Re: A la recherche de l'Empire perdu
Posté : 11 sept. 2017, 20:12
Chapitre 11 : La Vallée de la Lune
Décembre 1517, Aqaba, Égypte ottomane
Son vœu le plus cher venait d’être exaucé – celui de fouler un jour la terre des fils du Soleil –, mais elle éprouvait tout de même une pointe de déception. Même si Aqaba figurait à présent sur les cartes égyptiennes, elle ne se sentait pas vraiment dans ce pays.
Ils s’étaient donné rendez-vous sur le pont du navire, examinant pour la énième fois le paysage aride brûlé par l’astre du jour.
— Je ne comprends pas. Quel est le problème ? On est bien en Égypte ! fit Ambroise de Sarle. Pourquoi vous avez tous ce visage dépité ?
— On n’est pas vraiment en Égypte. Nous, ce qu’on appelle « Égypte », c’est le royaume des Pharaons. Aqaba n’est ni dans le mehou, ni dans le shemou. C’est… dans le désert ! soupira Isabella, enfouissant la tête dans ses bras.
— La Basse-Égypte et la Haute-Égypte, si tu préfères, précisa Fernando en voyant le visage incompréhensif d’Ambrosius.
— Eh bien, considérez que vous êtes dans la Haute-Égypte. Arrêtez d’en faire un drame ! bougonna ce dernier.
— La Basse, rectifia Athanaos. La Haute-Égypte est le lieu où le fleuve prend sa source, et la Basse le lieu où il se jette dans la mer. Souviens-toi en : c’est grâce au Nil que les Égyptiens identifiaient ces parties de leur territoire.
Pour illustrer ses paroles, il traça un trait dans l’air, de bas en haut, ce qui ne fit qu’augmenter la mine déconfite du Français.
— Tout ça pour dire que la Basse-Égypte est en haut et la Haute-Égypte est en bas ! rit Laguerra en lui donnant une tape amicale dans le dos.
Ils avaient appris la nouvelle à leur arrivée à Aqaba, deux semaines plus tôt. Le sultan ottoman Selim avait pris la ville du Caire au début de l’année, annexant ainsi l’Égypte à son empire déjà vaste. À l’Anatolie, la Turquie et la Syrie venait désormais s’ajouter l’ancienne terre des rois divins.
À bord de la nef, personne ne s’attendait à cette nouvelle. Et pour cause. Il fallait dire qu’à cette époque, tout le monde était en plein préparatifs : Ambrosius rassemblait ses papiers, Athanaos s’occupait des vivres et le Docteur était à Lisbonne pour aider Isabella à échafauder son évasion. Aucun d’eux n’avait songé à s’informer des dernières nouvelles diplomatiques.
— C’est tout de même étrange : à chaque fois que l’on passe quelque part, la guerre nous a précédés. D’abord Ormuz, maintenant ici…
— Que veux-tu, Fernando ? C’est la vie ! fit Ambroise en haussant les épaules. Et franchement, je préfère que ce soit avant plutôt que pendant !
À cette dernière phrase, les trois autres ne purent qu’acquiescer. Son regard s’attarda quelques instants sur la pyramide de Mu. Il reprit :
— Cela fait maintenant plusieurs jours que nous sommes ici, et nous n’avons toujours rien trouvé… L’ibis, le bélier et la cigogne ne t’ont vraiment rien dit d’autre, Athanaos ? Quelque chose qui pourrait nous mettre sur une piste quelconque ?
— Non. Et je te l’ai déjà dit : ce ne sont pas eux qui m’ont dit de venir ici, c’est mon intuition. Alors je ne sais pas trop quoi chercher.
Ambrosius roula des yeux. Encore et toujours son intuition ! Il commençait à en avoir assez. Si cela se trouvait, ils n’étaient même pas au bon endroit ! Il allait rétorquer quelque chose quand Isabella ouvrit la bouche :
— Vu que d’ici, nous ne voyons rien qui puisse nous mettre sur une voie, je propose que nous descendions encore une fois dans l’oasis. Peut-être qu’au détour d’un chemin, nous aurons une idée…
— Excellente suggestion, ma fille ! Que ferions-nous sans toi ? dit son père en lui passant un bras sur son épaule avec un sourire en coin. N’est-ce pas, Ambrosius ?
— C’est quand même la quinzième fois qu’on descend, grogna-t-il.
Tous quatre se dirigèrent vers la palmeraie. Athanaos laissa cependant ses compagnons le devancer pour se tourner vers les tentes dressées plus à l’ouest.
Comme Ormuz, Aqaba était une ville marchande, située au carrefour des routes commerciales antiques de l’Arabie. Un héritage du peuple des Nabatéens.
Il flânait près des étalages d’oranges lorsqu’il sentit qu’on lui secouait la manche de son manteau avec vigueur. Il se retourna et vit un petit garçon sur un muret qui le toisait, tout sourire, du haut de ses cinq ans.
— Pour toi, lui dit-il. Cadeau !
— Merci, mais pourquoi me le donnes-tu ?
Si le Grec était étonné par ce présent – tombé du ciel –, il se garda de la montrer.
Un signe des dieux, se dit-il.
L’enfant expliqua simplement :
— C’est à la demande de la vieille femme.
— La vieille femme ?
En guise de réponse, il désigna un velum. Athanaos suivit son geste des yeux et vit une silhouette féminine assise sous l’épaisse mousseline verte. Il tressaillit lorsqu’elle redressa la tête, laissant les rayons du soleil dévoiler son visage ridé par le temps.
La bohémienne de Barcelone !
Il s’avança lentement vers elle, espérant qu’elle ne s’envolerait pas de nouveau.
— Tu ne m’as pas écoutée, Athanaos, déclara-t-elle lorsqu’il fut à ses côtés.
Sa voix avait changé d’intonation. Si elle était douce et chaude deux ans auparavant, elle était à présent devenue ferme et glaciale. Mais surtout, il se sentait mal à l’aise devant elle, comme un jeune enfant pris en faute. Il ignorait pourquoi. Sans doute était-ce le fait qu’elle le tutoyait désormais ? Ou qu’elle l’avait appelé par son nom ? Ou peut-être parce qu’au plus profond de lui-même, il venait de reconnaitre une voix qui lui était étrangement familière…
— Je… je n’ai pas pu le semer, si c’est à cela que vous faites allusion.
Elle le regarda dans le blanc des yeux, ce qui ne fit qu’augmenter son malaise.
— Pour être franc, je n’ai pas encore découvert son identité.
— Vraiment ? demanda-t-elle en haussant les sourcils. Tu t’es toujours fié à ton instinct, Athanaos. Au fond de toi, tu sais très bien de qui il s’agit. Alors quoi ? As-tu si peur de la vérité alors que tu la connais déjà ?
— Non. Mais je ne suis plus seul désormais. Il y a quelqu’un d’autre.
— Oh ! Si c’est Isabella qui t’inquiète, ne crains rien : elle est parfaitement capable de se défendre, affirma la gitane en prenant une vieille branche à ses côtés.
Tout en prononçant ces mots, elle caressait doucement le bois et reprit, l’œil espiègle :
— Comprends-tu ?
— Je crois, murmura l’Anatolien avec une esquisse de sourire.
Encore perdu dans ses pensées, il examina l’offrande offerte par la bohémienne. Il s’agissait d’une très belle pierre argentée aux reflets bleus et blancs, qui n’était pas sans rappeler l’astre lunaire.
— Un sélénite. Je sais que ta quête piétine. Prends-le et dis à tes amis que cette pierre provient de là-haut, dit-elle en désignant de la main le sommet des rocs bordant l’oasis.
— De là-haut ? répéta le Grec en fronçant les sourcils. Quel rapport…
— Tu trouveras, assura-t-elle avec une étincelle de malice dans le regard.
Mystérieuse comme toujours… Aucun d’eux ne connaissait ce pays, mais personne ne serait assez dupe pour croire qu’un gisement de pierre de lune se trouvait dans ces montagnes. Qu’allait-il bien pouvoir inventer pour les faire monter ? Et surtout, quel était le lien entre cette roche et le djebel ?
Athanaos revint vers la nef amarrée dans ce qui semblait être le port de l’oasis, où ses compagnons l’attendaient de pied ferme. Ambrosius hurla :
— Bon sang ! Mais où est-ce que tu étais passé ? Cela fait trois heures qu’on te cherche !
Trois heures ?! Cela faisait trois heures qu’il était avec la bohémienne ?
— J’ai trouvé quelque chose…, commença-t-il.
— Ça tombe bien nous aussi ! le coupa le Français.
Laguerra leva les yeux au ciel. Laisser les autres donner leur explication en premier ne faisait toujours pas partie des résolutions d’Ambroise de Sarle.
— Sais-tu où se trouve le Wadi Rum ? Et surtout qu’est-ce que c’est ?
Athanaos n’en crut pas ses oreilles. Il le considéra en silence puis éclata de rire. À vrai dire, il ne savait pas pourquoi il riait, mais cela le soulageait. Le soulager de quoi ? Cela non plus, il ne le savait pas. Sans doute parce que cela lui évitait de se creuser la tête…
Ses amis se regardèrent, interloqués. Qu’y avait-il de drôle ? Le Grec finit par leur expliquer, le rouge aux joues :
— Le Wadi Rum est là-haut. On l’appelle la Vallée de la Lune.
La Vallée de la Lune ! Évidemment !
— C’est là que je voulais vous emmener.
— Quoi ? Là-haut ? répéta Ambrosius d’une voix étranglée. Mais… c’est à cinq heures de marche ! On n’y sera pas avant la tombée de la nuit !
— Eh bien, on partira demain matin ! décréta Fernando. De bonne heure et de bonne humeur !
— Comment savais-tu qu’on devait monter ce pic ? demanda Laguerra à son ami le lendemain, brisant un silence que seuls le vent et les plaintes d’Ambroise de Sarle venaient troubler.
— Une intuition. Il n’y avait rien à Aqaba, alors qu’en haut… Et vous ?
— Je crois que ma fille a dû faire le même raisonnement, sourit son ami. Vous vous ressemblez beaucoup tous les deux !
Ce fut au tour d’Athanaos de sourire. Il ne croyait pas si bien dire.
Ils étaient maintenant partis depuis plusieurs heures et la faim commençait tous à les tirailler. Après avoir grimpé un sentier abrupt qui les menait au sommet de la montagne – ou plutôt sur un plateau –, ils traversaient à présent un canyon taillé dans un récif de cinq cents mètres de hauteur. Aucun d’eux n’était vraiment rassuré de franchir ces murailles de pierre où un éboulement pouvait survenir à tout moment. Le Docteur s’arrêta brusquement. Le Français manqua de lui rentrer dedans et glissa sur un caillou.
— Cette fois, j’en ai vraiment m…
— Chut ! Taisez-vous !
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Athanaos, baissant la voix.
— C’est le vent ! Il résonne entre les falaises ! grogna Ambrosius en massant sa cheville endolorie.
— Non, non… Il y a autre chose…, murmura le Portugais, visiblement inquiet.
Des bruits de sabots résonnèrent au loin. Les galops se rapprochaient de plus en plus vite. Enfin, dans un nuage de poussière, ils discernèrent des ombres coiffées d’un turban rouge et armées d’un sabre. Ils étaient cinq.
— Des mamelouks ! blêmit Ambroise.
— Emparez-vous d’eux ! cria une voix.
Ils étaient à pied, à bout de souffle, à demi-morts de faim et de fatigue, face à des cavaliers, filant comme le vent, armés et maitres de cette vallée. Autant dire qu’ils n’avaient aucune chance.
Ils furent rapidement ligotés les uns aux autres et présentés en file indienne à celui qui semblait être le chef du groupe. Ce dernier ricana :
— Tiens, tiens… Trois malheureux voyageurs…
— Trois ?! s’écria Fernando en se retournant. Mais où est…
Derrière lui, Athanaos lui donna un violent coup de genou dans les reins, l’incitant à se taire.
— Que faites-vous ici ? Dans ma vallée ?
— Le Wadi Rum n’appartient à personne, répliqua le Grec. Nous sommes libres d’aller où nous désirons.
— Aqaba est peut-être tombée aux mains du Terrible, mais ma tribu résiste ! Nous nous sommes retranchés sur la terre de nos ancêtres. Cette vallée est un royaume où nul ne peut entrer sans y être invité. Sinon…
Le nomade passa son pouce sous la gorge, l’air menaçant.
— Emmenez-les à Reqem ! ordonna-t-il à ses hommes. On décidera de leur sort là-bas.
— Pourquoi est-ce que je vous ai écoutés ? geignit Ambrosius. Hein ? Pourquoi ?!
— Arrête de parler et avance ! dit un mamelouk en le poussant sans ménagement devant lui.
Plusieurs heures passèrent ainsi. Derrière Laguerra, les autres alchimistes essayaient de se libérer de leurs liens. En vain.
— Vous avez de la chance finalement, fit le nomade en passant sa main sur le menton. D’aussi loin que remonte ma mémoire, vous êtes les premiers étrangers à vous aventurer ici.
— De la chance ? Vous appelez cela de la chance ?! lui cria Fernando. Cela fait plusieurs heures que nous marchons sous un soleil de plomb ! Ayez au moins l’amabilité de nous donner de l’eau !
— Patience, patience mon ami, sourit l’autre avec un ton mielleux qui ne présageait rien de bon. Nous sommes presque arrivés à la Bariolée. Vous vous désaltérerez là-bas.
— La Bariolée ?! Où comptez-vous nous emmenez exactement ? demanda Athanaos.
— Mais à notre ville, bien sûr ! Nos ancêtres ont construit leur magnifique capitale dans le désert. Ils ne manquaient absolument de rien… Vous verrez, vous y trouverez tout ce dont vous aurez besoin.
Y compris le sommeil éternel.
Les trois amis entendirent aussi clairement ces mots que si le mamelouk les avait prononcés.
— Pourquoi est-ce que je vous ai écoutés ? répéta Ambrosius, complètement hagard. Et Isabella ? Où est-ce qu’elle est encore passée ?
— Elle était derrière toi ! grinça le Docteur. Tu aurais dû surveiller si elle suivait !
Mais c’était également valable pour lui. En tant que chef d’expédition, lui aussi aurait dû vérifier si tout le monde était là. Avant, pendant et après. Elle avait peut-être glissé, ou même pire, elle s’était peut-être tuée en tombant !
Ils longèrent une derrière fois la paroi rocailleuse avant de tourner sur leur gauche. Le petit groupe déboucha sur une vaste place que surplombait un imposant monument de plus de trois mètres, taillé à même la roche. Les Amazones, les Dioscures, les Victoires et plusieurs dieux des mythologies grecque, arabe et égyptienne s’étaient donnés rendez-vous pour former un chef-d’œuvre colossal.
Athanaos en était émerveillé. Mais ce qui le frappa, c’était le fronton inférieur représentant un disque solaire entouré de deux cornes et d’épis de blé. Une évocation à Isis. Cela le confortait dans son objectif de se rendre à Éléphantine par la suite. S’ils sortaient d’ici vivants, bien évidemment…
— Nous y sommes. La Khazneh. Le Trésor des Pharaons, déclara le nomade, non sans fierté. Il s’agit du mausolée de notre roi Arétas IV.
— Impressionnant…, murmura Ambroise.
Malgré la peur qui les tenaient, Fernando et lui ne pouvaient s’empêcher de rester admiratifs devant cet édifice grandiose.
Mais à peine avait-il formulé ces paroles qu’ils entendirent un bruit d’émeute. Le mamelouk arrêta sa monture et se retourna. Derrière lui, ses hommes firent de même. Rien. Le son avait cessé. Il attendit un instant, l’oreille tendue. Toujours rien.
Il allait faire signe de reprendre la route quand le tumulte reprit de plus belle. Cela ressemblait étrangement aux cris de guerre lancés par les bédouins. Or, le chef ne souhaitait en aucun cas que sa ville soit découverte par d’éventuels ennemis – surtout s’il s’agissait des mamelouks de Selim. Ils étaient cachés du monde et mieux valait que cela reste ainsi.
Il ordonna à un nomade de retourner dans le canyon. Le son continuait mais l’homme ne reparaissait pas. Aussi en envoya-t-il un second. Qui ne revint pas plus que le premier.
— Toi ! Va voir ! aboya le nomade, qui sentait l’inquiétude monter.
L’homme se dirigea vers le Sîq non sans une certaine crainte. De longues minutes passèrent sans qu’il ne montrât signe de vie à ses compagnons.
— J’y vais ! lança un quatrième homme.
— Non ! Nous y allons tous les cinq.
Ils tournèrent le dos au majestueux Trésor des Pharaons et s’engouffrèrent dans l’étroit passage.
Le cri résonna de nouveau, devenant assourdissant. Les alchimistes firent de leur mieux pour paraitre maitres d’eux-mêmes. Mais ils n’étaient au fond guère plus rassurés que leurs gardiens.
— Quitte à mourir, je préfère que ce soit des mains des bédouins que de celles d’un ennemi invisible, murmura Ambrosius.
— Qui est là ? cria le mamelouk.
En guise de réponse, le rugissement reprit. Un bruit sourd se fit entendre derrière eux. Le cheval du quatrième mamelouk venait de trébucher sur un obstacle, désarçonnant son cavalier. Ce dernier se releva tant bien que mal et baissa les yeux.
— Mais que…
Il ne put achever sa phrase que déjà un violent coup de poing sur la tempe l’envoya rouler près des corps de ses compagnons.
— Et de quatre !
— ISABELLA !
La fillette eut tout juste le temps de trancher les liens de son père avant que le chef de la troupe ne fonçât sur elle. Fernando défit rapidement ceux d’Athanaos et d’Ambrosius. Tous quatre parvinrent à neutraliser le mamelouk à qui Isabella réserva le même sort qu’aux autres nomades.
— Je confirme : que ferions-nous sans toi ? s’écria le Français, enlaçant celle qu’il appelait encore dédaigneusement Laguerra junior seulement trois mois auparavant.
— Tu nous suivais ?
— Oui. J’avais entendu les mamelouks bien avant vous. Mais si nous étions revenus à pied, nous aurions été rapidement rattrapés. Je les ai donc laissés vous faire prisonniers et je vous ai suivi d’en-haut, répondit-elle en désignant un chemin taillé dans les falaises. Mais où sommes-nous ?
— Je l’ignore. Nous savons qu’ils comptaient nous emmener à Reqem, une ville qu’ils appellent aussi « la Bariolée ». Mais je ne sais pas si c’est ici.
— La Bariolée ? répéta Isabella, songeuse. Il y avait bien une cité dans l’Antiquité qu’on surnommait « la Bariolée », mais elle a disparue des cartes…
Elle se dirigea vers la Khazneh et ses yeux étincelèrent.
— Pétra ! Nous sommes à Pétra !
Elle courut vers le Trésor des Pharaons mais Athanaos la rattrapa et la ramena de force vers les autres.
— Tu prends un cheval et on s’en va ! aboya Fernando. Ils ne vont pas tarder à se réveiller et d’autres vont arriver ! Ils ne vont pas te demander si tu as envie de visiter ! Alors on déguerpit d’ici le plus vite possible !
— Mais…
— NON !
— On reviendra Isabella…
— Vous savez très bien que non, Athanaos, articula-t-elle, la bouche pleine.
Ils étaient de retour sur la nef après avoir galopé plusieurs heures le long du Sîq. Ils avaient tous les jambes en coton, mais étaient bien trop fiers pour l’avouer. Leur premier souci avait été de trouver de l’eau – leur gourde était bien évidemment vide comme toujours lorsqu’ils en avaient besoin. Leur soif étanchée, ils s’étaient attaqués au repas fait à la va-vite.
Tout en mangeant son pain dans lequel il avait fourré un morceau de jambon, Ambrosius largua les amarres et le navire quitta Aqaba.
— Je monte prendre l’air.
Pour pleurer de rage oui !
Mais quand elle fut sur le pont, elle écarquilla les yeux et cria :
— AMBROSIUS, FAITES DEMI-TOUR ! VITE !
Furieux d’être interrompu dans son déjeuner, celui-ci grimpa les marches quatre à quatre.
— Mais qu’est-ce qu’il y a encore ?!
Elle lui montra, la main tremblante, le désert d’Arabie.
— Jésus, Marie, Joseph ! murmura l’alchimiste d’une voix blanche.
Décembre 1517, Aqaba, Égypte ottomane
Son vœu le plus cher venait d’être exaucé – celui de fouler un jour la terre des fils du Soleil –, mais elle éprouvait tout de même une pointe de déception. Même si Aqaba figurait à présent sur les cartes égyptiennes, elle ne se sentait pas vraiment dans ce pays.
Ils s’étaient donné rendez-vous sur le pont du navire, examinant pour la énième fois le paysage aride brûlé par l’astre du jour.
— Je ne comprends pas. Quel est le problème ? On est bien en Égypte ! fit Ambroise de Sarle. Pourquoi vous avez tous ce visage dépité ?
— On n’est pas vraiment en Égypte. Nous, ce qu’on appelle « Égypte », c’est le royaume des Pharaons. Aqaba n’est ni dans le mehou, ni dans le shemou. C’est… dans le désert ! soupira Isabella, enfouissant la tête dans ses bras.
— La Basse-Égypte et la Haute-Égypte, si tu préfères, précisa Fernando en voyant le visage incompréhensif d’Ambrosius.
— Eh bien, considérez que vous êtes dans la Haute-Égypte. Arrêtez d’en faire un drame ! bougonna ce dernier.
— La Basse, rectifia Athanaos. La Haute-Égypte est le lieu où le fleuve prend sa source, et la Basse le lieu où il se jette dans la mer. Souviens-toi en : c’est grâce au Nil que les Égyptiens identifiaient ces parties de leur territoire.
Pour illustrer ses paroles, il traça un trait dans l’air, de bas en haut, ce qui ne fit qu’augmenter la mine déconfite du Français.
— Tout ça pour dire que la Basse-Égypte est en haut et la Haute-Égypte est en bas ! rit Laguerra en lui donnant une tape amicale dans le dos.
Ils avaient appris la nouvelle à leur arrivée à Aqaba, deux semaines plus tôt. Le sultan ottoman Selim avait pris la ville du Caire au début de l’année, annexant ainsi l’Égypte à son empire déjà vaste. À l’Anatolie, la Turquie et la Syrie venait désormais s’ajouter l’ancienne terre des rois divins.
À bord de la nef, personne ne s’attendait à cette nouvelle. Et pour cause. Il fallait dire qu’à cette époque, tout le monde était en plein préparatifs : Ambrosius rassemblait ses papiers, Athanaos s’occupait des vivres et le Docteur était à Lisbonne pour aider Isabella à échafauder son évasion. Aucun d’eux n’avait songé à s’informer des dernières nouvelles diplomatiques.
— C’est tout de même étrange : à chaque fois que l’on passe quelque part, la guerre nous a précédés. D’abord Ormuz, maintenant ici…
— Que veux-tu, Fernando ? C’est la vie ! fit Ambroise en haussant les épaules. Et franchement, je préfère que ce soit avant plutôt que pendant !
À cette dernière phrase, les trois autres ne purent qu’acquiescer. Son regard s’attarda quelques instants sur la pyramide de Mu. Il reprit :
— Cela fait maintenant plusieurs jours que nous sommes ici, et nous n’avons toujours rien trouvé… L’ibis, le bélier et la cigogne ne t’ont vraiment rien dit d’autre, Athanaos ? Quelque chose qui pourrait nous mettre sur une piste quelconque ?
— Non. Et je te l’ai déjà dit : ce ne sont pas eux qui m’ont dit de venir ici, c’est mon intuition. Alors je ne sais pas trop quoi chercher.
Ambrosius roula des yeux. Encore et toujours son intuition ! Il commençait à en avoir assez. Si cela se trouvait, ils n’étaient même pas au bon endroit ! Il allait rétorquer quelque chose quand Isabella ouvrit la bouche :
— Vu que d’ici, nous ne voyons rien qui puisse nous mettre sur une voie, je propose que nous descendions encore une fois dans l’oasis. Peut-être qu’au détour d’un chemin, nous aurons une idée…
— Excellente suggestion, ma fille ! Que ferions-nous sans toi ? dit son père en lui passant un bras sur son épaule avec un sourire en coin. N’est-ce pas, Ambrosius ?
— C’est quand même la quinzième fois qu’on descend, grogna-t-il.
Tous quatre se dirigèrent vers la palmeraie. Athanaos laissa cependant ses compagnons le devancer pour se tourner vers les tentes dressées plus à l’ouest.
Comme Ormuz, Aqaba était une ville marchande, située au carrefour des routes commerciales antiques de l’Arabie. Un héritage du peuple des Nabatéens.
Il flânait près des étalages d’oranges lorsqu’il sentit qu’on lui secouait la manche de son manteau avec vigueur. Il se retourna et vit un petit garçon sur un muret qui le toisait, tout sourire, du haut de ses cinq ans.
— Pour toi, lui dit-il. Cadeau !
— Merci, mais pourquoi me le donnes-tu ?
Si le Grec était étonné par ce présent – tombé du ciel –, il se garda de la montrer.
Un signe des dieux, se dit-il.
L’enfant expliqua simplement :
— C’est à la demande de la vieille femme.
— La vieille femme ?
En guise de réponse, il désigna un velum. Athanaos suivit son geste des yeux et vit une silhouette féminine assise sous l’épaisse mousseline verte. Il tressaillit lorsqu’elle redressa la tête, laissant les rayons du soleil dévoiler son visage ridé par le temps.
La bohémienne de Barcelone !
Il s’avança lentement vers elle, espérant qu’elle ne s’envolerait pas de nouveau.
— Tu ne m’as pas écoutée, Athanaos, déclara-t-elle lorsqu’il fut à ses côtés.
Sa voix avait changé d’intonation. Si elle était douce et chaude deux ans auparavant, elle était à présent devenue ferme et glaciale. Mais surtout, il se sentait mal à l’aise devant elle, comme un jeune enfant pris en faute. Il ignorait pourquoi. Sans doute était-ce le fait qu’elle le tutoyait désormais ? Ou qu’elle l’avait appelé par son nom ? Ou peut-être parce qu’au plus profond de lui-même, il venait de reconnaitre une voix qui lui était étrangement familière…
— Je… je n’ai pas pu le semer, si c’est à cela que vous faites allusion.
Elle le regarda dans le blanc des yeux, ce qui ne fit qu’augmenter son malaise.
— Pour être franc, je n’ai pas encore découvert son identité.
— Vraiment ? demanda-t-elle en haussant les sourcils. Tu t’es toujours fié à ton instinct, Athanaos. Au fond de toi, tu sais très bien de qui il s’agit. Alors quoi ? As-tu si peur de la vérité alors que tu la connais déjà ?
— Non. Mais je ne suis plus seul désormais. Il y a quelqu’un d’autre.
— Oh ! Si c’est Isabella qui t’inquiète, ne crains rien : elle est parfaitement capable de se défendre, affirma la gitane en prenant une vieille branche à ses côtés.
Tout en prononçant ces mots, elle caressait doucement le bois et reprit, l’œil espiègle :
— Comprends-tu ?
— Je crois, murmura l’Anatolien avec une esquisse de sourire.
Encore perdu dans ses pensées, il examina l’offrande offerte par la bohémienne. Il s’agissait d’une très belle pierre argentée aux reflets bleus et blancs, qui n’était pas sans rappeler l’astre lunaire.
— Un sélénite. Je sais que ta quête piétine. Prends-le et dis à tes amis que cette pierre provient de là-haut, dit-elle en désignant de la main le sommet des rocs bordant l’oasis.
— De là-haut ? répéta le Grec en fronçant les sourcils. Quel rapport…
— Tu trouveras, assura-t-elle avec une étincelle de malice dans le regard.
Mystérieuse comme toujours… Aucun d’eux ne connaissait ce pays, mais personne ne serait assez dupe pour croire qu’un gisement de pierre de lune se trouvait dans ces montagnes. Qu’allait-il bien pouvoir inventer pour les faire monter ? Et surtout, quel était le lien entre cette roche et le djebel ?
Athanaos revint vers la nef amarrée dans ce qui semblait être le port de l’oasis, où ses compagnons l’attendaient de pied ferme. Ambrosius hurla :
— Bon sang ! Mais où est-ce que tu étais passé ? Cela fait trois heures qu’on te cherche !
Trois heures ?! Cela faisait trois heures qu’il était avec la bohémienne ?
— J’ai trouvé quelque chose…, commença-t-il.
— Ça tombe bien nous aussi ! le coupa le Français.
Laguerra leva les yeux au ciel. Laisser les autres donner leur explication en premier ne faisait toujours pas partie des résolutions d’Ambroise de Sarle.
— Sais-tu où se trouve le Wadi Rum ? Et surtout qu’est-ce que c’est ?
Athanaos n’en crut pas ses oreilles. Il le considéra en silence puis éclata de rire. À vrai dire, il ne savait pas pourquoi il riait, mais cela le soulageait. Le soulager de quoi ? Cela non plus, il ne le savait pas. Sans doute parce que cela lui évitait de se creuser la tête…
Ses amis se regardèrent, interloqués. Qu’y avait-il de drôle ? Le Grec finit par leur expliquer, le rouge aux joues :
— Le Wadi Rum est là-haut. On l’appelle la Vallée de la Lune.
La Vallée de la Lune ! Évidemment !
— C’est là que je voulais vous emmener.
— Quoi ? Là-haut ? répéta Ambrosius d’une voix étranglée. Mais… c’est à cinq heures de marche ! On n’y sera pas avant la tombée de la nuit !
— Eh bien, on partira demain matin ! décréta Fernando. De bonne heure et de bonne humeur !
— Comment savais-tu qu’on devait monter ce pic ? demanda Laguerra à son ami le lendemain, brisant un silence que seuls le vent et les plaintes d’Ambroise de Sarle venaient troubler.
— Une intuition. Il n’y avait rien à Aqaba, alors qu’en haut… Et vous ?
— Je crois que ma fille a dû faire le même raisonnement, sourit son ami. Vous vous ressemblez beaucoup tous les deux !
Ce fut au tour d’Athanaos de sourire. Il ne croyait pas si bien dire.
Ils étaient maintenant partis depuis plusieurs heures et la faim commençait tous à les tirailler. Après avoir grimpé un sentier abrupt qui les menait au sommet de la montagne – ou plutôt sur un plateau –, ils traversaient à présent un canyon taillé dans un récif de cinq cents mètres de hauteur. Aucun d’eux n’était vraiment rassuré de franchir ces murailles de pierre où un éboulement pouvait survenir à tout moment. Le Docteur s’arrêta brusquement. Le Français manqua de lui rentrer dedans et glissa sur un caillou.
— Cette fois, j’en ai vraiment m…
— Chut ! Taisez-vous !
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Athanaos, baissant la voix.
— C’est le vent ! Il résonne entre les falaises ! grogna Ambrosius en massant sa cheville endolorie.
— Non, non… Il y a autre chose…, murmura le Portugais, visiblement inquiet.
Des bruits de sabots résonnèrent au loin. Les galops se rapprochaient de plus en plus vite. Enfin, dans un nuage de poussière, ils discernèrent des ombres coiffées d’un turban rouge et armées d’un sabre. Ils étaient cinq.
— Des mamelouks ! blêmit Ambroise.
— Emparez-vous d’eux ! cria une voix.
Ils étaient à pied, à bout de souffle, à demi-morts de faim et de fatigue, face à des cavaliers, filant comme le vent, armés et maitres de cette vallée. Autant dire qu’ils n’avaient aucune chance.
Ils furent rapidement ligotés les uns aux autres et présentés en file indienne à celui qui semblait être le chef du groupe. Ce dernier ricana :
— Tiens, tiens… Trois malheureux voyageurs…
— Trois ?! s’écria Fernando en se retournant. Mais où est…
Derrière lui, Athanaos lui donna un violent coup de genou dans les reins, l’incitant à se taire.
— Que faites-vous ici ? Dans ma vallée ?
— Le Wadi Rum n’appartient à personne, répliqua le Grec. Nous sommes libres d’aller où nous désirons.
— Aqaba est peut-être tombée aux mains du Terrible, mais ma tribu résiste ! Nous nous sommes retranchés sur la terre de nos ancêtres. Cette vallée est un royaume où nul ne peut entrer sans y être invité. Sinon…
Le nomade passa son pouce sous la gorge, l’air menaçant.
— Emmenez-les à Reqem ! ordonna-t-il à ses hommes. On décidera de leur sort là-bas.
— Pourquoi est-ce que je vous ai écoutés ? geignit Ambrosius. Hein ? Pourquoi ?!
— Arrête de parler et avance ! dit un mamelouk en le poussant sans ménagement devant lui.
Plusieurs heures passèrent ainsi. Derrière Laguerra, les autres alchimistes essayaient de se libérer de leurs liens. En vain.
— Vous avez de la chance finalement, fit le nomade en passant sa main sur le menton. D’aussi loin que remonte ma mémoire, vous êtes les premiers étrangers à vous aventurer ici.
— De la chance ? Vous appelez cela de la chance ?! lui cria Fernando. Cela fait plusieurs heures que nous marchons sous un soleil de plomb ! Ayez au moins l’amabilité de nous donner de l’eau !
— Patience, patience mon ami, sourit l’autre avec un ton mielleux qui ne présageait rien de bon. Nous sommes presque arrivés à la Bariolée. Vous vous désaltérerez là-bas.
— La Bariolée ?! Où comptez-vous nous emmenez exactement ? demanda Athanaos.
— Mais à notre ville, bien sûr ! Nos ancêtres ont construit leur magnifique capitale dans le désert. Ils ne manquaient absolument de rien… Vous verrez, vous y trouverez tout ce dont vous aurez besoin.
Y compris le sommeil éternel.
Les trois amis entendirent aussi clairement ces mots que si le mamelouk les avait prononcés.
— Pourquoi est-ce que je vous ai écoutés ? répéta Ambrosius, complètement hagard. Et Isabella ? Où est-ce qu’elle est encore passée ?
— Elle était derrière toi ! grinça le Docteur. Tu aurais dû surveiller si elle suivait !
Mais c’était également valable pour lui. En tant que chef d’expédition, lui aussi aurait dû vérifier si tout le monde était là. Avant, pendant et après. Elle avait peut-être glissé, ou même pire, elle s’était peut-être tuée en tombant !
Ils longèrent une derrière fois la paroi rocailleuse avant de tourner sur leur gauche. Le petit groupe déboucha sur une vaste place que surplombait un imposant monument de plus de trois mètres, taillé à même la roche. Les Amazones, les Dioscures, les Victoires et plusieurs dieux des mythologies grecque, arabe et égyptienne s’étaient donnés rendez-vous pour former un chef-d’œuvre colossal.
Athanaos en était émerveillé. Mais ce qui le frappa, c’était le fronton inférieur représentant un disque solaire entouré de deux cornes et d’épis de blé. Une évocation à Isis. Cela le confortait dans son objectif de se rendre à Éléphantine par la suite. S’ils sortaient d’ici vivants, bien évidemment…
— Nous y sommes. La Khazneh. Le Trésor des Pharaons, déclara le nomade, non sans fierté. Il s’agit du mausolée de notre roi Arétas IV.
— Impressionnant…, murmura Ambroise.
Malgré la peur qui les tenaient, Fernando et lui ne pouvaient s’empêcher de rester admiratifs devant cet édifice grandiose.
Mais à peine avait-il formulé ces paroles qu’ils entendirent un bruit d’émeute. Le mamelouk arrêta sa monture et se retourna. Derrière lui, ses hommes firent de même. Rien. Le son avait cessé. Il attendit un instant, l’oreille tendue. Toujours rien.
Il allait faire signe de reprendre la route quand le tumulte reprit de plus belle. Cela ressemblait étrangement aux cris de guerre lancés par les bédouins. Or, le chef ne souhaitait en aucun cas que sa ville soit découverte par d’éventuels ennemis – surtout s’il s’agissait des mamelouks de Selim. Ils étaient cachés du monde et mieux valait que cela reste ainsi.
Il ordonna à un nomade de retourner dans le canyon. Le son continuait mais l’homme ne reparaissait pas. Aussi en envoya-t-il un second. Qui ne revint pas plus que le premier.
— Toi ! Va voir ! aboya le nomade, qui sentait l’inquiétude monter.
L’homme se dirigea vers le Sîq non sans une certaine crainte. De longues minutes passèrent sans qu’il ne montrât signe de vie à ses compagnons.
— J’y vais ! lança un quatrième homme.
— Non ! Nous y allons tous les cinq.
Ils tournèrent le dos au majestueux Trésor des Pharaons et s’engouffrèrent dans l’étroit passage.
Le cri résonna de nouveau, devenant assourdissant. Les alchimistes firent de leur mieux pour paraitre maitres d’eux-mêmes. Mais ils n’étaient au fond guère plus rassurés que leurs gardiens.
— Quitte à mourir, je préfère que ce soit des mains des bédouins que de celles d’un ennemi invisible, murmura Ambrosius.
— Qui est là ? cria le mamelouk.
En guise de réponse, le rugissement reprit. Un bruit sourd se fit entendre derrière eux. Le cheval du quatrième mamelouk venait de trébucher sur un obstacle, désarçonnant son cavalier. Ce dernier se releva tant bien que mal et baissa les yeux.
— Mais que…
Il ne put achever sa phrase que déjà un violent coup de poing sur la tempe l’envoya rouler près des corps de ses compagnons.
— Et de quatre !
— ISABELLA !
La fillette eut tout juste le temps de trancher les liens de son père avant que le chef de la troupe ne fonçât sur elle. Fernando défit rapidement ceux d’Athanaos et d’Ambrosius. Tous quatre parvinrent à neutraliser le mamelouk à qui Isabella réserva le même sort qu’aux autres nomades.
— Je confirme : que ferions-nous sans toi ? s’écria le Français, enlaçant celle qu’il appelait encore dédaigneusement Laguerra junior seulement trois mois auparavant.
— Tu nous suivais ?
— Oui. J’avais entendu les mamelouks bien avant vous. Mais si nous étions revenus à pied, nous aurions été rapidement rattrapés. Je les ai donc laissés vous faire prisonniers et je vous ai suivi d’en-haut, répondit-elle en désignant un chemin taillé dans les falaises. Mais où sommes-nous ?
— Je l’ignore. Nous savons qu’ils comptaient nous emmener à Reqem, une ville qu’ils appellent aussi « la Bariolée ». Mais je ne sais pas si c’est ici.
— La Bariolée ? répéta Isabella, songeuse. Il y avait bien une cité dans l’Antiquité qu’on surnommait « la Bariolée », mais elle a disparue des cartes…
Elle se dirigea vers la Khazneh et ses yeux étincelèrent.
— Pétra ! Nous sommes à Pétra !
Elle courut vers le Trésor des Pharaons mais Athanaos la rattrapa et la ramena de force vers les autres.
— Tu prends un cheval et on s’en va ! aboya Fernando. Ils ne vont pas tarder à se réveiller et d’autres vont arriver ! Ils ne vont pas te demander si tu as envie de visiter ! Alors on déguerpit d’ici le plus vite possible !
— Mais…
— NON !
— On reviendra Isabella…
— Vous savez très bien que non, Athanaos, articula-t-elle, la bouche pleine.
Ils étaient de retour sur la nef après avoir galopé plusieurs heures le long du Sîq. Ils avaient tous les jambes en coton, mais étaient bien trop fiers pour l’avouer. Leur premier souci avait été de trouver de l’eau – leur gourde était bien évidemment vide comme toujours lorsqu’ils en avaient besoin. Leur soif étanchée, ils s’étaient attaqués au repas fait à la va-vite.
Tout en mangeant son pain dans lequel il avait fourré un morceau de jambon, Ambrosius largua les amarres et le navire quitta Aqaba.
— Je monte prendre l’air.
Pour pleurer de rage oui !
Mais quand elle fut sur le pont, elle écarquilla les yeux et cria :
— AMBROSIUS, FAITES DEMI-TOUR ! VITE !
Furieux d’être interrompu dans son déjeuner, celui-ci grimpa les marches quatre à quatre.
— Mais qu’est-ce qu’il y a encore ?!
Elle lui montra, la main tremblante, le désert d’Arabie.
— Jésus, Marie, Joseph ! murmura l’alchimiste d’une voix blanche.