ha bah oui... ça pour des malades, je pouvais pas mieux tomber !
Au moins ici, je me sens normale !
Bon... courage courage... j'ai pris ma plume... donc :
Quand la lumière disparut, Marinchè se serra de plus belle contre le mur.
Et de son côté, Calmèque, toujours détrempé, du consentir à se rassoir par terre pour ne pas mouiller sa couchette.
Il ferma les yeux. Il n'avait plus envie de penser à rien.
Au bout d'un long, très long moment, la voix un peu calmée de la miss tinta de nouveau.
-C'est Mendoza qui est là-haut ?
Calmèque ré-ouvrit un œil et ne lui répondit qu'au bout d'une bonne minute.
-Oui...
Il lui aurait bien demandé si sa présence à elle avait un rapport avec celle du navigateur, mais se ravisa.
-J'ai reconnu sa voix, lâcha-t-elle comme pour couper court à tout ce qui pouvait bien passer par la tête de l'Olmèque. J'avais que ça à faire, écouter les gens parler.
-J'ai rien dit...
-Non mais j'entends ton petit cerveau tordu tirer des conclusions grotesques jusqu'ici... siffla-t-elle.
Il ne renchérit, pas. Ça ne servait à rien. Elle avait passé de mauvais moment durant ces dernières années, un mois pourri claquemurée comme dans un cercueil, à en juger par les petites blessures qu'elle avait sur le corps, elle avait du se faire attaquer plus d'une fois par les rats et si on la trouvait, elle serait balancée par dessus bord... on pouvait concevoir qu'elle soit de mauvaise humeur.
Il fut alors pris d'un frisson. Et décida d'ôter sa veste et sa chemise.
De suite, Marinchè ne discernant pas grand-chose dans le noir s'inquiéta.
-Qu'est-ce que tu fous ?
-Je suis détrempé et j'attrape froid... c'est un crime ?
-Si tu me touche, je te...
La voix se voulu très menaçante, mais elle se savait en position d'infériorité évidente et ne poursuivit pas. Que pourrait-elle faire au juste ? Il n'était pas bien grand et costaud, mais il avait quand-même sûrement plus de force qu'elle... surtout en ce moment, affaiblie qu'elle était par la faim, la peur et la fatigue cumulées...
L'Olmèque leva les yeux au ciel.
-J'ai des défauts, mais je ne les ai pas tous... soupira-t-il d'une voix désabusée.
Et comme pour achever de la rassurer, il ajouta :
-Et puis... sans vouloir vous vexer, dans votre état... vous ne donnez pas fort envie...
La fin de sa phrase se fondit dans un petit rire moqueur. Il s'en voulu presque aussitôt, ce n'était pas très sympa, mais elle l'avait bien cherché cette pimbêche...
Il frissonna encore une dizaine de minutes puis sentit que la fatigue le gagnait. De son côté, la passagère clandestine ne disait plus rien, renfrognée dans son coin, parfaitement silencieuse, on aurait presque pu oublier sa présence.
Il se réveilla en sursaut. La tempête semblait avoir laissé place au calme.
On frappait à la porte. Lourdement. Il fallut qu'il soit dans un profond sommeil pour ne se réveiller que maintenant.
-Calmèque bon dieu ! Ouvre cette porte ou je l'enfonce !
Mendoza n'avait pas l'air de bonne humeur... il se tourna et découvrit une masse figée sous les draps de sa couche...
"Elle manque pas d'air !"
Il se releva, un peu raide et dégagea le loquet de la porte en se tenant la nuque.
Le regard courroucé de Mendoza l'accueillit.
-On peut savoir à quoi tu joues ?
Il lui tourna le dos, peu enclin à se faire engueuler une fois de plus et ralluma la lampe à huile. Sans un mot il récupéra ses effets restés à terre, parfaitement secs à présent, et se rhabilla sans hâte.
Mendoza était maintenant statufié devant la forme planquée sous les draps. Muet de stupeur.
Ensuite, les yeux de Mendoza convergèrent dans la direction de l'Olmèque.
Sentant le coup de semonce arriver, Calmèque, suivi du regard par le navigateur, referma la porte derrière lui.
Puis l'Espagnol parvint à articuler.
-Pendant que je risque ma vie, monsieur s'envoie en l'air ?
Calmèque affichait une expression étrange et ne répondit rien tandis que l'Espagnol en deux enjambées avait rejoint la couche et arraché le drap avec humeur.
Dès qu'il vit ce qui se cachait dessous, il détourna le regard et pris un air dégouté.
-Et avec un homme en plus, tu me répugnes...
Calmèque se contenta de sourire, goguenard, la situation avait quelque chose de cocasse, mais son intuition lui prédisait qu'elle risquait de devenir explosive d'ici peu, aussi jugea-t-il le moment opportun pour aller voir ailleurs.
-Je... j'ai besoins de prendre l'air... ça me fera du bien, assura-t-il en ré-ouvrant la porte.
-Toi, tu restes ici ! ordonna le navigateur.
Mendoza s'apprêtait à le rattraper quand la voix de Marinchè l'arrêta net dans son élan.
Il se retourna comme un automate, ayant reconnu cette voix qu'il connaissait trop bien.
On entendit les mouches voler.
Marinchè était misérable, les yeux implorants en direction de l'Espagnol. Elle avait l'air d'un chien battu. Les cheveux coupés trop courts, n'importe comment et de surcroit dégoutants. Couverte de plaies plus ou moins visibles sous ses guenilles crasseuses, elle était très amaigrie et avait le teint cireux. Elle tremblait, sans doute de peur, mais aussi peut-être de froid. On aurait dit qu'elle allait se mettre à pleurer.
Elle faisait vraiment pitié.
Et c'est, profitant de cette diversion, que Calmèque s'éclipsa en silence.
Mendoza le retrouva accoudé au bastingage sur le pont près de la proue, plus de deux heures plus tard. Le soleil crevait les nuages ici et là et il ferait sans doute beau d'ici peu.
Il s'accouda à côté de lui, la moue aux lèvres.
Un rayon se soleil plus hardi que les autres parvint à se frayer un chemin à travers la trame nuageuse et vint frapper leurs visages un instant, puis le reste du pont avant de disparaître, happé par le ciel.
-Tu sais que de dissimuler un clandestin est passible du même sort que celui de l'incriminé...
Sa voix était calme. Presque trop.
-Vous dites ça pour moi ou pour nous ?
L'Espagnol observa le silence encore un moment, comme cherchant lui-même la décision à adopter.
-Il reste encore deux bons mois de traversée, quelqu'un finira forcément par remarquer sa présence, déjà qu'il y a des soupçons...
-Oh Mendoza... je ne vous imaginais pas si poltron. Comme si ils allaient balancer leur navigateur à la flotte...
-Premièrement après avoir dépassé le Détroit de Magellan, n'importe quel marin expérimenté sera en mesure de mener ce navire à bon port. Et puis deuxièmement... il s'interrompit.
-Oui ? Et puis deuxièmement ?
-Laisse tomber...
Mais loin de laisser tomber, Calmèque vissa ses yeux dans ceux de l'Espagnol et attendit. Bien décidé à savoir.
Mendoza fit mine de ne rien remarquer mais savait qu'il en avait trop dit ou pas assez.
Agacé, il lâcha le morceau.
-Deuxièmement, cette femme n'en vaut pas la peine. C'est une vipère qui ne manquera pas de nous poignarder dans le dos dès que la direction du vent aura changé.
Calmèque eut un rire amusé.
-À vous entendre, vous la détestez encore plus que moi...
Mendoza serra le poing sur le bastingage comme pour appuyer ses dires.
-À côté d'elle, t'es un enfant de cœur. Marinchè est une salope qui n'a pas une once de principe ! Et il est hors de question que je risque ma peau pour elle !
Une sorte de colère excessivement bien contenue animait Mendoza et Calmèque se fit la réflexion que l'Espagnol ne l'avait pas habitué à un tel comportement. Il fallait que son ressentiment soit profond pour réagir de la sorte.
Il le dévisagea alors un long moment puis... une curieuse expression se dessina sur les lèvres de l'Olmèque.
-Meeerde... lâcha-t-il... décelant le fin mot de l'histoire derrière cet excès d'humeur. Vous avez eu une aventure...
-Quoi ? faillit s'étrangler Mendoza.
-Si si si... c'est ça ! Assura-t-il en croisant les bras, s'efforçant de ne pas parler trop fort mais quasi hilare. Vous la détestez beaucoup trop, c'est pas normal !
Mendoza serra les dents, se pencha vers lui et faillit lui balancer une salve d'insultes qui resta calée dans sa gorge.
-N'importe quoi ! réussi-t-il à éructer avant de faire voler sa cape dans un mouvement brusque et de s'en aller, vert de rage.
Mendoza parti se calmer à l'autre bout du pont, feignant de surveiller le cap.
Et le soleil sortit son nez pour de bon.
Calmèque en profita pour détacher ses cheveux, qui maintenus en catogan restaient humides depuis la veille.
Il les avait aussi lisses qu'un asiatique et de couleur à mi-chemin entre le châtain et l'auburn.
Il considéra les manches de sa chemise et les trouva un peu trop froissées à son goût. Il passa deux trois fois ses mains dessus en vain, le vêtement était sec, il aurait fallu le remouiller et...
"Il y avait plus grave..."
Il s'étira alors discrètement, il se sentait courbaturé de partout pour avoir dormi assis.
Sa nuque lui faisait mal et ne parlons pas de son dos...
Il se dit alors que l'espagnol avait vraisemblablement passé une nuit blanche et lui lança un regard. Il plissa les yeux, le soleil commençait à bien taper.
Mendoza n'était plus là.
Peut-être était-il parti rejoindre le quartier des officiers ou la cabine du capitaine afin de prendre son petit déjeuner...
Tandis qu'il laissait vagabonder ses pensées en scrutant le large, une voix le héla poliment.
-S'il vous plaît...
Il se retourna et découvrit une jeune femme cachée sous une ombrelle. Elle était vêtue de foncé et sa peau était diaphane. Elle avait le port altier et un petit accent indéfinissable.
Il lui sembla qu'elle souriait, mais il n'en était pas sûr.
Elle détourna lentement la tête, les yeux dans le vide.
"Mmm..." souffla-t-elle.
Puis elle le regarda à nouveau et lui tendit d'un mouvement délié, une lettre cachetée à la cire.
-Vous remettrez ça à votre maître, le Navigateur.
Un peu perplexe, Calmèque se saisit de la missive tandis que la jeune femme s'en retournait déjà vers les cabines.