presque forcé, ce qui ne lui ressemblait pas. Elle n’eut pas le temps d’observer davantage son hôtesse, qui se leva prestement pour s’affairer à la préparation du thé, refusant poliment l’aide de son amie. Elle apporta bientôt un plateau couvert de petits bols aux teintes discrètes. L’odeur subtile du thé vert se répandit dans la pièce. Pendant qu'ils savouraient à petites gorgées la boisson délicate, Tadashi se fit plus curieux envers ses invités. Il s’était contenté d’écouter les souvenirs qu’ils avaient échangés avec sa femme, et de répondre à leurs questions sur son mariage, son métier, et il brûlait à présent d’en savoir plus.
Ta : Alors comme ça vous venez de ces terres, au -delà de la Chine ?
E : Bien au-delà, oui, d’Europe, d’Espagne plus précisément, enfin, pour ma part, parce que Tao et Zia viennent encore de plus loin, de terres situées entre deux océans, dont l’un borde le Japon d’ailleurs.
Ta : Alors nous sommes voisins, ou tout comme !
T : Lointains, mais on peut dire ça…
Ta : Moi, je ne me suis jamais éloigné de nos côtes. La mer est trop dangereuse. Mais vous, vous osez la braver. Je vous admire, même si je pense aussi qu’il faut un peu de folie pour faire cela.
E : Nous avons voyagé dès notre enfance, bien malgré nous. Alors, on s’habitue…mais c’est vrai qu’il faut être un peu fou pour s’aventurer sur les mers, quitter son pays, ceux qu’on aime…certains hommes n’hésitent pourtant pas à braver le danger.
Mar : Comme Mendoza, Sancho et Pedro. Comment vont-ils d'ailleurs ?
Z : Sancho et Pedro vont bien, leurs affaires commerciales et viticoles sont vraiment fructueuses. Ils sont devenus intraitables en affaires. Quant à Mendoza il a repris la mer…
Elle hésita, mais préféra ne pas en dire plus. Mariko perçut sa gêne et n’insista pas.
Mar : Toujours sur les mers, donc…
E : Eh oui, on ne se refait pas. Mais tu les reverras bientôt, enfin…
Il en avait trop dit : il se tourna vers sa fiancée, quettant son approbation. Zia ne s’était pas attendue à aborder le sujet ainsi, mais comme Esteban hésitait à continuer, elle se lança.
Z : Ce qu’Esteban veut dire, c’est qu’il y aura bientôt une grande occasion où nous pourrions être réunis, si tu le souhaites, et si tu le peux, bien sûr. C’est pour te l’annoncer que nous sommes revenus te voir, mais… nous aurions aimé qu’Ichiro soit là aussi, cela le concerne également. Mais puisqu’Esteban a abordé le sujet….
Mar : Ichiro?....
Elle avait presque crié son nom. Puis, se cachant le visage dans les mains, elle quitta précipitamment la pièce, laissant ses amis dans l’embarras. Visiblement, elle avait fait bonne figure toute la soirée, mais cachait derrière ses sourires et son entrain un chagrin dont ils ne s’étaient pas doutés. Zia s’en voulut et fit mine de se lever pour la suivre, mais Tadashi la retint doucement.
Ta : Mariko n'a pas perdu que son grand père pendant votre absence...
E : Qu'est-ce que tu veux dire ? Ichiro serait…
Ta : Oui. Il y a deux semaines, il partait en mer et il s'est noyé. Malgré les recherches nous n'avons pas eu la chance de retrouver son corps... Non seulement perdre son frère a beaucoup affecté Mariko mais le fait qu'on ne soit pas en mesure de lui offrir une sépulture décente lui permettant un repos dans le monde des esprits a été très dur à vivre, même si elle a décidé de n’en rien montrer et de se faire une raison. L'idée que l’âme d’Ichiro devienne un de ces fantômes qui erre à jamais dans notre monde la fait beaucoup souffrir et je ne sais pas comment la rassurer davantage. J’ai beau lui dire que nous n’avons ressenti aucune présence, aucun phénomène étrange ces derniers temps, et qu’il est probable que ses prières aient apaisé Ichiro, je sens bien qu’elle fait semblant de m’approuver, mais qu’au fond d’elle, l’angoisse est immense. Vous savez, au Japon, on apprend à faire bonne figure, pour ne pas déranger les autres avec nos ennuis. Mariko ne veut pas montrer sa peine. Alors moi aussi j’évite d’en parler, car je sais que cela ravive son chagrin et que cela lui coûte d’essayer de se maîtriser devant moi. La blessure est trop récente. Mariko se désespère de ne pas pouvoir suivre la coutume, en l’absence du corps… C’est bien triste…Je prie pour que cela lui passe. Ce soir, j’ai été surpris de la voir si heureuse, en rentrant, et j’ai joué le jeu, moi aussi. Je suis désolé que la soirée se termine de cette façon…
Z : Ce que vous faites est très bien Tadashi. La rassurer que l'âme de son frère ne risque rien. Même sans sépulture. C'est ce que nous ferions aussi, et d'ailleurs nous le ferons dès demain.
Ta : Je vous remercie infiniment Zia. Votre amitié aidera sûrement Mariko à se sentir mieux. Enfin je l'espère. Vous voyez ce bouquet de chrysanthèmes ? Chaque jour, depuis deux semaines, elle change les fleurs, et prie pour le repos de l’âme d’Ichiro. Je sais qu’elle s’y reprend à plusieurs fois pour arranger le bouquet, comme si pendant ce temps elle était auprès de son frère.
Z : Je vous promets qu'on fera de notre mieux pour l'aider. Nous allons vous laisser à présent, Mariko a sans doute besoin de vous. Nous reviendrons.
Ta : Non, restez je vous en prie ! Ne prenez pas de risques inutiles, si vous tombiez sur une patrouille…et puis, je suis sûr que c’est ce que Mariko souhaite. Je ne veux pas qu’elle ait d’inquiétudes inutiles à votre sujet. Pour ce soir, faites-moi l’honneur de rester.
Il s’inclina profondément. Le trio était bien embarrassé. Cela signifiait qu’Indali et Marie allaient devoir passer la nuit seules, et qu’elles s’inquiéteraient probablement. D’un autre côté, il était risqué pour eux de multiplier les trajets. Finalement, ils prirent le parti d’accepter l’hospitalité de leur hôte. Tadashi partirait avant l’aube. Leur présence, dans ces circonstances, serait peut-être un réel réconfort pour Mariko, dont la blessure venait d’être ravivée. Tadashi les remercia gravement : il était soulagé de savoir que sa femme ne passerait pas encore une journée seule et qu'au contraire elle serait en bonne compagnie, que cela l'aiderait peut-être à reprendre le dessus. Il les quitta ensuite pour aller chercher les futons et les couvertures dont ils auraient besoin. Puis il se retira auprès de Mariko en s’excusant de les laisser seuls.
T : Eh bien…je ne sais pas ce que je dois penser de cette journée.
Z : Tant de tristesse et de joie mêlées…
E : J’espère seulement qu’Indali et Marie passeront une bonne nuit. Quant à moi, je n’en suis pas sûr.
T : Plains-toi ! Au moins Zia est auprès de toi…
Z : Nous rentrerons au condor avec Mariko demain, dès que possible. C’est la meilleure solution. Réveil à l’aube !
T : J’approuve la proposition. Tu es la meilleure, Zia.
E : Oui, il n’y a pas que Tadashi qui a de la chance…
Esteban referma le bec l'oiseau d'orichalque, qui abritait désormais leurs deux précieuses invitées, puis prit la direction du port de Kagoshima avec Zia et Tao en quête de réponses aux nombreuses questions qui se bousculaient dans leurs têtes. Plus ils sentaient qu'ils s'approchaient du port plus chacun d'entre eux sentait une boule grandissante dans son estomac. La peur d'apprendre ce qu'ils redoutaient le plus leur torturait l'esprit. Si cela venait à se réaliser, Esteban taperait sans aucun doute dans le premier objet qui tomberait sous son poing et Zia se blottirait dans les bras de son fiancé pour pleurer. Quant à Tao, il se retiendrait de toutes éventuelles réactions jusqu'à ce que le Condor ait repris son vol et qu'il soit enfermé dans son laboratoire.
Le jeune Muen, qui quelques minutes plus tôt avait osé imaginer le pire, espérait s'être réellement et profondément trompé. Il regrettait amèrement cette pensée, celle qu'il considérait comme sa petite sœur avait bien raison : c'était affreux d’envisager une chose pareille, il le savait bien. Mais au fond de lui, lorsqu'Esteban avait proposé de ne plus venir ici il en avait presque été heureux, pas parce qu'il ne voulait plus voir leurs amis mais parce qu'il n'aimait pas ses pénibles souvenirs… il s'en était vite voulu d'avoir aimé cette décision. Il tenta de penser à autre chose, à Indali désormais seule avec Marie, à l’abri, du moins il l’espérait. Il se dit qu’ils seraient sans doute bientôt fixés, et quoi qu’ils aient appris, bientôt de retour auprès des deux jeunes femmes. Il se rappela le sourire forcé d’Indali. A ses côtés, Marie tentait de faire bonne figure elle aussi : « au moins, je pourrai apprécier d’être à bord sans avoir le mal de l’air » avait-elle lancé gaiement. Mais elle s’était renfrognée quand Esteban leur avait clairement interdit de rester dans le cockpit, par prudence. Si quelqu’un venait à passer et les apercevait, il n’osait penser aux conséquences. Ainsi, elle n’aurait même pas le loisir de contempler le paysage. Adieu le beau coucher de soleil avec lequel elle espérait se distraire ! Indali, s’étant aperçue de sa déception, avait proposé aussitôt de lui apprendre à confectionner un plat de son pays, et si la soirée en solitaire devait se prolonger, elle avait obtenu la permission de Tao de montrer à Marie quelques unes de ses inventions. Esteban avait pris la peine de leur dire d’aller se coucher sans les attendre, et de ne pas s’inquiéter s’ils ne revenaient que le lendemain.
E : Bon, eh bien on y est.
La voix d’Esteban sortit Tao de ses pensées. Ils étaient parvenus sans encombre jusqu’aux abords de la ville.
T : A qui allons- nous nous adresser ?
E : Aucune idée. Aux enfants ? En général, c'est plus facile d'avoir des informations avec eux.
Z : Je ne pense pas, Esteban. Nous sommes étrangers ici, c’est le meilleur moyen de nous faire remarquer : soit ils fuiront, soit ils crieront d’excitation de nous voir. Dans les deux cas, on risque d'alerter des soldats.
T : Oui c'est sûr. Mais si on commençait par chercher les enfants qu'on connait ? Si on les trouve ils pourront nous répondre sans problèmes.
E : Il faut espérer qu’ils n’aient pas trop changé en trois ans…
Z : En tout cas on peut parier qu’ils se souviendront de nous.
E : Avec un peu de chance on tombera sur un villageois bienveillant du premier coup. Allez, on y va !
Quittant l’abri des collines boisées, ils s’engagèrent donc dans les rues qui menaient au port à la recherche d'un habitant qui les connaîtrait et qui serait à même de les renseigner sur le sort de Mariko, Ichiro et Yoshi. Tous trois espéraient que leurs investigations ne seraient pas vaines et surtout que les nouvelles ne seraient pas celles qu’ils craignaient.
Trouver quelqu'un pour leur répondre ne fut pas aisé. Il fallait progresser en se cachant, observer et guetter une silhouette familière. Bientôt, le soleil fut sur le point de disparaître et ils n’avaient encore repéré personne. Le découragement les gagnait : ils allaient devoir renoncer, ou prendre le risque de frapper chez quelqu’un qu’ils avaient connu autrefois, et le mettre en danger par leur présence. Alors qu'ils s’interrogeaient sur la suite des opérations, une voix derrière eux les interpella :
?? : Eh vous là-bas !
Repérés, ils étaient repérés sans avoir pu apprendre quoi que ce soit ! C’était trop bête ! Esteban s’apprêtait à filer quand Zia le retint.
Z : Attends ! Je connais cette voix !
Elle se retourna et ses compagnons l’entendirent s’adresser à la voix. Un frisson de panique les traversa pour disparaître aussitôt.
Z : Teijo ?!
Te : Eh oui, lui-même.
Esteban et Tao reconnurent aisément la silhouette qui émergeait de l’ombre et se dirigeait vers eux.
E : Ça fait plaisir de te revoir !
T : Oh ça oui !
Teijo avait bien grandi et était devenu un beau jeune homme depuis l'incendie qui avait failli lui coûter la vie à lui et sa grande sœur, Azami. Depuis ce jour où trois inconnus, trois étrangers, leur avaient sauvé la vie, Teijo s'était juré, alors qu'il n'avait que cinq ans à l'époque, de ne plus jamais prendre peur à la vue d'un gaijin, quelle que soit son allure, sa taille, la longueur de son nez ou la couleur de ses cheveux. En dix ans il n'avait jamais rompu sa promesse ce qui le rendait extrêmement fier de lui. Qui ne le serait pas ?
Tous les quatre étaient heureux de se retrouver après ces longues années d'absence.
Te : Où étiez vous passés ? Ça fait quoi ? Trois ans qu'on ne vous a pas revus par ici.
Z : Oui. On a eu quelques problèmes la dernière fois.
Te : Comme d'habitude en quelque sorte.
E : C'est ça.
Te : Mais qu’est-ce qui vous amène ?
Z : On venait annoncer quelque chose à Yoshi et ses petits-enfants. Mais leur maison était abandonnée...
Te : Oh....C’est vrai, vous ne pouvez pas être au courant
T : Au courant de quoi ?
Z : Teijo ?
Te : Yoshi est mort il y a plus d’un an.
E/Z/T : Quoi ?!
Comme prévu la nouvelle fut un choc. Bien que secoués, les trois amis gardaient espoir cependant : Teijo n’avait évoqué que Yoshi.
Te : Je suis désolé d'avoir eu à vous l'annoncer comme ça...
E : Comment…que s’est-il passé ? Il était toujours si alerte pour son âge…
Te : Nous avons eu un tremblement de terre assez important. Il était seul à la maison à ce moment là, il s’est trouvé au mauvais endroit. Mariko et Ichiro n’ont rien pu faire, quand ils sont arrivés il était déjà trop tard.
Z : Le toit effondré…
Teijo acquiesça.
T : Et Mariko, Ichiro, que sont-ils devenus?
Te : Je vais vous accompagner chez Mariko, suivez-moi.
Ainsi leur mauvais pressentiment s’était confirmé : Yoshi était mort. Mais ils allaient bientôt revoir leur amie, et son frère, sans aucun doute. Ils étaient partagés entre la tristesse et le soulagement, se demandant pourtant pourquoi les jeunes gens avaient abandonné la maison de leur aïeul. Etait-ce parce que trop de souvenirs y étaient attachés pour les deux orphelins, seuls survivants de leur famille disparue ? Ou parce qu’ils n’avaient pas les moyens de la réparer ? Quel dommage cependant de laisser le jardin dans cet état…La nature reprenait ses droits si vite…Peut-être n’avaient-ils pu faire autrement, trop occupés à gagner leur vie ? Ils traversèrent presque tout Kagoshima, Teijo en tête de file et les trois étrangers à l'affût du moindre garde. Comme autrefois. Ces gardes qui leur causaient tant de problèmes, qui avaient bien failli leur coûter la liberté à plusieurs reprises et même la vie dans les cas les plus dangereux. Il ne fallait surtout pas qu'ils se fassent repérer avant qu'ils n'aient pu revoir leurs amis. Et comment réagir si, dans l'éventualité où ils viendraient à croiser une patrouille, ils se retrouvaient face à face avec Ichiro ? Si Yoshi était malheureusement mort, au moins n’y avait-il plus aucun risque qu’il croupisse au fond d'une cellule miteuse de la forteresse du Daimyo Shimazu pour acte de trahison aggravée à l'encontre du clan, en attendant d’être exécuté. Mais il fallait éviter à tout prix ce sort pour Ichiro et Mariko.
Alors qu'ils arpentaient l'avenue principale, Tao remarqua silencieusement qu'une décennie avait beau s'être écoulée depuis la dernière éruption du Sakurajima, la porte de la ville en gardait encore des séquelles bien visibles... Et Kagoshima avait encore dû subir un tremblement de terre. Il se prit à regretter de ne pouvoir, grâce au savoir de ses ancêtres, aider la population à reconstruire leurs habitations, leur ville, rapidement. Mais le Daimyo avait d’autres priorités… Si ces guerres absurdes cessaient enfin…Il se prit à rêver de revenir pour aider ses amis à réparer la maison de Yoshi.
Te : On y est.
La voix du Japonais fit sortir le naacal de ses pensées.
E : Merci Teijo.
Te : J'aurais aimé rester avec vous mais ma mère va s’inquiéter, il faut que je rentre à présent.
E : Merci de nous avoir guidés, nous t’en sommes infiniment reconnaissants.
Te : Et moi, je suis heureux de vous avoir revus. J’espère ne pas avoir à attendre encore trois ans avant notre prochaine rencontre !
Il les salua avant de s'éloigner, trottant, en direction des quais.
Esteban, Tao et Zia se tournèrent vers la demeure. On voyait bien à sa hauteur qu'elle possédait un étage. L'état des murs extérieurs indiquait que, contrairement à la maison voisine, la construction était relativement récente. Ils s'avancèrent vers elle. Inconsciemment les garçons laissèrent Zia passer devant. Elle avait le cœur battant. Elle posa sa main sur sa poitrine pour y serrer son médaillon, prit une grande inspiration, mais avant même qu'elle n'ait pu y frapper, la porte s'ouvrit laissant apparaître une jeune femme mince aux cheveux sombres qui contrastaient parfaitement avec sa peau très claire. Mariko n’hésita que quelques secondes avant de s’exclamer d’une voix étouffée, pour ne pas alerter les voisins.
Mar : Zia ?! Esteban ?! Tao ?! Mais... Mais qu'est-ce que vous faites là ?! entrez, entrez vite, je vous prie !
Elle tira littéralement Zia à l’intérieur, sans même prendre garde à demander à ses hôtes de retirer leurs chaussures. L’instant d’après, les deux jeunes femmes s’étreignaient en sanglotant, puis Mariko serra les deux jeunes hommes dans ses bras, bien que ce ne fût pas habituel pour elle. L'absence leur avait, à tous les quatre, énormément pesé.
Mar : Vous m'avez tellement manqué.
Elle essuya discrètement quelques larmes, mais affichait à présent un large sourire.
Z : Toi aussi tu nous as manqué.
Mar :J’ai cru que quelque chose vous était arrivé…cela fait trois ans déjà…
E : Nous nous excusons sincèrement, mais nous avons pensé que c’était la meilleure chose à faire, pour vous protéger, vu les circonstances. Pardon si tu as souffert par notre faute, mais nous ne pouvions pas prendre le risque de vous prévenir de notre départ, dans votre intérêt et le nôtre.
Mar : C’est ce que je me suis dit…mais cela ne m’a pas apaisé pour autant…
Son sourire avait disparu ; elle se reprit aussitôt.
Mar : Mais vous êtes là, sains et saufs, et je vous remercie d’avoir pris la peine de venir me voir. Comment avez-vous su où me trouver ? C’était ma plus grande inquiétude, je me disais que jamais je ne vous reverrais, si je déménageais, mais il le fallait bien…et puis, c’était une crainte absurde, puisque vous voilà !
Z : Nous avons eu la chance de tomber sur une connaissance commune, Teijo. Nous étions à ta recherche après être passés à la maison de ton grand-père.
Mar : Alors vous savez. J'imagine que ça a dû vous faire un choc... Il me manque tellement mais je sais que de là où il est il veille sur nous.
Mariko laissa échapper une larme à la pensée de son cher grand père quand une voix, totalement inconnue aux trois voyageurs, retentit derrière eux.
?? : Mariko ? A qui parles tu ?
Mar : A de vieux amis.
Elle fit coulisser la porte et descendit les deux petites marches qui permettaient l'accès à la maison pour accueillir l'homme qui venait d'arriver. Plus grand qu'elle d'une tête, il avait la carrure de quelqu’un à qui peu de gens aimeraient se frotter sous peine de se retrouver au sol en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Se retournant vers l’intérieur de la maison, elle désigna les trois jeunes gens qui se sentirent observés d’un œil méfiant par l’inconnu.
Mar : Tadashi, je te présente Zia, Esteban et Tao. Mes chers amis je vous présente Tadashi, mon époux. Tadashi et moi sommes mariés depuis un peu plus de deux ans.
Après les salutations d’usage, le trio les félicita pour leur union. Ils étaient agréablement surpris. Le jeune couple semblait heureux, très heureux même. Le mari, qui avait changé de visage en entendant les paroles de son épouse, les accueillit cordialement.
Ta : Je suis enchanté de vous rencontrer.
E : Nous de même.
T : Celle-là on ne l'a pas vu venir, ça fait vraiment plaisir ! Je suis très content pour vous.
Mar : Merci Tao.
Ta : Je vous remercie.
Mar : Allons, rentre et installons nous au chaud. La pêche a été bonne ?
Ta : Pas vraiment, je n'ai pas attrapé grand chose... Le poisson semble fuir.
Mar : Ne t'en fais pas, ça ira mieux demain.
E : Surtout si Tao vous enseigne sa nouvelle technique de pêche.
T : Ah mais oui, pourquoi pas ?
Z : Vous verrez, cette technique est impressionnante.
Ta : Vraiment ?
T : Oui et c'est la meilleure de toutes !
Tadashi éclata de rire.
Ta : Eh bien j'ai hâte de savoir de quoi il en retourne. En attendant, pour ce soir je vous invite à partager ces quelques poissons.
Mar : Ce n’est pas grand-chose, je suis désolée…
Z : Cela sera bien suffisant, ne t’inquiète pas. Nous vous remercions infiniment.
Ta : Eh bien, c’est entendu !
Tadashi semblait ravi de les recevoir. Zia pensa que Mariko avait bien choisi son époux : il paraissait lui faire toute confiance, et n’avait pas cherché à demander des comptes sur la présence d’étrangers dans sa demeure, du moins pour le moment.
Comme la coutume le voulait, ils avaient tous ôté à présent leurs chaussures, et s’étaient avancés dans la pièce principale, qui, sans être immense, était plus grande que dans la modeste maison de Yoshi. Petit à petit, ils remarquèrent certains détails, comme un petit autel dédié à l'Otsuro Bune, orné d’une branche décorée de poissons, fruits et légumes de tissu. Mariko expliqua que c’ était elle qui les avait confectionnés, et Zia s’émerveilla de la délicatesse de l’ouvrage. Dans un coin de la pièce une table basse attira l'intention du naacal : tout le matériel nécessaire à l'art de la calligraphie y était posé. Un autre autel était dressé dans un renfoncement du mur : de l’encens brûlait devant une petite statue de bouddha , et la maîtresse de maison avait arrangé quelques chrysanthèmes rouges et mordorés dans un vase de céramique brune. C’était un intérieur modeste, mais chaleureux.
Mariko convia ses invités à s'installer, elle les encouragea à faire plus ample connaissance avec Tadashi le temps qu'elle s'attelle à la préparation d'un repas aussi consistant que possible avec la mince pêche du jour.
Alors que la discussion peinait à s'amorcer entre le trio et le maître de maison, un doux fumet émanait du coin prévu pour la cuisine. Les quatre attablés commencèrent à en avoir l'eau à la bouche tant l'odeur était alléchante. Le doux fumet du saké sucré et de la sauce soja se mariait parfaitement à celui du poisson. Mariko avait toujours eu une sorte de don pour tout ce qui touchait au domaine culinaire et tous ceux qui avait eu la chance de goûter à l'un de ses plats ne pouvaient que le confirmer, Tadashi le premier. Il ne manquait jamais une occasion de vanter les talents de sa femme en la faisant rougir au passage et faisant sourire leurs invités, et cela ne manqua pas d’arriver ce soir-là. Un plat savoureux suffit souvent à faire ouvrir la bouche et délier les langues : le repas traîna en longueur pendant que la discussion entre les cinq attablés prenait des tours et des détours pour évoquer tantôt les visites passées, tantôt le présent. Zia aurait bien aimé demandé des nouvelles d’Ichiro à Mariko, mais la conversation déviait toujours sur autre chose. Elle se dit qu’elle trouverait bien une occasion, et se laissa aller au plaisir d’écouter son amie et son mari.
Mariko conta à ses amis son union avec le pêcheur. Le trio eut un petit pincement au cœur en entendant qu'il s’était agi d'un mariage arrangé entre les deux familles. Mariko expliqua que c’était la coutume , et que ce genre de mariage pouvait être très réussi, la preuve en était leur union. Elle avait fait confiance à son grand-père, qui avait approuvé l’alliance avec la famille Chidobazu, et elle n’avait pas eu à le regretter. Tadashi avoua tout de même que les débuts de leur relation de couple avaient été compliqués car il n’était jamais facile de briser la glace entre deux personnes réservées comme ils l’étaient l’un envers l’autre, cependant, le caractère aimable de Mariko l’avait aidé à se sentir à l’aise et assez rapidement, ils avaient appris à se connaître l'un et l'autre, à partager leur vie et surtout à s'aimer. Désormais ils étaient plus liés que jamais et profitaient de chaque instant qu'ils avaient à vivre ensemble. Mariko hocha la tête à ces paroles de son mari, et chacun remarqua le sourire discret qui s’épanouit sur son visage. Tao s’exclama même qu’elle était rayonnante de bonheur, du moins
c'est ce que le reste de la tablée crut comprendre parmi les sons vaguement articulés qu’ils entendirent alors que le jeune homme tentait de parler tout en avalant une des dernières bouchées de son bol de riz et de millet, ce qui provoqua l’hilarité générale. Zia se rendit toutefois compte que le sourire de Mariko s’était un peu trop vite mué en un éclat de rire presque forcé, ce qui ne lui ressemblait pas. Elle n’eut pas le temps d’observer davantage son hôtesse, qui se leva prestement pour s’affairer à la préparation du thé, refusant poliment l’aide de son amie. Elle apporta bientôt un plateau couvert de petits bols aux teintes discrètes. L’odeur subtile du thé vert se répandit dans la pièce. Pendant qu'ils savouraient à petites gorgées la boisson délicate, Tadashi se fit plus curieux envers ses invités. Il s’était contenté d’écouter les souvenirs qu’ils avaient échangés avec sa femme, et de répondre à leurs questions sur son mariage, son métier, et il brûlait à présent d’en savoir plus.
Ta : Alors comme ça vous venez de ces terres, au -delà de la Chine ?
E : Bien au-delà, oui, d’Europe, d’Espagne plus précisément, enfin, pour ma part, parce que Tao et Zia viennent encore de plus loin, de terres situées entre deux océans, dont l’un borde le Japon d’ailleurs.
Ta : Alors nous sommes voisins, ou tout comme !
T : Lointains, mais on peut dire ça…
Ta : Moi, je ne me suis jamais éloigné de nos côtes. La mer est trop dangereuse. Mais vous, vous osez la braver. Je vous admire, même si je pense aussi qu’il faut un peu de folie pour faire cela.
E : Nous avons voyagé dès notre enfance, bien malgré nous. Alors, on s’habitue…mais c’est vrai qu’il faut être un peu fou pour s’aventurer sur les mers, quitter son pays, ceux qu’on aime…certains hommes n’hésitent pourtant pas à braver le danger.
Mar : Comme Mendoza, Sancho et Pedro. Comment vont-ils d'ailleurs ?
Z : Sancho et Pedro vont bien, leurs affaires commerciales et viticoles sont vraiment fructueuses. Ils sont devenus intraitables en affaires. Quant à Mendoza il a repris la mer…
Elle hésita, mais préféra ne pas en dire plus. Mariko perçut sa gêne et n’insista pas.
Mar : Toujours sur les mers, donc…
E : Eh oui, on ne se refait pas. Mais tu les reverras bientôt, enfin…
Il en avait trop dit : il se tourna vers sa fiancée, quettant son approbation. Zia ne s’était pas attendue à aborder le sujet ainsi, mais comme Esteban hésitait à continuer, elle se lança.
Z : Ce qu’Esteban veut dire, c’est qu’il y aura bientôt une grande occasion où nous pourrions être réunis, si tu le souhaites, et si tu le peux, bien sûr. C’est pour te l’annoncer que nous sommes revenus te voir, mais… nous aurions aimé qu’Ichiro soit là aussi, cela le concerne également. Mais puisqu’Esteban a abordé le sujet….
Mar : Ichiro?....
Elle avait presque crié son nom. Puis, se cachant le visage dans les mains, elle quitta précipitamment la pièce, laissant ses amis dans l’embarras. Visiblement, elle avait fait bonne figure toute la soirée, mais cachait derrière ses sourires et son entrain un chagrin dont ils ne s’étaient pas doutés. Zia s’en voulut et fit mine de se lever pour la suivre, mais Tadashi la retint doucement.
Ta : Mariko n'a pas perdu que son grand père pendant votre absence...
E : Qu'est-ce que tu veux dire ? Ichiro serait…
Ta : Oui. Il y a deux semaines, il partait en mer et il s'est noyé. Malgré les recherches nous n'avons pas eu la chance de retrouver son corps... Non seulement perdre son frère a beaucoup affecté Mariko mais le fait qu'on ne soit pas en mesure de lui offrir une sépulture décente lui permettant un repos dans le monde des esprits a été très dur à vivre, même si elle a décidé de n’en rien montrer et de se faire une raison. L'idée que l’âme d’Ichiro devienne un de ces fantômes qui erre à jamais dans notre monde la fait beaucoup souffrir et je ne sais pas comment la rassurer davantage. J’ai beau lui dire que nous n’avons ressenti aucune présence, aucun phénomène étrange ces derniers temps, et qu’il est probable que ses prières aient apaisé Ichiro, je sens bien qu’elle fait semblant de m’approuver, mais qu’au fond d’elle, l’angoisse est immense. Vous savez, au Japon, on apprend à faire bonne figure, pour ne pas déranger les autres avec nos ennuis. Mariko ne veut pas montrer sa peine. Alors moi aussi j’évite d’en parler, car je sais que cela ravive son chagrin et que cela lui coûte d’essayer de se maîtriser devant moi. La blessure est trop récente. Mariko se désespère de ne pas pouvoir suivre la coutume, en l’absence du corps… C’est bien triste…Je prie pour que cela lui passe. Ce soir, j’ai été surpris de la voir si heureuse, en rentrant, et j’ai joué le jeu, moi aussi. Je suis désolé que la soirée se termine de cette façon…
Z : Ce que vous faites est très bien Tadashi. La rassurer que l'âme de son frère ne risque rien. Même sans sépulture. C'est ce que nous ferions aussi, et d'ailleurs nous le ferons dès demain.
Ta : Je vous remercie infiniment Zia. Votre amitié aidera sûrement Mariko à se sentir mieux. Enfin je l'espère. Vous voyez ce bouquet de chrysanthèmes ? Chaque jour, depuis deux semaines, elle change les fleurs, et prie pour le repos de l’âme d’Ichiro. Je sais qu’elle s’y reprend à plusieurs fois pour arranger le bouquet, comme si pendant ce temps elle était auprès de son frère.
Z : Je vous promets qu'on fera de notre mieux pour l'aider. Nous allons vous laisser à présent, Mariko a sans doute besoin de vous. Nous reviendrons.
Ta : Non, restez je vous en prie ! Ne prenez pas de risques inutiles, si vous tombiez sur une patrouille…et puis, je suis sûr que c’est ce que Mariko souhaite. Je ne veux pas qu’elle ait d’inquiétudes inutiles à votre sujet. Pour ce soir, faites-moi l’honneur de rester.
Il s’inclina profondément. Le trio était bien embarrassé. Cela signifiait qu’Indali et Marie allaient devoir passer la nuit seules, et qu’elles s’inquiéteraient probablement. D’un autre côté, il était risqué pour eux de multiplier les trajets. Finalement, ils prirent le parti d’accepter l’hospitalité de leur hôte. Tadashi partirait avant l’aube. Leur présence, dans ces circonstances, serait peut-être un réel réconfort pour Mariko, dont la blessure venait d’être ravivée. Tadashi les remercia gravement : il était soulagé de savoir que sa femme ne passerait pas encore une journée seule et qu'au contraire elle serait en bonne compagnie, que cela l'aiderait peut-être à reprendre le dessus. Il les quitta ensuite pour aller chercher les futons et les couvertures dont ils auraient besoin. Puis il se retira auprès de Mariko en s’excusant de les laisser seuls.
T : Eh bien…je ne sais pas ce que je dois penser de cette journée.
Z : Tant de tristesse et de joie mêlées…
E : J’espère seulement qu’Indali et Marie passeront une bonne nuit. Quant à moi, je n’en suis pas sûr.
T : Plains-toi ! Au moins Zia est auprès de toi…
Z : Nous rentrerons au condor avec Mariko demain, dès que possible. C’est la meilleure solution. Réveil à l’aube !
T : J’approuve la proposition. Tu es la meilleure, Zia.
E : Oui, il n’y a pas que Tadashi qui a de la chance…