FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

C'est ici que les artistes (en herbe ou confirmés) peuvent présenter leurs compositions personnelles : images, musiques, figurines, etc.
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Seb_RF
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Seb_RF »

Décidément Vivi j'adore tes impressions en cour de lecture son toujours de pur merveille !
Et je me fend la poire à chaque fois ses juste génial !

Tu est la seul avec nonoko à réussir à me faire rire comme ça , et ce n'est pas rien je te le garanti...
note serie:
MCO1: 18/20

Trahison/Insulte totale:
MCO2: 7/20
MCO3: 4/20
MCO4: 3/20 (et je suis "gentil" par ce qu'il y a les effets visuels)

Fanarts: viewtopic.php?f=14&t=2301 :x-):
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nonoko
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par nonoko »

Après une petite absence, voici enfin la suite, et il y aura encore une 4ème et une 5ème partie bientôt (donc, Akar, le chapitre 16 sera fini à la partie 5, à moins que je ne change d'avis :x-): )
Chaltimbanque, tu m'as soufflée, là, tu n'as pas attendu la fin du chapitre pour commenter! Super contente! :D Du coup je t'ai fait attendre, :oops:
Tu vas savoir bientôt d'où vient le titre du chapitre! En fait, je l'ai mis complètement par hasard, sous le coup d'une inspiration soudaine, mais finalement, c'est un bon titre, puisqu'il t'a interpelée :x-):
Merci encore pour tes commentaires, je le redis encore et encore, mais c'est trop l'fun à lire! Bon, faut que je rattrape mon retard à moi dans les commentaires... :oops: :oops:


Troisième partie.

I : Combien de caisses as-tu vues ?
N : Trois, quatre, je ne sais plus…Quelle importance à présent ? Personne ne pourra plus les atteindre…
I : Tu as risqué ta vie bien inutilement. Je suis désolée. Mais toi et tes amis, vous serez payés. Je vais vendre une partie de la cargaison ici.
N : Vous pouvez garder votre argent, vous en aurez besoin plus que moi. Moi, j’ai un travail, je peux toujours me débrouiller…
Isabella sourit. Venant de Nacir, cette sollicitude ne la dérange pas, elle lui fait même du bien. Cela lui ferait presque oublier sa visite à Nakibullah, à la prison du fort. Assise près du jeune homme dans la grande salle de l’hôpital, elle prête à peine attention aux gémissements et aux plaintes qui s’élèvent des paillasses voisines. L’odeur n’est certes pas des plus agréables, mais à côté de la pestilence des souterrains du fort, elle n’est pas vraiment dérangeante. Les Hospitaliers semblent s’y connaitre en herboristerie et leur hôpital est aussi sain et bien tenu que possible. Quand elle a demandé à voir Nacir, Isabella redoutait qu’on le lui interdise. Elle avait déjà dû insister pour accompagner Gabriel d’Aubusson et Fabrizzio del Monte à la prison. En fait, elle ne leur avait guère laissé le choix, et ils n’avaient pas osé la forcer à rester enfermée à la maison. Quand elle était arrivée à destination, elle avait presque regretté qu’ils ne l’aient pas fait. Et quand elle avait voulu se rendre à l’hôpital, elle avait redouté d’y être confrontée à la même puanteur. Mais la puanteur des corps n’est rien comparée à celle des âmes. C’est cette odeur-là qui persiste en elle, imprégnant son esprit sans qu’elle puisse s’en débarrasser. Même si Nakibullah n’est plus face à elle.
Des hommes comme lui, elle en a croisé des centaines. Elle devrait être habituée. Immunisée. Elle est restée impassible, n’a pas dit un mot, laissant à ses compagnons le soin de s’adresser au prisonnier. Comme elle l’avait prévu, sa seule présence a suffi à lui délier la langue. Il est trop heureux de prendre sa revanche en tentant de la faire souffrir. Que lui a dit Mendoza ? Que sait-il de leur relation ? Peu importe, il lui a parlé, c’est la preuve qu’il est vivant. Le pirate s’est fait un plaisir de leur confirmer la vente prochaine à Benghazi, se proposant même pour les accompagner afin de ne perdre aucune chance de reconnaître la galère de Galifredi, et pour consoler Isabella au cas où son chéri aurait eu la malchance d’être déjà vendu. Il les a aussi complaisamment mis en garde contre son camarade, qui a la fâcheuse habitude de changer de plan comme de chemise, et a peut-être mis le cap sur une autre destination, à moins qu’il n’ait décidé après tout de garder les deux marins pour lui. C’est qu’on s’ennuie ferme parfois à bord. Isabella en a assez entendu, et s’éloigne en tentant d’ignorer les sarcasmes crachés par Nakibullah. Elle regrette que les chevaliers n’aient que l’intention de le vendre au lieu de le pendre. Imaginer qu’il subisse le même sort que Mendoza n’est qu’une bien maigre consolation. Elle se jure de ne pas toucher d’un doigt l’argent qu’elle pourra ainsi récupérer.
N : Je suis désolé…je ne voulais pas dire ça…bientôt, le capitaine Mendoza sera là, et vous n’aurez plus à vous préoccuper de rien, il s’occupera de vous…mais mon argent, c’est pour rembourser les chevaliers…je veux vous aider…
I : C’est très généreux de ta part…mais nous ne savons pas s’ils vont réussir à le retrouver, et à le racheter. Je n’accepterai ton argent que s’il revient. Moi aussi, je peux me débrouiller, ne t’inquiète pas.
N : Même sans le trésor ?
I : Il vaut peut-être mieux que nous ne l’ayons pas récupéré. Cela n’a été qu’une source d’ennuis, depuis le début.
N : Pas pour moi…
Au regard qu’Isabella lui jette, Nacir regrette aussitôt ses paroles. Il doit la détromper, vite, il ne supporterait pas son mépris.
N : Ne vous méprenez pas…j’ai fait votre connaissance et…
Il comprend qu’il s’enfonce. Quel idiot !
N : et celle du capitaine Mendoza !
Ces derniers mots prononcés à toute allure avec l’énergie du désespoir provoquent l’hilarité soudaine de la jeune femme. Nacir se demande si c’est bon signe. Il attend que le calme soit revenu pour tenter une nouvelle explication.
N : Je veux dire que…je vous admire beaucoup, tous les deux, et je donnerais ma vie pour vous ! Et ce que j’ai vécu avec vous…c’est inespéré pour moi !
I : Tu as été piqué par le démon de l’aventure, toi aussi…je ne peux pas te le reprocher...cela te fera quelques souvenirs…mais crois-moi, tu seras plus tranquille de retour chez toi.
N : De retour chez moi…on peut pêcher des éponges ailleurs que là-bas, non ? Des éponges, ou autre chose…
I : Qu’est-ce que tu as en tête ?
N : Quand le capitaine sera revenu, vous pourriez m’emmener avec vous, je pêcherais pour vous, vous revendriez ça pour payer vos dettes…
I : Tu me proposes de l’esclavage volontaire ?
N : J’y trouverais mon compte !
I : L’aventure, hein ?
N : Oui….
I : Eh bien, je te promets d’y réfléchir, et d’en parler au capitaine.
Elle se lève soudain pour prendre congé.
N : Attendez ! Je voulais vous dire…
Le jeune homme hésite. Doit-il parler de cela ? Quelle importance, à présent ? Mais il a besoin de partager cela avec quelqu’un. Il a besoin de prolonger cet instant d’intimité avec elle, autour de son rêve d’aventure. Ce sera leur secret. Il se lance.
N : J’ai trouvé autre chose au fond de l’eau. Il n’y avait pas que des lingots.
Il a capté son attention. Il poursuit, le cœur battant. Elle l’écoute avec intérêt.
N : Avant que les caisses ne soient heurtées, j’ai vu un coffret dans celle où j’avais pris le lingot. J’allais le prendre aussi quand tout a été chamboulé. Tout a volé autour de moi… j’ai vu le coffret s’ouvrir, et un objet s’en est échappé. Un objet doré, circulaire…
I : Un médaillon ?
N : Non…enfin, je ne crois pas…cela ressemblait plutôt à un anneau…ou un bracelet, peut-être…vu la taille…
I : Un objet précieux de plus qui nous échappe…mais des bracelets et des anneaux en or, on en trouve plus facilement que des lingots ! Oublie ça, Nacir…
N : Je le tenais…j’avais réussi à l’attraper, je l’avais là, dans ma main ! Il était si…
I : Brillant ? Doré ?
Le ton est sarcastique. Nacir se concentre, il essaie de rassembler ses souvenirs.
N : Oui, mais, ce n’est pas ça, il y avait quelque chose de particulier, une surface plate d’un côté, et légèrement bombée de l’autre…avec des signes gravés !
I : Que tu n’as bien sûr pas pu déchiffrer, dans ces circonstances, évidemment…c’était probablement du grec ancien, ou du latin, ou de l’égyptien, ou du chaldéen, bref, rien de plus banal. Tu sais déchiffrer ces écritures ?
N : Non…vous avez probablement raison, mais je sais qu’il avait un autre détail qui m’a intrigué. J’ai senti comme des petites bosses sur la face plate, espacés régulièrement, mais ce n’était pas ce qui m’a vraiment étonné. Attendez…C’est ça ! Le bord intérieur de l’anneau était cranté ! Et on aurait dit qu’il y avait deux cercles superposés ou imbriqués l’un dans l’autre, cela ne ressemblait pas à un bijou, on aurait de la peine à y passer le poignet, même sans les crans, c’est ce que je me suis dit, je voulais justement le faire pour ne pas le perdre, mais à ce moment-là j’ai été heurté par quelque chose, j’ai lâché l’objet…je ne sais plus ce qui s’est passé ensuite exactement.
I : Hum…seuls les crabes le savent. Ils auront tout leur temps désormais pour étudier ce mystérieux objet et déterminer à quoi il pouvait servir, mais si tu veux mon avis, ce n’était qu’un bijou. Ou une pièce de quelque mécanisme dont nous ignorons la nature. Une pièce d’horlogerie peut-être ? Tu n’as jamais dû en voir…En tout cas, cette épave ne doit pas être si ancienne pour recéler un objet pareil.
N : Vous avez sans doute raison. Excusez-moi de vous avoir retenue. Vous devez être fatiguée.
I : Pas autant que toi. Repose-toi bien, je repasserai te voir.
Elle lui sourit, et sur cette promesse, elle le quitte, en espérant que Dieu soit aux côtés des chevaliers Romegas et Lastic.
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nonoko
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par nonoko »

Allez, je ne vais pas vous laisser sur votre faim...ma connexion est mauvaise, autant publier vite!

Quatrième partie.

Mathurin Romegas est nerveux. Cela ne lui ressemble pas. Peut-être s’est-il trop avancé en assurant à Jean de Valette qu’il mènerait sa mission à bien? Quand ils sont arrivés Tripoli, il s’est embarqué avec le chevalier de Lastic et quelques hommes choisis sur une fuste réquisitionnée, qui a l’avantage de ne pas arborer les couleurs de l’Ordre. Rapide et légère, la discrète embarcation est idéale pour longer la côte jusqu’à Benghazi dans les meilleurs délais. Romegas avait estimé que la Santa Martha avait une chance de rattraper la galère pirate durant le trajet jusqu’à Tripoli, mais la vigie n’a repéré aucun navire correspondant à la description. Comme il restait un peu de temps avant le jour du marché aux esclaves, Romegas a jugé, en accord avec Jean de Valette, que la meilleure stratégie consistait à s’y rendre en toute discrétion avec une nouvelle embarcation. Hors de la zone de Tripoli, les chevaliers ne sont plus en terre conquise. Cependant, ils s’aventurent parfois en territoire hostile, et en particulier à Benghazi, pour tenter de racheter des esclaves chrétiens. Pour cela, ils utilisent des intermédiaires qu’ils payent grassement et qui y trouvent leur compte, tout comme les vendeurs qui savent qu’ils peuvent faire monter les prix quand la présence dans les parages d’un chevalier de Malte a été signalée. Jean de Vallette a expliqué cela à Romegas, qui n’a jamais mis les pieds à Benghazi. Il lui a adjoint un habitué de ce genre d’expédition, un certain Umberto Babucci, un Sarde polyglotte qu’on confondrait aisément avec un pirate Sicilien ou un marchand Lybien : il adapte son langage et son apparence selon les interlocuteurs qu’il doit tromper. Romegas, de son côté, n’a rien à lui envier, il lui manque simplement la connaissance du terrain. Quant à l’expérience, il a déjà écumé les côtes crétoises et grecques pour la bonne cause. Il est vrai qu’il a fait plus de prisonniers ottomans qu’il n’a contribué à délivrer des prisonniers chrétiens, mais il se sent aussi à l’aise dans un combat naval ou terrestre que dans une mission secrète. Il adore se fondre dans une foule et être à la merci d’une erreur de compréhension ou d’expression qui le mettrait à découvert, même si cela est peu probable.

Mais alors qu’il débarque en compagnie de ses hommes à une bonne lieue de sa destination finale, il se sent plus nerveux que jamais. Thibaut de Lastic est resté à bord, il attendra leur retour avec la patience qui le caractérise. Cette côte désertique devrait rassurer Romegas, mais ne lui dit rien qui vaille. Il étouffe sous son costume d’emprunt depuis que le vent brûlant venu des terres a chassé la brise marine. Il aimerait mieux se diriger vers le port, ou ce qui en tient lieu, puisque Benghazi n’est guère qu’un amas de ruines où les bandits de tous bords se donnent rendez-vous en toute impunité. La proximité de la route des caravanes est une aubaine pour qui veut faire des affaires sans payer des taxes exorbitantes, puisqu’aucune administration réelle ne contrôle ce bout de terre autrefois riche. Comme sur tout le territoire de la Lybie, en dehors de Tripoli, les tribus régentent quelques portions de terre à leur guise. Autour de Benghazi, qui fut autrefois une colonie carthaginoise fertile au point d’être nommé Hesperida en référence au jardin des Hespérides, les friches ont gagné sur les cultures, cantonnées dans quelques hameaux. Le chef Ouerfelli s’accommode très bien de la situation, où il trouve son profit. Les caravaniers lui sont reconnaissants de ne demander qu’une faible pourcentage sur leurs transactions , quant aux pirates, ils trouvent aisément leur compte en se débarrassant de leur butin gênant ou superflu sans difficultés. Le marché aux esclaves en particulier est très prisé, même s’il n’a rien d’officiel comme celui d’Alger. C’est justement ce qui fait son intérêt : peu d’intermédiaires, des transactions simples, et l’assurance d’être payé, en monnaie ou en nature, les caravanes apportant leur lot de marchandises facilement échangeables.

Pour l’heure, la petite troupe gagne le campement d’un certain Ghemazi, un marchand qui a accepté de jouer les intermédiaires avec les chevaliers depuis quelques années. Babucci a expliqué à Romegas que sa caravane arrive toujours un jour avant le marché, et qu’on est assuré de sa collaboration pour une somme raisonnable. Le campement se trouve bien au lieu prévu. Il reste quelques heures avant le coucher du soleil et le début du marché à la chandelle. Romegas s’étonne que cette pratique ait cours dans un endroit pareil, où l’on semble se plaire à se passer de règles, mais Babucci assure que cela permet de faire monter les enchères plus rapidement et que les acquéreurs se prennent au jeu : on utilise des chandelles déjà bien entamées, et comme la transaction doit être réglée avant que la chandelle ait fini de se consumer, cela donne des séances plutôt animées, qui ne sont sans doute pas pour rien dans le succès de ce marché. Cette explication ne rassure en rien Romegas, dont la nervosité augmente : si en plus il faut rivaliser de vitesse avec les autres acheteurs, il préférerait se passer de cette étape et aller directement à la galère pirate, libérer les prisonniers grâce à une attaque surprise rondement menée et s’éclipser en trucidant tous ceux qui lui barreraient le passage. De cela, au moins, il a l’habitude, plus que de se fier à des intermédiaires qui en connaissent plus que lui. Il aime avoir la maîtrise des choses, or il craint que la situation ne lui échappe. Doit-il avoir vraiment confiance en ce Ghemazi ? Et ce Babucci l’irrite, avec sa démarche féline qui semble le faire glisser au-dessus du sol, quand Romegas a l’impression que chacun de ses pas pèse une tonne. Il est sûr que la senorita approuverait sa stratégie, et qu’elle préférerait éviter à ses compagnons l’humiliation d’une mise en vente. Mais Jean de Valette en personne l’a incité à suivre la procédure habituelle. Rien ne garantit que la galère soit à Benghazi. Il est inutile de prendre des risques inconsidérés : mieux vaut passer d’abord par Ghemazi pour une première approche. Si la galère est là, il saura se renseigner en toute discrétion. Il pourrait même commencer à négocier le prix d’achat, et se mettre d’accord avec le vendeur pour que la transaction se fasse en sa faveur quoi qu’il arrive. Romegas et ses hommes ne sont là que pour le cas où cela tournerait mal. Mais cela n’est jamais arrivé. Quand ils auront récupéré les prisonniers au campement de Ghemazi, ils repartiront en toute discrétion vers leur navire. Romegas se surprend à prier pour que cela se passe ainsi, même si son épée le démange. Un petit imprévu qui lui permettrait de prouver sa vaillance aux yeux des hommes qu’il doit libérer ne lui déplairait pas. Il imagine déjà ce Mendoza en faire le récit à la senorita Laguerra. Mais il se reprend, le voilà en pleine crise de vanité. Il redouble ses prières.

La nuit est tombée. Ghemazi a confirmé la présence de la galère, mais il lui a été impossible d’approcher qui que ce soit à bord. Le capitaine, un certain Galifredi, a cependant fait courir le bruit qu’il proposerait des marchandises de choix, et qu’il n’admettrait pas de négocier sur le prix. Ce serait au plus offrant, au moment de la vente, et pas avant. Romegas a faussé compagnie à Babucci pour aller se rendre compte par lui-même de la situation, mais quand il arrive aux abords du village, il réalise que la foule converge déjà vers le marché. Il est trop tard, il va falloir assister aux enchères. Il réfléchit un instant : il a gardé la bourse contenant la somme donnée par Juan de Homedes en vue de la transaction. Ghemazi est censé mener l’affaire, mais puisque c’est lui, Romegas, qui a l’argent…d’ailleurs il n’aperçoit nulle part ni le marchand, ni Babucci. Ils arriveront sans doute plus tard. Autant prendre place dès maintenant. Ses hommes seront postés à l’écart, en arc de cercle autour de la foule pour parer à toute éventualité. Il les a choisis lui-même, il sait qu’ils n’ont pas froid aux yeux et qu’on peut compter sur eux en toute occasion, même quand ils sont saoûls. Sandro est de la partie, ainsi qu’un autre marin, Acario. Les deux autres sont des aspirants chevaliers, ce que lui-même était il y a peu. Ils sont enchantés et prêts à en découdre si nécessaire. Ce sont des Provençaux comme lui : Antoine Descalis et André Jeansaume. Pour Romegas, il s’agit de trouver le meilleur emplacement pour observer la flamme de la chandelle, tout en étant visible de ses hommes. Sur ce qui doit tenir lieu en temps ordinaire de place du village, une estrade est dressée, devant une bâtisse blanche tout en longueur, adossée à quelques cahutes qui s’étalent misérablement jusqu’au port. Romegas aperçoit quelques groupes venant des bateaux qu’il devine plus qu’il ne voit, mais il lui est impossible d’identifier qui que ce soit correspondant à la description sommaire qu’Isabella lui a faite de Mendoza. Il suppose que la plupart des hommes sont déjà enfermés dans la bâtisse, et vu le nombre d’individus à la mine patibulaire grouillant autour d’elle, il est inutile de tenter de s’en approcher. Un petit escalier sur la gauche permet d’accèder à l’estrade, vide pour l’instant, à part une table, à droite, sur laquelle sont posées des dizaines de chandelles à moitié consumées. Romegas pressent que la soirée va être longue. Il se poste du côté gauche, à mi-chemin entre l’estrade et la dernière bicoque qui délimite la place, sur un muret en ruine qui lui permet d’être suffisamment en hauteur pour observer les chandelles. Plusieurs hommes ont repéré la place de choix et s’agglutinent près de lui, mais sa haute taille lui permet toujours de dominer la scène. Il espère juste qu’ils n’ont pas l’intention d’entamer une conversation, car il ne se sent pas d’humeur pour les banalités. De son poste, il aperçoit enfin Ghemazi et Babucci. D’un signe de tête, ils lui font comprendre qu’ils l’ont vu, mais la foule est désormais trop dense pour qu’ils le rejoignent. Descalis, Jeansaume, Sandro et Acario se sont placés comme prévu à divers points stratégiques. Jeansaume est le plus proche de l’escalier et de Romegas. Il adresse un signe de connivence au chevalier. Il ne reste plus qu’à patienter. Si ce que Ghemazi a dit est vrai, il est peu probable que les marchandises de choix promises par Galifredi soient mises en vente en premier. Un homme âgé et bedonnant sort de la bâtisse blanche et gravit avec toute la majesté dont il est capable les marches avant de s’installer à la table. Romegas comprend bientôt qu’il s’agit du chef Ouerfelli, qui mène lui-même la vente. Il annonce que pour contenter tout le monde, les marchandises seront présentées selon une alternance entre produits de la mer et produits de la terre. Romegas croit avoir mal compris, mais l’hilarité générale lui fait saisir la plaisanterie : les caravanes amènent aussi depuis l’intérieur des terres africaines leur lot de marchandises humaines à écouler. Benghazi est une véritable plaque tournante du commerce d’esclaves, voués à servir des maîtres aussi bien en Méditerranée qu’en Asie, en Afrique ou en Arabie, voire en Europe. Romegas ne jurerait pas que tous les acheteurs présents ne sont que de vulgaires pirates ou des marchands orientaux, il lui semble bien distinguer quelques silhouettes qui ne dépareraient pas sur un marché d’un quelconque port français ou espagnol. Certains comptent sans doute se fournir ici à moindre coût, pour revendre la marchandise à des clients peu scrupuleux, qui n’ont pas encore compris que les esclaves sont une denrée rare qui ne devrait être issue que de la prise de guerre, et non faire l’objet d’un trafic. Du moins, c’est ainsi que les chevaliers conçoivent le commerce auquel ils se livrent par la force des choses : il faut bien écouler les captures de guerre et en tirer quelque profit. Ils ne peuvent pas se permettre de les nourrir à ne rien faire, et de plus en plus de particuliers trouvent à les employer utilement. A Malte, chacun y trouve son compte finalement. C’est du moins ce que Romegas se plaît à croire. Mais ici…Romegas est persuadé que l’appât du gain est la seule motivation de ces hommes qui hurlent des chiffres tout en s’insultant copieusement ou en riant grassement aux plaisanteries de Ouerfelli, qui ne manque pas d’inspiration pour amuser le public en lançant des commentaires douteux sur la marchandise.

Même si les chandelles brûlent vite, la soirée traîne en longueur et le chevalier a de plus en plus de mal à garder son calme face à ce spectacle désolant, où hommes, femmes et enfants sont exhibés sans ménagement et soumis à toutes les inspections réclamées par le public, qui veut les examiner à sa guise sous prétexte d’éliminer les tromperies sur la marchandise. Même si le chef Ouerfelli assure qu’il a inspecté en personne les lots, il cède complaisamment aux demandes et d’une main fait approcher des porteurs de torches qui éclairent les grappes humaines en faisant semblant de les serrer de trop près, ce qui provoque des protestations faussement indignées : on ne va tout de même pas brûler la marchandise ! La lassitude plus que le dégoût finit par s’emparer du chevalier. Blasé, il ne songe même plus à s’indigner de cette humanité dégradée, mais il fendrait bien en deux le crâne de quelques acquéreurs, à commencer par ses voisins qui participent bruyamment à l’ambiance festive. Pour se distraire d’une telle pensée qui risquerait de mettre en péril sa mission, il promène son regard sur la foule, en s’amusant à dénombrer les différentes sortes de couvre-chef et à calculer le pourcentage de chacune par rapport aux têtes nues. C’est alors que son attention est attirée par une tête unique en son genre. Il l’observe de longues minutes pour en être sûr, mais cela ne fait aucun doute : une femme se trouve parmi la foule. Intrigué, Romegas tente d’apercevoir son visage, en espérant se repaître d’un spectacle charmant, bien qu’il parierait plutôt pour une face burinée et sèche comme un pruneau. Il est agréablement surpris quand il constate que le front est lisse, mais il n’a pas le temps de s’attarder sur le reste du visage, caché par un voile qui recouvre également les cheveux, car sur l’estrade Ouerfelli demande le silence avec grandiloquence, afin d’annoncer comme il se doit le lot de choix promis par Galifredi. La voix du chef est couverte par les cris d’impatience, si bien que Galifredi en personne monte sur l’estrade. Romegas, comme le reste de l’assistance, retient son souffle. Le pirate jouit un instant du silence que son arrivée a provoqué, mais son plaisir est de courte durée. Il est bientôt apostrophé de toutes parts : « Hé, t’as pas fini de nous faire mariner ? Aboule la marchandise, espèce d’escroc ! Qu’on juge sur pièce ! » ; « C’est vrai ça, on a gardé nos fonds pour toi, alors t’as intérêt à pas nous décevoir ! » ; « A cause de toi, personne n’a fait monter les enchères ! Tu nous as fait perdre notre temps et notre argent, tu nous le paieras ! » ; « L’écoute pas, on a fait des affaires grâce à toi ! » ; « C’est vrai, moi j’ai eu trois galériens pour le prix de deux ! » ; « A ce compte-là, tu vas nous ruiner Galifredi ! J’te conseille de plus remettre les pieds par ici de sitôt ! » ; « Laisse la place aux professionnels, espèce de raté ! Paraît que t’as pas été fichu de capturer le dernier navire qui t’es passé sous le nez, et qu’en plus t’as coulé toi-même la galère de ton crétin d’associé ! »

Au milieu des sarcasmes, Galifredi conserve un calme olympien, qui fait bientôt taire ses détracteurs. Les rires se tarissent. Le pirate saisit l’occasion.
G : Messieurs, pour faire taire les mauvaises rumeurs que certains semblent avoir lancées dans le seul et unique but de me discréditer honteusement, je dirai pour ma défense que c’est bien malgré moi que le canon de ma galère a endommagé, fort peu heureusement, et pas au point qu’elle coule, la galère de mon confrère et cher associé Nakibullah, qui malheureusement ne peut être présent parmi nous ce soir pour assister au spectacle revigorant de la vente des deux hommes qui sont les seuls responsables de notre malencontreuse mésaventure, qui ne remet aucunement en cause nos compétences respectives en matière de piraterie, puisque nous avons pu capturer lesdits responsables et que nous nous apprêtons, enfin, que je m’apprête, en l’absence de mon cher collègue retenu pour des raisons techniques indépendantes de sa volonté, que je m’apprête, donc, disais-je, à les mettre en vente pour votre plus grande satisfaction et je l’espère mon plus grand profit ! Car, comprenez-le bien, en enchérissant sur ces deux fieffés suppôts de malheur, non seulement vous faites une œuvre de charité en me permettant de rentrer dans mes fonds fort entamés par les réparations requises par ma deuxième galère, mais vous contribuez à me venger, à nous venger nous tous qui sommes réunis ici ce soir, des humiliations que nous font subir ces chiens de Chrétiens et en particulier ces culs-bénis d’Espagnols qui sont aussi fiers que dangereux et qui méritent de subir les pires traitements au fond d’une mine, d’un puits, d’une galère ou d’un lit, à vous de choisir ! Et en prime, je dis bien en prime, c’est la fortune qui vous attend si vous m’achetez ces deux merveilles ! Non seulement ils sont beaux, jeunes et vigoureux, et peuvent être revendus autant de fois que vous le voulez pour un maximum de profit, à moins que vous ne souhaitiez les user jusqu’au bout, mais ils possèdent la clé d’un fabuleux trésor, une carte authentique qui les a mis sur ma route pour leur plus grand malheur, mais pour notre plus grand bonheur, à moi qui vais réaliser grâce à eux le plus grand profit de toute ma vie, et à vous qui allez acquérir trois trésors pour le prix de deux ! De quoi prendre sa retraite immédiatement ! Alors, n’hésitez pas, mettez le paquet, vous ne le regretterez pas !

Assommé par cette tirade débitée d’une traite, l’auditoire ne réagit tout d’abord pas. Galifredi en profite pour donner un signal, et bientôt Romegas voit sortir de l’ombre deux silhouettes nues, qui montent péniblement les quelques marches qui mènent à l’estrade, les pieds alourdis de chaînes, les poings liés par devant. Un cercle de métal enserre leur cou et les relie l’un à l’autre par quelques anneaux. Les torches font reluire leur peau copieusement enduite d’huile d’olive. Galifredi n’a négligé aucun détail pour mettre en valeur ses trésors, qui font docilement le tour de l’estrade avant de s’arrêter face à la foule, le regard fixe. Romegas fronce les sourcils : une telle passivité est étonnante, auraient-ils été drogués ? Une observation plus attentive dément vite cette hypothèse : le chevalier a décelé dans les yeux du plus jeune, qui doit être le pilote, Gonzales, une flamme qui ne trompe pas. Elle brille de l’éclat de la colère contenue, et donne au visage du métis une beauté insolente. A ses côtés, Mendoza est impressionnant de sérénité. Jambes légèrement écartées, fermement campé sur le plancher de l’estrade, il semble observer l’horizon comme dans l’attente d’une tempête qu’il est prêt à recevoir de plein fouet, sans bouger d’un pouce. Le chevalier esquisse un sourire : voilà donc les deux hommes qui ont risqué leur vie pour la Santa Catalina…ce navire décidément compte à son bord des spécimens fort intéressants, mâles ou femelle...et qui se plaisent à ridiculiser leurs adversaires. D’emblée, il est conquis par Mendoza. Cependant, Gonzales le trouble. Il tressaille : il vient de croiser le regard du métis qui, se sentant observé, plante ses yeux de feu dans ceux du voyeur. Romegas peste intérieurement : il brûle de soutenir ce regard insolent, mais se rend compte qu’il risque ainsi d’attirer l’attention sur lui. A regret, il baisse la tête.

G : Alors ? Que pensez-vous de mes trésors ? Etes-vous prêts à sortir vos bourses et à faire tinter vos pièces d’or ?

Le pirate s’apprête à donner le signal pour qu’Ouerfelli allume la chandelle, quand une voix dans l’assistance l’interpelle : « Eh, Gali, me dis pas que c’est les deux gars qui t’ont coulé ta galère ! Ils ont l’air doux comme des agneaux ! On leur caresserait bien le poil ! » ; « Ouais, c’est louche ça, tu les as drogués ou quoi ? T’avais peur qu’ils se barrent malgré leurs chaînes et qu’on dise partout que le Grand Galifredi est pas fichu de défendre sa galère contre deux types et de garder deux prisonniers ? » L’assemblée s’esclaffe.
G : Tu veux dire plutôt que t’as peur qu’ils te sautent dessus ? Mais ne t’inquiète pas, le Grand Galifredi maîtrise parfaitement la situation : les esclaves, il faut savoir leur causer. Après, t’en fais ce que tu en veux !
« Ouais, tu les as assommés avec tes discours, mais nous on sait pas bien causer comme toi, qui nous dit qu’ils vont pas nous créer des tas d’ennuis comme à toi ? J’ai pas envie qu’y m’coulent ma galère, moi ! Tu peux te les garder, espèce d’escroc ! »
Romegas sourit : la vente semble bien se présenter ; il va pouvoir les acheter facilement, et à bas prix qui plus est, si tous les acheteurs sont dans le même état d’esprit.
« Tu nous prend pour des crétins ! Tout ce que tu veux, c’est te débarrasser d’eux sur notre dos ! Et ton histoire de trésor, faudra que tu nous expliques pourquoi tu vas pas le chercher toi-même… »
G : Allons allons, messieurs, chacun son style : certains adorent la chasse au trésor, d’autres préfèrent des activités certes moins amusantes, mais qui ont l’avantage de rapporter assez pour vivre tranquillement…moi, je suis plutôt du second genre, et je vous envie, messieurs les marchands, croyez-le bien. Je ne rêve que d’une chose : pouvoir devenir un honnête commerçant. Un trésor, tout le monde en rêve, n’est-ce pas ? Mais j’ai déjà failli perdre une galère, je ne peux pas me permettre de prendre des risques supplémentaires : tout ce que je souhaite, c’est un peu d’argent à partager avec Nakibullah, mon pauvre compagnon d’infortune, quant au trésor, c’est cadeau, bonus, à vous la fortune ! Regardez ! Vous voyez cette petite bourse pendue au cou de ce superbe métis ? Un homme vigoureux, courageux, qui s’est battu comme un lion à cinq contre un ! Eh bien, la carte est là, bien à l’abri, tenez, je vous la sors, pour que vous voyiez bien que je ne vous mens pas. Le pauvre, il allait le chercher son trésor, quand il a croisé notre route…la vie est parfois cruelle…ce trésor, il était à portée de main, et hop, c’est l’un de vous qui va bientôt en profiter ! Allez, n’hésitez pas ! Que la vente commence !
Tout en brandissant la carte, il fait signe à Ouerfelli d’allumer la chandelle. Romegas se prépare, persuadé que l’affaire sera vite réglée.
G : Mise à prix pour ces deux spécimens en parfaite santé et dont la qualité n’est plus à démontrer, et c’est un prix d’ami, deux cent écus !
Un murmure d’indignation parcourt l’assemblée : « Deux cent écus chacun ? Tu te fous de nous ! Garde-les, tes lions, on veut pas se faire bouffer tout crus, nous ! »
G : Allons allons, je me suis fait mal comprendre, je vends le lot à deux cent écus, et je vous assure qu’ils les valent ! Sans compter le bonus du trésor ! Vous ne regretterez pas votre achat !
« Parce qu’en plus il faut acheter la paire ? C’est louche, ça, pourquoi tu veux nous refourguer ces deux-là ensemble ? Va falloir déjà s’accrocher pour en mater un, si j’ai bien compris, alors deux…à moins qu’ils sachent faire des trucs spéciaux à deux…allez, on veut une démonstration, ah ah ah ! »

Romegas en a assez entendu : il est temps de mettre fin à cette comédie humiliante.
G : Il parait que le métis est un excellent chirurgien, si tu veux qu’il te fasse une démonstration en t’ouvrant le ventre , je me ferai un plaisir de lui prêter de quoi procéder à l’opération…Allons allons, messieurs, le temps presse, la flamme se consume, deux cent écus, c’est une affaire, vraiment, n’hésitez pas, vous ne le regretterez pas ! Ah, là, là, une main se lève, voilà enfin quelqu’un qui a compris que la fortune sourit aux audacieux !
Romegas a été pris de court : Ghemazi a été plus réactif que lui. Peu importe, pourvu qu’il remporte la vente. Déjà quelques mains se lèvent, on renchérit de quelques écus, prudemment. Ghemazi met la barre plus haut pour décourager ses quelques concurrents, qui laissent tomber les uns après les autres. Romegas se détend. On en est déjà à 300 écus, une somme conséquente. Après tout, cette mission se déroule sans accrocs. Un jeu d’enfant.
« 350 écus ! »
Un murmure parcourt l’assemblée. Romegas retient son souffle. Cette voix…
« 360 ! »
Ghemazi ne s’est pas laissé impressionner.
« 380 ! »
Cette fois, pas de doute : c’est bien la femme. Elle a levé la main. Les têtes se tournent vers elle. Ghemazi ne se laisse pas abattre, il suit, imperturbable, mais le prix s’envole, hors de son contrôle, poussé par la voix féminine autoritaire. Sur l’estrade, Galifredi jubile. Ouerfelli s’éponge le front : si les prix montent trop, plus personne ne viendra à son marché. Il jette un œil sur la chandelle : il y a encore de la marge…On en est à 450. Ghemazi hésite.
G : Allez allez messieurs, n’ayez pas froid aux yeux, voyez comme mes étalons intéressent la dame ! En voilà une connaisseuse ! Je vous le dis, vous pourrez les revendre dix fois leur prix d’achat ! Et vous n’allez pas laisser une femme vous piquer le trésor sous le nez !
R : 470 !
Romegas s’est lancé. Il sait qu’il peut monter jusqu’à cinq cent. Le temps presse, il ne reste presque plus de mèche à brûler.
Impitoyable, elle monte à 480. 490. 500. Un temps de silence, le temps d’un espoir. 510. Le chevalier fait ses comptes, il est prêt à suivre s’il le faut. 520. Babucci lui lance des regards inquiets. Ghemazi hausse les épaules. Cette affaire ne le concerne plus…sauf si les chevaliers veulent lui emprunter de l’argent, auquel cas il calcule déjà le taux d’intérêt qu’il appliquera. 600. Romegas sent son pouls s’accélérer. Jusqu’où cette maudite voix va-t-elle le pousser ? Il enrage de ne pouvoir tirer son épée pour la faire taire. Ce Galifredi doit être de mèche avec elle, et il est tombé dans le panneau. Si on l’avait écouté, il aurait déjà occis cet escroc en toute discrétion et se serait enfui avec les prisonniers. 650. Il suit, mais sa voix se fait de plus en plus menaçante. 700. 800. L’énormité de la somme le percute de plein fouet. Il ne réplique pas immédiatement. Ouerfelli en profite et tente d’annoncer la fin des enchères. Trois cris fusent en même temps. Galifredi a crié son désaccord. Romegas aussi. Mais le cri que tous ont entendu, c’est celui de Mendoza. Ce dernier semble furieux, et tous ont remarqué qu’il regarde dans la direction de l’acheteuse. Galifredi est le premier à réagir.
G : La vente continue, Ouerfelli ! La chandelle n’est pas encore consumée, et ces messieurs ont encore le droit de renchérir !
« 850 ! »
Elle n’a laissé à personne le temps de parler. Mendoza tourne alors la tête vers Romegas. Le message est clair, le chevalier n’hésite pas cette fois.
« 900 ! »
Il entend déjà Juan de Homedes le sermonner. Un rire s’élève.
« 950… »
Elle ose le narguer ! Il porte la main à son épée, prêt à descendre de son muret pour fendre la foule jusqu’à elle. Il sent qu’on le retient. Babucci est là, il secoue la tête pour marquer son désaccord. La scène n’a pas échappé à Mendoza. Ouerfelli a les yeux rivés sur la chandelle.
« Bon, Ouerfelli, tu te décides à arrêter la vente cette fois ? Honneur aux dames, moi j’veux bien lui laisser son lot, elle saura mieux y faire, pas vrai? J’comprends pas pourquoi t’es si acharné, mon gars, me dis pas que c’est le trésor qui t’intéresse, t’as compris que c’est une arnaque de Galifredi ? A moins que ce soit vraiment ces deux types qui t’intéressent, eh eh eh eh eh !!! »
Romegas bondit, prêt à venger l’affront qu’un moqueur vient de lui faire ; cette fois Babucci ne peut rien pour l’arrêter. Ouerfelli respire. Encore un peu, et la chandelle va rendre l’âme.
M : Eh, l’ami, on abandonne la partie ? Tu es prêt à laisser filer dix caisses de lingots d’or ? Je les ai vus de mes yeux vus, et si tu nous achètes, je te garantis que tu les auras, moi seul sait comment les récupérer. Galifredi espère que je vais le lui dire après la vente, mais je te jure que c’est à toi seul que je le dirai ! Dis ton prix !

Les paroles de Mendoza fauchent la foule, estomaquée. Galifredi en a le souffle coupé. Il est si outré qu’il ne parvient pas à répliquer avant que Romegas, rappelé à son devoir par cet ordre lancé d’une voix puissante, s’arrête net dans son élan et ne crie en retour : « Mille écus ! »
« Deux mille ! »
« Adjugé vendu pour deux mille écus à la dame ! La vente est terminée ! »
Ouerfelli s’éponge une dernière fois le front. Cette maudite chandelle s’est enfin éteinte. Galifredi ricane tout seul, ravi. La vente a dépassé ses espérances. Il n’en veut même plus à Mendoza pour avoir vendu la mèche. Qu’il aille au diable avec son trésor, le pirate a décidé de s’acheter un lopin de terre, au pays, et d’offrir à sa vieille maman, si elle est toujours en vie, la coiffe en dentelle dont elle a toujours rêvé. Et si elle est morte, ce sera toujours ça d’économisé. Il s’approche de ses prisonniers, le sourire jusqu’aux oreilles.
G : Félicitations, les gars, vous venez de battre un record ! ça me ferait presque regretter de ne pas être allé dans un marché plus huppé, j’aurais peut-être gagné le double ! Et Mendoza, franchement, merci pour le coup de pouce à la fin, sans toi ils auraient pas lâché autant ! Surtout elle, elle a eu trop peur de laisser filer le trésor, on dirait…ou alors vous avez vraiment fait une touche…mais ça n’a pas l’air de te faire plaisir, t’en tires une tête…regarde donc ton copain, il fait pas cette tête d’enterrement, lui ! ah ah, je comprends, lui il est libre, enfin, il a pas une petite femme qui l’attend comme toi, il va pouvoir profiter, c’est beau la jeunesse…T’as raison, mon gars, cette femme, elle a l’air pleine de promesses !
Mendoza regarde Gonzales. Se pourrait-il qu’il ne l’ait pas reconnue ? Il est vrai qu’il a moins de raisons de se souvenir d’elle que lui…et qu’il n’a pas eu le déplaisir de se faire jeter par elle dans un ravin. Alors elle avait cette voix, dure et autoritaire, et pas celle, douce et innocente, qu’elle avait prise lorsqu’elle les avait secourus dans la rue, à Oran. Mendoza est quasiment certain que cette femme est Hava, et cela ne lui plaît pas du tout. Il profite que Ouerfelli accapare Galifredi en vue de discuter du pourcentage qui lui revient pour glisser ses soupçons à l’oreille de son compagnon. Ce dernier sursaute, surpris, et le regarde, incrédule, le visage soudain décomposé. Mais les deux hommes n’ont pas le temps de se parler davantage, Galifredi revient déjà pour les pousser vers l’escalier.

Au bas des marches, elle les attend, entourée de quatre hommes. Pas de doute, maintenant qu’il est tout près d’elle et que la lumière des torches éclaire son visage à moitié dissimulé sous son voile, Mendoza a la certitude qu’il vient d’être acheté par Hava. Sur la gauche, il peut voir l’homme qui a tenté de les acheter lui aussi. Il n’est pas seul. Il semble attendre. Mendoza le voit faire discrètement un signe de croix, puis indiquer plusieurs points autour de la place. Il remarque alors quatre hommes qui, contrairement aux autres, ne semblent pas pressés de quitter la place, et ne font partie d’aucun groupe. Il ne s’était donc pas trompé. Isabella s’est débrouillée pour lui envoyer de l’aide. Et sans Hava, il serait maintenant sur le chemin de la liberté. Il reste un mince espoir. Quel que soit le moment où les inconnus décideront d’attaquer, il fera tout pour les aider. Il reste à prévenir Gonzales sans qu’Hava ne remarque quoi que ce soit. Ses acolytes se sont déjà emparés de leurs chaînes et les tirent vers le bâtiment blanc, où le règlement de la transaction doit avoir lieu. Elle ne leur adresse pas un mot, se contentant de les fixer pendant qu’ils disparaissent à l’intérieur et que Galifredi lui débite un discours de félicitations où il vante les qualités de sa marchandise, et l’assure qu’elle peut garder le trésor pour elle. Puis elle les suit en compagnie du pirate.

Romegas décide de prendre de l’avance : il faut savoir sur quel bateau cette femme compte emmener les deux Espagnols. Pendant que lui et Babucci tentent de se renseigner sur l’identité de l’acquéreuse, il envoie Jeansaume et Acario au port. Par précaution, il laisse Descalis et Sandro sur place, pour le cas où, comme eux, elle ne serait pas venue du port, ce qui semble peu probable. Personne ne semble la connaître, ou personne ne veut rien dire. On commence à les considérer avec soupçon. Pourquoi ces deux types s’intéressent-ils tant aux esclaves de Galifredi ? L’un a proposé mille écus…il doit encore les avoir sur lui…Romegas sent le danger, et met fin à son enquête aussitôt. D’ailleurs, Babucci lui fait signe : Mendoza et Gonzales sont emmenés vers le port par deux hommes, il faut les suivre, ou l’obscurité les engloutira et ils perdront leur trace. Romegas fonce, mais alors qu’il n’est plus qu’à quelques pas du groupe, il fait brusquement demi-tour et se met à courir vers la place. Babucci a compris lui aussi et lui emboîte le pas : les deux esclaves n’ont décidément pas la carrure des deux Espagnols. Lorsqu’ils parviennent à nouveau sur la place, ils voient disparaître dans une rue un petit groupe où Romegas croit reconnaître la femme. Descalis et Sandro sont déjà derrière eux. A eux quatre, cela devrait suffire, Jeansaume et Acario finiront bien par comprendre leur erreur et par les rejoindre d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard, au campement de Ghemazi. Mais s’ils pouvaient les retrouver avant et leur prêter un coup de main, ce ne serait sans doute pas du luxe : cette femme est une maligne, et ils ont failli se faire avoir. Ne jamais sous-estimer une femme. Romegas s’en souviendra. Il aurait pourtant dû se méfier, après avoir côtoyé, quoique brièvement, la senorita Laguerra. La rue est déjà déserte, ils vont bien vite…Un léger bruit attire l’attention de Romegas, il tourne dans la prochaine ruelle, plongée dans un noir d’encre. Soudain, il bute sur quelque chose, trébuche et, emporté par son élan, finit par s’étaler sur le sol sableux. Il n’a pas le temps de prévenir Babucci, qui connait le même sort. Un rapide examen confirme les craintes de Romegas : ils ont trébuché sur le corps de Descalis. Pourtant, ce dernier ne semble pas blessé, juste assommé, ou endormi. Romegas se sent las lui aussi. Sous ses doigts, il trouve quelques éclats de verre : cette diablesse userait-elle de drogues ? Il se relève aussitôt.
R : Babucci, ne trainons pas par ici !

Mais Babucci ne répond pas. Romegas reprend sa course, en espérant que Sandro ait pu retenir les fuyards . Un cri l’avertit que c’est sans doute le cas. Quelque part dans la nuit, on se bat. Quand il parvient à rejoindre le lieu du combat, Sandro a déjà éliminé deux hommes, mais il est blessé, et il peine à venir à bout d’un troisième. Romegas fronce les sourcils : le troisième individu a bien l’allure de cette femme…mais où sont les deux Espagnols ? Il comprend à cet instant qu’elle a élaboré un stratagème beaucoup plus complexe qu’il ne s’y attendait, mais la motivation de la manœuvre lui échappe : se donne-t-elle tant de peine pour préserver à tout prix ses chances de trouver un hypothétique trésor ? Quelle valeur ont à ses yeux les deux marins, pour qu’elle paye deux mille écus et s’ingénie à disparaître dans la nature avec eux ? Romegas décide de se concentrer sur le combat : pour le moment, Sandro a besoin de lui, au moins aura-t-il réussi à sauver un homme ce soir, à défaut d’avoir rempli sa mission avec succès. C’est plutôt un désastre. Bientôt, il tient le troisième homme à sa merci, après l’avoir désarmé. Une ultime chance de retrouver la trace des Espagnols.
R : Qui est cette femme ? Où est-elle ? Où sont les Espagnols ? Parle, et je te laisserai la vie sauve !
Avant d’avoir pu dire un mot, l’homme s’écroule, transpercé par un poignard, tandis qu’un rire féminin retentit dans la nuit. Romegas croit avoir mal entendu, il scrute l’ombre autour de lui, ne voit rien…mais l’homme est bel et bien mort.
« Adieu, chevalier…mes salutations au Grand Inquisiteur ! »
Cette fois, il n’a pas rêvé. Un coup d’œil à Sandro confirme qu’il n’est pas victime d’une hallucination.
S : Chevalier….vous avez entendu….ça venait du ciel, je l’aurais juré !
R : J’ai entendu…mais ça venait plutôt de là-bas…
S : Non, non…
R : Tais-toi, Sandro ! Reste ici, je vais voir !
S : Non, non, me laissez pas tout seul, par la Santa Madona !
R : Allons, un peu de courage, tu n’en manques pas d’ordinaire !
S : Oui, mais vous savez bien qu’en ce moment, j’ai pas de chance avec les femmes…
R : Tu divagues, suis moi alors, je veux en avoir le cœur net !
Il s’élance dans la nuit, péniblement suivi par Sandro. Il sait que sa course est inutile, qu’il ne trouvera rien, mais il veut se donner l’illusion d’avoir tout fait pour accomplir son devoir. Seul le silence et les ténèbres entourent les deux hommes. Au bout d’un moment, Romegas s’arrête, haletant.
R : Rentrons.
Ils récupèrent Descalis et Babucci au passage, et retrouvent Jeansaume et Acario sur la place. Celle-ci est en effervescence.
R : Que se passe-t-il ? C’était quasiment désert tout à l’heure…vous n’avez rien trouvé de votre côté ?
J : Nous, non, mais Galifredi a été retrouvé égorgé dans le bâtiment. Le chef Ouerfelli est dans tous ses états. On ferait mieux de ne pas traîner.
R : Et les deux mille écus ?
J : Aucune trace…je suppose que cette femme a préféré les garder pour elle. A moins qu’ils n’aient attiré la convoitise de quelqu’un…
B : Ou qu’ils n’aient jamais existé ! Marchander avec des pirates, c’est souvent un jeu de dupes, n’est-ce pas Romegas ?
R : Oui, bon, si je vous avais laissé faire, on n’avait aucune chance de les acheter ! Alors que là, j’ai failli réussir !
B : Au moins les caisses de l’Ordre n’ont-elles pas trop souffert dans cette affaire…
Romegas fulmine, mais préfère se taire, sans quoi il risque de perdre son sang-froid et de provoquer un nouveau décès ce soir. Mais il enverrait bien ce Babucci expliquer à sa place à la senorita Laguerra qu’ils ont perdu toute trace de ses compagnons.
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par TEEGER59 »

C'est toujours aussi captivant.
Les retrouvailles entre le marin à la cape bleue et l'aventurière vont être CALIENTE!
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par nonoko »

Merci, Teeger, y en a au moins une qui suit...mais qui te dit qu'ils vont se retrouver? :shock:
Bon, après de nouveaux problèmes de connexion, la suite devrait arriver incessamment sous peu, écrite à quatre mains. ;)
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Akaroizis »

On l'attend !
La suite, pas les retrouvailles... :x-): :twisted:

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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Seb_RF »

Et voici la fin du chapitre 16 Bonne lecture ;)


Cinquième partie.

Cela faisait près d’un mois qu’Hakim se remettait tranquillement de sa maladie, grâce aux bons soins de Zia. La convalescence se passait à merveille, pourtant Hakim se rendait bien compte que, à mesure que son état de santé s’améliorait, la fatigue de la jeune femme augmentait, et cela commençait à l’inquiéter. Mais Zia le rassurait chaque jour avec un doux sourire.
Cette nuit-là, Hakim s’endormit en songeant qu’il était temps que Zia s’occupe davantage d’elle-même que de lui. C’était en apparence une nuit comme les autres, douce, calme, pas trop chaude, un petit vent rafraichissait même la zone. Tout le campement se portait au mieux à l’exception d’une personne qui était de plus en plus désespérée depuis deux longues, très longues semaines. L’aurore approchait, les premières teintes orangées envahissaient le ciel nocturne. A bord de l’oiseau d’or, deux jeunes gens passaient une très mauvaise nuit…
Esteban était réveillé depuis un bon moment déjà, comme chaque matin depuis le début de ces deux interminables semaines… Il regardait sa Zia pendant des heures tous les matins, alerté par les paroles inquiétantes qu’elle répétait toutes les nuits dans son sommeil, mais qui étaient davantage une suite incohérente de plaintes que des mots clairement audibles. Il lui semblait pourtant que deux mots revenaient sans cesse : « Sans moi… ».
Mais ce matin-là, c’était différent: cette fois, Zia ne cessait de se retourner et de gesticuler, son souffle s’accélérait comme si elle était témoin du pire. Ses gestes étaient si brusques qu’il en venait à penser qu’elle allait se faire mal.
Esteban était tétanisé, il ne savait pas quoi faire. Voir Zia dans cet état lui faisait mal au cœur, depuis le début de ces rêves intempestifs il n’aspirait qu’à une chose, être à sa place, lui permettre de profiter d’un bon sommeil réparateur, enfin. Mais il ne pouvait pas… il pensait que les rêves «prémonitoires » de Zia, si ce qui lui arrivait en était bien, étaient une malédiction pour elle, et c’était particulièrement vrai ces dernières semaines. Il se tenait à ses côtés, essayant tant bien que mal de partager son fardeau, mais il devait bien se rendre à l’évidence… Jamais il ne pourrait comprendre ce qu’elle ressentait. Et cela l’anéantissait au plus haut point.
Il finit par lui prendre le poignet et constata que son rythme cardiaque était élevé. Il devait la réveiller avant que son cœur ne s’emballe, mais avant qu’il ne s’y emploie, Zia sortit de son sommeil en sursaut tout en poussant un cri des plus effarants. Elle tremblait et semblait terrorisée, sa respiration était saccadée à l’extrême.
Il la saisit par les épaules, avant de l’enlacer, la serrant contre lui ; il sentit sur sa joue couler les larmes de Zia ; si seulement sa peau à lui pouvait absorber ses larmes à elle, pour la vider de sa peine…mais il ne pouvait que lui adresser quelques mots de réconfort à l’oreille…
E : Zia, calme toi, c’est fini, je suis là…
Le cœur de Zia se mit à battre plus lentement, elle retrouvait un peu de calme. Il la libéra de ses bras et la regarda, cherchant à s’assurer qu’elle allait vraiment mieux.
Il la vit promener autour d’elle son regard égaré, puis revenir lentement à elle ; elle fermait à demi les yeux, comme si elle se concentrait, secouait la tête et prenait de profondes inspirations ; c’était terminé, il le savait, et comme chaque nuit, elle cherchait à se rappeler le contenu de ses cauchemars, sans y parvenir. Elle frissonna, et il la serra à nouveau contre lui.
E : Zia ? Es-tu avec moi ?
Elle laissa peser sa tête sur son épaule.
Z : Bonjour Esteban…
Elle tremblait encore légèrement, et sa voix mal assurée fit comprendre à Esteban qu’elle était encore ailleurs. Il saisit doucement sa main gauche. Elle tressaillit, et la retira brusquement en gémissant, puis elle chercha à se dégager de l’emprise de son fiancé. Esteban la serra plus fort contre lui et caressa ses longs cheveux en murmurant de sa voix la plus rassurante :

36_Esteban réconforte Zia après cauchemar.png

E : Zia, c’est moi, Esteban, tu le sais. Réveille-toi tout à fait, laisse partir ce qui t’effraie. Je suis là, tout va bien. Viens, on va marcher un peu… Il faut que tu prennes un bon bol d’air frais…
Il ne chercha pas à la forcer, et sentit bientôt sa main qui reprenait celle qu’elle avait repoussée quelques instants avant.
Z : Je suis désolée… Je t’ai certainement empêché de dormir…
E : Ne t’en fais pas pour ça, ce n’est rien…
Ils se levèrent et sortirent, Zia tenant fermement la main droite d’Esteban. Sans l’expression d’infinie tristesse qui se lisait sur son visage, on aurait pu croire que le jeune couple allait assister au spectacle resplendissant de la naissance du jour. Le ciel s’éclaircissait, le bleu nuit avait presque totalement laissé place à un dégradé chatoyant allant de l’orange au jaune.
Ils marchèrent quelques minutes en direction de l’oasis, la brise rafraîchissant leurs visages encore enflammés par les tourments de la nuit.
Quand ils furent à proximité, ils distinguèrent une silhouette aux cheveux longs occupée à revêtir ses habits ; c’était manifestement une femme, si bien qu’Esteban détourna rapidement la tête, et s’arrêta. Quant à Zia, elle se rendit vite compte qu’il s’agissait d’Indali. Sans aucune raison évidente, cette scène lui rappela leurs ennuis en Chine, et, sous le coup de ce désagréable souvenir, sa vision se troubla, et des flashs assaillirent son esprit. Elle fit encore quelques pas sans Esteban avant d’être rejointe par Indali, qui accourait afin de saluer joyeusement ses amis.
I : Bonjour Zia! Esteban… pourquoi es-tu retourné ?
Il lui répondit tout en faisant volte-face.
E : Euhh pour rien, et toi qu’est-ce que tu fais là ?
I : Je suis venue me laver, qu’est-ce que tu crois ? C’est important…
E : Mais n’aurais tu pas été plus à l’aise à bord…
I : Il n’y avait plus d’eau alors…
Elle ne put finir sa phrase : elle venait de croiser le regard de Zia, les yeux grands ouverts, fixant droit devant elle, l’air hagard.
I : Zia, qu’est-ce qui se passe ?! Esteban, aide-moi !
Zia s’était brusquement écroulée, comme vidée de toute force ; Indali avait tout juste eu le temps de la retenir pour qu’elle ne s’effondre pas au sol. Elle l’entendit murmurer « Il faut les aider… ».
I : Aider qui ? Qui a besoin d’aide ? Zia, réponds !
E : Laisse-moi faire, Indali.
Délicatement, il soutint sa fiancée et l’aida à s’assoir sur un mince tapis de végétation. Zia mit ses mains devant ses yeux et inspira profondément pour se calmer. Esteban et Indali s’étaient accroupis près d’elle et attendaient, inquiets.

Z : Qui a besoin d’aide ? Je ne sais pas, mais je me souviens de mon cauchemar, et j’ai un très mauvais pressentiment …

E : Attends, habituellement tu ne te souviens pas de tes rêves…qu’as-tu vu ?
Z : Je ne m’en souviens pas à proprement parler… je ne vois pas grand-chose, comme à chaque fois…des images furtives…
I : C’est ce qui t’es arrivé à Pékin ?
Z : Oui…mais tout à l’heure, j’ai eu l’impression de revivre certaines scènes de mon dernier rêve. C’est comme si j’étais quelqu’un d’autre…comme si je voyais à travers ses yeux, que je ressentais sa détresse.
E : Peux-tu nous donner quelques précisions ? Un détail qui pourrait nous aider à comprendre ?
Z : Tout s’estompe déjà…la mer…un éclair…puis un autre…un navire qui sombre…un homme se noie…je crois...mais je ne suis pas sûre…je suis sur une chaloupe, il fait nuit, mes larmes m’empêchent de bien voir, tout est brouillé…il y a des yeux, des yeux de feu qui me transpercent, je tiens quelque chose entre mes bras, je lutte, la chose…la chose grandit et je veux m’en débarrasser, elle va m’écraser, m’étouffer, elle rit ! Et moi…moi je suis impuissante…Esteban ! Nous devons faire quelque chose !
Esteban et Indali échangèrent un regard : Zia avait tout l’air de raconter un naufrage lors d’une tempête, mais que venaient faire là ces yeux de feu ? Ils savaient tous les deux que les visions de Zia servaient d’avertissement. D’ordinaire, cependant, il ne s’agissait pas de cauchemars récurrents.
E : Je ne demande qu’à t’aider…mais tant que nous n’en saurons pas plus…
Z : Ce n’est pas moi qu’il faut aider, ce sont eux !
I : De qui veux-tu parler ? Tu as vu autre chose ?
E : Les seules personnes qui doivent être à bord d’un navire en ce moment, ce sont Mendoza et Isabella…
Z : Oui…mais je ne comprends pas, s’ils courent un danger, pourquoi mes visions ne me permettent-elles pas d’en savoir davantage ? Cela dure depuis si longtemps déjà, et ce n’est qu’aujourd’hui que je commence à entrevoir quelque chose ! S’il était déjà trop tard ? Cette impuissance que je ressens…
Esteban ne sut que répondre. Il avait parfaitement entendu Zia évoquer un homme qui se noie. Mais il était inutile de continuer à s’alarmer, il fallait agir.
I : Je suis sûre qu’il n’est pas trop tard ! tes visions ont déjà sauvé des personnes, n'est-ce pas?
E : Indali a raison, allons, viens, retournons au condor et prévenons Tao, nous devrions partir au plus vite. Le fait que tu souviennes de tes cauchemars aujourd’hui signifie sûrement qu’il va falloir intervenir très bientôt.
Z : Mais nous ne savons même pas où ils sont en ce moment ! Nous n’avons aucune piste !
E : S’il s’agit bien d’eux, nous trouverons une piste, ne t’inquiète pas. Allons, viens.
Il l’aida à se relever et, tenant fermement la main de Zia, en partie pour l’assurer de son soutien, en partie parce qu’il commençait à prendre la mesure de la gravité de la situation, il se dirigea vers le condor. Au bout de quelques pas, Zia sentit un relâchement de la main d’Esteban sur la sienne ; elle s’arrêta. Il fit de même.
Z : Esteban, à quoi penses-tu ?
E : Hum ? Oh…je ne sais pas trop, ça n’a sans doute rien à voir, mais j’essayais de me remémorer les dernières fois où nous avons vu Mendoza et Isabella, au cas où ça nous donnerait une indication quelconque sur leurs destinations, leurs activités…et je repensais à ce détail bizarre de ton rêve, ces yeux de feu…
Z : Tu penses à Gonzales, toi aussi ?
E : Quoi ? Tu te souviens du nom de ce type ? Moi, je me souviens juste que le partenaire commercial de Sancho et Pedro a imposé sa présence à Mendoza…
Z : Tu veux parler de Ruiz ?

E : Ruiz ? Ah, oui, tu as raison… Bref, apparemment ce Gonzales n’inspirait aucune confiance à Mendoza… et si c’était là la cause de leurs ennuis ?
Z : Je me souviens qu’il n’avait pas beaucoup d’expérience comparé à Mendoza, mais je ne pense pas qu’il soit la cause d’un naufrage, Mendoza sait parer à ce genre de situation.
E : Oui, mais ils n’étaient pas sur le même navire…et si c’était lui l’homme qui se noie ?
Z : Je ne pense pas que j’aurais de tels cauchemars à propos d’un inconnu…et puis, en quoi cela pourrait-il causer des ennuis à Mendoza ?
E : Je n’en sais rien…mais à moi non plus, il ne me plaisait pas cet homme. Je me souviens qu’il t’avait regardée bizarrement.
Zia haussa les épaules et reprit sa marche ; Esteban et Indali lui emboitèrent le pas.
Z : Dis plutôt que tu as ressenti de la jalousie quand j’ai dit qu’il était galant, et élégant…
E : Sa manière de vous saluer, toi et Isabella, était pour le moins…
Z : Galante, rien de plus ! Arrête, Esteban, c’est ridicule, nous n’allons pas nous disputer à propos de ça, alors que nos amis sont peut-être en danger !
E : Sont sûrement en danger…je suis d’accord, cessons de parler de ce Gonzales. Bon, que décidons-nous ?
Ils étaient parvenus au pied du condor. Pendant leur échange, Indali était restée silencieuse, se demandant à quoi pouvait bien ressembler cet homme dont ils parlaient. En tout cas, elle comprenait qu’il n’avait pas laissé ses amis indifférents, et elle était prête à partager les soupçons d’Esteban.
I : Le mieux est d’essayer de retrouver le navire de Mendoza, il me semble.
Z : Oui, lui et Isabella sont censés être à son bord…
E : A moins qu’ils ne soient séparés…dans ton rêve, tu répètes souvent quelque chose comme « sans moi ».
T : De quoi parlez- vous ? Vous en faites une de ces têtes…
Tao venait d’apparaître en haut de l’échelle d’accès au condor sans que ses amis le remarquent. Il venait manifestement de se réveiller mais, malgré son air encore endormi, il était prêt à partir pour ses recherches comme tous les jours du mois qui avait précédé.
Rapidement, Esteban le mit au courant de la situation. Quand Tao apprit que cela faisait deux semaines que Zia faisait des cauchemars toutes les nuits, et qu’ils n’avaient rien dit à leurs amis pour ne pas leur saper le moral, Tao ne fut qu’à moitié surpris. Cela faisait un moment qu’il avait senti un changement chez Zia, mais ses travaux l’accaparaient tant qu’il oubliait facilement ce genre de détail. Les jours avaient passé sans qu’il s’en soucie plus que ça. En voyant la mine défaite de son amie, il regretta son attitude.
E : Nous pensons partir au plus vite pour savoir où se trouvent Mendoza et Isabella. Tu peux rester ici si tu veux, en compagnie d’Indali.
T : Il n’en est pas question ! Si je peux vous être utile en quoi que ce soit, vous pouvez compter sur moi !
Z : Et tes travaux ?
T : Ils attendront, ce ne sera pas la première fois ! Vous me prenez pour qui ? Vous savez bien que je ne laisse jamais tomber mes amis !
E : Alors, le temps d’annoncer notre départ à la tribu, nous partirons pour la Sicile. Nous devions les retrouver bientôt à Porto Conte, qui sait, peut-être trouverons-nous une piste là-bas ?
Z : Il faudrait aussi aller voir ce Ruiz à Barcelone.
E : Excellente idée !
Z : Mais je souhaite de tout cœur que mes cauchemars n’aient aucun lien avec Mendoza et Isabella.
I : Ce n’est qu’en les retrouvant que tu seras rassurée, n’est-ce pas ?
T : Et qui sait, tes visions vont peut-être disparaître dès que nous aurons quitté le désert ? Tu as peut-être passé trop de temps à t’occuper d’Hakim, à te faire du souci pour lui, à craindre une rechute, cela a pu influencer tes rêves. Et s’ils n’étaient que le reflet de ton inquiétude ? Cette impuissance que tu ressens, c’est peut-être celle que tu as ressentie quand tu as constaté son état ? Même s’il est guéri, tu as toujours peur de ce qui aurait pu arriver si nous avions échoué à rapporter le traitement, si celui-ci n’avait pas été efficace…L’homme qui se noie, c’est peut-être Hakim, et c’est sa présence qui t’oppresse et t’étouffe. Eloignons nous un peu d’ici, je suis sûr que tu iras mieux ! Tiens, j’aurais dû le proposer bien avant, mais j’étais trop absorbé par mes travaux, Esteban, tu aurais dû m’en parler, tu aurais dû m’arrêter !
Z : Allons, Tao, tu n’as pas à te sentir coupable de quoi que ce soit. Si tu pouvais avoir raison…ton interprétation ne manque pas de sens.
I : C’est vrai, Tao, espérons pour Zia que tu aies vu juste !
E : Et les yeux de feu ? Hein ? Qu’est-ce que tu fais des yeux de feu ?
Z : Esteban croit qu’ils représentent le regard de Gonzales, tu sais, le capitaine du San Buenaventura qui ne plaisait guère à Mendoza. Et que ce Gonzales pourrait avoir causé des ennuis à notre ami.
E : Je vois pas ce que mon idée a de si bizarre. Après tout, on ne sait rien de ce type !
T : Oh, lui ? Ce type étrange qui passait son temps à faire des baises-mains ? Bah, moi, tu sais, en ce qui concerne les traitres, je suis toujours à côté de la plaque, alors…
Z : Et puis, les premières impressions ne sont pas toujours justes…sinon, tu n’aurais jamais accordé ta confiance à Tao parce qu’il avait essayé de m’enlever, quand on s’est rencontrés.
E : C’est bon, n’en parlons plus, de toute façon ça ne nous avance à rien ! Allons plutôt voir Hakim et Malik.

Ils décolèrent une demi-heure plus tard après avoir annoncé leur départ à leurs amis Chaldis, qui furent déçus de cette obligation soudaine mais comprenaient parfaitement la situation. Hakim assura à Zia qu’il se passerait très bien d’elle pour terminer sa convalescence, et qu’il lui importait que tous ses amis se portent aussi bien que lui. Il espérait qu’elle retrouverait très vite la sérénité et que ses cauchemars seraient bientôt un mauvais souvenir. S’ils avaient besoin d’aide, qu’ils n’hésitent pas à revenir pour les tenir au courant. Malik ajouta qu’il n’avait jamais vraiment payé sa dette envers Mendoza, et qu’il était prêt à le faire à tout moment.
Le condor laissa deux belles empreintes à l’endroit qui l'avait accueilli pendant les semaines où il n’avait point bougé, le sable avait pris son aise, remarqua Indali en essayant de détendre l’atmosphère. Puis ils fendirent le ciel en direction Nord-Ouest.
Le soleil brillant fort, Esteban put pousser le condor à la vitesse maximale, et les 3200 kms qui les séparaient de leur destination furent parcourus en 3 heures… vers midi ils se posèrent sur une falaise dominant la méditerranée, située à quelques centaines de mètres de chez Mendoza et Isabella, de l’autre côté d’un bois qui dissimulait parfaitement l’oiseau.

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La Santa Catalina ne mouillait pas dans la baie de Porto Conte, et ils ne l’avaient pas aperçue non plus au port voisin. Zia insista cependant pour aller voir si Isabella n’était pas présente, après tout dans son état il était plus que probable que Mendoza ait préféré qu’elle reste à terre, même s’ils doutaient que cette dernière ait accepté cela. Il fallait tout de même en être sûr.

Ils se rendirent à la petite demeure, dont les alentours étaient déserts. Comme ils s’y attendaient, la porte était verrouillée ; ils entrèrent grâce à la clef dont Mendoza leur avait indiqué la cache, la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Un silence de mort les accueillit ; les araignées commençaient à se plaire dans le coin des murs. En voyant cela, Zia imaginait déjà Isabella faire nettoyer les toiles poussiéreuses par ce pauvre Mendoza, elle sourit, mais il était évident que personne n’était venu ici depuis plus d’un mois. Son cœur se serra, même s’il n’y avait aucune raison valable de penser que les habitants de la maison n’y remettraient plus jamais les pieds.
Z : Partons, nous ne trouverons pas de réponse ici. Il est inutile de s’attarder.
I : Tu n’as aucune vision ? Rien qui puisse nous guider ?
Z : Non…
T : Peut-être qu’en fouillant…
Z : Non !
Elle savait que Tao croyait bien faire en proposant cela, mais l’idée d’une fouille dans la demeure même de ses amis la révulsait, et le silence qui régnait commençait à la mettre réellement mal à l’aise. Esteban s’aperçut de son trouble et mit fin à la visite, qui lui laissait le goût amer de l’échec. Il avait beau essayer de se raisonner en se disant qu’il était normal que ses amis ne soient pas là, il avait espéré les trouver, ou au moins trouver Isabella. Elle les aurait rassurés, et aurait ri de leurs inquiétudes infondées. Plus il réfléchissait, plus il se disait que les cauchemars de Zia étaient différents de ses visions prémonitoires. Pourtant, il ne parvenait pas à se départir d’une angoisse tenace.
Une longue discussion suivit leur retour au condor.Tao tenta de remonter le moral d’Esteban et Zia, qui affichaient une mine des plus sombres. Après tout, ils n’en étaient qu’au début de leur recherche, et jusque-là il n’y avait rien d’anormal. Indali fit remarquer que pendant le voyage ils avaient survolé plus d’un navire progressant en direction de la Sardaigne, à leur vitesse de vol il avait été impossible de savoir s’il s’agissait de la Santa Catalina ni s’ils ne se dirigeaient pas en réalité ver le port de Barcelone, ou quelque autre destination probable de ce côté-ci de la Méditerranée. S’ils venaient vers eux, quelques jours d’attente suffiraient à en avoir le cœur net. Pendant ce temps, ils pourraient toujours essayer de se renseigner sur l’itinéraire de la Santa Catalina et du San Buenaventura auprès de Ruiz. Esteban décida de se rendre à Barcelone sur le champ, en profitant des quelques heures de jour restant. L’expédition fut un échec, et se solda par de l’inquiétude supplémentaire. Le survol furtif du port de Barcelone confirma l’absence des deux navires. Ils ne purent voir Ruiz, malgré leur insistance : ce dernier était en rendez-vous d’affaire. Ils se promirent de revenir le lendemain, et décidèrent d’aller voir Rico avant le coucher du soleil, au cas où celui-ci aurait quelque information utile, comme souvent. Le tavernier fut surpris et content de les voir, mais quand ils lui apprirent la raison de leur visite, sa joie retomba ; il les informa que la Santa Catalina était partie depuis un bon mois pour une expédition spéciale, à ce qu’on disait, commanditée par Ruiz, mais il n’en savait pas plus, à part que le San Buenaventura effectuait des transports de marchandise de son côté, sans Gonzales. Ce dernier avait embarqué avec Mendoza et Isabella. Mendoza était passé à la taverne peu avant son départ, en compagnie de Pedro et Sancho. Il leur avait demandé de loger Isabella chez eux en son absence, mais apparemment cela ne s’était pas fait, Rico les avaient revus il y a peu et ils lui avaient expliqué qu’Isabella avait insisté pour partir avec Mendoza, même si ce n’était franchement pas raisonnable, à leur avis. Depuis, Rico n’avait eu aucune nouvelle, mais il avait entendu dire que Ruiz s’impatientait, il aurait des problèmes d’argent qu’il essayait de garder secrets, et l’absence prolongée de la Santa Catalina ne faisait pas son affaire. On disait qu’il attendait avec impatience son retour depuis deux bonnes semaines, alors que le San Buenaventura avait déjà fait deux escales à Barcelone depuis son départ.
Ils rentrèrent à Porto Conte. Pendant la nuit, Zia fut à nouveau assaillie par son terrible cauchemar. Elle se réveilla en pleurs, et Esteban eut toutes les peines du monde à la calmer. Après ce qu’il avait appris de Rico, lui-même n’avait pu fermer l’œil ; il attendait avec impatience le lever du jour pour pouvoir partir à la recherche de la Santa Catalina. Il assista, impuissant, aux tourments de sa fiancée, avec l’espoir toutefois qu’elle pourrait se souvenir d’un nouveau détail qui leur fournirait une piste. Il n’en fut rien. Le lendemain, ils repartirent à Barcelone dans l’espoir de soutirer des informations à Ruiz, mais ce dernier refusait de recevoir quiconque, de peur d’être confronté à des créanciers venus lui réclamer de l’argent. Esteban eut beau expliquer au serviteur qui lui servait de chien de garde à l’entrée qu’il pouvait peut-être venir en aide à son maître, la porte resta close : sans doute le serviteur, zélé, préférait-il éviter de s’attirer des ennuis, en respectant scrupuleusement les ordres. Esteban n’insista pas, pensant trouver des informations par d’autres moyens. Les quatre amis poussèrent jusqu’à la propriété de Pedro et Sancho, qui, bien que ravis de les voir, ne leur furent d’aucune utilité : ils étaient trop occupés par les préparatifs de leurs vendanges, et crurent tout d’abord que les jeunes gens venaient à propos de leur commande de vin pour le mariage. Quand ils furent au courant des inquiétudes d’Esteban et Zia, ils s’efforcèrent d’être rassurants : la Santa Catalina rentrerait bien tôt ou tard, il suffisait d’être patient. Ils n’étaient pas au courant de la nature de l’expédition commanditée par Ruiz, qui à leur avis était bien trop ambitieux et aurait dû se contenter comme eux de son commerce habituel : leurs affaires à eux marchaient très bien, et Mendoza avait intérêt à revenir, parce qu’ils n’avaient aucune intention d’éponger les dettes de Ruiz ou de couler avec lui. Tiens, si ça se trouvait, l’homme qui se noie, c’était une allusion à leur affaire avec Ruiz, les éclairs, c’était la tempête financière qui mettait en péril leur association, et les yeux de feu, c’était la colère divine contre les ambitieux qui ne se contentent pas de faire fructifier honnêtement leur argent à la sueur de leur front. Zia s’efforça de sourire à ces explications, mais Esteban eut du mal à garder son sang froid. Il allait s’emporter contre les deux marins égoistes quand Tao l’en dissuada en le tirant discrètement par la manche, et prit congé au nom de ses amis, coupant ainsi court au discours de Pedro, qui s’indigna qu’ils partent déjà, sans avoir goûté la nouvelle cuvée. Mais Sancho le fit taire d’un coup de coude : il commençait à se rendre compte qu’ils avaient été complètement à côté de la plaque, et tenta de persuader son camarade d’aller rendre visite à Ruiz dès le lendemain pour essayer de savoir où pouvait se trouver Mendoza : peut-être Ruiz accepterait-il de recevoir ses associés ? Pedro finit par accepter, à contrecoeur : ce serait une journée loin de ses vignes, au moment où elles avaient le plus besoin de lui ! Sancho courut ensuite derrière ses amis pour leur annoncer son intention. Ils le remercièrent, puis décidèrent de tenter de trouver des informations de leur côté en interrogeant des marins sur le port et dans les tavernes, mais ils obtinrent les renseignements les plus fantaisistes : l’espoir d’une récompense enflammait l’imagination de leurs interlocuteurs, et rien ne se recoupait, à part une rumeur persistante sur un trésor, que chacun situait sur une île différente de la Méditerranée, ce qui était une bien maigre indication, puisque si Mendoza était en quête de ce trésor, il pouvait tout aussi bien être allé en Crète qu’aux Baléares qu’à Santorin, qu’en Sicile, que dans les îles éoliennes, ioniennes, à Cythère ou Ithaque, Rhodes, Malte ou Lampedusa, sans compter Othoni, Paxos, Antipaxos, les Strophades, Corcyre, Salina, Stromboli, Basiluzzo, Panareax, Elafonissos…
Le retour à Porto Conte fut lugubre. Ces deux jours ne leur avaient apporté que des déceptions. Esteban avait l’impression de perdre son temps. Il projetait d’aller tirer les vers du nez à Ruiz par la force, s’il le fallait. Cette histoire de trésor était leur seule piste, et ce n’était pas rassurant : un riche marchand qui s’acoquinait avec un type comme Gonzales pour trouver un trésor, c’était louche. Zia insista pour aller loger dans la maison de Mendoza : peut-être un séjour prolongé provoquerait-il des visions ? Tao et Indali restèrent pour garder le condor. Le soir même le vent se leva, annonçant une tempête. A l’abri dans la maison aux murs de terre battue, les deux élus ne pouvaient s’empêcher de penser à leurs amis peut-être perdus, en danger, quelque part en mer. Le mugissement du vent leur semblait être un chant désespéré, la plainte d’une âme en perdition, tantôt lancinante et triste, tantôt violente et vindicative. Zia redoutait le moment où elle sombrerait dans le sommeil, et elle resta longuement pelotonnée contre Esteban, qui avait décidé cette nuit encore de ne pas fermer l’œil. D’ailleurs, l’agitation de la nature comme de son esprit ne lui permettait pas de trouver le repos. Quand les premiers éclairs zébrèrent le ciel, il sursauta, le cœur battant. Se pouvait-il que cette nuit...Il se tourna vers Zia, mais celle-ci s’était endormie sans qu’il s’en aperçoive. A son grand désarroi, il constata qu’elle respirait plus difficilement ; elle se mit à gémir doucement. Le cauchemar recommençait. Esteban en eut soudain la certitude : la Santa Catalina se trouvait en difficulté, là-bas, à quelques mètres en contrebas, dans la baie de Porto Conte, il fallait agir, vite ! Mais s’il se trompait, s’il réveillait Zia brusquement, et qu’il interrompe un rêve qui leur apporterait peut-être la clé du mystère ? Il devait en avoir le cœur net : repoussant sa fiancée le plus délicatement possible afin qu’elle ne se réveille pas, même si cela lui coutait de la laisser ainsi en proie à ses visions terrifiantes, il se leva et se dirigea vers la porte afin de sortir vers la baie. Un éclair fendit le ciel, suivit presque immédiatement d’un formidable coup de tonnerre qui ébranla la maison, et tira Zia de son sommeil agité. Elle se redressa en poussant un hurlement aigu qui cloua Esteban sur place. Terrifié par la violence du cri, il fit volte-face. Il allait se précipiter vers Zia, quand derrière lui la porte s’ouvrit avec fracas, projetée sur le mur par la poussée prodigieuse du vent qui s’engouffra aussitôt dans la maison. Un nouvel éclair illumina brièvement la pièce obscure. Esteban put voir alors l’air hagard de sa fiancée, il put voir sa bouche s’ouvrir pour articuler un mot qu’il ne put saisir, car au même moment le tonnerre retentit à nouveau, couvrant la voix de Zia de son grondement terrible. La jeune fille regardait la porte. Esteban se retourna, et comprit. Devant eux, trempée et tremblante, soutenue par deux hommes, se tenait Isabella. Un troisième homme se tenait derrière elle.


Au revoir A bientôt pour le chapitre 17
note serie:
MCO1: 18/20

Trahison/Insulte totale:
MCO2: 7/20
MCO3: 4/20
MCO4: 3/20 (et je suis "gentil" par ce qu'il y a les effets visuels)

Fanarts: viewtopic.php?f=14&t=2301 :x-):
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Akaroizis
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Akaroizis »

Wow, sont grave louches ces rêves quand même ! :shock:
Un peu léger comme raison pour partir, mais bon, il en fallait bien une ^^
Même si ses rêves sont prémonitoires... m'enfin.

Même le trio voit qu'il est pas net ce Gonzalo, tandis que Mendodo serait prêt à mourir pour lui ! Presque tragi-comique, tout ça. :x-):

En tout cas, c'est super ! Pour nous, pas pour eux... :geek:

On attend la suite, et pas que de ce rêve, et tout de suite ! :evil: :tongue:
Le présent, le plus important des temps. Profitons-en !

Saison 1 : 18.5/20
Saison 2 : 09/20
Saison 3 : 13.5/20


Ma présentation : viewtopic.php?f=7&t=80&p=75462#p75462
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TEEGER59
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par TEEGER59 »

nonoko a écrit : 21 août 2017, 22:12 Merci, Teeger, y en a au moins une qui suit...mais qui te dit qu'ils vont se retrouver? :shock:
Bon, après de nouveaux problèmes de connexion, la suite devrait arriver incessamment sous peu, écrite à quatre mains. ;)
Parce qu'ils doivent se retrouver! Es-tu cruelle à ce point?
Mon petit cœur n'y survivrait pas... :cry:
Déjà que tu veux vendre Mendodo comme esclave sexuel...
:Laguerra: : AH! Comme on se retrouve!
:Mendoza: : Ma première leçon ne t'a pas SUFFIT?
:Laguerra: : Cette fois, tu ne t'en sortiras pas si FACILEMENT!
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Ra Mu
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Re: FANFICTION COLLECTIVE : Tome 2

Message par Ra Mu »

TEEGER59 a écrit : 22 août 2017, 11:35
nonoko a écrit : 21 août 2017, 22:12 Merci, Teeger, y en a au moins une qui suit...mais qui te dit qu'ils vont se retrouver? :shock:
Bon, après de nouveaux problèmes de connexion, la suite devrait arriver incessamment sous peu, écrite à quatre mains. ;)
Parce qu'ils doivent se retrouver! Es-tu cruelle à ce point?
Mon petit cœur n'y survivrait pas... :cry:
Déjà que tu veux vendre Mendodo comme esclave sexuel...
Hum, tu me donnes des idées de topic:
"Que feriez vous d'un marin en pleine forme s'il était votre esclave?" ou bien: "Les différents usages d'un Mendodo en état de marche" :lol: :lol: :lol: :lol:
Cireur de botte?
Affûteur d'épée?
Expert en nœuds? (pour faire des tableaux de cordages, bien sûr)
Danseur de gigues pour faire la Java?

Tant de perspectives pour cette chère Hava!
- On s'est tout de même embrassés, cela ne signifie donc rien?
- HEIN? T'as embrassé Ambrosius?
- *soupir* Allez, déblaie!
HOP HOP HOP! :x-):
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